Responsabilité du prêteur en matière de vérification des documents contractuels

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Responsabilité du prêteur en matière de vérification des documents contractuels

La SA Financo a accordé un prêt de 16.000 euros à M. et Mme [G] pour financer l’achat de fenêtres auprès de la société Modus Vivendi, avec un remboursement prévu en 156 mensualités. Après des impayés, Financo a assigné les époux en paiement en 2013. Le tribunal a suspendu la procédure en attendant l’issue d’une affaire pénale contre Modus Vivendi, reconnue coupable de pratiques commerciales trompeuses. En 2019, le tribunal a annulé le contrat de vente et le contrat de crédit, déboutant Financo de ses demandes. Financo a fait appel, contestant la nullité des contrats et demandant le remboursement du capital. Les époux [G] ont confirmé le jugement, arguant que leur consentement avait été vicié et que le contrat de prêt était falsifié. Le liquidateur judiciaire de Modus Vivendi a été signifié de l’appel, sans constituer avocat. La procédure a été clôturée en octobre 2023.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel de Dijon
RG
21/01404
S.A. FINANCO

C/

[I] [T] épouse [G]

[X] [G]

[O] [Z]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2024

N° RG 21/01404 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FZ3W

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 30 juillet 2021,

rendue par le tribunal judiciaire de Chaumont – RG : 11-13-192

APPELANTE :

S.A. FINANCO agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis :

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me François-Xavier MIGNOT, membre de la SARL CANNET – MIGNOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 81

assisté la SELARL INTERBARREAUX PARIS – LILLE, HAUSSMANN KAINIC HASCOËT HÉLAIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Madame [I] [T] épouse [G]

Monsieur [X] [G]

demeurant tous deux : [Adresse 2] – [Localité 4]

représentés par Me Céline GROMEK, membre de la SELARL BOCQUILLON-BOESCH-GROMEK, avocat au barreau de HAUTE-MARNE

Maître [O] [Z] es qualité de mandataire liquidateur de la Société MODUS VIVENDI.

[Adresse 5]

[Localité 3]

non représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 16 novembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Sophie BAILLY, Conseiller,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

Après rapport fait à l’audience par l’un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 25 Janvier 2024 pour être prorogée au 28 Mars, puis au 16 Mail, puis au 27 Juin, puis au 05 Septembre 2024,

ARRÊT : réputé contradictoire,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Selon offre préalable acceptée le 3 septembre 2010, la SA Financo a prêté à M . [X] [G] et Mme [I] [T] épouse [G] un capital de 16.000 euros destiné à financer la fourniture et la pose de fenêtres par la société Modus Vivendi. Le prêt était stipulé remboursable en 156 mensualités égales de 199,10 euros moyennant un taux d’intérêts effectif global de 6, 89 % l’an.

Se prévalant de mensualités impayées, la société Financo a fait assigner les époux [G] en paiement du solde du prêt devant le tribunal d’instance de Chaumont par acte de 31 mai 2013.

Après jugements avant dire droit des 14 avril 2014 et 23 juillet 2014 et par un nouveau jugement avant dire droit du 4 mars 2016, le tribunal d’instance de Chaumont a sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours à l’encontre de la société Modus Vivendi.

Par jugement du 29 mai 2015, confirmé par arrêt du 15 juin 2017, le tribunal correctionnel de Chaumont a déclaré la société Modus Vivendi coupable de pratiques commerciales trompeuses à l’encontre de Mme [T].

Par un jugement du 23 novembre 2019, elle a été condamnée à indemniser Mme [T] à concurrence de 5500 euros.

Sur la reprise de l’instance, le tribunal judiciaire de Chaumont a, par jugement du 30 juillet 2021 :

– constaté l’intervention volontaire de Maitre [O] [Z], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi ;

– prononcé la nullité du contrat de vente conclu entre Mme [I] [T] et M. [X] [G] et la société Modus Vivendi ;

– prononcé la nullité du contrat de crédit ;

– débouté la SA Financo de ses autres demandes ;

– débouté Mme [I] [T] et M. [X] [G] de leur demande de dommages et intérêts ;

– condamné la SA Financo au paiement à Mme [I] [T] et M. [X] [G] de la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la SA Financo aux entiers dépens ;

– dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire.

Suivant déclaration au greffe du 29 octobre 2021, la société Financo a relevé appel de cette décision en ce qu’elle a :

– prononcé la nullité du contrat de vente conclu entre Mme [I] [T] et M. [X] [G] et la société Modus Vivendi ;

– prononcé la nullité du contrat de crédit ;

– débouté la SA Financo de ses demandes en paiement ;

– condamné la SA Financo au paiement à Mme [I] [T] et M. [X] [G] de la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la SA Financo aux entiers dépens.

Prétentions et moyens de la société Financo :

Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 21 juin 2023, la société Financo demande à la cour de :

– déclarer la SA Financo recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,

– y faisant droit,

– infirmer le jugement dont appel sur les conséquences de la nullité des conventions,

– statuant à nouveau,

– condamner solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [G] née [T] à rembourser à la SA Financo le capital emprunté d’un montant de 16.000 euros au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, en l’absence de faute et en toute hypothèse en l’absence de préjudice et de lien de causalité,

– en tout état de cause :

– condamner solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [G] née [T] à payer à la SA Financo une indemnité d’un montant de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [G] née [T] aux entiers dépens.

La société Financo conteste avoir commis une faute la privant de sa créance de restitution du capital emprunté résultant de la nullité des conventions.

Elle soutient qu’en sa qualité de prêteur de deniers et à défaut de s’y être expressément engagée contractuellement, elle n’avait pas à vérifier la pleine exécution du contrat de prestations de service ; que la prestation financée ne présentait aucune complexité, qu’elle a libéré les fonds sur présentation d’une attestation de livraison et d’un procès-verbal de réception ; que ces documents étaient suffisamment précis pour lui fournir la certitude de la bonne exécution de l’opération financée.

Elle fait valoir que les emprunteurs ayant régularisé ces documents ne peuvent prétendre ne pas avoir reçu satisfaction pour s’opposer à la demande en paiement et qu’étant solidairement engagés au remboursement du prêt, la signature de l’un engage son coobligé.

Elle estime que les signatures apposées sur ces documents sont similaires et qu’il ne lui appartenait pas de procéder à une vérification approfondie.

Elle considère enfin que les emprunteurs ne font pas la preuve d’un préjudice, ni la démonstration d’un lien de causalité.

Prétentions et moyens des époux [G]  :

Selon leurs conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2023, M. et Mme [G] entendent voir :

– confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

à titre subsidaire,

– constater que le document versé aux débats par la société Financo, comme correspondant à l’offre préalable de crédit, ne correspond pas à l’original laissé aux époux [G],

– constater que les signatures figurant sur l’exemplaire versé aux débats par la société Financo sont manifestement falsifiées,

– constater qu’en tout état de cause les sommes ne correspondent pas,

– constater que le contrat de prêt versé aux débats par Financo, qui est un faux avéré, ne saurait engager les époux [G],

– dire et juger que la faute de la SA Financo la prive de son droit à remboursement du capital,

en conséquence,

– débouter la société Financo de toutes ses demandes, fins ou conclusions,

en tout état de cause,

– condamner la SA Financo à payer aux époux [G] la somme de 3.000 euros au

titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

– laisser les entiers dépens, de première instance et d’appel, à la charge de la SA Financo.

Les époux [G] font valoir que leur consentement au contrat conclu avec la société Modus Vivendi a été vicié justifiant la nullité de ce contrat et du contrat de prêt et que ce dernier a en outre été falsifié, leur exemplaire ne correspondant pas à celui produit par la société Financo.

Ils soutiennent que cette dernière a commis une faute de nature à écarter son droit au remboursement du capital au motif qu’elle ne s’est pas assurée, avant de libérer les fonds, que le vendeur avait exécuté ses obligations contractuelles à l’égard de l’emprunteur, le procès verbal de réception étant insuffisamment renseigné, ni que les documents qui lui étaient fournis étaient bien signés par l’emprunteur alors que Mme [T] ne les a jamais signés.

Prétentions et moyens de Me [Z], ès qualités :

La déclaration d’appel a été signifiée le 26 janvier 2022 à Me [Z], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi, qui n’a pas constitué avocat devant la cour, dont la décision sera rendue par défaut.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la faute de la société Financo :

La nullité du contrat principal de vente conclu entre Mme [I] [T], M. [X] [G] et la société Modus Vivendi et celle du contrat interdépendant de prêt ne sont plus remises en cause par la société Financo dans ses dernières écritures devant la cour.

Il résulte des pièces produites que la société Financo a versé les fonds prêtés à la société Modus Vivendi sur la foi d’un procès verbal de réception et d’une demande de financement établis au nom de Mme [I] [T] et signés le 30 novembre 2011.

Cette dernière conteste avoir signé ces documents et soutient que le prêteur de deniers a ainsi commis une faute la privant de son droit à remboursement.

Bien que Mme [T] dénie sa signature, il apparaît que celle apposée sur les documents invoqués pour justifier la libération des fonds correspond en tous points à celle figurant sur l’exemplaire du contrat de prêt remis aux emprunteurs et qu’ils versent aux débats, ainsi qu’à celle du courrier adressé par Mme [T] à la société Financo pour solliciter la suspension des échéances.

Mme [T] et M. [G] étant coobligés solidaires au titre du prêt et se représentant mutuellement, la société Financo n’avait pas à vérifier l’accord du second des emprunteurs, valablement engagé par ces signatures.

La comparaison des signatures du procès verbal de réception et de la demande de financement avec les deux signatures figurant sur l’exemplaire de prêt resté en la possession de la société Financo fait apparaître une dissemblance qui aurait dû retenir l’attention du prêteur dans sa vérification des conditions de réalisation du prêt.

En acceptant de libérer les fonds sur la base de documents comportant une signature différente de celles figurant sur son exemplaire de l’offre acceptée, le prêteur a commis une faute en ne s’assurant pas que la demande de paiement émanait bien des emprunteurs.

Il est cependant de principe que le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, ne se voit pas privé de sa créance de restitution des fonds prêtés, mais engage sa responsabilité à l’égard de l’emprunteur et peut être conduit à l’indemniser de ses préjudices en résultant.

Or, si les époux [G] invoquent le fait que les travaux de pose de fenêtres n’ont pas été terminés, ils ne justifient d’aucun coût d’achèvement qu’ils auraient supporté.

Les discordances qu’ils relèvent entre les conditions financières figurant dans les deux exemplaires de l’offre et relatives au coût total du crédit, sont quant à elles sans incidence sur le montant du capital emprunté, seul concerné par la restitution, alors que par ailleurs, les époux [G] n’ont honoré aucune échéance de remboursement et n’ont donc versé aucune somme au titre des intérêts contractuels.

Les époux [G] ne font la démonstration d’aucun préjudice résultant du défaut de vérification de la bonne exécution du contrat principal par le prêteur de deniers et ne peuvent prétendre à indemnisation et compensation avec la créance de restitution des fonds.

Ils doivent en conséquence restituer le capital prêté par la société Financo et par infirmation du jugement de première instance, ils seront condamnés au paiement de la somme de 16.000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Chaumont en ce qu’il a :

– débouté la SA Financo de sa demande en paiement de la somme de 16.000 euros,

– condamné la SA Financo au paiement à Mme [I] [T] et M. [X] [G] de la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la SA Financo aux entiers dépens,

statuant à nouveau,

Condamne solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [T] épouse [G] à payer à la SA Financo la somme de 16.000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [T] épouse [G] aux dépens de première instance,

Déboute la SA Financo de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,

y ajoutant,

Condamne solidairement M. [X] [G] et Mme [I] [T] épouse [G] aux dépens de l’instance d’appel,

Déboute la SA Financo de ses demandes à hauteur d’appel fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


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