Responsabilité du vendeur et obligations du garagiste : enjeux et conséquences d’un vice caché dans la vente d’un véhicule

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Responsabilité du vendeur et obligations du garagiste : enjeux et conséquences d’un vice caché dans la vente d’un véhicule

Contexte de l’Affaire

Madame [N] [B] a acquis un véhicule CITROEN C3 HDI le 26 juillet 2019 pour un montant de 22 360 euros auprès de la société CFAO MOTORS Réunion. Elle a rapidement signalé des problèmes de conduite, notamment des bruits provenant du train avant et un comportement de « chasse ».

Expertises et Contrôles Techniques

Suite à ses plaintes, une expertise amiable a été réalisée par BCA à la demande de son assureur. En novembre 2020, un contrôle technique volontaire a révélé deux défaillances majeures, dont une incohérence entre l’angle du volant et celui des roues. Madame [B] a également fait appel à un expert privé, Monsieur [C] [H].

Intervention de CFAO MOTORS

La société CFAO a remplacé la colonne de direction complète le 4 octobre 2022, dans le cadre de la garantie du véhicule. Ce remplacement a été effectué après plusieurs interventions et diagnostics sans succès.

Procédure Judiciaire

Le 22 mai 2023, Madame [B] a assigné CFAO MOTORS devant le tribunal judiciaire pour obtenir une indemnisation de ses préjudices. Elle a formulé plusieurs demandes, incluant la remise en état du véhicule et le remboursement de divers frais liés à la vente et aux vices cachés.

Réponse de CFAO MOTORS

Dans ses dernières écritures, la SAS CFAO MOTORS a demandé le rejet des demandes de Madame [B], arguant que l’existence d’un vice caché n’était pas prouvée et que le véhicule n’avait jamais été en panne. Elle a également contesté la justification des préjudices demandés.

Décision du Tribunal

Le tribunal a reconnu la responsabilité contractuelle de CFAO MOTORS en tant que garagiste, en raison de son incapacité à identifier le défaut du véhicule. Il a accordé à Madame [B] une indemnisation de 905 euros pour préjudice matériel et 500 euros pour préjudice moral, tout en rejetant les autres demandes d’indemnisation.

Condamnation aux Dépens

La société CFAO MOTORS a été condamnée à payer les dépens de l’instance et à verser 2 000 euros à l’avocat de Madame [B] pour les frais non compris dans les dépens, conformément à la législation en vigueur.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
RG
23/01794
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS

MINUTE N°
1ERE CHAMBRE
AFFAIRE N° RG 23/01794 – N° Portalis DB3Z-W-B7H-GLAO

NAC : 50D

JUGEMENT CIVIL
DU 29 OCTOBRE 2024

DEMANDERESSE

Mme [N] [V] [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Rep/assistant : Me Florent MALET, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/000714 du 17/02/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de ST PIERRE REUNION)

DÉFENDERESSE

S.A.S. CFAO MOTORS RÉUNION
[Adresse 1]
[Localité 4]
Rep/assistant : Me Pierre HOARAU, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Copie exécutoire délivrée le : 29.10.2024
CCC délivrée le :
à Me Pierre HOARAU, Me Florent MALET

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Le Tribunal était composé de :

Madame Sophie PARAT, Juge Unique
assistée de Madame Isabelle SOUNDRON, greffière

LORS DES DÉBATS

L’affaire a été évoquée à l’audience du 16 Septembre 2024.

LORS DU DÉLIBÉRÉ ET DU PRONONCÉ

A l’issue des débats, les parties présentes et leurs conseils ont été avisés que le jugement serait mis à leur disposition le 29 Octobre 2024.

JUGEMENT : Contradictoire, du 29 Octobre 2024 , en premier ressort

Prononcé par mise à disposition par Madame Sophie PARAT, Vice-présidente assistée de Madame Isabelle SOUNDRON, greffière

En vertu de quoi, le Tribunal a rendu le jugement dont la teneur suit :

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [N] [B] a acheté le 26 juillet 2019 un véhicule CITROEN C3 HDI, immatriculé [Immatriculation 5], au prix de 22 360 euros, auprès de la société CFAO MOTORS Réunion.

Elle s’est plaint d’un ressenti de conduite lié au train avant qui faisait du bruit et qui “chassait”.

Une expertise amiable a été organisée à l’initiative de son assureur, par BCA .

Puis, elle a fait procéder à un contrôle technique volontaire de son véhicule en novembre 2020, qui a relevé deux défaillances majeures, dont une incohérence entre l’angle du volant et l’angle des roues.

Elle a enfin sollicité Monsieur [C] [H] comme expert privé.

La société CFAO remplaçait la colonne de direction complète le 4 octobre 2022, au titre de la garantie du véhicule.

C’est dans ce contexte que, par acte de commissaire de justice en date du 22 mai 2023, Madame [N] [B] a assigné la SAS CFAO MOTORS Réunion devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir notamment l’indemnisation de ses préjudices.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 7 mars 2024, elle demande au tribunal de:
– CONDAMNER la société CFAO MOTORS RÉUNION à garantir à Madame [N] [V] [B] la remise en état du véhicule effectuée le 04 octobre 2022,
– CONDAMNER la société CFAO MOTORS RÉUNION à payer à Madame [N] [V] [B] la somme totale de 14.776,02 € au titre des frais qu’elle a été contrainte d’engager consécutivement à la vente et de son entier préjudice résultant des vices cachés et du manquement de la société CFAO MOTORS RÉUNION à son obligation de résultat, se décomposant comme suit :
– 845,00 € au titre du remboursement des frais d’expertise amiable et contradictoire ;
– 80,00 € au titre du remboursement des frais de remorquage ;
– 30,00 € au titre du remboursement des frais de diagnostic du Top Garage ECASJ ;
– 309,00 € au titre du remboursement de l’intervention de GT ROUES EXPRESS;
– 60,00 € au titre du remboursement du PV de contrôle technique volontaire ;
– 2.040,62 € au titre du remboursement des frais d’assurance pendant l’immobilisation du véhicule de juin 2020 à octobre 2022 ;
– 941,40 € au titre du remboursement des intérêts d’emprunt pendant l’immobilisation du véhicule de juin 2020 à octobre 2022, soit 34,87 € par mois d’intérêts ;
– 8.470,00 € au titre du préjudice de jouissance et d’immobilisation à parfaire au jour des restitutions réciproques, soit 10 euros par jour pendant 847 jours du 09 juin 2020, date de l’immobilisation, au 04 octobre 2022, date de restitution du véhicule;
– 2.000,00 € au titre du préjudice moral et psychologique subi par Madame [B];
– RAPPELER que la décision à intervenir est assortie de l’exécution provisoire,
– CONDAMNER la société CFAO MOTORS RÉUNION à payer à Me Florent MALET la somme de 3.500,00 € au titre de frais et honoraires non compris dans les dépens sur le fondement de l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10/07/1991, outre les entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir d’une part que le véhicule serait affecté d’un vice caché, démontré selon elle par le rapport d’expertise de monsieur [H] mais encore par le remplacement de la crémaillère de direction que la société CFAO a finalement accepté de prendre en charge. Elle soutient d’autre part que la société CFAO Motors a manqué à son obligation de résultat en tant que garagiste, en ne parvenant pas à trouver l’origine de la panne malgré les quatre ordres de réparation signés entre août 2019 et juillet 2020. Elle souligne que c’est l’intervention de l’expert [H] qui a permis d’aboutir à la prise en charge par la société défenderesse du remplacement de la direction.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 7 décembre 2023, la SAS CFAO MOTORS Réunion demande au tribunal de débouter madame [B] de l’ensemble de ses demandes, de la condamner aux dépens ainsi qu’à lui verser 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

En défense, elle soutient que l’existence d’un vice caché ne saurait résulter du seul rapport d’expertise privé de monsieur [H], qui n’est corroboré par aucun autre élément de preuve. Elle fait encore valoir que sa responsabilité ne saurait être engagée au titre d’un manquement à son obligation de résultat, le véhicule n’ayant jamais été en panne. Elle souligne encore que l’ensemble des préjudices dont il est demandé réparation ne sont pas justifiés, le véhicule n’ayant jamais été immobilisé comme le prétend la demanderesse.

Pour le surplus des moyens et arguments développés par les parties, il convient de renvoyer à leurs dernières écritures, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 9 septembre 2024, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et autorisé les parties à déposer leur dossier le 16 septembre 2024. Les parties ont été informées que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’action estimatoire au titre de la garantie des vices cachés:

Aux termes de l’article 1641 du code civil: “Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.”

Aux termes de l’article 1644 du même code : “Dans le cas des articles 1641 et 1643, l’acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.”

Enfin, aux termes des articles 1645 et 1646 du même code: “Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur” et “Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu’à la restitution du prix, et à rembourser à l’acquéreur les frais occasionnés par la vente.”

En l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne sollicite pas, aux termes de ses dernières écritures, la restitution d’une partie du prix, mais se contente de demander l’indemnisation de divers préjudices.

Néanmoins, cela implique de démontrer, outre l’existence d’un vice caché antérieur à la vente, que la société CFAO connaissait l’existence de ce vice au moment de la vente. Or, à aucun moment dans ses écritures, la demanderesse ne démontre que le vendeur aurait eu connaissance de ce vice. Par conséquent, sans même qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un vice caché, ce moyen ne saurait prospérer.

Sur la responsabilité contractuelle de CFAO Motors en sa qualité de garagiste:

Aux termes de l’article 1217 du code civil : “La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.”

Aux termes de l’article 1231-1 du code civil : “Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.”

Le garagiste est tenu à une obligation de moyens renforcée, la faute étant présumée, ainsi que le lien de causalité entre la faute et le dommage.

En l’espèce, il est établi que la demanderesse a confié son véhicule aux ateliers de la société CFAO en septembre 2019, notamment pour un bruit de train (la mention manuscrite qui suit est illisible: AR ou AV?), puis en novembre 2019 notamment pour un bruit de train avant, puis à nouveau en juillet 2020 pour notamment un bruit de train avant (l’ordre de réparation précisant “essai à faire”), un sifflement, un claquement et le véhicule qui tire.

Il ressort encore du procès-verbal de contrôle technique volontaire en date du 3 novembre 2020 que le véhicule présentait une incohérence entre l’angle du volant et l’angle des roues, ce qui tend à démontrer l’existence d’un problème de direction.

Ce problème de direction a fait l’objet de divergences de perception entre les experts mandatés par les parties, lors des essais réalisés le 3 septembre 2020 (pièce 1 de la défenderesse et 13 de la demanderesse).

Il est encore établi que ce n’est finalement qu’en octobre 2022 que la société CFAO a procédé au remplacement de la colonne de direction complète, au titre de la garantie du véhicule: la garantie légale étant expirée le 26 juillet 2021, la prise en charge de ces travaux implique la reconnaissance que le défaut du véhicule était bien antérieur à l’expiration de la garantie.

Ainsi, l’ensemble de ces éléments démontrent que CFAO a manqué à son obligation contractuelle en n’identifiant pas le défaut du véhicule de madame [B]: il a fallu en effet plus de trois ans pour que la colonne de direction soit remplacée, après que madame [B] a fait réaliser un contrôle technique spontané de son véhicule et qu’elle a sollicité un expert privé.

La responsabilité contractuelle de la société CFAO MOTORS, en tant que garagiste, est donc engagée, et elle sera tenue de réparer les préjudices qui en découlent pour madame [B].

Sur ce point, pour la plupart des sommes sollicitées, elles sont soit sans lien avec la faute du garagiste (frais de remorquage, frais de diagnostic du Top Garage ECASJ, intervention de GT ROUES EXPRESS), soit injustifiées (le coût de l’assurance et du crédit ainsi qu’un préjudice de jouissance durant la prétendue immobilisation qui n’a en réalité jamais existé, puisque le véhicule a toujours été roulant).

Il sera donc fait droit seulement à la somme de 60€ au titre du remboursement du PV de contrôle technique volontaire et 845€ au titre du remboursement des frais d’expertise amiable et contradictoire, ces démarches s’étant avérées nécessaires pour aboutir à la prise en charge de la réparation par CFAO. En outre, une somme de 500 euros sera allouée au titre du préjudice moral.

Enfin, s’agissant de la demande de garantir la demanderesse pour la remise en état effectuée le 4 octobre 2022, qui n’est ni motivée ni fondée en droit, elle sera rejetée.

Sur les dépens, les frais irrépétibles et l’exécution provisoire

La société défenderesse, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens, ainsi qu’à verser à l’avocat de la demanderesse la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

JUGE que la SAS CFAO MOTORS a engagé sa responsabilité contractuelle en tant que garagiste,

CONDAMNE la SAS CFAO MOTORS à payer à Madame [N] [B] la somme de 905 (neuf cent cinq) euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice matériel, et 500 (cinq cents) euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

REJETTE les autres demandes indemnitaires,

REJETTE toutes les autres demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SAS CFAO MOTORS Réunion aux dépens de l’instance,

CONDAMNE la SAS CFAO MOTORS à payer à Maître Florent MALET la somme de 2 000 (deux mille) euros au titre des frais non compris dans les dépens, en application de l’article 37 alinéa 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique,

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit,

La greffière La présidente


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