Responsabilité et Préjudice : Analyse d’une Relation Contractuelle Complexe

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Responsabilité et Préjudice : Analyse d’une Relation Contractuelle Complexe

La société d’HLM Vilogia a lancé des travaux d’aménagement extérieurs et a attribué la maîtrise d’œuvre à la société Projex, ainsi qu’une mission de coordination SPS à Preventec. Un appel d’offres a été publié le 3 mai 2017 pour plusieurs lots, et la société Ambiances TP a été informée le 2 août 2017 que sa candidature pour le lot n°1 avait été retenue, avec un montant de 1.944.347,26 euros HT. Cependant, le 22 novembre 2017, Vilogia a signalé une erreur et a annulé l’attribution. En juin 2021, Ambiances TP a demandé des négociations pour une indemnisation de 467.548,29 euros HT. Le 12 juillet 2022, Ambiances TP a assigné Vilogia en justice pour obtenir cette indemnisation. Dans ses dernières écritures, Ambiances TP réclame 487.548,29 euros HT en dommages et intérêts, ainsi que des frais. De son côté, Vilogia conteste toute faute et demande le rejet des demandes d’Ambiances TP, tout en réclamant des frais. L’instruction a été clôturée le 5 avril 2024, et l’affaire est prévue pour plaider le 4 juin 2024, avec une décision attendue le 17 septembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG
22/04540
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/04540 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WKKF

JUGEMENT DU 17 SEPTEMBRE 2024

DEMANDERESSE :

AMBIANCES TP, inscrite au RCS de LILLE METROPOLE, sous le numéro 811 466 960, agissant poursuites et diligences en la personne de son Président domicilié es qualité audit siège.
domiciliée : chez [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Sylvie DE SAINTIGNON – KUBATKO, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE :

HLM VILOGIA, immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le numéro 475 680 815, prise en la personne de ses représentants légaux et de son Président du Directoire dûment habilités et domiciliés en cette qualié audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Arnaud VERCAIGNE, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Maureen DE LA MALENE, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

Greffier : Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Avril 2024 ;

A l’audience publique du 04 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 17 Septembre 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 17 Septembre 2024, et signé par Maureen DE LA MALENE, Présidente, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société d’HLM Vilogia, en qualité de maître de l’ouvrage, a entrepris des travaux d’aménagement extérieurs de la [Adresse 6] située à [Localité 5].

Elle a notamment confié la maîtrise d’œuvre à la société Projex et une mission de coordination des opérations de sécurité et de protection de la santé (SPS) au contrôleur technique Preventec.

Le 3 mais 2017, la société d’HLM Vilogia a publié un avis d’appel public à concurrence concernant les lots n°1 – VRD, n°2 – éclairage extérieur et n°3 – espaces verts.

La société Ambiances TP a candidaté au titre du lot n°1.

Suivant lettre simple en date du 2 août 2017, la société d’HLM Vilogia a informé la société Ambiances TP que sa candidature a été retenue pour un marché d’un montant de 1.944,347,26 euros HT et a publié au journal officiel de l’Union Européenne (JOEU) un avis d’attribution en ce sens le 12 septembre 2017.

Suivant lettre simple du 22 novembre 2017, la société d’HLM Vilogia a toutefois informé la société Ambiances TP d’une erreur matérielle dans son précédent courrier du 2 août 2017, et que le marché ne lui avait en réalité pas été attribué.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 juin 2021, la société Ambiances TP a sollicité de la société d’HLM Vilogia la mise en place de négociations aux fins d’indemnisation de son préjudice résultant de son refus d’attribution du marché qu’elle évalue à la somme de 467.548,29 euros HT.

* * *

Par acte signifié le 12 juillet 2022, la société Ambiances TP a assigné la société d’HLM Vilogia en indemnisation de son préjudice résultant de son refus d’attribution du marché devant le tribunal judiciaire de Lille.

Dans ses dernières écritures notifiées le 25 janvier 2024, elle demande au tribunal, au visa de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, au décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés public et aux articles 1240 et suivants du code civil, de :
– condamner la société d’HLM Vilogia au versement de la somme de 487.548,29 euros HT au titre des dommages et intérêts résultant de sa faute ;
– condamner la société d’HLM Vilogia au versement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens, sous distraction au profit de Maître Sylvie de Saintignon-Kubatko, pour ceux dont elle en aurait fait l’avance sans en obtenir provision ;
– déclarer qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la décision.

Dans ses dernières écritures notifiées le 23 janvier 2024, la société d’HLM Vilogia demande quant à elle au tribunal, au visa de l’article 1240 du code civil, de :
– juger qu’elle n’a commis aucune faute quasi-délictuelle vis-à-vis de la société Ambiances TP ;
– déclarer que la société Ambiances TP ne justifie pas de son préjudice et d’un lien de causalité avec la prétendue faute qu’elle lui reproche ;
En conséquence,
– débouter la société Ambiances TP de l’ensemble de ses demandes ;
Reconventionnellement,
– condamner la société Ambiances TP à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Ambiances TP aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs dernières écritures, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 5 avril 2024 et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience du 4 juin 2024.

La décision a été mise en délibéré au 17 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

SUR LA DEMANDE DE CONDAMNATION FORMEE PAR LA SOCIETE AMBIANCES TP

La société Ambiances TP sollicite la condamnation de la société d’HLM Vilogia au paiement de la somme de 487.548,29 euros HT sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de l’article 1240 du code civil.

Cet article dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Ce régime de responsabilité extra-contractuelle impose au demandeur la démonstration d’une faute commise par la partie dont il recherche la responsabilité, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué.

I. Sur l’existence d’une faute imputable à la société d’HLM Vilogia :

La société Ambiances TP reproche à la société société d’HLM Vilogia d’avoir commis une faute en l’incitant à préparer le chantier pendant quatre mois avant de finalement renoncer à signer le marché comme l’attestent les nombreux échanges de courriels avec le maître d’œuvre, dont le maître de l’ouvrage est en copie.
Elle précise que la défenderesse a ainsi fait preuve d’une incitation forte et pressante à commencer la phase de préparation, si bien qu’il ne peut pas lui être reproché d’avoir commis elle-même une imprudence, alors même qu’elle n’a fait que répondre à des demandes du maître d’œuvre et du contrôleur technique.
A l’argument adverse faisant état d’une erreur matérielle, la société Ambiances TP rappelle que la décision d’attribution a été publiée au journal officiel de l’Union Européenne.

La société d’HLM Vilogia conteste en revanche avoir commis la moindre faute en raison non seulement du contexte particulier du dossier, mais surtout de l’absence de notification du marché ou d’ordre de service, et ce en violation du cahier des clauses administratives particulières (CCAP).
Elle ajoute que dans la mesure où le maître d’œuvre n’est pas son mandataire, ses échanges avec la société Ambiances TP, dont l’objet apparaît limité, ne peuvent constituer une preuve d’un engagement quelconque, ni caractériser le moindre rôle actif, et ce même si elle était en copie de certains de ces courriels.
La société défenderesse reproche à l’inverse à cette dernière d’avoir elle-même commis une imprudence fautive en s’estimant contractuellement engagée alors que les échanges de juillet dont elle fait état n’étaient que des pourparlers.

En l’espèce, par lettre simple du 2 août 2017, la société d’HLM Vilogia a informé la société Ambiances TP qu’elle avait été retenue par la commission d’attributions s’agissant du lot n°1 – VRD de l’opération de construction située à [Localité 5].

A l’issu de ce courrier, la société d’HLM Vilogia sollicite différents documents à la société demanderesse et poursuit en indiquant que « la présente lettre a pour unique objectif de vous informer de l’avancement de la passation du marché. Ce courrier ne vaut pas notification. Je ne manquerai pas de vous contacter pour la signature et la notification du contrat ».

Ce courrier ne permet donc pas de caractériser un quelconque engagement contractuel de la société d’HLM Vilogia, ce que la société Ambiances TP ne conteste d’ailleurs pas.

Elle justifie en revanche de différents échéances électroniques en lien avec l’opération de construction, à savoir :
– un courriel du 24 août 2017 de société Projex concernant une réunion du 4 septembre pour «dégrossir le dossier et préparer le chantier »,
– un courriel du 4 septembre 2017 de la société Projex suite à ladite réunion,
– un courriel du 11 septembre 2017 de la société Projex qui sollicite un devis supplémentaire concernant des murets,
– un courriel du 15 septembre 2017 de la société Projex concernant l’organisation d’une réunion de chantier,
– un courriel du 21 septembre 2017 adressé par la société Projex à la société d’HLM Vilogia reprenant les plannings et faisant notamment état d’une phase chantier à contrôler « selon dossier entreprise Ambiance »,
– un courriel du 22 septembre 2017 de la société Projex aux termes duquel le maître d’œuvre demande à la société Ambiances TP de lui transmettre différents éléments tels que le planning, les demandes d’agrément et les plans d’exécution,
– ainsi qu’un courriel du 5 octobre 2017 du contrôleur technique suite à l’inspection commune SPS «réalisée auprès de la société Ambiances TP qui est titulaire du lot VRD ».

Ces différents échanges, dont la teneur n’est pas contestée par la société d’HLM Vilogia, démontrent que la société Ambiances TP a bien contribué à la préparation du chantier, en participant notamment à la réunion préparatoire du 4 septembre 2017 ainsi qu’aux opérations de sécurité et de protection de la santé (SPS) auprès du contrôleur technique Preventec.

Elle a donc été sollicitée tant par ce contrôleur technique que par le maître d’œuvre, en charge notamment de l’organisation des réunions de chantier. Ce dernier lui a d’ailleurs demandé durant ces quelques semaines d’échanges de lui effectuer un devis supplémentaire et de lui transmettre différents documents tels que les plans d’exécution, les plannings…

Or, force est de constater que tant le maître d’œuvre que le contrôleur technique ont agi dans le cadre de l’opération de construction diligentée par le maître de l’ouvrage. Celui-ci est d’ailleurs en copie des échanges de courriels et ne s’est jamais manifesté pour informer les parties que l’attribution du lot VRD a été confié par erreur à la société Ambiances TP et qu’elle n’avait donc pas à débuter les préparations du chantier. La société d’HLM Vilogia a d’ailleurs elle-même écrit par courriel du 15 septembre 2017 au maître d’œuvre et à la société Ambiances TP pour convenir d’une date aux fins de démarrage des travaux.

L’ensemble de ces échanges pouvait donc laisser légitiment penser à la société Ambiances TP qu’elle s’était bien vue attribuer le marché de travaux, conformément à ce qui lui avait été indiqué par lettre simple le 2 août 2017 ; « je vous informe que votre entreprise a été retenue par la commission d’attributions pour l’opération sise à [Adresse 6], aménagements extérieurs, pour le lot n°1 VRD pour un montant de 1.944.347 euros HT », si bien qu’aucune imprudence ne peut lui être reprochée.

L’ensemble de ces éléments est d’ailleurs largement corroboré par la publication au journal officiel de l’Union Européenne le 12 septembre 2017 de l’attribution de ce lot à la société Ambiances TP à compter du 7 septembre 2017.

En conséquence, il apparaît à la lecture de l’ensemble de ces éléments que la société d’HLM Vilogia a donc bien incité la société Ambiances TP à débuter la préparation du chantier, avant de renoncer à signer le marché de travaux le 22 novembre 2017, ce qui caractérise un comportement fautif du maître de l’ouvrage.

II. Sur l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité :

La société Ambiances TP soutient que l’attitude fautive de la société d’HLM Vilogia lui a causé un préjudice d’un montant de 487.548,29 euros HT correspondant aux frais qu’elle a exposés au titre de la préparation du chantier, du recrutement d’une équipe et de son investissement dans du matériel finalement non utilisé.
Elle ajoute que le lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué est incontestable, et ce d’autant plus qu’à l’époque de la survenance du litige, elle était une toute jeune entreprise.

En revanche, la société d’HLM Vilogia conteste le chiffrage opéré par la société demanderesse au motif que le préjudice constitue en réalité une perte de chance qui n’est pas indemnisable en matière de responsabilité extra-contractuelle.
Par ailleurs, elle reproche à la société Ambiances TP de ne pas établir la réalité des préjudices allégués par la production aux débats de certaines pièces, telles que des fiches de paye.

Le régime de la responsabilité extra-contractuelle vise à rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était point produit.

En l’espèce, le tribunal relève que les pièces produites par la société Ambiances TP ne permettent pas d’attester de la réalité des préjudices dont elle demande réparation. En effet, il ressort des développements précédents que les échanges de courriers électroniques ont seulement permis d’établir que la société demanderesses a participé à une ou deux réunions de chantier et aux opérations de sécurité et de protection de la santé avec le contrôleur technique. Aussi, elle ne rapporte pas la preuve que ses employés ont été embauchés et son matériel acheté qu’au titre de l’opération de construction de la société d’HLM Vilogia et que les travaux auraient effectivement débutés.

En réalité, le seul préjudice réellement subi par la société Ambiances TP doit s’analyser en une perte de chance pour elle de ne pas conclure le marché de travaux, seul préjudice indemnisable.

Aussi, au regard de la durée pendant laquelle la société d’HLM Vilogia a incité la demanderesse à débuter la préparation du chantier, et au regard du nombre d’actes qu’elle a effectivement réalisés, il y a lieu d’évaluer cette perte de chance à la somme de 5.000 euros, sans qu’il y ait lieu d’ajouter de TVA au regard de la nature de cette indemnisation.

La société d’HLM Vilogia sera donc condamnée à payer à société Ambiances TP la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice subi.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

I. Sur les dépens :

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, la société d’HLM Vilogia, partie perdante, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maître Sylvie de Saintignon-Kubatko si celle-ci justifie en avoir fait l’avance sans en voir reçu provision.

II. Sur l’article 700 du code de procédure civile :

En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, la société d’HLM Vilogia, partie perdante, sera condamnée à payer à la société Ambiances TP la somme de 2.500 euros à ce titre.

La société d’HLM Vilogia sera déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe de la juridiction, par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONDAMNE la société d’HLM Vilogia à payer à la société Ambiances TP la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle ;

CONDAMNE la société d’HLM Vilogia aux dépens, avec distraction au profit de Maître Sylvie de Saintignon-Kubatko si celle-ci justifie en avoir fait l’avance sans en voir reçu provision ;

CONDAMNE la société d’HLM Vilogia à payer à la société Ambiances TP la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société d’HLM Vilogia de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Dominique BALAVOINE Maureen DE LA MALENE


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