Responsabilité et Délégation de Paiement : Les Enjeux d’un Chantier en Liquidation Judiciaire

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Responsabilité et Délégation de Paiement : Les Enjeux d’un Chantier en Liquidation Judiciaire

Constitution de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET

Les sociétés QUARTUS RESIDENTIEL et TAFFET ont créé la SCCV MENNECY BOIS CHAPET pour réaliser des travaux de construction comprenant 57 logements collectifs, 2 bâtiments et 12 maisons à MENECCY (91). La maîtrise d’œuvre a été confiée à KMA HABITAT, tandis que le lot de terrassement et gros œuvre a été attribué à la SARL ERMA.

Contrat de sous-traitance et liquidation judiciaire

Le 14 février 2019, la SARL ERMA a sous-traité le lot terrassement à la société TERRATER pour un montant de 390.000€. Une convention tripartite a été signée, permettant à la SCCV MENNECY BOIS CHAPET de payer directement TERRATER. Cependant, le 15 juillet 2019, la SARL ERMA a été placée en liquidation judiciaire, et Maître [Z] a été nommé liquidateur.

Règlement des sommes dues à TERRATER

La société CEB, engagée par le liquidateur, a recommandé le paiement de 252.300€ à TERRATER, somme que la SCCV MENNECY BOIS CHAPET a réglée. Au total, TERRATER a reçu 361.740€ pour ses travaux, mais a ensuite réclamé un solde de 28.260€.

Assignation en paiement

Après plusieurs mises en demeure restées sans réponse, TERRATER a assigné la SCCV MENNECY BOIS CHAPET et ses associés en paiement du solde. Dans ses conclusions, TERRATER a demandé au tribunal de constater le défaut de paiement et d’affirmer son droit à l’action directe contre la SCCV MENNECY BOIS CHAPET.

Réponse des défendeurs

Les sociétés SCCV MENNECY BOIS CHAPET, QUARTUS RESIDENTIEL et TAFFET ont contesté la demande de TERRATER, arguant que celle-ci n’avait pas respecté les conditions de la délégation de paiement et n’avait pas délivré de mise en demeure à l’entrepreneur principal.

Analyse de la délégation de paiement

Le tribunal a examiné la délégation de paiement stipulée dans la convention tripartite, concluant que TERRATER n’avait pas produit les factures acceptées nécessaires pour le paiement. La liquidation de la SARL ERMA n’a pas modifié cette obligation.

Action directe et mise en demeure

Concernant l’action directe de TERRATER, le tribunal a noté l’absence de mise en demeure préalable à l’encontre de la SARL ERMA, ce qui a conduit à la nullité de sa demande.

Responsabilité délictuelle de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET

TERRATER a également tenté d’engager la responsabilité délictuelle de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET pour non-respect des obligations de paiement. Cependant, le tribunal a jugé que les conditions de la loi n°75-1334 ne s’appliquaient pas, car TERRATER avait bénéficié d’une délégation de paiement.

Décision du tribunal

Le tribunal a débouté TERRATER de toutes ses demandes, condamnant cette dernière aux dépens et à verser 1.000€ à chacune des sociétés défenderesses au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Conclusion

Le jugement a été rendu le 10 décembre 2024, confirmant le rejet des demandes de TERRATER et la responsabilité des frais de la procédure.

Questions / Réponses juridiques :

 

Quelle est la nature de la délégation de paiement prévue dans la convention tripartite du 14 février 2019 ?

La délégation de paiement est définie par l’article 1336 du Code civil, qui stipule que « la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur ».

Dans le cas présent, la convention tripartite du 14 février 2019 entre la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, la SARL ERMA et la SARL TERRATER précise que l’entrepreneur principal (ERMA) donne ordre irrévocable au maître d’ouvrage (MENNECY BOIS CHAPET) de payer pour son compte le sous-traitant (TERRATER) sur présentation de la facture acceptée par l’entrepreneur et visée par le maître d’œuvre.

Cette condition de présentation de la facture est essentielle pour que le maître d’ouvrage puisse procéder au paiement. En l’espèce, la SARL TERRATER n’a pas produit de factures acceptées par la SARL ERMA ou visées par KMA HABITAT, ce qui remet en question la validité de la demande de paiement.

Quelles sont les conditions pour qu’un sous-traitant puisse exercer une action directe contre le maître d’ouvrage ?

L’article 12 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 stipule que « le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ».

Cette action directe est conditionnée par la délivrance préalable d’une mise en demeure à l’entrepreneur principal. En l’espèce, la SARL TERRATER ne justifie pas avoir délivré une mise en demeure à la SARL ERMA ou aux organes de liquidation judiciaire de cette société.

De plus, la SARL TERRATER ne prouve pas avoir déclaré sa créance auprès du liquidateur, ce qui constitue une condition essentielle pour l’exercice de l’action directe. Par conséquent, la SARL TERRATER est déboutée de sa demande au titre de l’action directe.

La SCCV MENNECY BOIS CHAPET a-t-elle commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle ?

L’article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 impose au maître d’ouvrage de mettre en demeure l’entrepreneur principal si celui-ci ne respecte pas ses obligations envers le sous-traitant. Cependant, cette obligation ne s’applique que si le sous-traitant n’a pas été accepté et que ses conditions de paiement n’ont pas été agréées.

Dans le cas présent, la SARL TERRATER a été acceptée par la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, et ses conditions de paiement ont été agréées. De plus, elle a bénéficié d’une délégation de paiement. Par conséquent, les dispositions de l’article 14-1 ne s’appliquent pas, et la SCCV MENNECY BOIS CHAPET ne peut être tenue responsable d’une faute à cet égard.

Ainsi, la SARL TERRATER ne parvient pas à démontrer l’existence d’une faute de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle.

Quelles sont les conséquences de la liquidation judiciaire de la SARL ERMA sur la demande de paiement de la SARL TERRATER ?

L’article L641-11-1 du Code de commerce précise que « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire ».

Cela signifie que le liquidateur judiciaire a la faculté de poursuivre l’exécution des contrats en cours, y compris la délégation de paiement. Cependant, la SARL TERRATER ne justifie pas avoir sollicité l’acceptation de ses factures par le liquidateur ou par le maître d’œuvre.

En conséquence, même si la SARL ERMA était en liquidation judiciaire, cela ne dispense pas la SARL TERRATER de respecter les conditions de la délégation de paiement. La non-acceptation de ses factures par les organes de liquidation entraîne le déboutement de sa demande de paiement.

Quelles sont les implications des articles 700 et 696 du Code de procédure civile dans ce litige ?

L’article 696 du Code de procédure civile stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ». Dans ce cas, la SARL TERRATER, ayant succombé dans ses demandes, est condamnée aux dépens de la procédure.

De plus, l’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens. En l’espèce, la SARL TERRATER est condamnée à verser 1.000 euros à chacune des défenderesses, en tenant compte de l’équité et de la situation économique des parties.

Ces articles visent à garantir que la partie qui perd un procès supporte les coûts associés à la procédure, tout en permettant au juge d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour ajuster les condamnations en fonction des circonstances.

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 décembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/07028
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

6ème chambre 1ère section

N° RG 22/07028
N° Portalis 352J-W-B7G-CWPBJ

N° MINUTE :

Assignation du :
01 Juin 2022

JUGEMENT
rendu le 10 Décembre 2024
DEMANDERESSE

S.A.R.L. TERRATER
11 route aux Pierres
77174 VILLENEUVE-LE-COMTE

représentée par Me Jacques GELPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0212

DÉFENDERESSES

S.C. SCCV MENNECY BOIS CHAPET
1-3-5 rue Paul Cézanne
75008 PARIS

S.A.S. QUARTUS RESIDENTIEL
1-3-5 rue Paul Cézanne
75008 PARIS

S.A.R.L. TAFFET
1-3-5 rue Paul Cézanne
75008 PARIS

représentées par Me Tanguy BOELL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0118

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Céline MECHIN, Vice-président
Madame Marie PAPART, Vice-présidente
Madame Ariane SEGALEN, Vice-présidente

assistée de Madame Ines SOUAMES, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 30 Octobre 2024 tenue en audience publique devant Madame SEGALEN, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Décision du 10 Décembre 2024
6ème chambre 1ère section
N° RG 22/07028 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWPBJ

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
contradictoire
en premier ressort
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues aux deuxième alinéa de l’article de l’article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Madame Céline MECHIN, Présidente, et par Madame Inès SOUAMES, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Les sociétés QUARTUS RESIDENTIEL et TAFFET ont constitué la SCCV MENNECY BOIS CHAPET pour entreprendre des travaux de construction de 57 logements collectifs, 2 bâtiments et 12 maisons situés rue Bois Chapet à MENECCY (91).

La maîtrise d’œuvre a été confiée à la société KMA HABITAT.

Le lot terrassement, voile contre terre et gros œuvre a été confié à la SARL ERMA.

Par contrat de sous-traitance du 14 février 2019, la SARL ERMA a confié la réalisation du lot terrassement et voile contre terre à la société TERRATER pour un prix de 390.000€.

Par convention tripartite du 14 février 2019, conclue entre la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, la SARL ERMA et la société TERRATER, l’entrepreneur principal (ERMA) a délégué au maître d’ouvrage (MENNECY BOIS CHAPET) le payement du prix des travaux dû au sous-traitant (TERRATER).

Par jugement du 15 juillet 2019, le tribunal de commerce de Melun a ordonné la liquidation judiciaire de la SARL ERMA et a désigné Maître [Z] en qualité de liquidateur. Maître [Z] s’est adjoint de la société CEB, économiste du bâtiment, pour clôturer les comptes des chantiers confiés à la SARL ERMA.

La CEB, après avoir rassemblé les réclamations des sous-traitants, a arrêté les comptes du chantier de MENECY et préconisé le règlement au profit de TERRATER de la somme de 252.300€. La SCCV MENNECY BOIS CHAPET a procédé à ce règlement en exécution de la délégation de payement.

Le montant total des sommes versées à la SARL TERRATER en exécution de ce chantier s’est ainsi élevé à 361.740€, conformément au montant de sa facture du 20 mai 2019.

Le 15 juillet 2019, la SARL TERRATER a émis un décompte général définitif faisant apparaître un solde restant à lui devoir pour ses prestations d’un montant de 28.260€.

Après vaines mises en demeure des 26 mai, 8 juillet et 22 octobre 2020 adressées à la société QUARTUS et par exploits d’huissiers de justice des 1er juin 2022, la SARL TERRATER a assigné la SCCV MENNECY BOIS CHAPET et ses associés, les sociétés QUARTUS RESIDENTIEL et TAFFET, en payement du solde du prix de ses prestations.

Par dernières conclusions, notifiées électroniquement le 1er novembre 2023, la société TERRATER demande au tribunal, au visa des articles 12 et 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, de l’article L.211-2 du Code de la construction et de l’habitation , de :

CONSTATER le défaut de paiement subi par TERRATER, sous-traitant, ainsi que la liquidation judiciaire de la société ERMA,

A TITRE PRINCIPAL:

DIRE ET JUGER que TERRATER est bien fondée à exercer l’action directe prévue par l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 vis à vis de la société SCCV MENNECY BOIS CHAPET, maître d’ouvrage, et à invoquer à l’encontre de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET la délégation de paiement tripartite conclue en l’espèce

A TITRE SUBSIDIAIRE

CONSTATER que la société SCCV MENNECY BOIS CHAPET a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle en ne respectant pas les dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, et n’a jamais mis la société ERMA en demeure de régulariser la situation vis à vis de la société TERRATER, sous-traitante;

CONSTATER que le préjudice subséquent en résultant pour la société TERRATER, est indiscutable, consistant en la perte de la chance d’être payée, à hauteur du montant qui reste dû à la société TERRATER au titre du chantier considéré;

CONDAMNER la société SCCV MENNECY BOIS CHAPET à verser à la société TERRATER les sommes correspondant à la réparation de l’entier préjudice subi par TERRATER du fait de la faute de nature délictuelle commise par la société SCCV MENNECY BOIS CHAPET,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

JUGER que les sociétés SAS QUARTUS Résidentiel et SARL TAFFET, -associées de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, ont la qualité d’associées indéfiniment responsable de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET dont elles sont les associées ;

Par conséquent:

CONDAMNER solidairement les sociétés SCCV MENNECY BOIS CHAPET, SAS QUARTUS Résidentiel et SARL TAFFET à verser à la société TERRATER la somme de 28 260 euros correspondant au solde lui restant dû au titre du contrat de sous-traitance ayant prévu un montant forfaitaire global de 390 000 euros (390 000 – 361 740) ;

ORDONNER la capitalisation des intérêts au visa de l’article 1154 du Code civil;

ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel;

CONDAMNER les sociétés SCCV MENNECY BOIS CHAPET, SAS QUARTUS Résidentiel et SARL TAFFET à payer à la société TERRATER la somme de 2 000 euros chacune, au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER solidairement les sociétés SCCV MENNECY BOIS CHAPET, SAS QUARTUS Résidentiel et SARL TAFFET aux entiers dépens.

Par dernières conclusions, notifiées électroniquement le 1er novembre 2023, les sociétés SCCV MENNECY BOIS CHAPET, SAS QUARTUS Résidentiel et SARL TAFFET demandent au tribunal, au visa de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, des articles 1240 et 1353 du Code civil, de l’article L641-11-1 du code de commerce, de :

Dire et juger que la société TERRATER n’est pas fondée à invoquer l’application de la délégation de paiement tripartite conclue en l’espèce, à défaut d’avoir pu obtenir le visa du mandataire liquidateur de la société ERMA sur sa demande de paiement litigieuse conformément à l’article 2 de ladite délégation :

Dire et juger que la société TERRATER n’est pas recevable, ni bien fondée à engager une action directe de sous-traitante à l’encontre de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, faute d’avoir respecté la procédure prévue par l’article 12 de loi du 31 décembre 1975, ni de justifier d’une assiette pour son action ;

Dire et juger que la société TERRATER ne rapporte pas la preuve de la levée des dernières réserves afférentes à ses travaux, ni de la parfaite exécution de ses prestations;

Dire et juger que la SCCV MENNECY BOIS CHAPET n’a commis une faute ouvrant droit à dommages et intérêts sur le fondement des articles 14-1 alinéa 2 de la loi du 31 décembre,

Dire et juger que l’action de la société TERRATER à l’encontre des sociétés QUARTUS Résidentiel, SARL TAFFET et SCCV MENNECY BOIS CHAPET en paiement de la somme de 28.260 € est mal fondée ;

En conséquence,

Débouter la société TERRATER de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Condamner la société TERRATER à payer respectivement
à la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, à la société QUARTUS Résidentiel et à la société SARL TAFFET une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2024, l’audience de plaidoirie fixée au 30 octobre 2024, et l’affaire mise en délibéré au 03 décembre 2024, date du présent jugement.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voire « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l’objet d’une mention au dispositif.

1/ Sur la délégation de payement prévue à la convention tripartite du 14 février 2019

Aux termes de l’article 1336 du code civil, « la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur ».

L’article 2 de la délégation de payement du 14 février 2019 conclue entre la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, la SARL ERMA et SARL TERRATER stipule que « l’Entrepreneur donne ordre irrévocable au Maître d’Ouvrage de payer pour son compte le Sous-Traitant sur présentation de la facture du Sous-Traitant acceptée par l’Entrepreneur et visée par le Maître d’œuvre d’exécution du programme susvisé, et autorise en conséquence le Maître d’Ouvrage à déduire du montant de la situation de travaux du mois concerné par les livraisons et ou prestations de service, les sommes qu’il devra régler au Sous-Traitant pour son compte. Le montant des sommes à verser par le Maître d’Ouvrage sera limité au montant effectivement dû à l’Entrepreneur par le Maître d’Ouvrage ».

Il résulte des termes de cette délégation conventionnelle de payement que la présentation de la facture, acceptée par l’entrepreneur principal et visée par le maître d’œuvre, est une condition du payement par le maître d’ouvrage des prestations du sous-traitant directement à son profit.

En l’espèce, la SARL TERRATER ne produit pas de factures acceptées par la SARL ERMA, ou par l’organe en charge de sa liquidation à compter du 15 juillet 2019, et visée par KMA HABITAT, le maître d’œuvre.

La SARL TERRATER argue que la liquidation judiciaire de la SARL ERMA explique qu’elle ait failli à ses obligations en application de la délégation de payement.

Toutefois, aux termes de l’article L641-11-1 du code de commerce, « Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire. (…) Le liquidateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur »

Ainsi, le liquidateur judiciaire était tenu de poursuivre l’exécution de la délégation de payement en acceptant les factures du sous-traitant de la SARL ERMA pour permettre leur règlement par le maître d’ouvrage.

Dans ce cadre, la société CEB, en charge de la clôture des chantiers pour le compte de Maître [Z], liquidateur judiciaire de la SARL ERMA, a d’ailleurs accepté, postérieurement au jugement de liquidation, la facture de la SARL TERRATER du 20 mai 2019 pour un montant total de 361.740€.

Or, la SARL TERRATER ne justifie pas d’avoir sollicité des organes en charge de la liquidation judiciaire de la SARL ERMA l’acceptation de la facture correspondant au solde du prix de ses prestations et notamment du décompte du 15 juillet 2019 qu’elle produit et dont elle réclame par la présente procédure le payement au maître d’ouvrage.

Elle ne justifie pas non plus du visa par la société KMA HABITAT, maître d’œuvre d’exécution du chantier, de son décompte du 15 juillet 2019, produit au soutien de sa demande en payement.

Il en résulte que les conditions de la délégation conventionnelle de payement du 14 février 2019 ne sont pas réunies.

Le fait que la convention tripartite n’ait pas prévu le cas d’une liquidation judiciaire de l’entrepreneur principal, ainsi que le relève la demanderesse, est sans incidence sur l’application des dispositions d’ordre public de l’article L641-11-1 du code de commerce précité. Par ailleurs, la seule acceptation du devis d’un montant de 390.000€ par la SARL ERMA ne peut se substituer à l’acceptation des factures par l’entrepreneur exigée par l’article 2 de la convention précitée.

En conséquence, la SARL TERRATER est déboutée de sa demande de payement à ce titre.

2/ Sur l’action directe du sous-traitant à l’égard du maître d’ouvrage prévue par la loi du 31 décembre 1975

Aux termes de l’article 12 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, « le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l’ouvrage.
Toute renonciation à l’action directe est réputée non écrite.
Cette action directe subsiste même si l’entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites. »

Ainsi, l’action directe contre le maître d’ouvrage, en payement des sommes dues en vertu d’un contrat de sous-traitance, est conditionnée par la délivrance préalable d’une mise en demeure à l’entrepreneur principal.

En l’espèce, la SARL TERRATER ne justifie pas de mise en demeure, préalable à son action, délivrée à la SARL ERMA ou aux organes de liquidation judiciaire de cette société. Elle ne justifie d’ailleurs pas de sa déclaration de créances auprès de Maître [Z], liquidateur de la SARL ERMA, ni de l’éventuelle fixation de cette créance au passif de la procédure collective.

Il en résulte que la condition de délivrance préalable d’une mise en demeure à la SARL ERMA ou aux organes de sa liquidation judiciaire n’est pas remplie.

En conséquence, la SARL TERRATER est déboutée de sa demande au titre de l’action directe.

3/ Sur la responsabilité délictuelle de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET

En l’espèce, la SARL TERRATER reproche à la SCCV MENNECY BOIS CHAPET la violation des dispositions de l’article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 en ce qu’elle n’a pas mis en demeure l’entrepreneur principal de respecter son obligation de payement à l’égard de son sous-traitant.

Aux termes de l’article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, « pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
– le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations. Ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et privés ;
– si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution ».

Il résulte de ces dispositions que :
– l’alinéa 1er n’est pas applicable si le sous-traitant a fait l’objet d’une acceptation et d’un agrément de ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage ;
– l’alinéa 2 n’est pas applicable lorsque le sous-traitant accepté bénéficie d’une délégation de payement.

Or, en l’espèce, il est constant que la SARL TERRATER a été acceptée par la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, que ses conditions de payement ont été agréées et qu’elle a bénéficié d’une délégation de payement. Il en résulte que les dispositions qu’elle invoque ne lui sont pas applicables.

L’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1974 n’étant pas applicable en l’espèce la SARL TERRATER ne peut tirer de sa prétendue violation une faute commise par la SCCV MENNECY BOIS CHAPET.

Au surplus, les dispositions précitées ne mettent pas à la charge du maître d’ouvrage une obligation générale de vérification de l’exécution par son entrepreneur principal de son obligation de payement à l’égard de ses sous-traitants.

La SARL TERRATER ne peut donc reprocher à la SCCV MENNECY BOIS CHAPET de ne pas avoir mis en demeure la SARL ERMA de payer son sous-traitant en violation de ces dispositions.

En conséquence, la SARL TERRATER échoue à démontrer l’existence d’une faute commise par la SCCV MENNECY BOIS CHAPET susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle.

Elle est déboutée de sa demande à ce titre.

4/ Sur les demandes de condamnations de la SAS QUARTUS RESIDENTIEL et de la SARL TAFFET

En l’absence de condamnation de la SCCV MENNECY BOIS CHAPET, les demandes formulées à l’égard de ses associés deviennent sans objet.

5/ Sur les dispositions de fin de jugement

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

La SARL TERRATER qui succombe supportera la charge des entiers dépens.

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; (…)
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. »

En équité, eu égard à la situation économique des parties, la SARL TERRATER qui succombe sera condamnée à verser à chacune des défenderesses la somme de 1000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort;

DEBOUTE la SARL TERRATER de l’ensemble de ses demandes

CONDAMNE la SARL TERRATER aux dépens de la procédure

CONDAMNE la SARL TERRATER à verser à la SAS QUARTUS RESIDENTIEL, la SARL TAFFET et la SCCV MENNECY BOIS CHAPET la somme de 1.000 euros (mille euros) chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 10 Décembre 2024

Le Greffier Le Président


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