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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 29A
DU 07 MARS 2023
N° RG 21/01557
N° Portalis DBV3-V-B7F-ULVN
AFFAIRE :
[T], [Z] [W],
…
C/
[V], [B] [W]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/04584
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES,
-la SELARL REYNAUD AVOCATS,
-la SCP RONZEAU ET ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [T], [Z] [W]
placé sous le régime de la curatelle renforcée
né le 26 Septembre 1938 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 11]
Monsieur [H] [X],
ès qualités de curateur, venant aux droits de Mme [C] [O]-[W] en vertu de l’ordonnance de changement de curateur rendue le 29 mars 2021 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Senlis
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentés par Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 – N° du dossier 20833
Me Emilie REBOURCET de la SCP FABIGNON,LARDON-GALEOTE,EVEN,KRAMER,ALLARD,REBOURCE, avocat – barreau de SENLIS, vestiaire : 160
APPELANTS
****************
Monsieur [V], [B] [W]
né le 20 Septembre 1974 à [Localité 15]
de nationalité Française
[Adresse 6]
‘[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Me Sophie PORCHEROT de la SELARL REYNAUD AVOCATS, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 177 – N° du dossier 382668
Me Isabelle BLANC-BOILEAU de la SELARL DEJANS, avocat – barreau de SENLIS, vestiaire : 160
S.C.P. [J] [M]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 332 038 603
[Adresse 2]
[Localité 12]
représentée par Me Michel RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat – barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 9 – N° du dossier 1826166
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [T] [W] et Mme [F] [P] se sont mariés le 19 décembre 1964 et, de cette union, sont nés deux enfants, [S] et [V] [W].
Mme [F] [P] est décédée le 5 janvier 1999 laissant pour lui succéder ses deux fils et son conjoint survivant.
Il dépendait de la communauté ayant existé entre la de cujus et M. [T] [W] un immeuble situé [Adresse 3]) et une parcelle de terre située [Adresse 10]).
En sa qualité de conjoint survivant de [F] [P], M. [T] [W] a opté pour le 1/4 en pleine propriété et les 3/4 en usufruit de la succession de son épouse. De l’héritage de leur mère, ses fils ont notamment reçu les 3/8èmes de la nue-propriété de la maison située [Adresse 3].
M. [T] [W] s’est marié en secondes noces avec Mme [C] [O] le 10 décembre 2011.
Par acte authentique du 29 décembre 2016 reçu par M. [J] [M], notaire à [Localité 12], M. [T] [W] a fait donation entre vifs et hors part successorale, à son fils [V] :
– des 5/8 èmes en nue propriété qu’il détenait sur immeuble situé [Adresse 3],
– de la totalité en nue propriété d’une parcelle à usage de jardin située [Adresse 9].
Par lettre du 10 avril 2017 adressée à M. [M], M. [T] [W] a reproché à ce dernier de ne pas l’avoir informé de la situation engendrée par la donation qui laissait son épouse sans protection, sans usufruit et lui locataire de la maison sans pouvoir la vendre et indiquait ‘ce que nous souhaitons aujourd’hui c’est la modification de cette donation afin de disposer à nouveau de mes quotités et que mon épouse dispose de l’usufruit’.
Le 11 avril 2017, M. [T] [W] se rendait à la gendarmerie de [Localité 13] et déposait plainte en faisant valoir qu’il n’avait pas compris que l’acte signé chez le notaire était une donation.
La chambre départementale des notaires de Versailles initiait une procédure d’instruction à l’issue de laquelle elle considérait que M. [T] [W] avait bien reçu du notaire les renseignements et explications de nature à l’éclairer sur les conséquences de la donation. Elle en informait ce dernier, par lettre du 23 novembre 2017.
Le 27 juillet 2017, Mme [C] [O] épouse [W] présentait une requête au juge des tutelles de Senlis pour solliciter une mesure de protection au bénéfice de M. [T] [W]. Elle faisait état d’une altération des facultés mentales de ce dernier en précisant ‘fragile ; épilepsie’ et mentionnait comme actes urgents à réaliser, ‘annulation de la donation faite à son fils [V]’.
Par jugement du 28 novembre 2017, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Senlis plaçait M. [T] [W] sous curatelle renforcée pour une durée de 60 mois et désignait Mme [C] [O] épouse [W] pour l’assister. La transcription de cette mesure a été publiée le 16 mars 2018 sur l’acte de naissance de l’intéressé.
Par exploit du 6 avril 2018, M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et Mme [C] [O] [W], ès qualités de curateur de M. [T] [W], faisaient assigner M. [V] [W] et la société civile professionnelle Saint Amand Notaires Associés aux fins de voir prononcer l’annulation de la donation signée le 29 décembre 2016 et entendre condamner la SCP Saint Amand Notaires Associés à la réparation des préjudices M. [T] [W].
Par un jugement contradictoire rendu le 14 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
– Débouté M. [T] [W], sous curatelle renforcée et Mme [C] [O] [W], ès qualités, de l’ensemble de leurs demandes.
– Condamné M. [T] [W], sous curatelle renforcée et Mme [C] [O] [W], ès qualités, à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :
* la somme de l 500 euros à la SCP [M] venant aux droits de la SCP Saint Amand Notaires Associés,
* celle de 3 000 euros M. [V] [W],
– Condamné M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et Mme [C] [O] [W], ès qualités, aux dépens.
M. [T] [W] et Mme [C] [O] [W], agissant en qualité de curatrice de M. [W], ont interjeté appel de ce jugement le 8 mars 2021 à l’encontre de M. [V] [W] et de la société SCP [J] [M].
Par d’uniques conclusions notifiées le 7 juin 2021, M. [T] [W] et M. [X], ès qualités de curateur, venant aux droits de Mme [C] [O] [W], demandent à la cour, au fondement des dispositions de l’article 464 et suivants du code civil et 1240 du code civil, de :
– Dire M. [T] [W], assisté de son curateur, recevable et bien-fondé en ses demandes, fins et prétention,
– Y faire droit,
En conséquence,
– Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise du 14 décembre 2020 en ce qu’il a :
* débouté M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et Mme [C] [O] [W], ès qualités, de l’ensemble de leurs demandes,
* condamné M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et Mme [C] [O] [W], ès qualités, à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 euros à la SCP [M], venant aux droits de la SCP Saint Amand Notaires Associés, et celle de 3 000 euros à M. [V] [W],
* condamné M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et Mme [C] [O] [W], ès qualités, aux dépens,
Statuant de nouveau,
A titre principal,
– Prononcer la nullité de l’acte de donation signé en date du 29 décembre 2016 par M. [T] [W] au profit de son fils M. [V] [W], acte reçu par la SCP Saint-Amand Notaires Associés,
A titre subsidiaire,
– Condamner M. [V] [W] au paiement de la somme de 312 500 euros à M. [T] [W] en réparation de son préjudice subi,
– Condamner la SCP [M], venant aux droits de la SCP Saint Amand Notaires Associés, à garantir le paiement de cette somme,
En tout état de cause,
– Condamner la SCP [M], venant aux droits de la SCP Saint Amand Notaires Associés, à indemniser M. [T] [W] de l’intégralité du préjudice subi au titre de la responsabilité civile,
– Condamner M. [V] [W] à verser à M. [T] [W] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral,
– Condamner la SCP [M], venant aux droits de la SCP Saint Amand Notaires Associés, et M. [V] [W] aux entiers dépens.
Par d’uniques conclusions notifiées le 26 juillet 2021, la SCP [J] [M] demande à la cour de :
– Déclarer mal fondé l’appel interjeté par M. [T] [W] et son curateur, M. [H] [X].
En conséquence,
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise en date du 4 décembre 2020.
En conséquence,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l’article 9 du code de procédure civile,
– Constater l’absence totale de faute imputable à la SCP [J] [M], anciennement dénommée SCP Saint Amand,
– Constater l’absence totale de préjudice actuel, certain et direct pouvant être valablement
invoqué par M. [T] [W],
En conséquence,
– Rejeter toutes ses demandes,
– Condamner M. [T] [W] et M. [H] [X], ès qualités, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les condamner aux entiers dépens.
Par d’uniques conclusions notifiées le 31 août 2021, M. [V] [W] demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise du 4 décembre 2020.
– Déclarer mal fondé l’appel de M. [T] [W] et de son curateur, M. [X].
En conséquence, vu les dispositions des articles 464 du code civil,
– Débouter M. [T] [W] et son curateur, M. [X], de l’intégralité de leurs demandes.
– Les condamner à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Les condamner aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 17 novembre 2022.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l’appel,
L’appelant poursuit l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions.
Sur la nullité de l’acte de donation du 29 décembre 2016
Moyens des parties
Se fondant sur les dispositions de l’article 464 du code civil, l’appelant soutient qu’il est recevable et fondé à solliciter l’annulation de la donation du 29 décembre 2016, la mesure de curatelle renforcée dont il a bénéficié par jugement du 28 novembre 2017 ayant été publié sur son acte de naissance le 16 mars 2018 (pièces 13 et 21) donc dans les délais prévus par l’article susvisé.
Il poursuit l’infirmation du jugement qui a rejeté cette demande aux motifs qu’il ne démontrait pas qu’au moment de la signature de la donation litigieuse, son état de santé ne lui permettait pas de défendre ses intérêts par suite d’une altération de ses facultés mentales et que cet état était bien connu de son fils [V], bénéficiaire de la donation.
Il prétend que le tribunal a procédé à une lecture erronée des pièces produites. Selon lui, en se fondant sur la correspondance du 20 octobre 2016 (pièce 4) alors qu’il n’a cessé de dire qu’il contestait en être l’auteur et qu’il avait du reste déposé plainte le 11 avril 2017 pour faux (pièce 7), les motifs du tribunal s’en trouveraient viciés. Il soutient que le fait qu’il ait pu dactylographier d’autres lettres ne le prive pas de la possibilité de contester être l’auteur de celle-ci.
De même, il prétend que le premier juge a, à tort, considéré que le fait de s’être rendu seul au rendez-vous du notaire caractérisait sa pleine capacité alors que ses correspondances ultérieures en direction de ce notaire démontraient que la compréhension de cet acte lui avait échappé quand bien même le notaire lui en avait fait lecture. Il insiste sur le fait que la lecture d’un acte n’emporte pas nécessairement la compréhension pleine et entière de celui-ci surtout dans une situation comme la sienne, en tenant compte de ses capacités cognitives et de sa situation médicale.
Il relève que si les premiers juges ont pu examiner son dossier médical, ils n’en ont pas tiré les conséquences quant à la réalité de sa capacité d’analyse ‘compte tenu de leur caractère précis, détaillé, cohérent’. Selon lui, ‘ainsi qu’il a été précédemment démontré, tel n’était manifestement pas le cas s’agissant du courrier du 20 octobre 2016, l’assistance du curateur pour la rédaction des courriers ultérieurs expliquant leur précision’. En tout état de cause, selon lui, il ne saurait être déduit qu’il avait, à la date de la donation, conscience de ses actes et en capacité d’analyse de la situation.
Encore, il soutient que la mention par l’agent de police judiciaire à la suite de son audition sur procès-verbal le 11 avril 2017 (pièce 7), portant sur ‘l’évaluation personnalisée de la victime réalisée’ par ses soins ne peut avoir aucune force probante dès lors qu’un agent de police judiciaire n’est pas un expert en neuropsychologie, ni un médecin de sorte qu’il n’a aucune légitimité pour donner une opinion éclairée sur les capacités réelles de l’appelant.
De plus, le dossier médical de l’appelant (pièce 14) démontre, selon lui, qu’à compter du 17 août 2011 il présentait une confusion mentale et que, à compter de cette date, il suivait un traitement au Lamictal (pièces 15 et 42) qui provoque somnolence et fatigue importante (pièce 16).
Il ajoute que les éléments médicaux versés aux débats, à savoir l’IRM du 28 août 2017 (pièce 17), soit quelques mois seulement après la donation, celle du 20 avril 2015 (pièce 44), et les documents médicaux tant antérieurs que postérieurs à la donation, démontrent qu’il présentait des troubles mnésiques, des anomalies du développement en frontal, précurseurs de la maladie d’Alzheimer dont il est actuellement atteint et qui a été diagnostiquée en août 2018 (pièce 46).
Il reproche encore aux premiers juges de ne pas avoir exploité de manière satisfaisante les pièces versées aux débats et notamment les conclusions de la consultation neurologique du ‘7 mars 2017’ qui montrent que les troubles neurologiques sont apparus dès 2015, comme en atteste le neurologue (pièce 20) et les pièces ultérieures.
Il insiste sur le fait qu’en décembre 2016 (pièce 40), il suivait un traitement médicamenteux, en particulier la prise de Donépézil, prescrit aux patients atteints d’une forme légère à modérée de la maladie d’Alzheimer (pièce 41).
En définitive, il déduit de l’ensemble des pièces produites, en particulier les documents médicaux, qu’il présentait des difficultés et des troubles mnésiques à la date de la régularisation de l’acte litigieux, qu’il était particulièrement vulnérable de surcroît compte tenu du traitement médical qu’il suivait, que ses facultés mentales étaient manifestement altérées. Ainsi, selon lui, son inaptitude à défendre ses intérêts au moment de la donation est établie par les productions. Il conclut que c’est donc à tort que les premiers juges ont retenu que les conditions d’application de l’article 464 du code civil n’étaient pas réunies.
Il sollicite de ce fait l’infirmation du jugement et l’annulation de cet acte de donation du 29 décembre 2016.
M. [V] [W] poursuit la confirmation du jugement de ce chef et rappelle que, pour l’application des dispositions de l’article 464 du code civil, la preuve tant de l’existence de l’altération des facultés mentales que de la notoriété de cette altération au moment de l’acte doit être rapportée, soit au 29 décembre 2016.
Selon lui, ces deux preuves font défaut.
Il soutient que les différents éléments médicaux ne sont pas de nature à établir que, le 29 décembre 2016, M. [T] [W] souffrait d’altérations mentales le rendant inapte à défendre ses intérêts. Ainsi :
* le diagnostic d’Alzheimer n’a été posé qu’en mars 2018,
* le traitement de Lamictal en octobre 2016 est sans rapport avec cette maladie et l’état de somnolence qu’il est susceptible de provoquer est sans incidence sur son inaptitude à comprendre la portée de ses actes, ce médicament n’étant nullement indiqué pour traiter les troubles neurologiques,
* les nouvelles pièces médicales communiquées à hauteur d’appel ne sont toujours pas opérantes,
* il n’est pas sérieux de soutenir que M. [T] [W] souffrait d’une altération de ses facultés personnelles alors qu’il a effectué une donation en décembre 2016 au profit d’un de ses fils ; qu’il a écrit tant de lettres à son notaire, à la chambre des notaires et organiser un rendez-vous commun avec ses fils en mars 2017 ; que ces différentes démarches et lettres rédigées par ses soins démontrent qu’il avait parfaitement conscience et connaissance de ses actes ; que son information éclairée et son consentement sont encore confirmés par la lettre que M. [M], notaire, lui a adressé le 21 avril 2017 (pièce adverse 9) ;
* il n’est pas plus sérieux de prétendre que M. [T] [W] ne maîtrisait pas l’outil informatique et qu’il n’a pas rédigé la lettre du 20 octobre 2016 adressée à M. [M] ; que du reste la signature figurant au bas de ce document est bien celle de l’appelant ce qu’il n’a jamais contesté ;
* ainsi, l’appelant lui-même produit de nombreux échanges entre lui et M. [M] postérieurement au 20 octobre 2016 par courriels (pièce adverse 48) les 12 janvier, 2 et 4 mars, 2, 15 et 16 mai 2017 ce qui ne rend pas crédible ses dires sur son absence de maîtrise de l’outil informatique ;
* le notaire a reçu M. [T] [W] et recueilli sa signature après l’avoir informé des conséquences de cet acte et n’a pas constaté l’état de faiblesse et d’altération de ses facultés mentales ;
* lors de la donation aucune altération des facultés mentales n’est justifiée et du reste à l’occasion de la requête aux fins de désignation d’un curateur, le requérant ne mentionnait nullement l’existence d’une altération de ses facultés mentales puisque la case prévue à cet effet n’a pas été cochée.
En définitive, M. [V] [W] sollicite la confirmation du jugement de ce chef.
‘ Appréciation de la cour
L’article 464 du code civil, applicable en l’espèce, dispose ce qui suit :
‘Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée.
Par dérogation à l’article 2252, l’action doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure’.
Les conditions de forme sont réunies puisque la donation est intervenue le 26 décembre 2016, que la transcription du jugement prononçant la curatelle renforcée de M. [T] [W] a été publiée le 16 mars 2018 (soit moins de deux années avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection) et que l’action en annulation de celle-ci a été diligentée le 6 avril 2018, soit dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de cette mesure.
L’application de ce texte exige en outre la réunion de plusieurs conditions de fond. Ainsi, non seulement l’altération des facultés personnelles doit être notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés, mais en outre l’action en annulation de l’acte est subordonnée à la condition que soit rapportée la preuve d’un préjudice pour la personne protégée.
En l’espèce, les pièces médicales versées aux débats justifiant, selon l’appelant, l’annulation de la donation ne sont pas probantes.
En effet, l’examen des différents documents constituant le dossier médical de l’appelant enseigne ce qui suit :
* la pièce 14, constituée d’un certificat du 17 octobre 2011 émanant de Mme [R], docteur, spécialité non précisée, non signé, indique, s’agissant de l’examen neuro-psychiatrique, ‘confusion mentale (17.08.2011), crise convulsive (17.08.2011) anxiété’, que le patient est habituellement traité par ‘Sérétide Diskus 500 et Elisor’ et qu’il est maire de [Localité 11] ;
* la pièce 15, constituée d’une ordonnance délivrée par un médecin de la maison médicale de [Localité 11] le 17 octobre 2016, précise les prescriptions relatives au traitement d’une affection de longue durée reconnue, à savoir du Apixaban 5mg, du Amlopine 5 mg, du Lamotrigine 25 mg, du Enalapril maléate 20 mg + lercanidipine chlorhydrate 10 mg et du Lamotrigine 100 mg ;
* la pièce 42, constituée d’une ordonnance délivrée le 5 mars 2014 par M. [E], neurologue, indique qu’il lui est prescrit du Lamictal 100 pendant 6 mois ;
* la pièce 16, constituée d’un extrait tiré du site Doctissimo, concerne les effets indésirables du Lamictal à savoir fréquemment de la fatigue, des douleurs et une douleur du dos ;
* pièce 17, soit le résultat d’une IRM cérébrale, du 28 août 2017, conclut à une absence de signe en faveur d’une lésion secondaire, une leucopathie vasculaire évoluée (Fazekas III), une atrophie hippocampique bilatérale symétrique grade III, selon l’échelle de Sceltens associée à une atrophie cortico-sous-corticale diffuse globale, un petit cavernome hémisphérique cérébelleux gauche de 5 mm et une anomalie veineuse de développement fronto-pariétal droit ;
* pièce 44, à savoir une IRM cérébrale du 20 avril 2015 conclut à une séquelle ischémique au niveau de la partie inférieure de l’hémisphère cérébelleux gauche, une atrophie cortico-sous-corticale et hippocampique évoluée, une absence de syndrome de masse et une absence de lésion suspecte ;
* pièce 46, constituée d’un compte rendu d’une consultation du 12 septembre 2018 de Mme [E], neurologue, précise ce qui suit : ‘j’ai revu en consultation M. [T] [W] qui présente une maladie d’Alzheimer traitée par Aricet 5 mg actuellement, traitement qui a débuté au mois de mai.
…
Les choses sont stables sur le plan cognitif. Il n’y a eu ni d’aggravation ni d’amélioration.
M. [T] [W] a passé un bilan neuropsychologique en août 2018 avec Mme [A]. Ce bilan retrouve une baisse de l’efficience cognitive globale ainsi qu’une altération des fonctions exécutives phasiques et praxiques. En ce qui concerne les épreuves testant la mémoire épisodique verbale, en octobre 2017 cette épreuve avait été arrêtée en raison d’un encodage impossible de la première fiche malgré trois essais. En août 2018, après l’instauration du traitement par Aricept 5mg, cette épreuve a pu être menée à son terme et montre une atteinte de la mémoire avec la présence de neuf intrusions.
J’augmente l’Aricept à 10mg qui est la posologie recommandée.
Je reverrai M. [T] [W] dans quelques mois en consultation’
* la pièce 43, constituée d’un certificat médical du 18 décembre 2019 délivré par le docteur [G] souligne que M. [T] [W] souffrait de la maladie d’Alzheimer et était traité contre cette pathologie et présentait des signes ‘neurologiques depuis juin 2016’.
Il résulte de ces éléments que les médecins ayant ausculté M. [T] [W] ne font nullement état de problème de compréhension, de confusion mentale de leur patient permettant de s’interroger sur la pleine capacité de M. [T] [W] à défendre ses intérêts par suite de l’altération de ses facultés personnelles à l’époque de la donation litigieuse. Il n’est pas plus démontré qu’il était dans l’incapacité à manifester une volonté lucide au moment de celle-ci.
En outre, les différents autres éléments de preuve versés aux débats ne permettent pas d’aboutir à une autre appréciation des faits, autorisant ainsi l’application des dispositions de l’article 464 du code civil.
Comme le souligne M. [V] [W], le notaire qui a recueilli la signature de M. [T] [W] a marqué sa surprise au propos de M. [T] [W] qui prétendait ne pas avoir compris la portée de cet acte juridique alors que l’acte avait été régularisé sur sa demande expresse et insistante, que le rendez-vous avait duré plus d’une heure, précédé quelques semaines auparavant d’un autre long rendez-vous où tous les aspects avaient été abordés et validés, que cette donation n’était pas la cause de l’impossibilité de constituer un usufruit sur ce bien au profit de son épouse puisque ce bien appartenait déjà partiellement à ses enfants en nue-propriété depuis le décès de leur mère, première épouse de M. [T] [W], rendant ipso facto la constitution d’un usufruit au profit de la seconde épouse impossible (pièce 9).
De même, les nombreux échanges entre M. [T] [W] et M. [J] [M], notaire, montrent que M. [T] [W] maîtrisait non seulement l’outil informatique, mais en outre, qu’il comprenait parfaitement la portée de ses actes, ses propos sont cohérents, mesurés et ses capacités de discernement, en 2017, n’apparaissent nullement amoindries (pièce 48).
Au surplus, M. [T] [W] ne précise ni ne justifie de l’existence du préjudice tant moral que patrimonial qu’il allègue se bornant à affirmer subir ‘un préjudice moral mais également patrimonial conséquent’ sans plus de précision ni offre de preuve.
Il découle de ce qui précède que la demande de M. [T] [W], qui n’est pas fondée, ne sera pas accueillie et le jugement confirmé en ce qu’il rejette la demande d’annulation fondée sur les dispositions de l’article 464 du code civil.
Sur la responsabilité du notaire
Contrairement à ce que prétend M. [T] [W], le notaire démontre qu’il a correctement rempli son devoir de conseil et d’information.
L’acte litigieux (pièce 5 de l’appelant) mentionne très clairement que ‘les parties reconnaissent avoir reçu préalablement à ce jour un projet du présent acte et déclarent avoir reçu toutes explications utiles’, cette mention est suivie de la signature des parties.
L’acte mentionne, les éléments importants étant matérialisés en lettres capitales et apparence ‘gras’, que :
* son objet porte sur une ‘DONATION ENTRE VIFS, HORS PART SUCCESSORALE, et par suite, avec dispense de rapport à sa succession, au DONATAIRE, qui accepte expressément’ ;
* sur le bien suivant ‘ 5/ 8ème en NUE-PROPRIÉTÉ des droits et biens immobiliers sis à [Adresse 3] une maison à usage d’habitation, élevée sur sous-sol total divisé en garage, buanderie, atelier, chauffage et surface de stockage.
Au rez-de-chaussée : entrée, séjour double, cuisine, chambre, salle d’eau, lavabos, W.C.
A l’étage : quatre chambres, salle de bains, W.C.
Figurant au cadastre sous les références suivantes : section AB numéro [Cadastre 4], [Adresse 3] contenance 7 ares, 68 ca’ ;
* l’acte précise encore les références cadastrales anciennes et que ce bien est estimé à 350 000 euros pour les 5/ 8èmes en pleine propriété et à 245 000 euros pour les 5/ 8èmes en nue propriété (les sommes sont également indiquées en toutes lettres) ; il mentionne également la valeur du bien pour la totalité en pleine propriété, soit 560 000 euros et que l’usufruit du donateur est évalué en fonction de l’âge du donateur et en application de l’article 669 du CGI soit à 30% de la pleine propriété ;
* l’acte indique également que la donation porte aussi sur ‘ la TOTALITÉ en NUE-PROPRIÉTÉ des droits et biens immobiliers sis à [Adresse 9]’ sur la parcelle de terre à usage de jardin figurant au cadastre sous les références suivantes : section AB numéro [Cadastre 5], [Adresse 9] contenance 9 ares, 24 ca’ ; il mentionne aussi la valeur de ce bien, soit 12 000 euros en pleine propriété et 8 000 euros en nue propriété.
L’acte est ainsi parfaitement clair, non seulement sur la consistance des biens ayant fait l’objet de la donation, mais également sur la portée de l’engagement qui est fait ‘hors part successorale’ et donc avec dispense de rapport à la succession. Les termes ‘nue propriété’, ‘pleine propriété’, ‘hors part successorale’, ‘usufruit’ sont également compréhensibles surtout pour M. [T] [W] qui a déclaré avoir reçu toutes explications utiles et avoir eu à sa disposition le projet d’acte avant sa signature. En outre, sa première épouse étant décédée et la succession de celle-ci étant intervenue, M. [T] [W] ne peut sérieusement prétendre ne rien entendre à ces notions juridiques et leur portée. Du reste, les productions enseignent que M. [T] [W] a longuement échangé avec son notaire sur cette donation, avant et après la signature de cet acte, et qu’il disposait de ses pleines capacités intellectuelles.
La faute alléguée n’est donc pas démontrée de sorte que les demandes de M. [T] [W] à l’encontre de la société SCP [J] [M] ne sauraient être accueillies.
Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens de l’arrêt commande de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et M. [X], ès qualités de curateur, seront condamnés aux dépens d’appel. Leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera par voie de conséquence rejetée.
L’équité commande de les condamner sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à verser les sommes suivantes :
* 3 000 euros à la société SCP [J] [M],
* 3 000 euros à M. [V] [W].
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et M. [X], ès qualités de curateur, aux dépens d’appel ;
CONDAMNE M. [T] [W], sous curatelle renforcée, et M. [X], ès qualités de curateur, à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes suivantes :
*3 000 euros à la société SCP [J] [M],
* 3 000 euros à M. [V] [W].
REJETTE toutes autres demandes.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,