Responsabilité professionnelle et perte de chance : Analyse des obligations d’un mandataire dans le cadre d’un litige complexe

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Responsabilité professionnelle et perte de chance : Analyse des obligations d’un mandataire dans le cadre d’un litige complexe

La société MONDIET a entrepris en 2004 la construction de trois bâtiments industriels, mais une erreur d’implantation altimétrique a empêché la délivrance d’un certificat de conformité, entraînant des complications pour la réception de l’ouvrage. Une expertise judiciaire a confirmé cette erreur, et le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné MONDIET à verser 154.251,33 €. MONDIET a fait appel, et la Cour a ordonné une nouvelle expertise, aboutissant à une décision qui a modifié les responsabilités et les indemnités. Après plusieurs pourvois, la Cour de cassation a annulé certaines décisions, renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Toulouse. MONDIET a ensuite assigné son ancien conseil et ses assureurs, arguant d’une faute de procédure ayant entraîné une perte de chance d’obtenir une indemnisation plus élevée. Un protocole d’indemnisation a été signé, mais MONDIET a estimé que ses préjudices n’étaient pas entièrement couverts. Les défendeurs contestent la demande de MONDIET, affirmant qu’elle ne prouve pas un lien direct entre la faute alléguée et le préjudice subi. Ils soutiennent également que MONDIET aurait de toute façon transigé avec la société ADA, limitant ainsi ses chances d’obtenir une indemnisation plus importante.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG
20/07183
N° RG 20/07183 – N° Portalis DBX6-W-B7E-UW54
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

63B

N° RG 20/07183 – N° Portalis DBX6-W-B7E-UW54

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.S. ETS MONDIET

C/

S.E.L.A.R.L. LEXAVOUE PAU TOULOUSE, [P] [X], S.A. ALLIANZ IARD, S.A.S. SOCIETE DE COURTAGE DES BARREAUX

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL MAITRE INGRID THOMAS
la SCP RAFFIN & ASSOCIES
la SCP RAFFIN ET ASSOCIES

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 19 SEPTEMBRE 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 13 Juin 2024 conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Ollivier JOULIN, magistrat chargée du rapport, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte dans son délibéré.

JUGEMENT:

Réputé contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDERESSE :

S.A.S. ETS MONDIET
8 avenue de la Gare
33470 GUJAN MESTRAS

représentée par Maître Ingrid THOMAS de la SELARL MAITRE INGRID THOMAS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DEFENDEURS :

S.E.L.A.R.L. LEXAVOUE PAU TOULOUSE
7 place Georges Clémenceau
64000 PAU

N° RG 20/07183 – N° Portalis DBX6-W-B7E-UW54

défaillant

Monsieur [P] [X]
5 rue Henri Faisans
64000 PAU

défaillant

S.A. ALLIANZ IARD
1 cours Michelet
92076 PARIS LA DEFENSE

défaillant

S.A.S. SOCIETE DE COURTAGE DES BARREAUX
47 bis D boulevard Carnot
13100 AIX EN PROVENCE

représentée par Maître Laurent CAZELLES de la SCP RAFFIN ET ASSOCIES, avocats au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, avocats plaidant, Maître Patricia LE TOUARIN-LAILLET de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant

*
EXPOSE DU LITIGE

La société MONDIET qui exploite une activité de fabrication et vente de filets de pêche a entrepris en 2004 la création de trois bâtiments à usage industriel (un de bureaux-entrepôt – de deux bureaux entrepôts divisibles chacun en 4).

Monsieur [F] associé de la maison de l’expertise est intervenu en qualité d’assistant du maître d’ouvrage, l’agence DESIGN ARCHITECTURE en qualité de maître d’oeuvre avec mission complète, SECOBAT a assuré le gros-oeuvre, SOTRAP les VRD, outre diverses sociétés pour les autres lots.

Une erreur d’implantation altimétrique ne permettant pas la délivrance d’un certificat de conformité et mettant obstacle au raccordement EU/EP a interdit la réception de l’ouvrage, une expertise judiciaire a été ordonnée.

L’expert désigné a confirmé l’erreur d’altimétrie irréversible.

La question des modalités de reprise (destruction/reconstruction ou confortation de l’existant) a fait débat, le tribunal de commerce de BORDEAUX a jugé qu’il existait une solution de reprise et par jugement du 12 décembre 2008 a condamné la société MONDIET à verser une somme de 154.251,33 €.

Considérant que l’immeuble était condamné, la société MONDIET a formé appel, la Cour a réformé partiellement le jugement et prescrit une nouvelle expertise par arrêt du 9 janvier 2012, puis, après dépôt du nouveau rapport a infirmé la décision de première instance, statué sur les responsabilités et sur l’indemnisation du préjudice par arrêt du 29 janvier 2016, précisant par deux arrêts rectificatifs du 24 mai 2016 que les condamnations étaient in solidum mais limité à 1 244 433,59 € HT à l’encontre de la société ATLANTIC ROUTE, et que cette société était déboutée de sa demande en paiement du solde de chantier.

A la suite de plusieurs pourvois, par arrêt du 14 septembre 2017 la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour ‘appel de BORDEAUX en ce qu’il avait rejeté la demande de la société ATLANTIC ROUTE de condamnation de la société MONDIET à lui verser la somme de 154 251, 33 € en principal et en ce qu’il avait condamné la société ATLANTIC ROUTE in solidum avec la société ADA à payer à la société MONDIET à titre de dommages-intérêts diverses sommes, ainsi que sur les mises hors de cause de plusieurs intervenants et le rejet d’appels en garantie.

L’affaire était renvoyée devant la Cour d’appel de TOULOUSE. Les établissement MONDIET ont formé une déclaration de saisine le 30 novembre 2017 et ont fait signifier des conclusions le 29 janvier 2018 et le 12 février 2018.

La SAS ATLANTIC ROUTE et la SMABTP ont déposé des conclusions d’incident tendant à voir déclarée caduque la déclaration de saisine à défaut d’avoir signifié dans le délai de 10 jours de l’avis de bref délai, notifié par le greffe le 12 décembre 2017.

Par ordonnance du 6 septembre 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré caduque la saisine de la Cour d’Appel de renvoi.

La société ETABLISSEMENT ARMAND MONDIET a déféré à la Cour d’appel de Toulouse ladite décision.

Cette décision a été confirmée par arrêt du 8 janvier 2019.

Un pourvoi a été inscrit par la société ETABLISSEMENT ARMAND MONDIET le 6 mars 2019.

Par arrêt de la Cour de Cassation en date du 4 juin 2020, le pourvoi a été rejeté.

La SAS ÉTABLISSEMENT MONDIET considère que la faute de ses conseils l’a privée de toute chance de voir une décision plus favorable lui profiter.

Un protocole est toutefois intervenu entre les sociétés ETS A. MONDIET, ADA et la MAF, permettant une indemnisation de la société MONDIET à hauteur de 2.700.000 €, n’incluant toutefois pas une perte de loyer et réservant la possibilité : “ de lancer une procédure en consécration de la responsabilité de l’avocat Maître [P] [X], membre de la société LEXAVOUE, sa compagnie d’assurance en indemnisation des préjudices subis générés par la perte de chance de voir trancher la portée de la cassation partielle à l’égard de la société ADA, voir actualiser ses préjudices immatériels et matériels pour la période entre l’arrêt de la Cour d’Appel de BORDEAUX du 29 janvier 2016 et l’arrêt de la Cour d’Appel de TOULOUSE à intervenir, obtenir la condamnation in solidum devant la Cour d’Appel de renvoi de la société ATLANTIC ROUTE en indemnisation des préjudices générés par son intervention sur le chantier”

Ce protocole ne concerne pas les sociétés ATLANTIC ROUTE et AIRLINE LOGISTICS SUPPORT, Maître [X], la société LEXAVOUE et sa compagnie d’assurances, tiers à cette convention.

Considérant qu’elle subissait un préjudice non indemnisé alors qu’elle était en droit d’attendre de la Cour de renvoi une chance d’obtenir des dommages-intérêts plus importants, la société MONDIET a fait assigner son ancien conseil est ses assureurs.

Aucune conciliation n’a pu intervenir.

*

Au terme de ses dernières conclusions déposées le 30 avril 2024, la SAS ETS A. MONDIET, SAS immatriculée sous le numéro 458 206 364 du registre du commerce et des sociétés de BORDEAUX ayant son siège 8 avenue de la Gare 333470 GUJAN MESTRAS sollicite de voir :

DECLARER recevable et bien fondée la société ETS A. MONDIET en son action,

DONNER ACTE de l’intervention volontaire de MMA IARD ASSURANCES

DEBOUTER la société LEXAVOUE et Me [P] [X] et MMA IARD ASSURANCES de toutes demandes, fins et prétentions

JUGER que la société LEXAVOUE et Maître [P] [X] ont commis une faute de nature contractuelle en ne procédant pas à la signification de l’avis de procédure à brefs délais et de la déclaration d’appel dans le délai de 10 jours, à compter de la notification du greffe, à peine de caducité de l’acte de saisine,

EN CONSEQUENCE CONDAMNER la société LEXAVOUE et Me [P] [X], in solidum avec la compagnie d’assurance MMA IARD ASSURANCES à indemniser les préjudices consécutifs à cette faute, constitués par une perte de chance liquidée à 90 %, d’avoir perçu une indemnisation intégrale des préjudices, tels que présentés au dispositif de leur conclusions signifiées devant la Cour d’Appel de TOULOUSE, soit la somme de 2.370.498,25€

A TITRE SUBSIDIAIRE,

CONDAMNER la société LEXAVOUE et Me [P] [X] , in solidum avec la compagnie d’assurance MMA, à indemniser les préjudices consécutifs à cette faute, constitués par une perte de chance de voir confirmer les condamnations de la Cour d’Appel de BORDEAUX, actualisées au jour de l’arrêt de la Cour d’Appel de TOULOUSE, soit la somme de 1.455.552.99 euros

ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

CONDAMNER les mêmes à payer à la SAS A. MONDIET, LA SOMME de 6.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de sa demande elle rappelle le régime de responsabilité de l’avocat lequel doit être diligent et veiller au respect des règles de procédure. L’absence de signification de la déclaration de saisine dans les délais prévus par l’article 1037-1 du Code de procédure civile entraînant la caducité de l’instance est une faute caractérisée engageant la responsabilité du conseil.

Elle soutient que cette faute a généré un préjudice, puisqu’elle a perdu toute chance de gagner son procès, en effet malgré la régularisation de la transaction, elle aurait été en droit de poursuivre dans les limites de la transaction la société ATLANTIC ROUTE dont le principe de la responsabilité a été retenu.

Elle détaille le préjudice effectivement supporté, les travaux de reprise ayant été chiffrés et devant être actualisés, le retard pour engager les travaux étant en outre lié à la crise sanitaire et au blocage de l’économie jusqu’en juillet 2020, s’ajoute les contraintes de stockage pendant les travaux ainsi que la perte de loyers au 31 décembre 2017 qu’elle chiffre à 1.124.176,02 € outre les intérêts de retard pour 56.918,95 € HT, les frais de nettoyage lié à l’absence de réalisation de la voirie pour 138.605,29 €, n’ayant pu obtenir la libération des emprunt à défaut de délivrance d’un certificat de conformité, elle subit en outre un préjudice financier puisqu’elle a du supporter l’avance par sa trésorerie, ce qui l’a privée des produits financiers issus du placement de sa trésorerie pour 78 487 €, actualisée au 30 juin 2015 à la somme de 85 602,42 € et actualisé au mois de décembre 2017 à 63.355,20 € HT – préjudice retenu pour seulement 30.000 € par la Cour d’appel.

Elle rappelle qu’elle sollicitait le paiement de 4.554.820,95 € d’indemnités, postes qui avaient vocation à être actualisés, la somme à laquelle elle pouvait prétendre se chiffrant à 5.333.886,94 € somme sur laquelle elle n’a pu transiger qu’avec le seul débiteur ne bénéficiant pas de la cassation partielle, ce qui lui a procuré une indemnisation réduite à 2.700.000 €.

Elle considère que sa perte de chance peut être chiffrée à 90 % de sorte qu’elle réclame 5.333.886,94 – 2.700.000,00 euros x 90 % = 2.633.886,94 x 90% = 2.370.498,25€

Subsidiairement elle estime avoir perdu une chance de voir confirmées les condamnations de l’arrêt de la cour d’Appel de Bordeaux, augmentées des seules actualisations au 30 juin 2020 soit :

− 1 523 967,91 € HT au titre du total nécessaire pour les travaux de reprise
− 64 037,99 € HT au titre de la location de toilettes
− 3 304 € HT au titre des travaux électriques AMEXPI
− 236 652,63 € HT au titre des loyers non perçus du locataire OFFSHORE EXECUTIVE
− 879 427,26 € HT au titre de la perte de loyer (actualisés à 1.416.992,21 €)
− 70 000 € TTC au titre des heures supplémentaires effectuées par les salariés pour nettoyage
(actualisés à 161.377,12 €)
– 30 000 € TTC au titre du remboursement anticipé des emprunts (actualisés à 505.277,28 €)
− 110 245,12 € au titre du temps passé des déplacements de la direction (actualisés à
588.997,71 €)
− 10 223,42 € au titre des frais de travaux pendant l’instance
− 150 000 € TTC en application l’article 700 du code de procédure civile

Soit 4.155.552,99 – 2.700.000,00 = 1.455.552.99 euros .

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Par leurs dernières conclusions déposées le 15 mars 2024 Maître Pierre MARBOT, avocat au Barreau de Toulouse, membre de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, LEXAVOUE PAU – TOULOUSE, SELARL d’avocats Immatriculée au RCS de PAU sous le numéro 790 332 324 sise 7 Place Georges Clémenceau à 64000 PAU, la SOCIETE DE COURTAGE DES BARREAUX, SAS dont le siège social est situé 400 Chemin des Jallassières 13510 Éguilles, inscrite au RCS d’AIX EN PROVENCE sous le numéro B 439 831 041, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Mans sous le n° 775 652 126, MMA IARD, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Mans sous le n° 440 048 882, sollicitent de voir :

A titre préalable :

Vu les articles 328 et 330 du Code de procédure civile

− PRONONCER la mise hors de cause de la SOCIETE DE COURTAGE DES BARREAUX ;

− DONNER ACTE aux sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES de leur intervention volontaire

− LES Y DECLARER recevables et bien fondées

Sur le fond :

− DIRE ET JUGER la société MONDIET mal fondée en ses demandes.

− DIRE ET JUGER que la société MONDIET ne rapporte pas la triple preuve cumulative, d’une faute précise et caractérisée, d’un préjudice personnel, certain et actuel caractérisant une perte de chance et d’un lien de causalité direct et exclusif entre la faute alléguée et le préjudice allégué.

En conséquence,

− DEBOUTER la société MONDIET de toutes ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause,

− CONDAMNER la société MONDIET à régler à Me [X] et aux sociétés MMA, une somme de 3.000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

− CONDAMNER la même aux entiers dépens de l’instance dans les termes de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

Si par impossible une condamnation était prononcée à l’encontre des concluants :

– REDUIRE les demandes de la société MONDIET à de plus justes proportions en faisant application des principes sur la perte de chance

– ECARTER l’exécution provisoire

Les défendeurs rappellent que la société de Courtage des barreaux n’est pas l’assureur mais l’intermédiaire entre l’assuré et l’assureur, elle n’est donc tenue à aucune obligation et doit être mise hors de cause, l’assureur MMA intervenant volontairement à l’instance étant précisé que les garanties de l’assureur ALLIANZ sont résiliées depuis janvier 2017. Seuls les MMA peuvent répondre à la demande en qualité d’assureurs.

La faute n’est pas contestée puisque la caducité a été prononcée, la déclaration de saisine a été notifiée le 10 janvier 2018 alors qu’elle aurait dû l’être dans les 10 jours suivant l’avis de fixation du 12 décembre 2017.

Néanmoins, ils considèrent que cette faute n’est pas génératrice d’un préjudice certain et direct en lien avec le dommage invoqué.

Ils rappellent que la cassation partielle a sanctionné uniquement le fait que la société ATLANTIC ROUTE ait été condamnée in solidum avec ADA, de sorte que le jugement à l’encontre d’ADA était définitif, la société MONDIET n’a aucunement été privée d’une chance de solliciter l’indemnisation de son préjudice auprès de la société ADA qui avait été reconnue responsable de l’entier dommage, sachant que l’évaluation à laquelle il avait été procédé n’était
pas remise en cause par la société MONDIET. Cette société a choisi de transiger avec ADA choix qui n’est pas opposable aux défendeurs.

Ils rappellent que la mise en cause de la responsabilité du conseil pour perte de chance d’obtenir une indemnisation dans le cadre d’une instance suppose , après reconstitution fictive de la discussion qui aurait pu s’instaurer en cause d’appel au regard des conclusions et des pièces produites, que la demanderesse justifie d’un préjudice direct et certain résultant de la perte de chance de voir réformer le jugement.

Or la société MONDIET ne pouvait espérer qu’une condamnation limitée de la société ATLANTIC ROUTE et elle ne démontre pas que le débat sur le montant des postes de préjudice retenus à l’encontre de la société ADA eut été à nouveau possible devant la Cour d’appel de renvoi.

La Cour de BORDEAUX avait, au vu de l’ensemble des conclusions des parties, procédé à l’évaluation des préjudices subis à hauteur de 3.077.855 € en faisant droit à l’intégralité des demandes de la société MONDIET s’agissant de la reprise, des pertes locatives et des travaux intermédiaires, limitant les montants demandés concernant les heures supplémentaires, le remboursement anticipés des emprunts, le temps passé par la direction et les frais irrépétibles. Il n’est nullement démontré que la Cour de renvoi aurait effectué une évaluation différente, alors même que l’analyse de la Cour d’appel de BORDEAUX n’est pas remise en cause.

La demande subsidiaire au titre de l’actualisation des sommes est quant à elle totalement exorbitante (majoration de 1.077.697,99 €) comprenant pour la moitié le préjudice lié au remboursement anticipé des emprunts (505.288,28 €) alors que ce poste était initialement évalué pour 11 années à 63.355,20 € ; de même il n’est pas justifié d’heures supplémentaires pour 90.000 €, alors que ce poste a été chiffré à 23.480 € et qu’aucune heure supplémentaire n’est alléguée ou justifiée depuis cette date ; rien ne justifie l’actualisation à laquelle la société demanderesse procède au 30 juin 2020 pour les pertes de loyers, elle pouvait effectuer les travaux et louer les bâtiments en exécution de l’arrêt de la Cour de BORDEAUX ; en ce qui concerne le temps passé par ses dirigeants, il était demandé 553.755,32 € la Cour a arbitré ce poste à 110.245,12 €, il ne saurait être soutenu que pour 2 années supplémentaires il aurait pu être obtenu 588.997,71 € ; MONDIET a obtenu la condamnation de son locataire au paiement de 145.810,93 € de loyers et indemnités d’occupation, elle a donc obtenu une indemnisation pour ce poste de préjudice.

Au total, même si la Cour de renvoi avait été valablement saisie, la demanderesse aurait sans aucun doute transigé de la même manière avec la société ADA, de sorte qu’elle n’a perdu aucune chance d’être indemnisée.

En tout état de cause les chances d’obtenir des condamnations plus importantes était minime.

*

La SA ALLIANZ IARD n’a pas constitué avocat.

DISCUSSION

La cause est susceptible d’appel, il y a lieu de statuer par jugement réputé contradictoire.

La SAS SOCIÉTÉ DE COURTAGE DES BARREAUX, société de courtage et donc intermédiaire entre l’assuré et l’assureur, n’a pas vocation à garantir un sinistre pour lequel la garantie de l’assureur est requise, en l’absence de manquement allégué du fait de sa qualité de mandataire. En conséquence la SAS SOCIÉTÉ DE COURTAGE DES BARREAUX sera mise hors de cause.

La société ALLIANZ dont les garanties ont été résiliées au 1er janvier 2017 n’a pas vocation à garantir le sinistre couvert par les garanties des MMA.

Il convient en revanche de donner acte aux sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES de leurs intervention volontaires es qualités d’assureurs de la SELARL LEXAVOUE PAU TOULOUSE et de Maître [P] [X] et de déclarer ces interventions recevables, ces mutuelles ayant qualité à agir en leur qualité d’assureur.

Maître [X] et la SELARL LEXAVOUE TOULOUSE ne contestent pas l’existence d’une faute, le conseil ayant manqué d’accomplir les diligences utiles, alors qu’un appel avait été régulièrement formé, en omettant de notifier la déclaration de saisine de la Cour de renvoi dans le délai de 10 jours de l’avis de fixation du 12 décembre 2017, cette notification a été effectuée le 10 janvier et a entraîné la décision du 6 septembre 2018 au terme de la quelle le Conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la procédure, décision dont la société MONDIET n’a pas été relevée par arrêt du 8 janvier 2019 à l’encontre duquel le pourvoi formé a été rejeté le
4 juin 2020.

En effet les dispositions de l’article 1037-1 du Code de procédure civile prévoient

En cas de renvoi devant la cour d’appel, lorsque l’affaire relevait de la procédure ordinaire, celle-ci est fixée à bref délai dans les conditions de l’article 905. En ce cas, les dispositions de l’article 1036 ne sont pas applicables.
La déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l’instance ayant donné
lieu à la cassation dans les dix jours de la notification par le greffe de l’avis de fixation. Ce délai est prescrit à peine de caducité de la déclaration, relevée d’office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président.

Le conseil a omis de faire cette diligence et a ainsi manqué à ses obligations, privant sa cliente de voir examiner le litige à la suite de l’arrêt de cassation partielle.

Ainsi, la société MONDIET a perdu toute chance de voir ré-examiner, au regard de la portée de l’arrêt de cassation partielle, le litige pour lequel elle avait confié ses intérêts à son conseil dont la responsabilité est légitimement recherchée.

La cassation ne profitant pas à la société ADA, la société MONDIET a pu poursuivre l’exécution contre cette société puis transiger afin d’obtenir de cette société et de ses assureurs une indemnisation à hauteur de 2.700.000 € correspondant aux indemnités allouée par la Cour d’Appel de BORDEAUX pour les préjudices matériels à hauteur de 1.579.533,32 € (soit une remise négociée de 22.000 € au regard de l’arrêt), pour les frais et dépens à concurrence de leur montant pour 190.195,54 €, pour 85% des préjudices immatériels soit 926.222,29 €.

Le protocole énonçait que la société ARMAND MONDIET se déclare contrainte de lancer une procédure en consécration de la responsabilité de l’avocat Maître [P] [X], membre de la société LEXAVOUE, sa compagnie d’assurance en indemnisation des préjudices subis générés par la perte de chance de voir trancher la portée de la cassation partielle à l’égard de la société ADA, voir actualiser ses préjudices immatériels et matériels pour la période entre l’arrêt de la Cour d’Appel de BORDEAUX du 29 janvier 2016 et l’arrêt de la Cour d’Appel de TOULOUSE à intervenir, obtenir la condamnation in solidum devant la Cour d’Appel de renvoi de la société ATLANTIC ROUTE en indemnisation des préjudices générés par son intervention sur le chantier .

C’est le litige dont le Tribunal est saisi.

La société MONDIET entendait solliciter devant la Cour d’appel de renvoi qu’elle invalide sa condamnation à verser à une société SOTRAP désormais ATLANTIC ROUTE une somme de 154.251,33 € au titre d’un solde de facture outre intérêts et 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et qu’elle condamne in solidum les sociétés ADA et ATLANTIC ROUTE et leurs assureurs à l’indemniser de l’ensemble de ses préjudices matériels et immatériels au 31 décembre 2017.

Sur le premier point, la cassation avait été prononcée du fait que pour rejeter la demande de condamnation de la société MONDIET à verser à la société ATLANTIC ROUTE un solde de facture pour 154.251,33 €, l’arrêt avait seulement retenu que selon le rapport d’expertise, la société ATLANTIC ROUTE avait reçu un trop perçu de 206,66 €, sans constater si ce trop perçu résultait du versement de la somme de 154.251,33 € au titre de l’exécution provisoire du jugement du 6 juillet 2009, la Cour d’Appel n’ayant ainsi pas donné de base légale à sa décision.

Cette cassation était favorable à la société MONDIET en ce que désormais le rejet de la demande de condamnation en paiement de la somme de 154.251,33 € à la société ATLANTIC ROUTE est définitif, ainsi elle n’a perdu à ce titre aucune chance de voir sa situation améliorée après décision de la Cour de renvoi.

La cassation a été prononcée du fait que pour retenir la solidarité entre ATLANTIC ROUTE et ADA l’arrêt critiqué retenait qu’ATLANTIC ROUTE avait commis des fautes contractuelles à l’origine des désordres sans constater que les travaux qui concernaient son lot avaient indissociablement, avec ceux ressortissant des autres lots, concouru à la réalisation d’un dommage unique.

Il est certain que la Cour d’appel de renvoi aurait pu détailler comment l’erreur d’altimétrie, liée à l’importance du décaissement réalisé par ATLANTIC ROUTE et qui concernait son lot, était une faute contractuelle ayant concouru à la réalisation d’un dommage unique, les autres intervenants à l’acte de construire ayant indissociablement commis une faute en acceptant de poursuivre les travaux sur une base altimétrique erronée, rendant au final les bâtiments impropres à leur usage, en effet l’expert avait relevé “ une proposition de la société SOTRAP (ATLANTIC ROUTE) de baisser l’altimétrie des bâtiments incompatibles avec les contraintes de l’autorisation permis de construire accordée et les plans de permis de construire. Nonobstant, cette entreprise n’avait pas le pouvoir de décider en lieu et place du maître d’oeuvre de modifier telle ou telle caractéristique des constructions. Nous qualifierons donc cette erreur de collective.”

La condamnation de la société ADA à indemniser l’entier dommage, qui n’a pas été remis en cause par la Cour de cassation, permettait à la société MONDIET d’obtenir entièrement réparation de son préjudice, de sorte que la perte de chance de disposer d’une décision condamnant in solidum ATLANTIC ROUTE à la réparation de l’entier dommage, s’analyse comme ayant privé la demanderesse d’un garant à la réparation de son dommage.

La décision de cassation partielle ne pouvait ouvrir un nouveau débat sur la quantum du préjudice alors même que la Cour d’Appel de BORDEAUX avait fait droit à l’intégralité de ses demandes pour ce qui concerne les travaux de reprise, les locations de sanitaires et les travaux électriques, les loyers perdus ou non acquittés, les travaux pendant le temps de la procédure, limitant seulement les prétentions en réduisant conformément à l’arbitrage de l’expert le montant du au titre des heures supplémentaires, les frais de remboursement anticipé des emprunts, l’indemnisation du temps passé par la direction arbitré également conformément au calcul de l’expert, les frais irrépétibles arbitrés à 150.000 €.

La perte de chance de voir arbitrer le montant des préjudices autrement était nul, la Cour de renvoi n’étant pas saisie d’une nouvelle appréciation de ceux-ci et si elle l’avait néanmoins estimé possible, n’aurait sans aucun doute pas modifié substantiellement les évaluations opérées par l’expert et homologuées par la première Cour.

La perte de chance se limite à la possibilité d’obtenir une actualisation des indemnisation par la Cour de renvoi, la demanderesse chiffre ce poste à 1.077,697,99 € au titre de sa demande subsidiaire.

Or, en ce qui concerne le préjudice financier lié au fait que la demanderesse a du rembourser un prêt par anticipation et pour lequel elle avait sollicité 63.355,20 €, elle ne justifie pas que ce poste devrait être réévalué à 505.277, 28 €, alors qu’elle ne justifie d’aucune chance perdue, que l’expert avait conclu au contraire à un avantage financier, et que la Cour de BORDEAUX dans des dispositions définitives, a toutefois alloué une somme de 30.000 € couvrant ce poste de préjudice de telle sorte que les chances d’obtenir plus de la Cour de renvoi étaient nulles. .

Pour les heures supplémentaires, il n’est justifié d’aucune heure supplémentaire après 2017 de sorte qu’une actualisation à hauteur de 90.000 € forfaitaire d’une condamnation limitée 23.480 € pour 2000 heures par an sur la base de 17,50 €/h, apparaît totalement improbable. Il n’existe pas de perte de chance de ce chef.

En ce qui concerne les pertes de loyers, la société MONDIET considère comme irrécouvrable le montant des loyers réclamés à son locataire, la Cour d’Appel de BORDEAUX avait entériné ses demandes, à hauteur de 879.427,26 € actualisé au jour de l’audience (20 janvier 2016) pour les loyers perdus et pour 236.652,63 € de loyers non acquittés pour la période de décembre 2005 jour de l’audience, il est à ce titre suffisamment justifié du caractère irrécouvrable des loyers pour lesquels des appels de fonds ont été émis, les lieux étant impropres à leur usage ; la société locataire pouvait invoquer l’absence de délivrance. La société MONDIET réclame 30 mois supplémentaires “soit jusqu’au mois de décembre 2017″ en se référant au rapport d’expertise (il y a lieu à ce titre de se référer à sa pièce 15, page 106, § 3.6 du rapport et non, comme indiqué dans les conclusions de la demanderesse à la pièce 292, page 11 et annexe 2) , sollicitant au titre de sa perte de chance une somme de 1.124.176,02 € HT.

Le principe de la condamnation globale ayant été maintenu à l’encontre de ADA, il était loisible à la demanderesse de lui demander dans le cadre de la transaction d’actualiser cette somme, néanmoins elle a accepté 85% de la condamnation arrêtée au 20 janvier 2016 (747.513,43 €)

En tout état de cause pour la période de 23 mois du 20 janvier 2016 au mois de décembre 2017, sur la base d’un loyer mensuel de 10.500 € aurait pu donner lieu à une actualisation limitée à 241.500 € et non pas à la somme de 1.181.094 € telle que chiffrée selon un calcul inexpliqué dans ses conclusions, la société ATLANTIC ROUTE aurait pu opposer la carence de la société demanderesse dans l’exécution des travaux de mise en conformité des bâtiments et ne pouvait se voir opposer la circonstance extérieure constituée par la survenance de la crise sanitaire, puisque la demande correspondait à une période antérieure. La perte de chance à ce titre permet de chiffrer à 120.000 € le préjudice lié à ce poste.

L’actualisation du dédommagement pour le temps passé par l’équipe de direction au suivi du contentieux, lequel correspondait à un volume limité à 37 et 28 heures les dernières années 2016 et 2017 pour un dédommagement de 4.000 € n’aurait pu atteindre une somme de 588.997,71 € (page 38 des conclusions) alors même que la Cour n’avait retenu – conformément aux conclusions de l’expert, qu’une somme de 110.245,12 € pour 10 année. Le niveau de l’actualisation n’aurait pu excéder 2.000 € avec un fort aléa pour en justifier. Ce poste peut être considéré comme parfaitement négligeable, de sorte qu’au titre de la perte de chance il ne peut être fait droit à la demande.

Il n’est pas justifié d’autres préjudices notamment lié au défaut d’actualisation de la créance et alors qu’un protocole d’accord est intervenu permettant de conclure l’essentiel du litige. Le caractère définitif de l’arrêt de la Cour de BORDEAUX permet de maintenir l’avantage consacré par cette décision qui a fait droit à la demande de condamnation in solidum. Il ne peut donc être fait droit à la demande d’actualisation pour 1.523.967,91 € au titre des travaux de reprise, 64.037,99 € au titre de la location de toilettes, 3.304 € au titre des travaux électriques, 10.223,42 € au titre des “frais de travaux” pendant l’instance et pour 150.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’équité commande d’allouer à la demanderesse la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il n’existe pas de motifs justifiant que soit écarté le bénéfice de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort.

MET hors de cause la société COURTAGE DES BARREAUX et la société AXA.

DÉCLARE recevables les interventions volontaires de MMA IARD et de MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES.

DIT que la société LEXAVOUE et Me [P] [X] ont commis une faute de nature contractuelle en ne procédant pas à la signification de l’avis de procédure à brefs délais et de la déclaration d’appel dans le délai de 10 jours, à compter de la notification du greffe, à peine de caducité de l’acte de saisine,

CONDAMNE la société LEXAVOUE et Me [P] [X], in solidum avec la compagnie d’assurance MMA IARD ASSURANCES à indemniser les préjudices consécutifs à cette
faute, constitués par une perte de chance de voir confirmer les condamnations de la Cour d’Appel de BORDEAUX, à hauteur de la somme de 120.000 € supplémentaires.

CONDAMNE la société LEXAVOUE et Me [P] [X], in solidum avec la compagnie d’assurance MMA IARD ASSURANCES à verser à la SAS MONDIET la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

DIT n’y avoir lieu à écarter le bénéfice de l’exécution provisoire.

La présente décision est signée par Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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