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Contexte de l’affaireLa société Luna a conclu un bail commercial avec la société Banque Tarneaud le 16 mai 2005, stipulant que la preneuse serait responsable de la taxe foncière des locaux loués. Modification des bauxLes baux ont été reçus par la société notariale le 1er septembre 2005, mais la clause concernant la taxe foncière n’y figurait pas. Litige et ordonnance de référéSuite à une assignation en 2015, une ordonnance de référé a condamné la bailleresse à verser une provision à la preneuse pour les taxes foncières indûment payées entre 2010 et 2014. Action en responsabilitéLe 18 janvier 2019, la bailleresse a assigné la société notariale en responsabilité et indemnisation pour le manquement à son devoir de conseil. Arguments de la cour d’appelLa cour d’appel a déclaré l’action irrecevable, arguant que la société Luna avait connaissance des faits dès la signature des baux authentiques, ce qui lui permettait d’agir contre le notaire. Analyse de la prescriptionSelon l’article 2224 du code civil, le délai de prescription commence à compter du moment où la victime a connaissance du dommage et des faits générateurs de responsabilité. Décision de la cour d’appelL’arrêt a retenu que la société avait pris connaissance des projets d’actes et du libellé de la clause lors de la signature, ce qui justifiait la déclaration de prescription de l’action. Critique de la décisionLa cour d’appel n’a pas suffisamment établi que la société avait effectivement connaissance du dommage à la date de signature, ce qui remet en question la légitimité de sa décision. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
SA9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 novembre 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 603 F-D
Pourvoi n° D 22-20.009
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 NOVEMBRE 2024
La société Luna, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-20.009 contre l’arrêt rendu le 7 juin 2022 par la cour d’appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l’opposant à la société [V] [M] [C] [O] [W] [N] [P], société civile professionnelle, devenue société Notaires [Adresse 3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de la société Luna, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Notaires [Adresse 3], après débats en l’audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 7 juin 2022) et les productions, par actes sous seing privé du 16 mai 2005, la société Luna (la société) a donné à bail des locaux à usage commercial à la société Banque Tarneaud, les actes comportant une clause stipulant que la preneuse supporterait la taxe foncière afférente aux locaux loués.
2. Par actes authentiques du 1er septembre 2005, les baux ont été reçus par M. [U], aux droits duquel vient la société [M], [C]-[O], [W], [N] et [P] (la société notariale), sans qu’y figure la clause relative à la taxe foncière.
3. A la suite d’une assignation du 27 novembre 2015, une ordonnance de référé du 9 février 2016 a condamné la bailleresse à payer une provision à la preneuse au titre des taxes foncières indûment payées pour les années 2010 à 2014.
4. Le 18 janvier 2019, la bailleresse a assigné la société notariale en responsabilité et indemnisation.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l’arrêt de déclarer son action irrecevable, alors « que la prescription de l’action en responsabilité dirigée à l’encontre du notaire pour manquement à son devoir de conseil ne court qu’à compter de la manifestation du dommage et non de la commission de la faute ; que, pour déclarer prescrite l’action en responsabilité contre le notaire engagée par la SCI Luna, bailleresse, le 18 janvier 2019, la cour d’appel énonce qu’à la date de signature des baux authentiques du 1er septembre 2005, elle avait connaissance des faits, le libellé de la clause relative à la charge de la taxe foncière lui permettant d’agir en responsabilité à l’encontre du notaire ayant instrumenté et qu’il était indifférent que le preneur ait remboursé au bailleur les taxes foncières afférentes aux biens loués, dès lors que ce dernier disposait dès cette signature des éléments d’information suffisants pour constater que ce règlement était indu ; qu’en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le dommage consécutif au manquement reproché au notaire instrumentaire, tenant à la suppression dans les baux authentiques de la taxe foncière parmi les charges incombant au preneur, ne s’était pas manifesté qu’à l’occasion de la réclamation par le preneur du remboursement de la taxe foncière dans son courrier du 1er octobre 2015, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2224 du code civil. »
Vu l’article 2224 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
7. Il s’en déduit que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur, ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
8. Lorsque l’action en responsabilité tend à l’indemnisation d’un préjudice né de la reconnaissance d’un droit contesté au profit d’un tiers, seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable, établissant ce droit, met l’intéressé en mesure d’exercer l’action en réparation du préjudice qui en résulte. Cette décision constitue le point de départ de la prescription.
9. Pour déclarer l’action prescrite, l’arrêt retient que la société, qui avait pris connaissance des projets d’actes et indiqué n’avoir aucune observation à formuler, a eu connaissance du libellé de la clause relative aux charges lors de la signature des actes, ce qui lui permettait d’agir en responsabilité contre le notaire instrumentaire.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir la connaissance du dommage à cette date, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.