Responsabilité du Notaire : 9 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 16/00907

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Responsabilité du Notaire : 9 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 16/00907
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délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 09 FEVRIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 16/00907 – N° Portalis DBVK-V-B7A-MPFK

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 28 décembre 2015

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEZIERS

N° RG 12/02322

APPELANT :

Monsieur [X] [P]

né le [Date naissance 4] 1947 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 2] (ESPAGNE)

Représenté par Me Frédéric VERINE de la SCP TRIAS, VERINE, VIDAL, GARDIER LEONIL, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEES :

Madame [A] [Z] [E]

née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 13] (ALGÉRIE)

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Adresse 6]

[Localité 14] (ESPAGNE)

Représentée par Me Elisabeth REY de la SCP BECQUE-DAHAN-PONS-SERRADEIL- CALVET-REY, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

Société JOURFIER & [K]

[Adresse 16]

[Localité 8]

Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP D’AVOCATS BRUGUES – LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l’audience par Me Hélène BAUMELOU, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 30 Mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Thierry CARLIER, Conseiller et Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président de chambre

M. Fabrice DURAND, Conseiller

Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du premier président du 1er décembre 2021

Greffier, lors des débats : Mme Camille MOLINA

ARRET :

– contradictoire.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour fixée au 23 juin 2022 prorogée au 29 septembre 2022, au 1er décembre 2022 puis au 09 février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

– signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. [X] [P] et Mme [A] [E] se sont mariés en France le [Date mariage 5] 1968 sous le régime légal de la communauté de biens, à défaut de contrat établi préalablement à leur union.

Les époux résidant en Espagne, leur divorce a été prononcé par jugement du 7 mars 2012 rendu par le juge de première instance de Figueras.

Mme [A] [E] estimant n’avoir pas été informée de la cession de plusieurs actifs du patrimoine commun notamment par actes reçus par la SCP de notaires [I]-[V] a assigné, par exploits des 6 juillet 2012, M. [X] [P] et la SCP de notaires [I]-[V] devant le tribunal de grande instance de Béziers.

Par ordonnance du 10 octobre 2013 le juge de la mise en état de Béziers, a ordonné une expertise graphologique et désigné Mme [G] [U], qui a déposé son rapport le 14 mai 2014.

Par jugement contradictoire du 28 décembre 2015, le tribunal a :

– homologué les conclusions du rapport d’expertise de Mme [G] [U] ;

– dit que M. [X] [P] a détourné des actifs de la communauté en employant des man’uvres dolosives ;

– condamné M. [X] [P] à payer à Mme [A] [E] la somme de 80 000 euros portant intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation ;

– condamné M. [X] [P] à payer à Mme [A] [E] la somme de 5 000 euros en réparation de ses agissements frauduleux ;

– dit que la SCP Jourfier-Bourjade-Aris a commis une faute de nature contractuelle de nature à engager sa responsabilité ;

– condamné la SCP [I]-Aris à payer à Mme [A] [E] la somme de 5 000 euros au titre de la perte de chance ;

– rejeté toutes demandes contraires ou plus amples des parties ;

– condamné solidairement M. [X] [P] et la SCP [I]-[V] à payer à Mme [A] [E] une somme complémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné solidairement M. [X] [P] et la SCP [I]-Aris aux entiers dépens de l’instance ;

– rejeté la demande d’exécution provisoire.

Le 5 février 2016, M. [X] [P] a interjeté appel de ce jugement à l’encontre de Mme [A] [E] et de la SCP de notaires Jourfier-Bourjade-Aris.

La SCP Jourfier-Bourjade-Aris a formé appel incident, de même que Mme [A] [E].

Par requête remise au greffe le 10 décembre 2018, Mme [A] [E] a saisi le conseiller de la mise en état d’un incident à l’effet d’enjoindre à M. [X] [P] de communiquer l’original d’un acte de cession de parts de la SCI Malex du 29 juin 2011 sous astreinte, et d’ordonner une expertise graphologique de cet acte afin de vérifier la signature apposée, dont elle conteste être l’auteur.

Par ordonnance du 10 décembre 2019, le conseiller chargé de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces, l’acte en question n’étant pas en possession de M. [X] [P] et a ordonné une expertise en écriture, désignant pour y procéder Mme [Y] [H] avec mission de :

– convoquer les parties ;

– se faire remettre par les parties tous documents utiles à l’accomplissement de sa mission et notamment tout écrit ayant été rédigé de manière manuscrite par Mme [A] [E] à l’époque de l’acte litigieux du 29 juin 2011 ;

– consulter l’original de l’acte litigieux du 29 juin 2011 ;

– dire si la signature figurant sur l’acte de cession de parts sociales de la société Malex du 29 juin 2011 est celle de Mme [A] [E] ou s’il s’agit d’une imitation ;

– faire toutes observations utiles au règlement du litige.

L’expert a déposé son rapport le 11 septembre 2020 et les parties ont été invitées à conclure en lecture de celui-ci.

Vu les conclusions de Mme [A] [E] remises au greffe le 1er juin 2021 ;

Vu les conclusions de la SCP Jourfier-Bourjade-Aris remises au greffe le 5 juillet 2021 ;

Vu les conclusions de M. [X] [P] remises au greffe le 4 août 2021.

MOTIFS

Procédure,

Sur la compétence,

M. [X] [P] conclut, pour la première fois en appel, à titre principal, à l’incompétence territoriale et rationae materiae de la cour au visa de l’article 1070 du code de procédure civile et de demande de débouter Mme [E] de son action en la renvoyant à mieux se pourvoir dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial devant la juridiction espagnole.

En application de l’article L. 213-3, 1° et 2°, du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 : le juge aux affaires familiales connaît :

1° De l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, des demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal de grande instance et du juge des tutelles des majeurs ;

2°Du divorce, de la séparation de corps et de leurs conséquences, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d’absence.

Selon l’article 1070 du code de procédure civile le juge aux affaires familiales territorialement compétent est:

– le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille;

– si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité;

– dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n’a pas pris l’initiative de laprocédure.

En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l’une ou l’autre.

Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution

à l’entretien et l’éducation de l’enfant, la contribution aux charges du mariage ou la

prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l’époux

créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même

majeurs.

La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou,en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée.

Aux termes de l’article 44 du même code “en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente”.

L’article 46 du même code dipose que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :

– en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service;

– en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi;

– en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble;

– en matière d’aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier.

Selon les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français, celle-ci se détermine par l’extension des règles de compétence interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations.

En l’espèce, M. [X] [P] et Mme [A] [E] se sont mariés en France le [Date mariage 5] 1968 sous le régime légal de la communauté de biens, à défaut de contrat établi préalablement à leur union.

Leur divorce a été prononcé par jugement du 7 mars 2012 rendu par le juge de première instance de Figueras qui entérine la convention signée le 7 avril 2010.

A la suite d’une requête en date du 30 décembre 2010 le divorce de M. [X] [P] et de Mme [A] [E] a été prononcé par jugement du 7 mars 2012 du juge de première instance de Figueras devenu définitif, selon attestation du greffe dudit tribunal du 8 octobre 2012.

Le jugement entérine la convention signée le 7 avril 2010, qui règle les conséquences de leur divorce et fixe les modalités d’attribution de leurs biens meubles et immeuble, en stipulant notamment “en ce qui concerne le domicile conjugal sis à [Adresse 15](..) les conjoints décident de le mettre en vente 1 200 000 euros et de se partager cette somme par moitié afin de liquider leur communauté”, ces derniers décidant d’y vivre jusqu’à sa vente, sa surface permettant d’y mener des vies séparées.

Selon l’attestation de l’avocat espagnol de M. [X] [P], la vente du domicile conjugal est intervenue et le prix a été partagé.

Si M. [X] [P] produit une sommation de communiquée établie en veille d’audience de divorce, faisant état de la découverte des cessions de parts et de l’immeuble à [Localité 8], il n’est pas démontré que ces documents aient été communiqués et soumis à l’appréciation du juge espagnol tel que le soutient M. [X] [P], aucune conclusion ou argumentation concernant ces biens n’étant produits, le tribunal ayant statué sur la convention signée par les ex-époux le 7 avril 2010.

La demande de Mme [A] [E] concerne une action en responsabilité à l’encontre de [X] [P] du fait de la falsification de documents permettant la cession de parts d’une société immobilière et d’immeubles se situant en France, à [Localité 8] dont la plus part des actes mentionnent l’ adresse de M. [X] [P] et Mme [A] [E] au [Adresse 7]) et désignés comme résidents au sens de la réglementation fiscale, qui lui ont été dissimulés, qui n’a pas été tranchée par le jugement de divorce et la convention de liquidation de la communauté.

Si les opérations de vente d’immeuble et de cessions de parts au moyen de procurations ont été réalisées, avant l’audience de la procédure de divorce intervenue le 22 novembre 2011, elles n’ont pas été tranchées par le jugement de divorce qui a entérinné la convention établissant les mesures réglant la dissolution du lien marital du 7 avril 2010 et qui est devenu définitif.

En conséquence, les immeubles se situant à [Localité 8] et les actes litigieux ayant été rédigés et enregistrés en France, notamment par l’intermédiaire d’un notaire français, la cour d’appel de Montpellier est compétente à connaître de ce litige.

Sur la saisine de la cour,

A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler » ou « dire et juger » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu’il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n’y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.

Sur le fond,

M. [X] [P] demande l’infirmation du jugement et conteste les conclusions des rapports d’expertise. Il fait valoir que Mme [A] [E] ne rapporte pas la preuve de l’imitation de sa signature pour l’acte de vente du 30 mai 2011 et pour l’acte de cession de parts du 29 juin 2011, ni qu’il ait appréhendé les sommes résultant de ces ventes. Il déclare apporter la preuve de l’absence de règlement du prix d’acquisition des parts sociales des 10 janvier et 1er février 2010. A titre subsidiaire il fait valoir que les cessions de parts sociales du 29 juin 2011 et la vente de l’immeuble, dont la SCI Malex était propriétaire, sont intervenues alors que le mariage n’était pas dissous. Il indique n’avoir reçu aucune somme concernant l’immeuble [Adresse 3], les fonds ayant été restitués au vendeur initial qui n’avait pas été réglé.

Mme [A] [E] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné M. [X] [P] au paiement de la somme de 80 000 euros au titre de la vente de l’immeuble et à titre incident, l’infirmation du jugement sur la vente des parts de la SCI Malex. Elle fait valoir que M. [X] [P] a procédé à l’acquisition en 2010 d’un ensemble immobilier sis [Adresse 3], revendu le 30 mai 2011 ainsi que des parts sociales de la SCI Malex, dont l’ensemble immobilier situé sis [Adresse 3], a été cédé le 9 juillet 2011 au moyen de procurations et signatures reconnues comme immitées et falsifiés par les expertises graphologiques ordonnées en première instance et en appel. Elle demande la condamnation solidaire de M. [X] [P] et du notaire la SCP [I]-[V] à lui régler les sommes de 80 000 euros, 92 400 euros et 30 000 euros.

Elle conclut à la responsabilité du notaire qui d’une part a procédé à la cession de l’immeuble propriété de la SCI Malex, en vertu d’une procuration comportant l’imitation de sa signature et d’autre part en recevant la vente de l’immeuble [Adresse 3], dont les fonds, n’ont pas transités par son étude, tant au moment de l’achat, qu’au moment de la vente, grâce à des procurations sans vérifir la signature falsifiée de la procuration et d’autre part à manqué à son devoir de conseil et de diligence. Elle considère que son préjudice ne peut être cantonné à sa seule perte de chance, estimant qu’elle doit être réparé du préjudice direct.

La SCP Jourfier-Bourjade-Aris, à titre incident, demande l’infirmation du jugement et conclut que le notaire n’a commis aucune faute. Elle précise qu’ il ne peut lui être reproché, de ne pas avoir décelé une fausse signature tenant le degré de ressemblance entre la signature imitée et la véritable, alors qu’elle ne disposait d’aucun élément suceptible de lui faire douter de la régularité de la signature et d’autre part de ne pas avoir fait transiter les fonds par son étude, n’étant pas responsable du choix des parties de procéder hors sa comptabilité. Elle fait valoir qu’il n’est démontré aucun lien de causalité avec l’appauvrissement du patrimoine commun, par Mme [A] [E] qui a contribué à son préjudice en avertissant pas le juge du divorce de ces détournements. Elle soutient que cette dernière ne justifie d’aucune perte de chance. Elleconclut qu’elle ne peut faire l’objet d’une condamnation solidaire. A titre subsidiaire, elle demande à être garantie par M. [X] [P].

Il ressort de l’examen des pièces, que par acte des 29 janvier et 1er février 2010 reçu par Maître [K], M. [X] [P] acquiert de M. [S] [W], 9 parts, représentant 75 % du capital de la SCI Malex, dont le siège est à [Adresse 9], propriétaire d’un immeuble situé à [Adresse 3] moyennant le prix de 6 400 euros réglé en dehors de la comptabilité du notaire.

Au terme d’une procuration signée le 16 février 2011, M. [X] [P] et Mme [A] [E] donnent mandat en qualité d’associés de la SCI Malex pour vendre l’immeuble, dont la société est propriétaire au prix de 350 000 euros et par acte sous signature privée du 29 juin 2011, enregistré au pôle enregistrement de Béziers le 7 juillet 2011 M. [X] [P] et Mme [A] [E] revendent les neuf parts de la SCI Malex à leur vendeur initial M. [S] [W], la vente de l’immeuble intervenant le 9 juillet 2011.

Dans son rapport d’expertise déposé le 10 octobre 2010, l’expert judiciaire [G] [U] relève que la procuration signée le 16 février 2011 ne l’était pas par Mme [A] [E], “s’agissant vraissemblablement d’une imitation à main levée” et au terme de son rapport d’expertise déposée le 11 septembre 2020, l’expert judiciaire [Y] [H] conclut que la signature et les paraphes attribués à Mme [A] [E] sur l’acte de cession de parts du 29 juin 2011 “sont le résultat d’une falsification par montage”.

Par acte du 12 avril 2010, M. [X] [P] acquiert “la toute propriété pour le compte de la communauté existant avec son conjoint”, par acte reçu par Maître [K] de la SCI MAR DI SOL représentée par son gérant M. [L] [W], un ensemble immobilier dénommé “les maisons de la Plage”composé de sept locaux commerciaux, situé à [Adresse 3] moyennat le prix de 160 000 euros.

A la suite d’une procuration signée sans date, M. [X] [P] et Mme [A] [E] donnent procuration à la SCP [I]-[V] notaire à [Localité 8], de signer la vente de cet ensemble immobilier, régularisée par acte reçu par Maître [K] le 13 mai 2011, à M. [R] [F] moyennant le prix de 130 000 euros, réglé en dehors de la comptabilité du notaire.

L’expert judiciaire [G] [U] conclut au terme de son rapport du 15 mai 2014, que cette procuration n’a pas été signée de la main de Mme [A] [E] et qu’il s’agit vraissemblablement d’une imitation à main levée.

L’article du journal Portada Notificas du 25 novembre 2014, indique que [L] [W] a fait l’objet d’une décision d’extradition de la République Dominicaine à la demande de la France pour des accusations de détournement de 3 000 000 d’euros de 2007 à 2012.

Sur la responsabilité de M. [X] [P],

– Sur la faute

L’article 1421 du code civil alinéa 1 dispose que chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l’autre.

En application de l’article 1424 du code civil, les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. De même, ils ne peuvent, l’un sans l’autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire.

Selon l’article 1427 du code civil si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. L’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.

Il résulte de ces constatations, que contrairement à ce que soutient M. [X] [P] dans ses conclusions et tel que le relèvent les deux experts en graphologie désignés par les magistrats de la mise en état du tribunal de grande instance de Béziers et de la cour d’appel de Montpellier, la procuration du 16 février 2011 concernant la vente de l’immeuble de la SCI Malex et celle concernant la vente de l’ensemble immobilier des locaux commerciaux [Adresse 3] et l’acte de cession de parts du 29 juin 2011 n’ont pas été signés par Mme [A] [E] mais ont fait l’objet de falisifications, ce qui est clairement démontré par les expertises et les photographies qui y sont jointes.

L’expert judiciaire [G] [U] précise ne pas posséder assez d’éléments de ressemblance pour dire, à l’analyse des signatures des deux procurations, s’il s’agit d’une même main mais précise que l’hypothèse d’un même scripteur ne peut être exclue. Elle relève à la suite de l’étude comparative de ces signatures avec celle de Mme [A] [E], qu’elles n’ont pas été signées par cette dernière, le graphisme étant trop éloigné de la structure de ses signatures pour la première procuration et la forme de la signature de la seconde n’entre pas dans les variations naturelles des signatures de comparaison de la main de Mme [A] [E].

Si Mme [A] [E] peut avoir plusieurs signatures en fonction des périodes, ces différences ont été prises en compte pour son analyse par l’expert.

Le second expert judiciaire désigné pour l’analyse de l’original de l’acte de cession de parts sociales du 29 juin 2011 constate que la signature et les paraphes ne présentent aucun relief, ni aucune pression sur le papier, la présence de satellites sur les contours des traits et de petits points noirs aléatoire juxtaposés révélant les caractéristiques d’une numérisation et le résultat d’une falsification par montage.

Ces constatations ne peuvent être démenties par le courrier et l’attestation de M. [L] [W] vendeur puis acquéreurs des parts de la SCI Malex et cédant de l’ensemble immobilier [Adresse 3] en qualité de gérant de la société immobilière SCI Marisol, qui indique par attestation que Mme [A] [E] était présente chez le notaire le 29 janvier 2010 pour acquérir les parts en présentant son passeport et par courrier daté du 27 septembre 2011 avoir reçu de Mme [A] [E] la procuration de vente des parts de la SCI Malex alors :

– que le notaire reconnait n’avoir jamais rencontré Mme [A] [E] ,

– l’acte d’acquisition du 29 janvier 2010 ne mentionne que la présence de M. [X] [P] “époux de Mme [A] [E] “,

– qu’il n’est présenté ni mentionné aucune procuration pour l’acte du 29 juin 2011 de cession des parts de la sci Malex qui lui ont été restituées et que les analyses de l’expert met clairement en évidence que la signature de Mme [A] [E] qui y est mentionnée est un montage numérique.

Il ressort des pièces produites, que les opérations de vente d’immeuble et de cessions de parts au moyen de procurations et actes falsifiés, ont été régularisées dans des conditions douteuses, s’agissant d’opérations d’achat et de vente entre M. [X] [P] et [L] [W] manifestement en relations d’affaires, ces derniers apparaissant ensemble également dans une société Pug Rom Auto. Le même [L] Arrefats domicilié [Adresse 3], cédant à M. [X] [P], en 2010, les 75 % qu’il détient dans le capital de la SCI Malex, propriétaire du bien située au 4 et 6 de la même rue, son épouse conservant les 25 % restant, qu’il acquiert au même prix un an et demi plus tard, en 2011, pour vendre l’immeuble évalué dans l’actif à 110 000 euros, 350 000 euros deux jours après l’enregistrement de l’acte de cession de parts de M. [X] [P] qui s’est par ailleurs porté acquéreur de l’immeuble situé à [Adresse 3] appartenant à la SCI Marisol représentée par son gérant [L] [W] également en 2010, que M. [X] [P] a également revendu en 2011.

Ces achats et cessions effectués en dehors de toute intervention de Mme [A] [E] ou au moyen de falsifications de ses signatures, avaient pour le moins pour but d’échapper à la communauté et à sa dissolution. Ils ont été établis en fraude des droits de Mme [A] [E] et son constitutifs d’une faute de M. [X] [P].

Contrairement à ce que soutient M. [X] [P], il n’est en aucun cas démontré que Mme [A] [E] avait connaissance de ces opérations, au moment de leur réalisation, l’attestation de M. et Mme [M] indiquant que M. et Mme [P] leurs avaient parler en 2009/2010 du projet d’achat d’une maison à [Localité 8] étant vague et sans date précise, sans reprise de propos pouvant être attribués à Mme [A] [E], alors qu’aucune mention n’est visée dans la convention du 7 avril 2010 et qu’il est démontré par la sommation produite par M. [X] [P] que Mme [A] [E] n’a découvert l’existence de ces opérations que tardivement fin 2011.

– Sur le préjudice

Comme l’a à juste titre retenu le jugement, Mme [A] [E] est fondée à demander le rapport à la communauté de la valeur de l’immeuble sis à [Adresse 3] acheté pour la somme de 160 000 euros et revendu en fraude de ses droits à la somme de 130 000 euros mentionnée dans l’acte payé comptant, hors comptabilité du notaire, M. [X] [P] ne justifant pas de l’absence de paiement expressément déclaré payée dans l’acte notarié.

Il convient de confirmé le jugement qui a condamné M. [X] [P] à régler à Mme [A] [E] la somme de 80 000 euros correspondant à sa part à la suite de la liquidation du régime réalisée entre époux, en exécution de la convention du 7 avril 2010 et à la réparation du préjudice subi.

Concernant l’acquisition et la cession des parts de la SCI Malex. La cession des parts est intervenue 10 jours avant la vente de l’immeuble de la SCI pour laquelle la procuration de vente avait été falsifiée et Mme [A] [E] n’a pas demandé l’annulation de la cession des parts du 29 juin 2011. Il s’ensuit que M. [X] [P] et Mme [A] [E] n’avaient plus la qualité d’associés au moment de la vente de l’immeuble.

C’est à juste titre que le jugement a débouté Mme [A] [E] de sa demande en condamnation d’une somme de 92 400 euros.

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

– Sur le préjudice moral

Mme [A] [E] demande la condamnation de M. [X] [P] à lui régler la somme 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Il n’est produit en cause d’appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’appréciation faite par le jugement qui a fixé l’indemnisation de ce préjudice à 5 000 euros, Mme [A] [E] ne rapportant pas la preuve dont elle a la charge d’un préjudice moral, à défaut de production d’un certificat médical ou d’attestations ou autre preuve justifiant de l’importance de la réclamation présentée.

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité du notaire,

Il est constant que les obligations du notaire qui tendent à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et qui constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte relèvent de sa responsabilité délictuelle, dont son obligation de conseil érigé en devoir légal implicite.

Le notaire est tenu, en tant que rédacteur d’un acte, de procéder préalablement à la vérification des faits et conditions nécessaires et tenu de prendre toutes dispositions utiles pour en assurer l’utilité et l’efficacité.

Le notaire est tenu, quand une partie est représentée par un mandataire, de vérifier la sincérité au moins apparente de la signature figurant sur la procuration sous seing privé qui lui est présentée et doit, à cette fin, se faire communiquer des éléments de comparaison qui lui permettent de prendre parti sur ce point.

Le lien causal, qui est un élément autonome de la responsabilité, doit être établi par le demandeur.

En l’espèce, la SCP Jourfier-Bourjade-Aris a reçu :

– les 31 janvier et 1er février 2010 l’acte de cession de parts de la SCI Malex consenti par M. [L] [W] à M. [X] [P] mentionné, le prix étant payé comptant hors la comptabilité du notaire,

– le 12 avril 2010 l’acte de cession d’un ensemble immobilier à [Localité 8] de la SCI MAR I SOL représentée par M. [L] [W] en qualité de gérant à M. [X] [P], l’acte mentionnant qu’il l’acquiert pour le compte de la communauté, au prix de 160 000 euros payable comptant hors la comptabilité du notaire, sans qu’il soit justifié dans les actes d’une autorisation de l’épouse à l’acte et au paiement, ni d’une information par le notaire à l’épouse,

– le 16 février 2011 une procuration de M. [X] [P] et Mme [A] [E], dont la signature est reconnue falsifiée, pour vendre l’immeuble de la SCI Malex,

– un procuration non datée de M. [X] [P] et Mme [A] [E] dont la signatutre est falsifiée pour vendre l’ensemble immobilier à [Adresse 3], dont la vente est intervenue le 30 mai 2011, au prix de 130 000 euros, l’acte stipulant “payé comptant antérieurement aux présentes et en dehors de la comptabilité du notaire”.

Il résulte de ce qui précède, que le notaire, qui n’a jamais rencontré Mme [A] [E], était tenu :

– de vérifier la sincèrité de la signature de cette dernière, au moins par la remise de la copie certifiée conforme de sa pièce d’identité, compte tenu du contexte particulier des actes, notamment l’acte de vente du 12 avril 2011, qui stipule un prix payé antérieurement, hors sa comptabilité, alors que l’acte de procuration n’est pas daté,

– de conseiller et d’informe, Mme [A] [E], des conséquences de ces actes,

– d’assurer l’efficacité des actes de cession de parts et d’acquisition de l’immeuble conclus et payés par le seul mari commun en bien, en s’assurant de l’autorisation expresse de l’épouse.

Compte tenu de la particularité des ventes intervenant entre les mêmes personnes, avec des règlements hors comptabilité du notaire, en l’absence systématique et sans aucun contact avec l’épouse commune en bien, la SCP [I]-Aris était tenu de s’assurer de la réalité de la signature de cette dernière et de la conseiller.

Si le règlement hors comptabilité n’engage pas la responsabilité du notaire, il doit s’assurer de l’accord du conjoint absent à l’acte pour l’engagement de fonds commun, en l’absence de remploi, sachant que le caractère systématique de ce mode de règlement des prix dans tous les actes devait attirer son attention, en l’absence de l’épouse.

Comme l’a retenu le jugement le notaire a commis une faute qui engage sa responsabilité en s’abstenant d’une part de vérifier la réalité de la signature de Mme [A] [E] des procurations dans ce conteste particulier et la réalité de son consentement à l’acte de vente du bien situé [Adresse 3] et de la conseiller.

Concernant le préjudice, Mme [A] [E] ne justifie pas d’un préjudice en lien de causalité avec la faute commise par le notaire concernant l’absence de vérification de la procuration de vente de l’immeuble de la SCI Malex datée du 11 février 2011, la vente étant intervenue le 9 juillet 2011 alors qu’ils n’étaient plus associés, après la cession des parts régularisée par acte du 29 juin 2011 qui n’a pas été reçu par la SCP [I]-Aris et dont Mme [A] [E] n’a pas demandé l’annulation, comme celle de l’acte de vente de l’immeuble .

Contrairement à ce que soutient la SCP [I]-Aris, Mme [A] [E] a subi un préjudice en lien avec les fautes commises par le notaire du fait de son absence de vérification de la réalité de la procuration établie pour la vente de l’immeuble situé [Adresse 3] et de son absence de conseil pour l’ensemble des actes. Cette dernière, n’ayant reçu aucune information sur les acquisitions de parts et l’immeuble effectuée par son époux en 2010, n’a pu faire valoir ses droits et sa position dans sa procédure de dissolution de sa communauté, n’ayant été informée que tardivement, en toute fin de procédure de divorce des actes litigieux.

Comme l’a retenu le jugement, ce préjudice est constitué par la perte de chance de faire valoir ses droits, qui compte tenu du contexte dans lequel s’inscrivent ces différents actes a été justement évalué à la somme de 5 000 euros, Mme [A] [E] ne justifiant pas par ailleurs de l’insolvabilité de M. [X] [P].

Mme [A] [E] ne rapporte pas la preuve d’une participation du notaire, qui a reçu les actes, aux actes et fraudes et falsifications commises par M. [X] [P]. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté la demande en condamnation solidaire de la SCP [I]-Aris avec M. [X] [P] pour les condamnations prononcées à son encontre.

En conséquence le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Déboute M. [X] [P] de l’ensemble de ses demandes ;

Déboute la SCP Jourfier-Bourjade-Aris de l’ensemble de ses demandes ;

Déboute Mme [A] [E] de ses autres demandes ;

Condamne in solidum M. [X] [P] et la la SCP [I]-Aris aux dépens d’appel comprenant les frais d’expertise qui seront recouvrés par la Scp Becque Dahan Pons-Serradeil, en application de l’article 699 du code de procédure civile et à payer à Mme [A] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais engagés en cause d’appel.

La greffière, Le conseiller faisant fonction de président de chambre,

 


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