Responsabilité et intervention d’un tiers : Analyse des conséquences d’une installation défectueuse

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Responsabilité et intervention d’un tiers : Analyse des conséquences d’une installation défectueuse

Mme [Y] a commandé des meubles de cuisine à Kvik France le 29 avril 2016, avec un certificat de fin de travaux signé le 13 septembre 2016. En février 2018, un dégât des eaux a eu lieu dans la cuisine, suivi de travaux de peinture. Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2018, deux meubles hauts se sont décrochés, causant des dommages matériels, dont un plan de travail en marbre cassé. Le 10 juillet 2018, un huissier a constaté les dégâts. Après une mise en demeure, Mme [Y] a demandé la désignation d’un expert judiciaire, ce qui a été ordonné le 30 novembre 2018. L’expert a remis son rapport le 15 juillet 2019. Le 28 novembre 2019, Mme [Y] a assigné Kvik France en réparation. Le tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement le 1er juillet 2022, déclarant Kvik France responsable des désordres et fixant les indemnités à 10 991 euros pour les travaux et 1 500 euros pour le préjudice de jouissance, en plus de 5 000 euros pour les frais de justice. Kvik France a interjeté appel le 26 juillet 2022. Dans ses conclusions, Kvik France demande l’infirmation du jugement, tandis que Mme [Y] demande la confirmation de la responsabilité de Kvik France et des indemnités plus élevées, totalisant 69 776,90 euros, ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive. La clôture de l’affaire a été prononcée le 25 avril 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

20 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/14222
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 6

ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2024

(n° /2024, 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/14222 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGH5L

Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Juillet 2022 – Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/13930

APPELANTE

Société KVIK FRANCE agissant poursuites et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand JARDEL de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS, toque : C2235, substitué à l’audience par Me Clémentine PARROT

INTIMEE

Madame [J] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-Hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153, substituée à l’audience par Me Jacques GUILLEMIN

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 30 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente

Madame Laura TARDY, conseillère

Madame Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Valérie Guillaudier dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Céline RICHARD

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Laura Tardy, conseillère, pour la conseillère faisant fonction de présidente empêchée et parAlexandre Darj, greffier, présent lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [Y] a commandé le 29 avril 2016 à la société Kvik France la fourniture et l’installation de meubles de cuisine pour son appartement situé [Adresse 2] à [Localité 5].

Un certificat de fin de travaux a été signé avec réserves le 13 septembre 2016.

En février 2018, un dégât des eaux est survenu dans la cuisine.

Des travaux de reprise de la peinture ont été réalisés.

Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2018, deux meubles hauts de la cuisine se sont décrochés et sont tombés, occasionnant des dommages matériels.

Le 10 juillet 2018, Mme [Y] a fait constater par un huissier de justice l’effondrement des deux meubles et les dégâts, notamment le plan de travail en marbre cassé en plusieurs endroits.

Mme [Y] a, après mise en demeure, demandé au juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qu’un expert judiciaire soit désigné.

Par ordonnance du 30 novembre 2018, une expertise a été ordonnée.

L’expert a déposé son rapport le 15 juillet 2019.

Par acte du 28 novembre 2019, Mme [Y] a assigné la société Kvik France devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation de ses préjudices.

Par jugement en date du 1er juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

Rejette la demande de nullité du rapport d’expertise déposé le 15 juillet 2019 ;

Dit que la société Kvik France est responsable des désordres ainsi constatés ;

Fixe le coût des travaux de reprise à la somme de 10 991 euros TTC à savoir :

– la somme de 6 859 euros TTC pour la fourniture et la pose des meubles de cuisine ;

– la somme de 4 132 euros TTC pour la fourniture et la pose du plan de travail ;

Fixe le préjudice de jouissance à la somme de 1 500 euros ;

Condamne la société Kvik France à verser à Mme [Y] les sommes susvisées ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société Kvik France à verser à Mme [Y] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Kvik France aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise ;

Autorise le recouvrement direct des dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision à concurrence de la moitié des condamnations prononcées.

Par déclaration en date du 26 juillet 2022, la société Kvik France a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d’appel de Paris Mme [Y].

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2022, la société Kvik France demande à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 1er juillet 2022 en ce qu’il a :

– dit que la société Kvik France est responsable des désordres ainsi constatés ;

– fixé le coût des travaux de reprise à la somme de 10 991 euros TTC à savoir :

– la somme de 6 859 euros TTC pour la fourniture et la pose des meubles de cuisine,

– la somme de 4 132 euros TTC pour la fourniture et la pose du plan de travail ;

– fixé le préjudice de jouissance à la somme de 1 500 euros ;

– condamné la société Kvik France à verser à Mme [Y] les sommes susvisées ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamné la société Kvik France à verser à Mme [Y] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Kvik France aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise ;

– autorisé le recouvrement direct des dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

Débouter Mme [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner Mme [Y] à régler à la société Kvik France la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2023, Mme [Y] demande à la cour de :

Déclarer la société Kvik France irrecevable et mal fondée en son appel ;

L’en débouter ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré la société Kvik France responsable du sinistre survenu dans la nuit du 8 au 9 juillet 2018 dans la cuisine de Mme [Y] ;

Recevoir Mme [Y] en son appel incident et statuant à nouveau,

Réformer le jugement entrepris sur le montant des indemnités allouées ;

Condamner la société Kvik France à payer à Mme [Y] :

– une somme de 12 776,90 euros correspondant au coût de réfection de la cuisine (meubles et électroménager, pose, plan de travail marbre) majorée d’un coefficient de 5% par an depuis la date d’établissement des devis jusqu’à la date de la décision à intervenir,

– une somme de 1 500 euros correspondant au trouble de jouissance résultant de l’impossibilité d’utiliser la cuisine pendant une semaine le temps de faire établir le constat et d’ôter les gravats,

– une somme de 54 000 euros correspondant au trouble de jouissance subi depuis le 9 juillet 2018 jusqu’au 31 décembre 2022 sauf à parfaire en fonction de la date de la décision à intervenir,

– une somme de 1 500 euros correspondant au trouble de jouissance lié à l’impossibilité d’utiliser la cuisine pendant une semaine de pose de la nouvelle cuisine,

Soit une somme totale de 69 776,90 euros sauf à parfaire, outre les intérêts au taux légal depuis le 28 novembre 2019 qui seront capitalisés par application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil;

Condamner la société Kvik France à payer à Mme [Y] une somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamner la société Kvik France à payer à Mme [Y] une somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamner en tous les dépens y compris les frais d’expertise.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 25 avril 2024.

MOTIVATION

La cour constate, à titre liminaire, qu’il n’est pas demandé l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande de nullité du rapport d’expertise.

Dès lors, ce chef du jugement est définitif.

Sur la responsabilité de la société Kvik France

Moyens des parties

Mme [Y] soutient que la responsabilité de plein droit de la société Kvik France est engagée et qu’elle ne peut s’exonérer qu’en démontrant l’intervention d’une cause étrangère. Elle indique que l’installation n’était pas conforme aux règles de l’art car le meuble hotte n’a pas été fixé au mur mais aux deux meubles hauts de rangement qui l’encadraient par des vis. Elle précise que la preuve de l’intervention d’un tiers à l’origine du sinistre n’est pas rapportée.

Selon la société Kvik France, l’expert judiciaire a constaté qu’elle n’était pas responsable de l’effondrement du meuble qui fait suite à l’intervention d’un tiers. Elle précise que la dépose du meuble de gauche de 80 cm par le peintre intervenu après le dégât des eaux a modifié la structure qu’elle a posée et que l’ensemble des meubles hauts ont été démontés par la société en charge des travaux de rénovation et mal refixés. Elle indique qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la pose qu’elle a effectuée et le dommage subi par Mme [Y].

Réponse de la cour

Aux termes de l’ article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En l’espèce, il résulte des éléments versés aux débats que la société Kvik France a fourni et posé en juillet 2016 un meuble de rangement gauche de 80 cm de large, un meuble de rangement droit de 60 cm de large et un meuble hotte entre ces deux meubles de rangement.

A la suite du dégât des eaux intervenu en février 2018, le meuble gauche de rangement a été endommagé et Mme [Y] a demandé à la société Tael un devis, qui a été réalisé le 11 avril 2018, comprenant des travaux de peinture mais également la dépose de l’ancien meuble et la pose d’un nouveau (pièce n°20 de l’intimée). Elle s’est également adressée à la société Kvik France qui lui a indiqué que, la cuisine étant encore sous garantie, elle pouvait assurer le changement du meuble dans un délai de 4 à 6 semaines (pièce n°19 de l’intimée).

Des travaux ont effectivement été réalisés par la société Tael, la facture établie par celle-ci le 20 mai 2018 (pièce n°23 de l’intimée) confirmant qu’ils ont été exécutés entre avril et mai 2018, étant observé que s’il y a eu dépose de l’ancien meuble, aucun nouveau meuble n’a finalement été installé.

Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2018, les deux meubles haut restant, c’est-à-dire le meuble hotte central et le meuble droit se sont effondrés.

Selon l’expertise judiciaire, c’est la chute du meuble hotte qui est la cause de l’effondrement, celui-ci ayant entraîné celle du meuble droit solidarisé par des vis au meuble hotte.

Il a constaté la présence de la pièce d’appui fixée au mur pour le meuble de rangement droit alors que celle du meuble hotte était en deux parties et n’était plus fixée au mur et les trous réalisés dans le doublage du mur en placoplâtre ne se superposant pas à ceux réalisés dans la pièce d’appui du meuble hotte, avec au surplus une longueur de cette pièce d’appui rendant impossible un bon accrochage du meuble hotte.

L’expert judiciaire a indiqué que la société Kvik France avait ‘fixé le meuble hotte au mur, peut-être en s’y reprenant en plusieurs fois dans une configuration non réellement établie avec une solidarisation avec les deux meubles de rangement l’encadrant (configuration classique pour solidariser les meubles).’

Il a précisé que, du fait du dégât des eaux, le placoplâtre avait été refait par une autre entreprise et que le fait que l’on ait retrouvé en 2019 la pièce de fixation du meuble gauche de 80 cm pour la pose du meuble hotte confirmait que ce dernier avait été déposé puis reposé dans une configuration où il avait été fixé par l’intermédiaire d’une cheville Molly qui s’était arrachée et fixé sur un côté avec le meuble droit, ce qui n’avait pas été suffisant à le maintenir.

Il en a déduit que la cause du sinistre était la fixation défectueuse du meuble hotte après les travaux de réfection de peinture, par l’entreprise étant intervenue, le montage ayant été réalisé à titre provisoire, le temps que soit livré le nouveau meuble commandé chez la société Kvik France, et ayant modifié la configuration d’origine à trois meubles en ne reposant pas le meuble de gauche et en mettant un dispositif de fixation provisoire inapproprié pour ce meuble hotte.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations que les désordres constatés n’ont pas pour origine les travaux de la société Kvik France, mais une cause étrangère, l’intervention d’un tiers, l’entreprise qui a réalisé les travaux de peinture, qui a modifié l’installation existante.

Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, le fait que la société Kvik France ait indiqué dans l’un de ses dires avoir fixé le meuble hotte, non contre le mur, mais par des vis situées de part et d’autre de chacun des meubles le bordant, ne saurait suffire à considérer que l’installation initiale n’était pas conforme aux règles de l’art, étant observé que cela n’a pas été retenu par l’expert judiciaire.

De même, la pièce de fixation retrouvée sur place après l’effondrement n’a pu servir à autre chose qu’une fixation provisoire du meuble hotte puisque le meuble gauche de 80 cm avait été enlevé, et non remplacé, et que le meuble droit comportait une pièce d’appui parfaitement adaptée, étant observé que l’expert judiciaire a constaté que la pièce d’appui du meuble gauche de 80 cm retrouvée qui avait été réutilisée avait été brisée en un point car le meuble hotte était moins large que la pièce d’appui.

Enfin, la présence d’une prise derrière le meuble, dont l’expert avait connaissance puisqu’il s’est rendu sur les lieux du sinistre, ne saurait remettre en cause son analyse.

En tout état de cause, il n’est pas démontré que l’installation initiale des meubles de cuisine par la société Kvik France était défectueuse et présenterait un lien de causalité avec l’effondrement de deux d’entre eux, étant observé que celui-ci est intervenu plus de deux ans après leur pose, après l’enlèvement de l’un d’entre eux par un tiers, ce qui a nécessairement eu une incidence sur l’équilibre de l’installation, et que l’expert judiciaire a formellement attribué le sinistre au dispositif de fixation provisoire réalisé par une entreprise tierce.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société Kvik France et l’a condamnée à réparer les préjudices de Mme [Y].

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [Y] pour procédure abusive.

Sur les frais du procès

Le jugement sera infirmé sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [Y] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer la somme de 2 000 euros à la société Kvik France sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sa demande sur le même fondement sera rejetée.

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