Responsabilité financière et confirmation d’un jugement en faveur d’une institution bancaire

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Responsabilité financière et confirmation d’un jugement en faveur d’une institution bancaire

[G] était titulaire d’un compte à la BRED Banque populaire. À la suite de son décès en 2019, ses enfants [W] et [E] [G] ont assigné la banque en responsabilité, arguant qu’elle avait exécuté des opérations bancaires comportant des anomalies, engageant ainsi sa responsabilité. Le tribunal a condamné la banque à verser des dommages et intérêts, mais a débouté les consorts [G] du surplus de leurs demandes. En appel, [W] et [E] [G] ont demandé la confirmation de la décision concernant la responsabilité de la banque et une augmentation des dommages et intérêts. La BRED a contesté le jugement, soutenant qu’elle n’avait pas manqué à son devoir de vigilance. Les consorts [G] ont mis en avant des anomalies dans les signatures des chèques et l’ordre de rachat, tandis que la banque a affirmé qu’elle n’était pas informée de l’état de santé de [G]. Le tribunal a finalement confirmé le jugement initial, condamnant les consorts [G] à payer des frais à la banque.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/13527
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13527 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGGHY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2022 – tribunal judiciaire de Paris – RG n° 20/09043

APPELANTS

Madame [W] [P] [G]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 12]

Résidence [11], [Adresse 4]

[Localité 7]

Monsieur [E] [I] [U] [G]

né le [Date naissance 5] 1967 [Localité 12]à

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentés par Me Philippe BAYLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0728

INTIMÉE

S.A. BRED BANQUE POPULAIRE

[Adresse 2]

[Localité 9]

N°SIRET : 552 091 795

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric DOCEUL de la SELAS LHUMEAU GIORGETTI HENNEQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0483

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président chargé du rapport

MME Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Yulia TREFILOVA

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCÉDURE ET PRÉTENTION DES PARTIES

[L] [G] était titulaire d’un compte de dépôt no [XXXXXXXXXX06] ouvert dans les livres de la BRED Banque populaire.

I1 est décédé le [Date décès 10] 2019 laissant pour lui succéder [W] [G] et [E] [G], ses deux enfants, héritiers réservataires, et [T] [B], avec laquelle il avait conclu un pacte civil de solidarité, légataire à titre particulier.

Estimant que la banque avait accepté le paiement de chèques et exécuté un ordre de rachat de parts de société d’investissement à capital variable (SICAV) comportant des anomalies apparentes et qu’elle avait ainsi engagé sa responsabilité, les consorts [G] ont, par exploit en date du 22 septembre 2020, assigné la BRED Banque populaire en responsabilité devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement contradictoire en date du 19 mai 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

‘ Condamné la société anonyme coopérative BRED Banque populaire à payer à [W] [G] et [E] [G] la somme de 4 092,98 euros a titre de dommages et intérêts ;

‘ Condamné la société anonyme coopérative BRED Banque populaire à payer à [W] [G] et [E] [G] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Débouté [W] [G] et [E] [G] du surplus de leurs demandes ;

‘ Condamné la société anonyme coopérative BRED Banque populaire aux dépens de l’instance ;

‘ Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

Par déclaration du 13 juillet 2022, [E] [G] et [W] [G] ont interjeté appel du jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 3 avril 2023, [E] [G] et [W] [G] demandent à la cour de :

JUGER RECEVABLE ET BIEN FONDE l’appel interjeté par les consorts [G] à l’encontre du jugement rendu le 19 mai 2022 par le Tribunal Judiciaire de PARIS

CONFIRMER la décision entreprise en ce qu’elle a jugé que la banque a manqué de vigilance, engagé sa responsabilité et condamné la BRED Banque Populaire à payer à Mme [W] [G] et M. [E] [G] la somme de 4 092,98 € à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

INFIRMER le jugement rendu le 19 mai 2022 par le Tribunal Judiciaire de PARIS pour le surplus

STATUANT A NOUVEAU :

JUGER que la BRED Banque Populaire n’a pas respecté son obligation de vigilance, de prudence et de contrôle de nature à engager sa responsabilité

JUGER que la BRED Banque Populaire est responsable des préjudices subis par les consorts [G]

CONDAMNER la BRED Banque Populaire à payer aux consorts [G] la somme de 94 092,98 € montant des détournements liés aux trois formules de chèques passés correspondant à la somme de 58 995 € ainsi qu’à l’ordre de rachat d’un montant de 35 000 € et des frais de reproduction d’un montant de 94,98 € en réparation du préjudice qu’ils ont subi en raison du comportement fautif de la banque

DEBOUTER la BRED Banque Populaire de ses éventuelles demandes incidentes et reconventionnelles

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

CONDAMNER la BRED Banque Populaire à payer aux consorts [G] la somme de 5000 € chacun au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNER la BRED Banque Populaire aux entiers dépens d’instance et d’appel sur le fondement des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 6 janvier 2023, la société anonyme coopérative de banque populaire BRED Banque populaire demande à la cour de :

RECEVOIR la BRED BANQUE POPULAIRE en ses conclusions et demandes reconventionnelles, l’y déclarant bien fondée,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la BRED BANQUE POPULAIRE au versement de la somme de 4.092,98 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de vigilance, outre la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les consorts [G] du surplus de leurs demandes,

Statuant à nouveau :

DEBOUTER en conséquence Madame [W] [G] et Monsieur [E] [G] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER in solidum Madame [W] [G] et Monsieur [E] [G] à verser à la BRED BANQUE POPULAIRE la somme de 5.000 €, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et ce au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,

CONDAMNER in solidum Madame [W] [G] et Monsieur [E] [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELAS LGH & Associés, en la personne de Maître Frédéric DOCEUL, et ce en application des dispositions spécifiques de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour l’essentiel, les parties développent les moyens et arguments suivants.

Sur le devoir de vigilance :

Les consorts [G] font valoir que le banquier a de manière générale une obligation de surveillance dans le fonctionnement des comptes de son client, notamment car la banque peut engager sa responsabilité en exposant les tiers à un préjudice en fournissant à quelqu’un le moyen de leur nuire, notamment au travers d’encaissement de chèque volés ou falsifiés, de blanchiment de capitaux d’origine délictueuse, de faux ordres de virement ou de fraude fiscale. Si cette responsabilité de droit commun est limitée en matière bancaire par le principe dit de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client, ce principe ne supprime pas l’obligation de surveillance du banquier. Or la BRED a manqué à son devoir de vigilance et de contrôle en permettant l’encaissement de chèques sans vérification de la signature et sans relever les anomalies de fonctionnement du compte de [L] [G] qui auraient dû alerter la banque. En vertu de l’article L. 131-2 du code monétaire et financier, la BRED est tenu de vérifier la régularité des chèques notamment si ceux-ci contiennent les mentions obligatoires. De plus, en vertu de la jurisprudence, la banque est tenue d’une obligation de vigilance et de prudence qui l’oblige à refuser d’exécuter ou de favoriser des opérations manifestement illicites ou anormales. En outre, le banquier doit relever les anomalies apparentes affectant les opérations réalisées sur les comptes de ses clients et notamment lorsqu’un chèque lui est présenté. Le caractère inhabituel des anomalies peut dépendre de leur nature, de leur montant ou de la fréquence des opérations du compte eu égard aux habitudes du client, à sa profession, à sa situation patrimoniale ou à ses revenus habituels. Le manque de diligence et de contrôle du banquier peut lui être reproché et engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil et le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client trouve sa limite dans son devoir de vigilance lorsqu’il existe des anomalies apparentes. Or en l’espèce, et comme l’a relevé le tribunal de première instance, les chèques et l’ordre de rachat ne sont pas de la main de [L] [G], ce dont aurait pu aisément se rendre compte la banque au vu notamment de l’ajout du prénom. La BRED a donc manqué de vigilance et engagé sa responsabilité. Toutefois le tribunal n’a pas fait une juste application de l’obligation de vigilance constante qui pèse sur la banque car la loi impose une double exigence de « connaissance actualisée » du client et « d’examen attentif des opérations effectuées » afin que l’établissement financier soit toujours en mesure d’évaluer la cohérence des opérations en question au regard de la connaissance qu’il a du client. Le devoir de vigilance de la banque lui impose de relever les anomalies apparentes, étant définies comme celles qui ne doivent pas échapper au banquier vigilant. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la responsabilité du banquier est engagée pour « absence de vérification du caractère anormal ou inhabituel des dépenses », ce qui est le cas en raison des mouvements financiers opérés sur une brève période sans proportion avec les mouvements antérieurs à l’instar des trois formules de chèques et de l’ordre de virement effectués sur une courte période, entre le 31 janvier et le 5 mars 2019. Or la BRED ne s’est posé aucune question quant au montant des chèques et de l’ordre de virement alors qu’il s’agit d’anomalies apparentes et l’inaction fautive de la banque doit être sanctionnée. Les signatures apposées sur les formules de chèques par Mme [B] sont fantaisistes et ne ressemblent en rien à la signature de [L] [G]. Pour d’autres chèques, le Crédit agricole Île-de-France a restitué les fonds et la Banque populaire Rives de [Localité 12] a procédé à un remboursement partiel, ce qui prouve que ces banques se sont rendu compte de la fraude. Contrairement à ce qu’allègue la banque, la signature présente sur les formules de chèque querellées constitue une anomalie apparente et à tout le moins, la banque aurait dû exercer son contrôle sur les formules de chèques. Contrairement à ce qu’affirme la banque, il suffit de comparer les trois chèques litigieux ainsi que l’ordre de virement avec un spécimen de signature de [L] [G] pour s’apercevoir que les signatures apposées sur ces documents sont toutes fantaisistes et constituent une anomalie apparente sans avoir recours à un expert graphologue. Le rapport de l’expert ne fait que conforter les faits dénoncés par les consorts [G]. En tout état de cause, si un doute existe, la banque doit vérifier, ce que la BRED n’a pas fait. Elle a donc commis une faute engageant sa responsabilité. La responsabilité de la banque doit être engagée au regard de l’encaissement des formules de chèques et de l’ordre de rachat car elle n’a procédé à aucune vérification afin de s’assurer que ces moyens de paiement n’étaient affectés d’aucune anomalie matérielle apparente. De même, la banque n’a pas vérifié si les opérations envisagées correspondaient à un fonctionnement normal du compte de son client alors même que le dernier chèque date du 5 mars 2019, que [L] [G] est décédé le [Date décès 10] 2019, et que son état de santé était totalement dégradé, ce que la banque ne pouvait ignorer. Les formules de chèque et l’ordre de rachat en cause ont été réalisés du 31 janvier au 5 mars 2019 à un moment où il était impossible pour [L] [G] de signer des documents, des chèques ou d’effectuer des virements et quelques jours avant son décès. Les anomalies intellectuelles qu’auraient dû relever la BRED concernent le montant des chèques et la période à laquelle ils ont été émis, ainsi que le caractère anormal de l’ordre de rachat de près de 35 000 € huit jours avant le décès de son titulaire.

La BRED fait valoir à titre liminaire que les dispositions des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier se rapportent à l’obligation de vigilance des établissements de crédit dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux, ce qui ne correspond pas aux faits de l’espèce. Par ailleurs, les chèques litigieux ont tous fait l’objet d’une émission antérieure à la date du décès de [L] [G] dans un contexte où il n’est pas démontré que la BRED ait été informée de sa prétendue altération cognitive à l’époque des faits litigieux. Ainsi, il n’est pas démontré que [L] [G] ait fait l’objet d’une mesure de protection des majeurs et que la BRED ait été informé d’une telle mesure. En outre, les chèques litigieux ont pour deux d’entre eux été libellés à l’ordre de [L] [G], et ce dernier a confirmé de son vivant à l’agence de la BRED l’émission du chèque de 30 000 € à son ordre dans l’optique d’un encaissement sur un autre compte bancaire dont il était titulaire. Les relevés produits se rapportant à d’autres formules de chèques de 2017 et de 2012 n’ont pas fait l’objet de contestation en leur temps. Concernant la différence de signature, les consorts [G] ont fait appel aux services d’un expert graphologue afin d’étayer leur grief, ce qui tend à considérer que la différence invoquée n’était pas d’une évidence caractérisée au premier examen des formules litigieuses. Or selon la jurisprudence, il convient de rechercher si la contrefaçon de signature était, ou non, décelable par un employé de banque normalement diligent. Or les consorts [G] ont dû produire un rapport de commande circonstancié, émanant d’un expert graphologue, pour en déduire que les signatures apposées sur les formules de chèques litigieuses n’étaient pas de la main de [L] [G]. De surcroît, les consorts [G] formulent des griefs contre Mme [B] mais ne produisent aux débats aucun élément relatif à un dépôt de plainte pénale qu’ils auraient effectué, à l’introduction d’une procédure pénale de quelque nature que ce soit ou d’une action en responsabilité civile. En l’absence de telles justifications, il semble que les consorts [G] souhaitent faire supporter par la banque les conséquences d’un litige d’ordre familial. Dès lors et en l’absence d’une demande de rejet de chèques formulée postérieurement au délai interbancaire de 60 jours, il convient de s’en remettre au droit commun cambiaire. Or en vertu de l’article L.131-18 du code monétaire et financier, il appartient aux consorts [G] d’établir l’existence d’une faute, de même que d’un préjudice indemnisable du chef de la BRED, ce qu’ils ne font pas. Les considérations du tribunal selon lesquelles la banque aurait pu aisément se rendre compte du fait que les chèques et l’ordre de rachat n’étaient pas de la main de [L] [G], « au vu notamment de l’ajout du prénom » ne peuvent suffire à établir seules une faute de la banque au titre de son devoir de vigilance en l’absence d’une plainte pénale contre Mme [B].

Sur le préjudice :

Les consorts [G] font valoir que contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, un préjudice est démontré concernant l’ordre de rachat et les chèques de 25 000 euros et de 30 000 euros car [L] [G] est décédé trois jours après la dernière opération querellée et ils n’ont pas pu être utilisés par lui alors qu’il n’était plus en état de « prendre des décisions personnelles ou patrimoniales réfléchies et raisonnables ».

La BRED fait valoir que les consorts [G] ne démontrent pas l’existence d’un préjudice car l’ordre de rachat d’actions et les chèques litigieux avaient été pour la plupart encaissés et établis à l’ordre de [L] [G]. De même, ils ne démontrent pas que Mme [B] se soit rendue l’auteur de détournements avérés et aucune explication relative à l’existence d’une plainte pénale n’est rapportée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024 et l’audience fixée au 17 juin 2024.

CELA EXPOSÉ,

Sur le devoir de vigilance de la société BRED Banque populaire :

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Les appelants reprochent à la banque intimée d’avoir manqué à son obligation de vigilance au regard du fonctionnement anormal du compte de [L] [G], et de la fausse signature apposée sur les chèques et l’ordre de rachat litigieux, à savoir :

‘ chèque no 8140835 de 3 995 euros débité le 31 janvier 2019,

‘ chèque no 8140836 de 30 000 euros débité le 4 février 2019,

‘ chèque no 8140837 de 25 000 euros débité le 5 mars 2019,

‘ ordre de rachat de SICAV de 34 970,68 euros du 28 février 2019.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421).

S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.

Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, les appelants font valoir que :

‘ elles portent sur des montants importants sans proportion avec les mouvements antérieurs ;

‘ elles s’étendent sur une courte période, entre le 31 janvier et le 5 mars 2019 ;

‘ [L] [G] était âgé de 88 ans, sa santé déclinait depuis 2013 et il est mort trois jours seulement après le dernier chèque querellé.

Toutefois, ni l’ancienneté des relations entretenues par la banque avec [L] [G], ni les habitudes antérieures de celui-ci quant aux opérations qu’il pratiquait sur son compte ne devaient conduire la banque à s’interroger sur la cause ou l’opportunité des opérations réalisées et à s’immiscer dans les affaires de l’intéressé (Com., 30 sept. 2008, no 07-18.988). Il n’est pas établi que la société BRED Banque populaire ait eu connaissance d’une vulnérabilité particulière de son client, que son âge ne suffit pas à présumer.

Au regard du fonctionnement du compte de [L] [G], les retraits et le rachat litigieux n’étaient entachés d’aucune anomalie apparente.

En revanche, la cour constate à la suite du tribunal que la signature apposée sur les chèques et sur l’ordre de rachat en cause (pièces nos 19 à 22 des appelants) diffère notablement de celle de [L] [G] telle qu’elle ressort de la pièce de comparaison versée aux débats (pièce no 9 des appelants : passeport délivré le 30 octobre 2013). Il s’agit là d’une anomalie apparente qu’aurait dû relever la banque tirée, laquelle ne produit pour sa part aucun spécimen de signature. Son défaut de vigilance est ainsi avéré.

Les débats d’appel et les pièces soumises à la cour n’apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’exacte appréciation faite par les premiers juges du lien de causalité entre la faute retenue à la charge de la société BRED Banque populaire et le préjudice subi par les consorts [G], en considération du fait que les chèques nos 8140836 et 8140837 ont été émis à l’ordre de [L] [G] et que le produit du rachat de SICAV a été versé sur son compte. La faute de la banque n’a causé de ce fait aucun appauvrissement de son client, les appelants se contentant d’affirmer que les sommes ainsi retirées auraient été détournées par [T] [B].

L’absence de plainte déposée contre cette dernière ne saurait à l’inverse exonérer la société BRED Banque populaire de sa responsabilité du fait du payement du chèque no 8140835 de 3 995 euros émis au profit de [T] [B]. La banque tirée ne peut davantage se prévaloir des dispositions de l’article L. 131-38, alinéa premier, du code monétaire et financier aux termes duquel celui qui paie un chèque sans opposition est présumé valablement libéré, alors qu’elle s’est abstenue de vérifier la régularité formelle du chèque qui lui était présenté, et qu’il ressort des éléments du dossier qu’il s’agissait d’un faux ordre de payement revêtu dès l’origine d’une fausse signature et n’ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque. En effet, outre l’anomalie apparente précédemment relevée, l’expertise amiable régulièrement versée aux débats par les appelants conclut que les chèques et l’ordre de rachat ne sont pas de la main de [L] [G] (pièce no 24 des appelants). Cette conclusion est corroborée par les conclusions du docteur [Z] du 1er décembre 2019 qui, après avoir étudié le dossier médical de [L] [G], décrit son état d’extrême fragilité sanitaire et la dégradation de ses capacités cognitives au cours des cinq dernières années, et estime qu’« il est impossible qu’il ait pu en toute connaissance, signer des chèques ou effectuer des virements bancaires durant les dernières périodes de sa vie » (pièce no 23 des appelants).

Ainsi, c’est par des motifs détaillés et pertinents que la cour fait siens, que le tribunal a retenu la responsabilité de la société BRED Banque populaire à concurrence de la somme de 4 092,98 euros. En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner les consorts [G] aux dépens d’appel, ainsi qu’au payement d’une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA COUR,

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum [E] [G] et [W] [G] à payer à la société BRED Banque populaire la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum [E] [G] et [W] [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société d’exercice libéral par actions simplifiée LGH & associés, en la personne de maître Frédéric Doceul, et ce en application des dispositions spécifiques de l’article 699 du code de procédure civile.

*****

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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