Contexte de l’AffaireLe 19 mai 2020, M. [K] [Z], employé de l’Apf France Handicap, a tenté de mettre fin à ses jours en ingérant des médicaments sur son lieu de travail. Un accident du travail a été déclaré le lendemain, et la Cpam a reconnu cet incident comme un accident du travail en septembre 2020. Décisions Judiciaires InitialesLe 1er décembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Evreux a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Z] aux torts exclusifs de l’Apf France Handicap, condamnant cette dernière à verser des indemnités à M. [Z]. Litige avec le Médecin du TravailL’Apf France Handicap a ensuite assigné le Dr [R] [D], médecin du travail, devant le tribunal judiciaire d’Evreux, en raison de l’absence de conseils concernant les pathologies de M. [Z]. Le tribunal a rendu un jugement le 27 juin 2023, rejetant les demandes d’indemnisation de l’Apf France Handicap et condamnant cette dernière à payer une partie des dépens. Appel de l’Apf France HandicapLe 17 juillet 2023, l’Apf France Handicap a interjeté appel du jugement du 27 juin 2023, demandant l’infirmation de la décision et des dommages-intérêts à l’encontre du Dr [D] et de l’Ami Santé au Travail. Arguments de l’Apf France HandicapDans ses conclusions, l’Apf France Handicap soutient que le Dr [D] a commis une faute professionnelle en ne conseillant pas l’employeur sur les risques liés à la santé de M. [Z]. Elle réclame des dommages-intérêts pour le préjudice subi et conteste le jugement initial. Réponse du Dr [D] et de l’Ami Santé au TravailLe Dr [D] et l’Ami Santé au Travail demandent la confirmation du jugement du 27 juin 2023, arguant que leurs actions étaient conformes à leur mission et que l’Apf France Handicap n’a pas prouvé de faute de leur part. Ils réclament également des dommages-intérêts pour procédure abusive. Analyse de la ResponsabilitéLe tribunal a examiné la responsabilité du Dr [D] et de l’Ami Santé au Travail, concluant que le médecin n’avait pas agi en dehors des limites de sa mission et n’avait pas commis de faute. L’Apf France Handicap n’a pas démontré que le Dr [D] avait un devoir de conseil qui aurait pu prévenir l’incident. Décisions FinalesLa cour a confirmé le jugement initial, sauf en ce qui concerne les dépens, condamnant l’Apf France Handicap à payer les frais de procédure. Les demandes d’indemnisation des intimés ont été rejetées, et l’Apf France Handicap a été condamnée à verser des frais supplémentaires au Dr [D] et à l’Ami Santé au Travail. |
Quelles sont les conséquences juridiques de la qualification d’accident du travail dans le cas de M. [Z] ?
La qualification d’accident du travail a des conséquences juridiques significatives, notamment en matière de droits des salariés et de responsabilités des employeurs. Selon l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, un accident du travail est défini comme un événement survenant par le fait ou à l’occasion du travail, entraînant une lésion corporelle.
Cette qualification permet à M. [Z] de bénéficier de droits spécifiques, tels que :
– La prise en charge des frais médicaux liés à l’accident.
– Le versement d’indemnités journalières en cas d’incapacité de travail.
– La possibilité de demander des dommages et intérêts pour préjudice moral et physique.
En l’espèce, la Cpam a reconnu l’incident du 19 mai 2020 comme un accident du travail, ce qui a permis à M. [Z] de faire valoir ses droits en justice, notamment lors de la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Il est également important de noter que la reconnaissance d’un accident du travail engage la responsabilité de l’employeur, qui doit veiller à la sécurité et à la santé de ses employés, conformément à l’article L. 4121-1 du Code du travail. Cela implique que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les risques professionnels.
En résumé, la qualification d’accident du travail a permis à M. [Z] d’accéder à des droits spécifiques et a engagé la responsabilité de l’Apf France Handicap en matière de sécurité au travail.
Quelles sont les obligations du médecin du travail en matière de prévention et de conseil ?
Les obligations du médecin du travail sont clairement définies par le Code du travail, notamment dans les articles L. 4622-2 et L. 4622-3. Ces articles stipulent que les services de santé au travail ont pour mission d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail.
L’article L. 4622-2 précise que les services de santé au travail doivent :
1. Conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les mesures nécessaires pour éviter ou diminuer les risques professionnels.
2. Assurer la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques liés à leur santé au travail.
L’article L. 4622-3 souligne que le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il doit surveiller les conditions de travail et l’état de santé des travailleurs, ainsi que tout risque manifeste d’atteinte à la sécurité des tiers.
Dans le cas de M. [Z], le Dr [D] avait un devoir de conseil envers l’employeur concernant les risques liés à la santé mentale de M. [Z]. Cependant, il a été établi que lors de l’examen médical de M. [Z] en juin 2019, il n’y avait pas d’éléments médicaux qui auraient pu justifier une alerte sur un risque imminent pour la santé ou la sécurité de M. [Z] ou de ses collègues.
Ainsi, le Dr [D] a agi dans le cadre de ses prérogatives et n’a pas manqué à ses obligations, ce qui a été confirmé par le tribunal.
Quelles sont les implications de la responsabilité civile du médecin du travail dans ce contexte ?
La responsabilité civile du médecin du travail est régie par l’article 1242 du Code civil, qui stipule que l’on est responsable non seulement du dommage causé par son propre fait, mais également de celui causé par les personnes dont on doit répondre. En l’espèce, le médecin du travail, le Dr [D], est considéré comme un préposé de l’Ami Santé au Travail.
Selon la jurisprudence, un médecin du travail qui agit dans le cadre de sa mission ne peut engager sa responsabilité civile personnelle, sauf s’il a commis une faute intentionnelle ou une infraction pénale. Dans le cas présent, le tribunal a constaté que le Dr [D] n’avait pas agi en dehors des limites de sa mission.
L’article L. 4622-3 du Code du travail précise que le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif, ce qui signifie qu’il doit surveiller l’état de santé des travailleurs et conseiller l’employeur sur les risques professionnels. Dans le cas de M. [Z], le Dr [D] a effectué un examen médical et a déclaré M. [Z] apte à reprendre son poste, sans éléments médicaux justifiant une alerte sur un risque pour sa santé ou celle des autres.
En conséquence, la responsabilité civile du Dr [D] n’a pas été engagée, et le tribunal a confirmé que l’Apf France Handicap ne pouvait pas obtenir de dommages et intérêts à son encontre.
Quels sont les droits des parties en matière de frais de justice et d’indemnisation ?
Les droits des parties en matière de frais de justice et d’indemnisation sont régis par l’article 700 du Code de procédure civile, qui permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais non compris dans les dépens.
Dans le cas présent, le tribunal a débouté l’Apf France Handicap de ses demandes indemnitaires, ce qui signifie qu’elle a été considérée comme la partie perdante. En conséquence, le tribunal a condamné l’Apf France Handicap à payer les dépens de première instance et d’appel.
De plus, le tribunal a également accordé à M. [D] et à l’Ami Santé au Travail une indemnité de 3 500 euros chacun au titre de l’article 700, en reconnaissance des frais engagés pour leur défense.
Il est important de noter que les frais irrépétibles, c’est-à-dire les frais qui ne peuvent pas être récupérés, restent à la charge de chaque partie, sauf décision contraire du juge. Dans ce cas, le tribunal a décidé de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés.
En résumé, les droits des parties en matière de frais de justice et d’indemnisation sont clairement établis par le Code de procédure civile, et le tribunal a appliqué ces dispositions en conséquence dans le jugement rendu.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 13 NOVEMBRE 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/03653
Tribunal judiciaire d’Evreux du 27 juin 2023
APPELANTE :
Association APF FRANCE HANDICAP
prise en son établissement, [Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Delphine ABRY-LEMAITRE de la SCP HUBERT – ABRY LEMAITRE, avocat au barreau de l’Eure
INTIMES :
Monsieur [R] [D]
né le [Date naissance 6] 1982 à [Localité 7] (Tunisie)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté et assisté par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD – LAFONT – DESROLLES, avocat au barreau de l’Eure
Association AMI SANTE AU TRAVAIL
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée et assistée par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD – LAFONT – DESROLLES, avocat au barreau de l’Eure
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 4 septembre 2024 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme CHEVALIER,
DEBATS :
A l’audience publique du 4 septembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 novembre 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 novembre 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, présent lors de la mise à disposition.
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 19 mai 2020, M. [K] [Z], salarié de l’Apf France Handicap, a, sur son lieu de travail, ingéré des médicaments en vue de se suicider.
Une déclaration d’accident du travail a été établie le 20 mai 2020. Une enquête a été réalisée par la Cpam, qui a qualifié cet incident d’accident du travail en septembre 2020.
Par jugement irrévocable du 1er décembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Evreux, saisi le 4 février 2021 par M. [Z], a notamment prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de celui-ci aux torts exclusifs de l’Apf France Handicap et condamné cette dernière à verser diverses sommes à M. [Z].
Se plaignant de l’absence de conseils en lien avec les pathologies physiques et psychiques de M. [Z] par le Dr [R] [D], médecin du travail salarié de l’Association pour la Médecine Interentreprises et la santé au travail (Ami Santé au Travail), l’Apf France Handicap l’a fait assigner, par acte d’huissier de justice du 2 décembre 2021, devant le tribunal judiciaire d’Evreux en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 27 juin 2023, le tribunal a :
– constaté l’intervention volontaire de l’association Ami Santé au Travail d'[Localité 4],
– rejeté les demandes indemnitaires formulées par l’Association Apf France Handicap,
– rejeté les demandes indemnitaires formulées par M. [R] [D] et l’Association Ami Santé au Travail d'[Localité 4],
– condamné l’Association Apf France Handicap au paiement de la moitié des dépens,
– condamné M. [R] [D] et l’Association Ami Santé au Travail d'[Localité 4] au paiement de la moitié des dépens,
– laissé à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés,
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté le surplus des prétentions des parties,
– rappelé l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 17 juillet 2023, l’Apf France Handicap a formé un appel contre le jugement.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 31 août 2023, l’Apf France Handicap demande de voir en application des articles 5 et 5-1 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, 641, 642, 642-1, 643, 644 et 700 du code de procédure civile, L.4622-2 et L.4622-3 du code du travail, 1240 et 1241 du code civil, R.1427-28 du code de déontologie médicale, et de l’Accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010 :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Evreux le 27 juin 2023 en ce qu’il a :
. rejeté les demandes indemnitaires formulées par l’association Apf France Handicap et en particulier :
à titre principal,
¿ condamner le Dr [D] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de son défaut d’information,
¿ condamner le Dr [D] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
¿ condamner le Dr [D] aux dépens,
à titre subsidiaire,
¿ condamner le service Ami Santé au Travail à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de la faute de son salarié le Dr [D],
¿ condamner le service Ami Santé au Travail à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
¿ condamner l’association Apf France Handicap au paiement de la moitié des dépens,
¿ laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés,
¿ débouter les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
¿ rejeter le surplus des prétentions des parties,
statuant à nouveau,
à titre principal,
– condamner le Dr [D] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis et celle de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en plus des dépens,
à titre subsidiaire,
– condamner le service de santé Ami Santé au Travail à lui verser la somme de
20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis et celle de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle soutient que le Dr [D], médecin du travail et préventeur des risques professionnels sur la santé des travailleurs, a commis une faute professionnelle dans son devoir de conseil de l’employeur.
Elle précise qu’ayant vu M. [Z] le 19 juin 2019 qui souffrait de bipolarité et de schizophrénie depuis plusieurs années et de façon certaine depuis 2015 comme il ressort de son dossier médical de santé au travail, le Dr [D] avait forcément conscience que ces pathologies pouvaient avoir des répercussions sur le comportement au travail de M. [Z] pouvant être agressif et dangereux pour lui-même et pour les tiers, mais qu’il ne l’a pas conseillée concernant la gestion de
M. [Z] au regard de son travail, que le Dr [D] a ainsi par sa négligence fautive mis en péril la santé de ce dernier et des tiers.
Elle ajoute que, si le Dr [D] estimait ne pas avoir les compétences, il aurait dû demander l’avis d’un médecin spécialiste, ce qu’il n’a pas fait.
Elle explique que le 18 mai 2020, M. [Z] a eu un comportement irrationnel lorsqu’il lui a été demandé de signer la feuille certifiant qu’il avait été informé des consignes de sécurité sur le covid-19 applicables au sein de l’entreprise, qu’il a refusé de l’émarger malgré les explications du référent Covid et de sa responsable hiérarchique et a menacé M. [O], son directeur, qui rappelait à ce dernier les consignes de sécurité ; que, face à ce comportement, M. [O] a rappelé qu’en sa qualité de directeur de site, il était responsable de tous les salariés et devait veiller à la bonne application des consignes par le personnel, et a précisé qu’à défaut de signature, des salariés présents pouvaient témoigner de la formation de M. [Z] aux mesures de protection de la santé ; que c’est à ce moment-là que ce dernier a signé.
Elle indique que le lendemain, M. [Z] voulait tuer M. [O] comme en témoignent deux salariées, dont l’une a trouvé à l’heure du déjeuner M. [Z] somnolent dans sa voiture sur le parking et l’a accompagné jusqu’aux vestiaires où il est tombé, que les secours sont intervenus ; que M. [O], très choqué par les faits et ayant pris connaissance des témoignages des deux salariées, a été en arrêt de travail du 18 au 28 juin 2020.
En réponse aux moyens développés par le Dr [D], elle considère qu’il exerçait ses fonctions en toute indépendance professionnelle, de sorte qu’il ne peut pas exclure l’engagement de sa responsabilité au seul motif qu’il aurait agi dans le cadre de ses fonctions ; qu’il ne peut se retrancher derrière le respect du secret médical.
Elle fait valoir à titre subsidiaire que la responsabilité de l’Ami Santé au Travail, employeur du Dr [D], est engagée pour la faute de son préposé dans son devoir de prévention et de conseil auprès d’elle. Elle estime que sa condamnation par le conseil de prud’hommes d’Evreux est la conséquence directe de l’épisode du 19 mai 2020.
Par conclusions notifiées le 28 novembre 2023, le Dr [R] [D] et l’Ami Santé au Travail demandent de voir :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Evreux du 27 juin 2023 en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires formulées par l’Apf France Handicap à leur encontre,
– infirmer le jugement sur les chefs au titre des dommages et intérêts, des dépens, et de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’Apf France Handicap à leur payer à chacun les sommes suivantes :
. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en relation de cause à effet avec la divulgation du contenu du dossier médical de
M. [Z] et la violation du secret médical,
. 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’Apf France Handicap aux entiers dépens tant de première instance que d’appel,
subsidiairement,
– dire et juger que l’Ami Santé au Travail garantira le Dr [D] des condamnations qui seraient éventuellement prononcées à son encontre.
Ils font valoir que les allégations de l’Apf France Handicap présentées contre le Dr [D] s’inscrivent dans les limites de sa mission telle qu’elle résulte de son contrat de travail, qu’il a donc agi dans le cadre des limites de la mission qui lui était impartie et qu’il ne peut donc pas engager sa responsabilité civile personnelle ; que le régime de responsabilité applicable relève de l’article 1242 alinéa 5 du code civil.
Ils exposent subsidiairement que l’Apf France Handicap n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’une faute du Dr [D], d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre les deux.
Ils précisent qu’il n’est pas allégué ou justifié par l’appelante de ce qu’elle aurait été amenée à saisir le médecin du travail de quelque problématique que ce soit à l’égard de M. [Z] au titre de son travail ou de son comportement au sein de l’entreprise ; que, comme l’a relevé le tribunal, il n’existe aucun rapport entre les interventions et éventuelles prescriptions des médecins du travail et les faits du 19 mai 2020, que l’enquête de la Cpam et les témoignages recueillis démontrent que ces faits procèdent d’un stress que M. [Z] a subi et exprimé pendant la période de confinement et à son retour au travail, l’employeur n’ayant pas fait preuve de l’écoute et de la bienveillance qui auraient été nécessaires.
Ils soulignent par ailleurs l’obligation au secret professionnel du médecin proclamée à l’article 4 du code de déontologie médicale au travail. Ils ajoutent qu’il n’est pas établi que les médecins du travail auraient dû faire mention de restrictions psychiques de M. [Z] dans les attestations de suivi ; qu’au demeurant, il résulte des pièces produites par l’appelante que l’employeur et l’entourage professionnel de M. [Z] étaient bien informés de l’état pathologique de ce dernier comme M. [O] l’a indiqué lors de son audition par la Cpam le 10 juillet 2020.
Ils estiment que cette procédure est abusive et injustifiée et que l’Apf France Handicap, qui a versé aux débats le dossier médical de M. [Z] sans exciper de son accord, a commis une faute portant atteinte au secret professionnel qu’il est légitime qu’ils défendent.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 28 août 2024.
Sur la mise en cause de la responsabilité du Dr [D]
L’article 1242 du code civil précise qu’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. Les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Le médecin du travail salarié qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par son employeur n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers, quelle que soit l’indépendance dont il bénéficie dans l’exercice de son art.
En l’espèce, l’article 9 du contrat de travail à durée indéterminée liant l’Ami Santé au Travail et le Dr [D] et conclu le 1er janvier 2019 stipule que ce dernier ‘assurera toutes les fonctions dévolues au médecin du travail par les dispositions légales et réglementaires […].
Le Dr [D] a, conformément à l’article L. 4622-3 du Code du travail, un rôle exclusivement préventif.
L’activité du Service de Santé au Travail sera limitée aux seuls membres du personnel des entreprises […]. Le Dr [D] s’interdit de donner des soins curatifs aux travailleurs des entreprises dont il a la charge […], à moins que l’urgence des soins à donner ou l’absence de toute ressource médicale locale ne justifie son intervention […].
Chaque fois que nécessaire, le Médecin en PAE s’engage, dans le respect du code de déontologie, à collaborer avec le Médecin traitant.’.
L’article 10 précise que : ‘Pour l’évaluation des risques professionnels et l’étude des conditions de travail, le Dr [D] peut faire appel, dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire, chaque fois que cela est nécessaire, à d’autres intervenants en Santé au Travail, soit internes à AMI Santé au Travail, soit externes mais dans le cadre de conventions contractées par AMI Santé au Travail.’.
L’article 11 prévoit que : ‘Le Dr [D] est libre de prescrire les examens complémentaires, en relation avec l’activité professionnelle du salarié ou liés au dépistage de maladies dangereuses pour l’entourage, et de les confier aux professionnels de santé de son choix, conformément à l’article R. 4127-8 du code de la santé publique (article 8 du code de déontologie médicale) ainsi qu’aux articles R.4624-25 à R.4624-27 241-52 du code du travail.’.
L’article 12 précise que : ‘Conformément aux dispositions légales, réglementaires et conventionnelles, l’indépendance médicale du Dr [D] est garantie dans l’ensemble de ses missions.
Il doit exercer son activité dans le respect des règles résultant du Code de la déontologie médicale.
Le Dr [D] exerce l’ensemble de ses missions en toute indépendance médicale, conformément au Code de la Santé publique. Il est soumis à un lien de subordination à l’égard de son employeur en ce qui concerne la gestion administrative et financière de l’Association et l’organisation du travail.
Dans le respect de ses règles professionnelles, le Dr [D] exerce sa mission en respectant les éléments suivants :
– ses obligations réglementaires,
– les modalités d’organisation de l’Association,
– le projet pluriannuel de service et le CPOM,
– les obligations de prévention rendues nécessaires par certaines situations de travail.
En tout état de cause, le Dr [D] agira, dans le cadre de l’Association, dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des salariés, dont il assure la surveillance médicale, dans le respect des textes légaux et réglementaires en vigueur.’.
Aux termes de l’article 13, ‘Le Dr [D] est tenu au secret professionnel prévu par les articles 4, 73 et 95 du Code de déontologie médicale, et dont la violation est notamment sanctionnées par l’article 226-13 du Code pénal.
[…]
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris (Art. R. 4127- 4 du Code de la Santé Publique).
Il ne peut y déroger, y compris dans le cadre de ses relations avec les Intervenants en Prévention des Risques Professionnels mentionnés à l’article 7 du présent contrat, avec lesquels il pourra être amené à collaborer dans le cadre de son activité.’.
Il ressort du dossier médical de M. [Z] que le Dr [D] a procédé à un examen médical de reprise maladie de ce dernier le 19 juin 2019. Celui-ci avait été placé en arrêt maladie du 2 avril au 16 juin 2019 pour un syndrôme dépressif à la suite du décès d’un proche.
Le Dr [D] a noté au titre des antécédents de M. [Z] notamment son suivi en psychiatrie pour troubles bipolaires et schizophrénie sous traitement tous les 2-3 mois. A l’issue de l’examen physique de ce dernier, il a relevé :
– une dépression réactionnelle améliorée par une prise en charge spécialisée en psychiatrie, la stabilité actuelle de M. [Z] sous traitement, et l’absence de signes de troubles de l’humeur ce jour,
– une psychothérapie avec une psychologue au Cmp qui était en cours,
– que le reste de l’examen était sans particularité ce jour.
Le Dr [D] a déclaré M. [Z] apte à la reprise à temps partiel à son poste de travail d’agent de tri sous les réserves d’éviter la position debout et le port de charges supérieures à dix kilos. Il n’a pas revu ultérieurement M. [Z].
L’Apf France Handicap ne démontre pas que le Dr [D] a agi en-dehors des limites de la mission qui lui était impartie par son commettant, ni qu’il a commis une infraction pénale ou une faute intentionnelle mettant fin à l’immunité du préposé dont il bénéficie à l’égard des tiers en application de l’article 1242 alinéa 5 du code civil.
En conséquence, le Dr [D] n’engage pas sa responsabilité civile personnelle à l’égard de l’Apf France Handicap. Le jugement du tribunal ayant débouté celle-ci de ses demandes indemnitaires sera confirmé.
Sur la mise en cause de la responsabilité de l’Ami Santé au Travail
Les dispositions de l’article 1242 alinéa 5 du code civil ont été spécifiées ci-dessus.
L’employeur est seul responsable des faits dommageables commis par ses salariés dans les limites de la mission qui leur a été impartie.
L’article L.4622-2 du code du travail dans sa rédaction en vigueur du 22 décembre 2017 au 31 mars 2022 énonce que les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. A cette fin notamment, ils :
2° conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail,
3° assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur santé au travail et leur sécurité et celle des tiers.
Selon l’article L.4622-3 du code précité, le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé, ainsi que tout risque manifeste d’atteinte à la sécurité des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail.
En l’espèce, aucun élément médical physique ou psychique lors de l’examen médical de M. [Z] le 19 juin 2019 n’était de nature à déterminer le Dr [D] à prévenir l’employeur d’un risque pour la santé et la sécurité de son salarié et de son entourage professionnel sur son lieu de travail, ni à le conseiller sur l’aptitude professionnelle de son salarié au regard de sa santé physique et psychique, ni encore à faire appel à un autre praticien. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir anticipé une tentative de suicide de M. [Z] et l’expression de menaces de la part de celui-ci à l’encontre de son directeur d’établissement qui ont eu lieu onze mois après son examen.
Contrairement à ce que lui reproche l’Apf France Handicap, le Dr [D] n’avait pas à enfreindre le secret médical auquel l’astreint son contrat de travail et les dispositions légales et réglementaires.
Aucune faute du Dr [D], préposé de l’Ami Santé au Travail, dans l’exercice de ses fonctions n’est caractérisée. La réclamation indemnitaire de l’Apf France Handicap sera rejetée. La décision du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmée.
Sur les demandes indemnitaires des intimés
Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Dans le cas présent, les intimés ne prouvent pas que l’exercice par l’Apf France Handicap de son action formée à leur encontre a été fautif. Ils ne caractérisent pas davantage le préjudice qui en a résulté pour eux.
En outre, si la production du dossier médical de M. [Z] est intervenue dans le cadre de cette instance sans son accord qui n’est pas versé aux débats par l’Apf France Handicap, laquelle ne conteste pas ce grief qui lui est fait par les intimés, ces derniers ne démontrent pas qu’ils en ont subi un préjudice personnel.
Ils seront donc déboutés de leur réclamation. La décision du premier juge ayant statué en ce sens sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement critiqué sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais de procédure.
Partie perdante, l’Apf France Handicap sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il n’est pas inéquitable de la condamner également à payer à M. [D] et à l’Ami Santé au Travail, chacun, la somme de 3 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés pour leur défense.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
– condamné l’Association Apf France Handicap au paiement de la moitié des dépens,
– condamné M. [R] [D] et l’Association Ami Santé au Travail d'[Localité 4] au paiement de la moitié des dépens,
– laissé à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés,
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne l’Apf France Handicap à payer à M. [R] [D] et à l’Association pour la Médecine Interentreprises et la santé au travail, chacun, la somme de
3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne l’Apf France Handicap aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,