Responsabilité du Notaire : 7 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 23/00355

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Responsabilité du Notaire : 7 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 23/00355
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 07 SEPTEMBRE 2023

N° RG 23/00355 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NCTD

[D] [K]

c/

[H] [L]

S.C.P. [H] [L], [E] [Z] ET [M] [B]

S.A. SOCIETE GENERALE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le : 7 septembre 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 décembre 2022 par le Tribunal judiciaire

de [Localité 8] (chambre : 5, RG : 22/04843) suivant déclaration d’appel du 23 janvier 2023

APPELANTE :

[D] [K]

née le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 12] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

Représentée par Me Emmanuelle GERARD-DEPREZ de la SELAS DEFIS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ S :

[H] [L]

né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 11] (24)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

S.C.P. [H] [L], [E] [Z] ET [M] [B], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représenté par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

S.A. SOCIETE GENERALE, inscrite au RCS de PARIS sous le numéro 552 120 222, dont le siège social est situé au [Adresse 4] à [Localité 10], dûment représentée aux fins des présentes par son Président en exercice, venant aux droits de la BANQUE COURTOIS, société anonyme dont le siège social est à [Adresse 13], inscrite au registre du commerce de TOULOUSE sous le numéro 302 182 258

Représentée par Me Louis COULAUD de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée par Me Valérie MAYER de l’AARPI VATIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : M. Roland POTEE

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Greffier lors des débats : Mme Séléna BONNET

En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Par acte du 2 mars 2022, Me [X] [U] a reçu, avec la participation de Me [H] [L], associé de la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B], le compromis de vente des lots 8, 29 et 116 de l’ensemble immobilier sis à [Localité 8], au [Adresse 5] et au [Adresse 6] entre les époux [O] et Mme [D] [K] moyennant un prix du foncier de 400 000 euros outre 29.000 euros au titre des frais d’acquisition et 15.000 euros en rémunération du mandataire, avec mention de l’itération de la vente à intervenir par acte reçu par Me [H] [L], avec la participation de Me [X] [U].

Le 10 mai 2022, la collaboratrice de Me [L] a envoyé un mail à Mme [K] comportant en pièces jointes le courrier de Me [L] invitant Mme [K] à procéder au virement de la somme de 424.000 euros correspondant au solde du prix ainsi que le relevé d’identité bancaire de l’étude.

Le 11 mai 2022, Mme [K] a reçu un mail rédigé dans les mêmes termes et comportant les mêmes pièces jointes, hormis les coordonnées bancaires différentes portées sur le relevé d’identité bancaire.

Au vu de ce mail, Mme [K] a ordonné à sa banque, la banque Courtois, de procéder au virement. Pour ce faire, elle lui a transmis, le 12 mai 2022, un ordre de virement dûment renseigné et le virement a été exécuté le lendemain.

Par mail du 16 mai 2022 portant signature de la collaboratrice de Maître [L], Mme [K] a de nouveau été sollicitée aux fins de procéder à un virement complémentaire de 2 672, 71 euros, au titre des charges, lequel a été exécuté par la banque Courtois le 16 mai 2022, sur ordre du même jour.

Le 18 mai 2022, la signature de l’acte authentique n’a pas eu lieu, faute de réception des fonds par le notaire, la banque Courtois ayant informé Mme [K] qu’elle a été victime d’une fraude, les fonds n’ayant pas été versés à la caisse des dépôts et des consignations mais à la banque Delubac & Cie sur le compte de l’un de ses clients.

Mme [K] a déposé plainte le même jour pour escroquerie.

La banque Courtois a mis en place une procédure de rappel des fonds, qui s’est avérée infructueuse en l’absence d’accord du bénéficiaire du virement, client de la banque Delubac et Cie.

Le 29 juin 2022, Mme [K] a assigné devant le tribunal judiciaire de Bordeaux la banque Courtois, Me [L] et de la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] en responsabilité et condamnation in solidum au paiement de 426 672, 71 euros au titre du remboursement des sommes détournées, 3 100 euros au titre du préjudice de location et 20 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugement du 15 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– rejeté la demande de sursis à statuer,

– rejeté la demande de renvoi à la mise en état,

– débouté Mme [K] de ses prétentions contre la banque Courtois,

– condamné in solidum Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] – [M] [B] au paiement de la somme de 17 825 euros au titre des préjudices subis par Mme [K],

– condamné aux dépens in solidum Mme [K], tenue aux deux tiers, avec Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B],

– rejeté les demandes indemnitaires de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé l’exécution provisoire.

Mme [K] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 23 janvier 2023.

Par conclusions déposées le 16 mai 2023, Mme [K] demande à la cour de :

– débouter la banque société générale venant aux droits de la banque Courtois, Maître [H] [L] et la SCP [H] [L] – [E] [Z] ‘ [M] [B] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– infirmer le jugement du 15 décembre 2022 en ce qu’il a :

* débouté Mme [K] de ses prétentions contre la société banque Courtois,

* condamné in solidum Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] au paiement de la somme de 17 825 euros au titre des préjudices subis par Mme [K],

* condamné aux dépens in solidum Mme [K], tenue aux deux tiers, avec Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B],

* rejeté les demandes indemnitaires de l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

– condamner solidairement la banque société générale venant aux droits de la banque Courtois, Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] à payer à Mme [K] la somme de 429 772, 71 euros en réparation de son préjudice matériel,

– condamner solidairement la banque société générale venant aux droits de la banque Courtois, Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] à payer à Mme [K] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral,

– condamner solidairement la banque société générale venant aux droits de la banque Courtois, Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] aux entiers dépens de première instance et d’appel et à payer à Mme [K] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 17 mai 2023, Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] demandent à la cour de :

A titre principal,

– réformer le jugement rendu le 15 décembre 2022 en ce qu’il a retenu une part de responsabilité à l’encontre de Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B],

En conséquence, statuant à nouveau,

– rejeter l’ensemble des demandes dirigées à l’encontre de Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B],

Subsidiairement, pour le cas ou une quelconque condamnation serait prononcée à l’encontre du notaire concluant :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a attribué la part prépondérante de la responsabilité à Mme [K] au titre de sa négligence,

– réformer le jugement en ce qu’il a exclu la responsabilité de la société banque Courtois, aux droits de laquelle vient désormais la banque société générale, et a en conséquence rejeté l’appel en garantie du notaire concluant à l’encontre de ladite banque,

En conséquence, statuant à nouveau,

– condamner la banque Courtois à relever et garantir Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] indemne de toutes condamnations, ou subsidiairement à proportion du partage de responsabilité qui serait retenu par le tribunal,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a limité le montant du préjudice matériel à la somme de 43 775 euros,

– réformer le jugement en ce qu’il a fait droit à la demande de Mme [K] au titre du préjudice moral,

En conséquence, statuant à nouveau,

– rejeter la demande de Mme [K] au titre du préjudice moral,

En tout état de cause,

– condamner tout succombant à verser à Maître [L] et à la SCP [H] [L] ‘[E] [Z] ‘ [M] [B] ensemble une somme de 4 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner tout succombant aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 17 mai 2023, la banque Société Générale, venant aux droits de la banque Courtois en suite des opérations de fusion-absorption intervenues à effet du 1er janvier 2023, demande à la cour de :

– avant dire droit, enjoindre à Mme [K] de produire tous éléments concernant l’enquête et la procédure pénales ayant trait à l’escroquerie dont elle se déclare victime, et notamment, de manière non exhaustive :

* sa condition de partie civile,

* tous procès-verbaux d’audition,

* tous procès-verbaux d’enquête,

* tout compte-rendu d’analyse ou rapport d’expertise, notamment informatique,

* tous éléments concernant l’appréhension de sommes dans ce cadre,

et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

– renvoyer pour le surplus l’affaire à une audience ultérieure, avec un délai suffisant pour permettre aux parties de conclure au vu des pièces qui seraient ainsi produites,

In limine litis :

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 décembre 2022 en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par la banque Courtois,

– statuant à nouveau sur ce point, surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale concernant l’escroquerie dénoncée par Mme [K],

Au fond :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 décembre 2022 en ce qu’il a rejeté les demandes formulées par Mme [K] à l’encontre de la banque Courtois, aux droits et obligations de laquelle vient désormais la banque société générale,

Y ajoutant,

– rejeter toutes demandes qui seraient formulées par Maître [L] et par la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] ‘ [M] [B] à l’encontre de la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois,

A titre infiniment subsidiaire, pour le cas où, par extraordinaire, une quelconque condamnation serait prononcée à l’encontre de la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois,

– condamner in solidum Maître [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] – [M] [B] à relever et garantir la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois, de toute condamnation,

En tout état de cause :

– rejeter toute demande formulée à l’encontre de la banque Courtois, aux droits et obligations de laquelle vient la banque société générale, ou de la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 décembre 2022 en ce qu’il a rejeté la demande formulée par la banque Courtois au titre de ses frais irrépétibles de première instance,

– statuant à nouveau, condamner tout succombant à verser à la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois, une somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance, en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– y ajoutant, condamner tut succombant à verser à la banque société générale, venant aux droits et obligations de la banque Courtois, une somme de 5 000 euros au tire de ses frais irrépétibles d’appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Louis Coulaud, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’affaire a été fixée à bref délai à l’audience du 1er juin 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 19 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur les demandes avant dire droit

A. Sur la demande de communication de pièces

La Société générale fait valoir que Mme [K] ne produit aucune pièce afférente à la procédure pénale en cours, que s’ensuit une rupture dans l’égalité des armes des parties au procès, alors que des sommes ont été appréhendées dans cette affaire et que sont ainsi dissimulées des pièces utiles à la détermination des responsabilités et de la réalité du préjudice invoqué.

Mme [K] conteste dissimuler des éléments de preuve. Elle explique qu’elle n’a pas été informée des suites de son dépôt de plainte, que l’affirmation suivant laquelle des sommes auraient été saisies repose sur des ouï-dire et qu’en tout état de cause si des sommes ont été appréhendées, elles n’ont pas nécessairement vocation à lui revenir.

Sur ce,

Aux termes de l’article 142 du code de procédure civile, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139.

Ainsi, l’article 138 du même code prévoit que si, dans le cours d’une instance, une partie entend faire état d’un acte authentique ou sous seing privé auquel elle n’a pas été partie ou d’une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l’affaire d’ordonner la délivrance d’une expédition ou la production de l’acte ou de la pièce.

En l’espèce, il est établi que Mme [K] a déposé plainte le 18 mai 2022.

Toutefois, il n’est pas démontré que Mme [K] serait en possession de pièces qu’elle serait susceptible de pouvoir communiquer sous astreinte.

Il y a lieu, par conséquent, de débouter la banque de sa demande.

B. Sur la demande de sursis à statuer

La Société générale soutient que le sursis est de droit dès lors que la demande dirigée contre elle tend à la réparation du dommage causé par l’infraction pour laquelle Mme [K] a déposé plainte, qu’en tout état cause le sursis est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice puisque le procès pénal est en mesure de clarifier les circonstances de fait ayant présidé aux virements litigieux.

Mme [K] répond qu’elle ne dispose d’aucune information sur la mise en mouvement de l’action publique, que l’affaire pénale est au stade de l’enquête préliminaire et qu’en tout état de cause l’action qu’elle a engagée contre les notaires et la banque se distingue de l’action en réparation du dommage causé par l’infraction, qu’il n’y a pas identité de parties, d’objet et de cause entre cette action et celle qui peut être engagée sur le plan pénal, la responsabilité du notaire et de la banque étant recherchée en raison de leurs négligences fautives.

Sur ce,

Aux termes de l’article 4 du code de procédure pénale « L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. »

En outre, il résulte de l’article 377 du code de procédure civile, qu’hors le cas où le sursis est prévu par la loi, la juridiction apprécie discrétionnairement l’opportunité du sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

En l’espèce, Mme [K] ne peut tout à la fois demander à être indemnisée à hauteur des fonds détournés et prétendre qu’elle a engagé une action à des fins civiles qui ne tend pas à la réparation du dommage causé par l’infraction d’escroquerie pour laquelle elle a déposé plainte.

Toutefois, aucun élément versé au dossier ne permet d’établir que l’action publique a été engagée dans le cadre de l’affaire pénale dont il est fait état, de sorte que la cour n’est pas tenue de surseoir à statuer.

Par ailleurs, à supposer que le résultat de l’affaire pénale permettrait de clarifier les circonstances matérielles de l’escroquerie, il n’est pas démontré en quoi la cour ne dispose pas, en l’état, des éléments factuels suffisants pour pouvoir se prononcer sur les responsabilités et les préjudices des personnes dans la cause.

C’est pourquoi, même dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le sursis à statuer et la suspension de l’instance qu’il implique n’apparaissent pas justifiés.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

II. Sur les responsabilités

A. Sur la responsabilité de la banque

Mme [K] fait valoir, sur le fondement des articles 1937, 1231-1 du code civil, que la banque est tenue à une obligation de vigilance concernant la régularité des opérations effectuées par son intermédiaire, en vertu de laquelle elle aurait dû déceler les anomalies de l’ordre de virement, lesquelles étaient suffisamment apparentes pour ne pas échapper aux vérifications d’un banquier normalement diligent. Elle soutient, en outre, que les règles spéciales prévues par le code monétaire et financier ne sont pas exclusives de l’application des règles communes et qu’en tout état de cause elles ne posent qu’une présomption simple d’absence de responsabilité du banquier.

Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] concluent dans le même sens, au soutien de leur demande subsidiaire, précisant que le défaut de vigilance du banquier au regard de l’anomalie apparente de l’opération, qui justifie l’engagement de sa responsabilité, est indépendant de la question de la bonne exécution matérielle du virement, seule régie par les dispositions de l’article L. 133-21 du code monétaire et financier.

Au contraire, la Société générale soutient qu’en vertu du principe specilia generalibus derogant, seules les dispositions particulières du code monétaire et financier relatives aux ordres de paiement peuvent s’appliquer en l’espèce, à l’exclusion des règles communes, et qu’en l’occurrence la banque a respecté les obligations mises à sa charge par la loi. Elle ajoute, à titre superfétatoire, qu’il n’existe pas d’obligation générale de vigilance à la charge des banques, mais uniquement des obligations de vigilance précises et définies, et que celles-ci ont également été correctement exécutées en l’espèce.

Sur ce,

L’article L. 133-21 du code monétaire et financier, issu de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, prévoit qu’un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique, que si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement, et que si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement.

En l’espèce, après avoir été sollicitée par mails pour procéder à des virements destinés à l’office notarial, en vue de finaliser l’achat de l’immeuble dont elle s’est portée acquéreur, Mme [K] s’est vu remettre par sa banque des ordres de virement vierges qu’elle a elle-même complétés à partir des informations contenues dans un relevé d’identité bancaire falsifié.

Or, il résulte des dispositions précitées et de l’interprétation stricte qu’en donne la Cour de cassation que si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement qui en est la conséquence (Cass. Com. 24 janvier 2018, n° 16-22.336), et ce, même si d’autres informations lui sont fournies.

Certes, en l’espèce, il ressort des ordres virements litigieux versés au débat (pièces n° 4 et 7 de son dossier) que ceux-ci comportaient des mentions contradictoires évidentes, Mme [K] ayant renseigné comme « nom de la banque bénéficiaire » la Caisse des dépôts tout en reportant le code BIC du RIB falsifié, qui correspondait à l’identifiant international de la banque Delubac & Cie (« [XXXXXXXXXX09] »).

Partant de là, il est prétendu qu’il n’est pas reproché à la banque d’avoir mal exécuté l’opération de paiement mais d’avoir manqué à l’obligation de vigilance qui lui incombe, en tant que mandataire de son client, en exécutant un ordre de virement comportant des anomalies apparentes, et qu’ainsi les règles spéciales du code monétaire et financier ne seraient pas exclusives des règles plus générales qui fondent cette obligation et permet d’en sanctionner l’inexécution.

Cependant, on ne peut tout à la fois reprocher au prestataire de service de paiement sa négligence à l’occasion de l’exécution d’un ordre de virement et prétendre qu’il ne s’agirait pas d’une opération de paiement mal exécutée au sens du code monétaire et financier.

Le fait est que les ordres de virement litigieux, en ce qu’ils désignent un autre bénéficiaire que celui recherché par le donneur d’ordre ayant autorisé l’opération, entrent dans le champ des dispositions de la section 7 du chapitre III du code monétaire et financier, intitulée « responsabilité en cas d’opération de paiement mal exécutée » et plus spécialement de l’article L. 131-21, alinéa 2, dudit code qui pose non pas une présomption simple d’absence de responsabilité du prestataire de services de paiement mais un cas d’exonération de toute responsabilité, lorsque, comme en l’espèce, il exécute un ordre de virement autorisé et non falsifié, alors que l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact.

Dès lors, les règles générales n’ayant vocation à s’appliquer que sous réserve des règles particulières, il est exclu, sauf à priver les dispositions spéciales de leur portée, de rechercher, dans les circonstances de l’espèce, la responsabilité du prestataire de service de paiement sur le fondement de l’obligation de vigilance de droit commun.

Par conséquent, et alors même que les anomalies contenues dans les ordres de virement auraient pu être décelées par les préposés de la banque Courtois, au droit de laquelle vient la Société générale, le jugement sera confirmé en ce qu’il a exonéré cette dernière de sa responsabilité, sur le fondement de l’article L. 133-21 du code monétaire et financier.

B.Sur la responsabilité du notaire et de l’office notarial

Mme [K] fait valoir que l’escroquerie a été rendue possible par la communication, par la voie électronique, du relevé d’identité bancaire de la Caisse des dépôts et consignations, par l’office notarial, alors que les professionnels impliqués dans l’opération ne pouvaient ignorer les recommandations adressées à plusieurs reprises par le Conseil supérieur du notariat qui préconise explicitement sur son site internet de ne jamais transmettre son RIB par courriel. Elle ajoute que l’étude a appelé les fonds dans l’urgence, créant un contexte d’insécurité dont ont tiré profit les escrocs.

La Société générale conclut dans le même sens.

Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] répliquent qu’ils n’ont enfreint aucune recommandation professionnelle et qu’ils ont sollicité le règlement du prix d’achat le 10 mai 2022 pour la réitération de l’acte authentique prévue le 18 mai suivant, laissant un délai raisonnable et suffisant pour permettre à Mme [K] d’effectuer les démarches et les vérifications nécessaires avant de procéder au virement.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Indépendamment du point de savoir si l’escroquerie a été rendue possible par le piratage de la boîte mail de Mme [K] ou par celle de l’étude notariale, il ressort des faits de l’espèce qu’une collaboratrice de l’office notarial a envoyé le RIB de l’étude à Mme [K] par mail du 10 mai 2022, afin qu’elle procède à un premier virement de 424.000 euros dans le cadre de son acquisition (pièce n° 1 du dossier de Me [L] et de la SCP).

Or, il est versé aux débats (pièce n° 12 du dossier de Mme [K]) un article diffusé sur le site internet notaires.fr, mis à jour le vendredi 11 mars 2022, alertant sur la recrudescence des fraudes aux modifications de coordonnées bancaires.

S’il peut être relevé que les recommandations contenues dans l’article s’adressent aux clients des notaires, à qui il est demandé, par exemple, de « privilégier l’envoi par voie postale ou une remise en main propre à l’office » et de « contacter par téléphone son notaire pour vérifications », il va de soi que si ces recommandations figuraient sur le site internet notaires.fr, dépendant du Conseil supérieur du notariat, c’est qu’elles étaient tenues pour acquises par les professionnels de la profession et qu’il était attendu de ces derniers qu’ils s’astreignent à respecter les mêmes recommandations que celles adressées à leurs clients.

En outre, alors que Mme [K] a été destinataire du mail envoyé le 10 mai l’invitant à procéder au virement, l’étude notariale s’est abstenue de doubler l’envoi de son message par un appel téléphonique le même jour et elle n’a effectué aucune relance par mail les jours qui ont suivi, Mme [K] n’ayant appris que le 18 mai, soit le jour prévu pour la signature de l’acte authentique, que son virement n’était pas parvenu à l’étude notarial.

Dès lors, en procédant à l’envoi du RIB de l’étude par mail, sur un réseau dont la sécurité ne peut être garantie, en dépit de recommandations professionnelles qu’ils ne pouvaient légitimement ignorer, et ce, sans assurer le suivi qu’imposait une telle opération, le notaire et la société notariale ont commis une faute d’imprudence et de négligence ayant contribué au dommage.

C. Sur la faute de la victime

Pour s’exonérer de leur responsabilité, Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] soutiennent, dans le cadre de leur demande subsidiaire, que Mme [K] a fait preuve de négligence en donnant instruction à sa banque d’opérer le virement litigieux, ce alors qu’elle connaissait les véritables coordonnées bancaires de l’étude et qu’en dépit du montant important des virements demandés elle n’a pas contacté l’étude notariale pour des vérifications.

Mme [K] estime qu’elle n’a pas commis de faute. Elle fait valoir qu’elle n’est pas une personne avertie dans le domaine de la cyber sécurité, qu’à partir du moment où une demande en paiement lui était formulée avec la communication d’un RIB il était logique qu’elle l’utilise pour procéder au virement, qu’elle n’a découvert les mises en garde du notariat concernant ce type de fraude qu’après coup et qu’il appartenait aux professionnels qui participaient à l’opération de vente immobilière d’attirer son attention sur les risques.

Sur ce,

L’article 1241 du code civil précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Même si Mme [K] se présente comme une personne novice dans le domaine de la cyber sécurité, elle était en mesure, compte tenu de son âge et des fonctions de direction d’entreprise qu’elle a exercées, de déceler la falsification du RIB, ne serait-ce que par une lecture plus attentive de ses mentions, dont il ressort que le code BIC identifiant la banque bénéficiaire ne pouvait correspondre à celui de la Caisse des dépôts.

En outre, le montant important des virements demandés appelait de la part de Mme [K] une vigilance accrue, qui aurait dû l’inciter à s’assurer par tous moyens de l’identité du bénéficiaire, soit en procédant à des vérifications orales auprès de l’étude notariale, soit en comparant les mentions portées sur le RIB reçu le 11 mai avec celui reçu antérieurement, employé pour le règlement de l’acompte réclamé au moment de signer le compromis de vente.

Pour l’ensemble de ces raisons, il apparaît que Mme [K] n’a pas adopté le comportement d’une personne normalement diligente placée dans les mêmes circonstances, et qu’elle a ainsi elle-même commis une faute d’imprudence justifiant d’exonérer partiellement Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] de leur responsabilité.

Compte tenu de la gravité de leurs fautes respectives et du rôle causal de celles-ci dans la réalisation du dommage, il y a lieu de limiter la responsabilité de M. [L] et de la société notariale au quart du préjudice subi.

III. Sur les préjudices réparables

Mme [K] fait valoir que sans les manquements du notaire et de la banque elle n’aurait pas subi le dommage et reproche au premier juge, qui s’est placé sur le terrain de la perte de chance, d’avoir occulté la perte financière qu’elle a éprouvée. Elle considère que le détournement de la somme de 426.672,71 euros est la suite immédiate et directe de la faute tant du notaire que de la banque. Elle réclame également 3.100 euros au titre des loyers qu’elle a réglés pour pouvoir se maintenir plus longtemps que prévu dans le logement qu’elle louait en attendant la finalisation de la vente, outre 20.000 euros en indemnisation de son préjudice moral.

La Société générale expose que le préjudice invoqué au titre des virements litigieux est moindre, dès lors qu’une somme de 180.000 euros aurait été appréhendée dans le cadre de la procédure pénale, que le lien de causalité entre l’escroquerie et le maintien dans le logement n’est pas établi, que le retard pris par la vente n’a été que de 15 jours et que seul l’escroc est responsable du traumatisme allégué à ce titre.

Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] s’approprient les motifs du jugement selon lesquels Mme [K] ne peut se prévaloir d’un préjudice égal au montant des sommes détournées, puisqu’il s’agit de l’indemnisation du préjudice de l’escroquerie et elle ne peut se prévaloir que du préjudice de la perte de chance des avantages procurés par la réalisation de la vente à la date initialement prévue, autrement dit le préjudice de perte de chance de financer l’opération sans concours extérieur, telle qu’évaluée au dixième des sommes détournées.

Sur ce,

Il est de jurisprudence constante que le préjudice indemnisable doit être direct, c’est-à-dire qu’il doit découler du fait dommageable, et qu’il doit être certain et non simplement éventuel ou hypothétique, même lorsqu’il s’agit d’indemniser une perte de chance.

Pour dénier au préjudice résultant de la perte des sommes objets des virements son caractère réparable, dans le cadre de la présente instance, le tribunal a considéré qu’il s’agissait du préjudice causé par l’escroquerie.

Or, il ressort des faits de l’espèce que ce préjudice trouve son origine dans une pluralité de causes. Ainsi, si l’étude notariale n’avait pas envoyé son RIB par mail à Mme [K] ce mail n’aurait pas été intercepté et le RIB n’aurait pas été falsifié. Par ailleurs, les virements n’auraient pas eu lieu si Mme [K] n’avait pas rempli les ordres de virements sur la base du RIB falsifié ou si la banque avait repéré l’incohérence des mentions des ordres de virements qui lui ont été transmis.

De ces constations, il ressort que toutes les parties au litige ont eu un rôle causal dans la situation dommageable, en sorte que le préjudice invoqué par Mme [K], correspondant à l’intégralité des sommes détournées (426.672,71 euros), a bien un caractère direct.

C’est donc à tort que le tribunal a limité le préjudice de Mme [K] à la perte de chance des avantages procurés par la réalisation de la vente à la date initiale, étant observé, de surcroit, que pour évaluer cette perte de chance, il a appliqué une fraction sur le montant des sommes détournées, comme s’il s’agissait d’évaluer le préjudice résultant de la perte de chance d’éviter le détournement.

Or, si la jurisprudence admet que la perte de chance, qui correspond en principe à la « disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1, 21 nov. 2006, n°05-15.674) puisse également correspondre à la perte d’une chance d’éviter un évènement malheureux, tel qu’un détournement d’argent (Com., 19 octobre 1999, n° 97-13.446) encore faut-il que l’aléa soit réel (Com. 15 juin 2022, n° 21-10.080). Or, en l’espèce, il ne peut être affirmé qu’en l’absence d’imprudence commise par l’étude notariale le détournement se serait peut-être réalisé, puisque le fait d’avoir envoyé le mail à Mme [K] est un antécédent du dommage sans lequel il est certain que celui-ci ne serait pas produit.

Quant aux autres préjudices invoqués par Mme [K] il apparaît, tout d’abord, que le préjudice moral qu’elle invoque n’a pas été causé par l’imprudence du notaire, mais résulte directement et exclusivement des faits d’escroquerie dont Mme [K] a été victime, cette dernière faisant état dans ses écritures du « traumatisme du vol et le sentiment d’insécurité qu’il fait naître ». Il en va de même, ensuite, du préjudice résultant du paiement des loyers découlant du retard pris dans la vente, lequel ne présente pas de causalité directe avec la faute imputée à l’étude notariale.

Pour ces motifs, compte tenu du partage de responsabilité préalablement opéré et des préjudices retenus, il y a lieu de condamner in solidum Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] à régler à Mme [K] la somme de 106.668,18 euros en réparation de son préjudice matériel.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Me [L] et la SCP [L], [Z] et [B] qui succombent seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Toutefois, l’équité commande de ne pas les condamner à indemniser les frais irrépétibles de leurs contradicteurs.

Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déboute la Société générale de sa demande de communication de pièces,

Confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à statuer et débouté Mme [K] de ses prétentions contre la SA Banque Courtois, aux droits de laquelle vient désormais la Société générale,

L’infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum Maître [H] [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] et [M] [B] au paiement de la somme de 106.668,18 euros au titre du préjudice matériel subi par Mme [D] [K],

Y ajoutant,

Condamne in solidum Maître [H] [L] et la SCP [H] [L] ‘ [E] [Z] et [M] [B] aux dépens de première instance et d’appel,

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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