Responsabilité du Notaire : 4 avril 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 20/02162

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Responsabilité du Notaire : 4 avril 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 20/02162
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MARS/SH

Numéro 23/01212

COUR D’APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRÊT DU 04/04/2023

Dossier : N° RG 20/02162 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HUNG

Nature affaire :

Demande en réparation des dommages causés par l’activité des auxiliaires de justice

Affaire :

[T] [G]

C/

[B] [A]

Société MMA IARD

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 04 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 21 Février 2023, devant :

Madame FAURE, Présidente

Madame ROSA-SCHALL, Conseillère, magistrate chargée du rapport conformément à l’article 785 du Code de procédure civile

Monsieur SERNY, Magistrat honoraire

assistés de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l’appel des causes.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public le 17 juin 2022

dans l’affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [T] [G]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 12] (64)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Maître BERNADET de la SCP BERNADET JACQUES, avocat au barreau de PAU

INTIMES :

Maître [B] [A]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Maître PIAULT, avocat au barreau de PAU

Société MMA IARD, es-qualités d’assureur de la responsabilité professionnelle de Maître [A], Notaire associé – intervenant volontaire

[Adresse 2]

[Localité 8]

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, es-qualités d’assureur de la responsabilité professionnelle de Maître [A], Notaire associé

– intervenant volontaire

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentées par Maître PIAULT, avocat au barreau de PAU

Assistées de la SCP KUHN, avocats au barreau de PARIS

sur appel de la décision

en date du 15 SEPTEMBRE 2020

rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DE PAU

RG numéro : 19/00572

M. [T] [G] a acheté un bien immobilier à [Localité 9] (64) le 1er décembre 2014, acquisition financée par un apport personnel de 48 500 euros et par un prêt de 90 000 euros.

M. [T] [G] et Mme [V] [Y] se sont mariés le [Date mariage 3] 2015 après avoir fait établir le 22 mai 2015, par Maître [B] [A], notaire associé à [Localité 11], un contrat de mariage de communauté réduite aux acquêts.

Ce contrat précisait que M. [T] [G] faisait apport à la communauté du bien immobilier et que cette mise en communauté ne donnait lieu à aucune récompense à la charge de cette dernière.

Le 21 août 2017, Mme [V] [Y] a déposé une requête en divorce et le 19 septembre 2019 le divorce était prononcé par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pau.

Par acte d’huissier en date du 15 mars 2019, M. [T] [G] a fait assigner Maître [B] [A] devant le tribunal de grande instance de Pau, aux fins de voir juger que Maître [A] a commis un manquement à son obligation d’information et de conseil en ne prévoyant pas l’apport du passif relatif à cet immeuble, ni de clause de retour, et a engagé sa responsabilité professionnelle. Il demandait de le condamner à lui payer la somme de 77 729,21 euros au titre du préjudice financier, ainsi que celle de 2 000 euros en réparation du préjudice moral, outre la somme de 3 000 euros au titre des frais de procédure.

Par jugement du 15 septembre 2020 le tribunal, devenu tribunal judiciaire de Pau a :

– déclaré Maître [B] [A] responsable du préjudice subi par M. [T] [G],

– condamné Maître [B] [A] à payer à M. [T] [G] la somme de 38 865 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la signification de la décision,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– condamné Maître [B] [A] à payer à M. [T] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

M. [T] [G] a relevé appel par déclaration du 23 septembre 2020 critiquant le jugement en ce qu’il condamne Maître [B] [A] à lui payer la somme de 38 865 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la signification de la décision et déboute les parties de leurs autres demandes.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 2 avril 2021, les conclusions déposées le 4 mars 2021 dans l’intérêt de Maître [B] [A] ont été déclarées irrecevables.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 11 mai 2022, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel du 18 octobre 2022, les interventions volontaires de la SA MMA IARD et de la SA et MMA IARD assurances mutuelles ont été déclarées recevables.

Par conclusions du 5 mars 2022, M. [T] [G] demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré Maître [B] [A] responsable du préjudice qu’il a subi et l’a condamné à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance.

Réformant le jugement pour le surplus et statuant à nouveau, il demande sur le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime de :

– condamner Maître [B] [A] à lui payer la somme de 83 323,25 euros au titre du préjudice financier, somme arrêtée au 1er janvier 2021,

– surseoir à statuer pour le surplus jusqu’à la liquidation définitive du régime matrimonial de M. [T] [G],

– condamner Maître [B] [A] à lui payer une indemnité de 2 000 euros en réparation du préjudice moral,

– débouter les MMA IARD et MMA IARD mutuelles de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner in solidum Maître [B] [A] avec les MMA IARD et MMA IARD mutuelles à payer à M. [T] [G] une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens d’appel.

Par conclusions du 15 février 2022, la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles demandent sur le fondement des dispositions de l’article 554 du code de procédure civile et 1240 du code civil :

– de juger la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles, ès qualités d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de Maître [B] [A], recevables en leur intervention,

– d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Pau et statuant à nouveau, de juger :

– que Maître [A] n’a commis aucune faute,

– que M. [T] [G] ne caractérise pas le lien de causalité qui doit nécessairement exister entre la faute invoquée et le préjudice allégué,

– que M. [T] [G] ne caractérise son dommage ni dans son principe ni dans son quantum,

– de débouter M. [T] [G] de toutes ses demandes,

– de condamner M. [T] [G] à payer à la société MMA IARD et à la société MMA IARD assurances mutuelles, ès qualités d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de Maître [B] [A] la somme de 1 500 euros à chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner M. [T] [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Piault, avocat qui y a pourvu, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le procureur général auquel la procédure a été communiquée, s’en est rapporté à la jurisprudence habituelle de la cour.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2023.

SUR CE :

La question de la recevabilité de l’intervention volontaire de la société MMA IARD et de la société MMA IARD assurances mutuelles est sans objet pour avoir été tranchée et admise, par le magistrat de la mise en état dans une ordonnance du 11 mai 2022, confirmée par un arrêt de la présente cour du 18 octobre 2022.

Sur la responsabilité du notaire

Elle est recherchée sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil, applicable au présent litige.

La société MMA IARD et de la société MMA IARD assurances mutuelles sollicitent l’infirmation du jugement de ce chef en faisant valoir :

– que Maître [A] n’était pas au courant de l’existence du passif afférent à l’acquisition de l’immeuble le 2 décembre 2014 ce dont Monsieur [G] ne l’a pas informé.

– Que Monsieur [G] savait que le patrimoine de son épouse n’offrait aucune possibilité de contribution en sorte qu’il ne pourrait percevoir aucune récompense en contrepartie de son apport.

– Que Monsieur [G] qui a refusé la clause prévoyant une récompense n’avait aucune raison de vouloir une clause de reprise.

– Qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la prétendue faute de Maître [A] et le dommage dont fait état Monsieur [G], dès lors qu’il souhaitait supprimer tout déséquilibre patrimonial entre lui et sa future épouse qui n’avait pas de revenus.

– Que Monsieur [G] ne caractérise pas son dommage ni dans son principe ni dans son quantum.

Monsieur [T] [G] sollicite la confirmation du jugement de ce chef.

*

* * *

*

Dans le cadre de l’exercice de son devoir de conseil, le notaire doit notamment vérifier que ses clients ont saisi l’entière portée de l’acte qu’il va recevoir. Il doit les informer et les conseiller sur la portée de l’engagement qu’ils entendent prendre et sur les risques de celui-ci.

En l’espèce, quand bien même Monsieur [T] [G] n’a pas porté à sa connaissance l’existence du crédit portant sur le bien immobilier, il appartenait à Maître [B] [A] de procéder à cette vérification en interrogeant Monsieur [G] sur ce point dès lors que l’existence d’un passif avait nécessairement une incidence sur la portée de l’engagement de Monsieur [T] [G].

Il s’agissait d’une vérification élémentaire à laquelle le notaire pouvait aisément procéder, puisque le contrat de mariage aux termes duquel Monsieur [G] apportait cet immeuble à usage d’habitation à la communauté, rappelait que ce bien avait été acquis très peu de temps auparavant, suivant acte reçu par Maître [X] [K], notaire à [Localité 13], le 2 décembre 2014.

Au surplus il ne résulte pas des quelques lignes figurant sur sa note manuscrite (pièce 2) que Maître [A] ait vérifié avant de recevoir ce contrat de mariage, en posant la question à Monsieur [G] si un crédit immobilier existait sur cette maison apportée à la communauté, ce qui lui aurait notamment permis de l’ informer de la possible transmission à la communauté du passif grevant l’immeuble.

Par ailleurs, si cette note manuscrite du notaire fait apparaître que Madame [Y] était endettée et qu’un dossier de surendettement était en cours jusqu’en 2017, elle ne permet pas d’établir que Maître [A] ait informé et éclairé les futurs époux sur la portée et la conséquence de cet apport en communauté par Monsieur [G] de l’immeuble d'[Localité 9], dans l’hypothèse d’un éventuel divorce des époux qui ne pouvait pas être exclue.

Cette information était d’autant plus importante que le notaire savait que Madame [Y] était sans profession et endettée.

Au regard de ces éléments, Maître [A] devait à tout le moins informer les futurs époux sur les conséquences de l’entrée en communauté de ce bien immobilier sans que cette mise en communauté ne donne lieu à aucune récompense à la charge de cette dernière comme convenu dans le contrat de mariage, et de la possibilité d’insérer à l’acte une clause de reprise d’apport or, il ne résulte pas des quelques notes qu’il a prises ( pièce 2 susvisée) que le notaire les ait informé et interrogé de ce chef, en sorte qu’il ne peut pas affirmer que Monsieur [G] n’aurait pas suivi ses conseils s’il les lui avait donnés.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu que Maître [B] [A] a failli à son obligation de devoir d’information et de conseil, sa faute étant établie de ce chef.

Sur l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité

Monsieur [T] [G] verse aux débats le jugement de divorce rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pau le 19 septembre 2019, décision à la lecture de laquelle il apparaît que Madame [V] [Y] devrait bénéficier d’un patrimoine de 70 000 € lors de la liquidation du régime matrimonial, le bien immobilier étant évalué à 140 000 €, alors que Monsieur [T] [G] aura un patrimoine nul puisque sa part sera équivalente au passif dont il reste redevable.

Par le contrat de mariage objet du litige, Monsieur [T] [G] renonçait aux droits qu’il avait en propre sur cet immeuble et il est établi que le notaire ne démontre pas avoir informé les futurs époux des conséquences de ces clauses dans l’éventualité d’un divorce, lequel a effectivement été prononcé par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pau quelques années après.

Il existe donc un lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice allégué.

Pour l’appréciation de son préjudice qu’il fixe à la somme de 83 323,25 €, Monsieur [G] se prévaut :

– de la perte de l’apport réalisé à hauteur de 48 500 €,

– et des mensualités du crédit qu’il a remboursées.

Au regard de ces éléments, c’est à bon droit que le premier juge a retenu qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à statuer jusqu’à la liquidation du régime matrimonial pour apprécier le montant alloué au titre de la perte de chance et a débouté Monsieur [G] de cette demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Il est établi par les pièces produites aux débats, notamment l’acte de vente consorts [C]/[T] [G] reçu le 2 décembre 2014 par Maître [K], que Monsieur [T] [G] a acquis l’immeuble sis à [Adresse 10] au prix de 127 000 €, sur lequel 90 000 € provenaient de fonds empruntés auprès du crédit agricole. Le relevé de compte et le décompte acquéreur émanant de l’étude notariale démontrent qu’il a en outre déboursé, pour compléter le prêt et pour l’ensemble des frais d’acquisition, la somme de 48 500 €.

Du fait des clauses du contrat de mariage du 22 mai 2015, l’immeuble qui était un propre de Monsieur [G] est désormais en communauté, sans aucune charge de récompense en sorte qu’il a incontestablement perdu une chance de récupérer son apport financier personnel.

Par contre, si Monsieur [T] [G] supporte seul le remboursement des mensualités du crédit, il n’est pas établi qu’il s’agisse d’un préjudice en lien de causalité avec la faute du notaire dès lors qu’au moment où le contrat de mariage a été reçu, Monsieur [T] [G] savait que Madame [V] [Y] était sans profession et endettée de telle sorte qu’elle n’avait qu’une très faible capacité à contribuer aux charges du mariage et aucune à contribuer au remboursement de l’emprunt concernant l’immeuble familial d’autant que le jugement de divorce établit qu’elle avait déjà 2 autres enfants à charge avant d’épouser Monsieur [G].

En conséquence, au regard de ces éléments et des préjudices dont se prévaut Monsieur [T] [G], le lien de causalité certain entre ceux-ci et la faute de Maître [A] est limité à la perte de chance de récupérer l’ apport financier personnel qu’il a effectué pour parvenir à l’acquisition du bien tombé en communauté qu’il convient d’évaluer à 80 % de la somme de 48 500 € soit 38 800 €.

Dès lors que le jugement a fixé la perte de chance à la somme de 38 865 €, soit 65 € de plus que le préjudice tel qu’évalué par la cour, le jugement sera confirmé de ce chef sans qu’il y ait lieu de retenir cette modification à la marge.

Sur la demande de réparation du préjudice moral

Pas plus devant la cour qu’en première instance, Monsieur [T] [G] ne produit d’éléments démontrant l’existence d’un préjudice moral spécifique.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande.

Sur les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Monsieur [T] [G] succombant en son recours sera condamné aux dépens de l’appel et débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Les circonstances de la cause ne font pas paraître inéquitable que les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles supportent les frais irrépétibles qu’elles ont exposés devant la cour. Elles seront déboutées de cette demande.

Il sera fait droit à la demande d’application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître François Piault.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu l’arrêt de la présente cour en date du 18 octobre 2022 ;

Constate que la question de la recevabilité de l’intervention volontaire de la société MMA IARD et de la société MMA IARD assurances mutuelles est sans objet ;

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [T] [G] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [T] [G] aux dépens de l’appel et autorise Maître François Piault à procéder au recouvrement direct des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE

 


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