Responsabilité du Notaire : 31 mai 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/00873

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Responsabilité du Notaire : 31 mai 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/00873
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ARRÊT DU

31 Mai 2023

DB / NC

———————

N° RG 21/00873

N° Portalis DBVO-V-B7F -C5Y4

———————

SA CRÉDIT COOPERATIF

C/

[Y] [I]

[Y] [W]

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 238-23

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

SA CRÉDIT COOPERATIF

RCS NANTERRE B 349 974 931

[Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par Me François DELMOULY, substitué à l’audience par Me Marie-Hélène THIZY, membres de la SELARL AD-LEX, avocat au barreau d’AGEN

et Me Thierry WICKERS, membre de la SELAS ELIGE BORDEAUX, substitué à l’audience par Me Nicolas RICHARDOZ, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

APPELANTE d’un jugement du tribunal judiciaire d’AGEN en date du 25 mai 2021, RG 17/01385

D’une part,

ET :

Monsieur [Y] [I]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 5] (47)

de nationalité française

domicilié : [Adresse 4]

[Localité 5]

représenté par Me Ludovic VALAY, SELARL VALAY – BELACEL – DELBREL – CERDAN, avocat postulant au barreau d’AGEN

et Me Olivier ROQUAIN, membre de la SCP RMC & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau d’AGEN

INTIMÉ

Monsieur [Y] [W]

né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 9] (31)

de nationalité française

domicilié : [Adresse 6]

[Localité 5]

représenté par Me Erwan VIMONT, substitué à l’audience par Me Florence COULANGES, membres de la SCP LEX ALLIANCE, avocat au barreau d’AGEN

INTIMÉ SUR APPEL PROVOQUÉ

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 13 mars 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Cyril VIDALIE, Conseiller

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

FAITS :

Après offre sous seing privé du 7 mars 2012, par acte authentique établi le 24 juillet 2012 par [Y] [W], notaire associé de la SCP [Y] [W] ayant son siège à [Localité 5], avec la participation de [X] [C], notaire associé à [Localité 9], la SA Crédit Coopératif a prêté à la SAS Physiothérapie Générale France (PGF), dirigée par [Y] [I], la somme de 362 000 Euros remboursable sur une durée de 15 ans, afin de financer l’acquisition et l’agrandissement de son immeuble,

Le contrat de prêt stipule :

‘Taux annuel d’intérêts : 4,60 %,

Ce taux d’intérêt est valable jusqu’au 07.05.2012.

Au-delà de cette date, le taux appliqué sera celui en vigueur au jour du premier versement.

Les intérêts seront décomptés sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours, d’un mois de 30 jours.

Ce taux sera majoré de 0,33 % l’an correspondant à la commission Oséo Garantie calculée sur l’encours de l’intervention : la commission en question fera l’objet d’un prélèvement direct par Oséo Garantie.

Durée 15 ans.

Echéancier : 180 échéances mensuelles constantes (capital + intérêts) chacune de 2 011,11 Euros.

Le tableau d’amortissement sera adressé à l’emprunteur après le versement total du prêt.

Taux effectif global :

(…)

Le taux effectif global (articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation) ressort à 6,36 % l’an.’

Dans cet acte, M. [I] a déclaré :

‘Se porter caution personnelle et solidaire au profit du prêteur et s’engage à ce titre à lui payer, en cas de défaillance de l’emprunteur, toutes les sommes que ce dernier pourrait devoir au prêteur, à hauteur du montant global indiqué aux conditions particulières, soit 108 600 Euros incluant le principal à concurrence de 25 % majoré de 20 % pour les intérêts, frais et accessoires comprenant l’indemnité de résiliation anticipée au titre de l’obligation garantie dont la caution déclare parfaitement connaître toutes les conditions, et ce dont elle accepte qu’elles lui soient applicables.’

La SA Oséo avait, préalablement, notifié un accord de garantie de l’emprunt à hauteur de 25 %.

Une hypothèque a également été inscrite au profit du prêteur pour garantir le remboursement de l’emprunt, sur un immeuble situé à [Localité 5].

Les fonds prêtés ont été débloqués au fur et à mesure de l’avancement des travaux et la SAS PGF a commencé les remboursements.

Par jugement du 5 novembre 2015, sur déclaration de cessation des paiements, la SAS PGF a été placée en redressement judiciaire, la SCP Odile Stutz étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

La SA Crédit Coopératif a déclaré au passif une créance de 364 756,88 Euros à titre privilégié à échoir.

La SAS PGF a contesté cette déclaration au motif que le taux effectif global mentionné dans le contrat était erroné, certains frais n’ayant pas été intégrés dans son calcul.

Par lettre du 25 avril 2016, la SCP Odile Stutz a indiqué à la SA Crédit Coopératif qu’elle proposerait au juge-commissaire le rejet de la déclaration de créance.

Le 7 septembre 2016, la SAS PGF a été placée en liquidation judiciaire.

Le 28 novembre 2016, la SA Crédit Coopératif a mis en demeure M. [I] d’exécuter son engagement de caution.

Par acte délivré le 21 juillet 2017, M. [I] a fait assigner la SA Crédit Coopératif et M. [W] devant le tribunal de grande instance d’Agen afin de voir annuler son cautionnement, motif pris d’erreurs dans le calcul du TEG du prêt et sur le mécanisme d’intervention d’Oséo, ou subsidiairement en déclarant engager la responsabilité de la banque et du notaire pour manquement au devoir de mise en garde, invoquant très subsidiairement la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel.

Par ordonnance du 5 juin 2018, devenue définitive, le juge-commissaire a admis au passif la créance de la SA Crédit Coopératif pour un montant de 364 756,88 Euros à titre privilégié hypothécaire.

Par jugement rendu le 25 mai 2021, le tribunal judiciaire d’Agen a :

– annulé pour cause d’erreur le cautionnement souscrit par [Y] [I] au bénéfice du Crédit Coopératif en vertu d’un acte reçu le 24 juillet 2012 par Me [Y] [W], notaire à [Localité 5],

– condamné le Crédit Coopératif à la moitié des dépens,

– condamné [Y] [W] à l’autre moitié des dépens,

– autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

– condamné le Crédit Coopératif et Me [Y] [W] à payer à [Y] [I] la somme de 2 500 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a estimé que la décision d’admission au passif de la procédure collective de la SAS PGF suite à la contestation du calcul du TEG avait autorité de chose jugée à l’égard de M. [I] ; que si l’acte de prêt était laconique sur le mécanisme d’intervention d’Oséo, la lettre d’acceptation envoyée à la SAS PGF l’expliquait et, compte tenu qu’il n’était pas établi que le consentement de M. [I] au cautionnement était subordonné à l’intervention d’Oséo et qu’il s’était porté caution solidaire, il ne pouvait ignorer que les sommes impayées par sa société pouvaient lui être réclamées ; qu’il existait toutefois une grande différence entre le mécanisme de remboursement mentionné dans l’offre initiale et le contrat authentique et que le tableau d’amortissement ne correspondait ni à l’un ni à l’autre, de sorte que M. [I] n’avait pu connaître la portée de son engagement ; qu’ainsi il avait pu croire que la SAS PGF remboursait chaque mois 2 011,11 Euros alors que l’échéance de janvier 2013 était de 3 429,38 Euros ; qu’ainsi, son consentement avait été vicié.

Par acte du 10 septembre 2021, la SA Crédit Coopératif a déclaré former appel du jugement en désignant [Y] [I] et la SCP [W] en qualité de parties intimées et en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui ont annulé le cautionnement et qui l’ont condamnée à la moitié des dépens et à verser une indemnité de 2 500 Euros.

Par acte du 7 mars 2022, M. [I] a formé un appel provoqué à l’encontre de M. [W].

Par ordonnance du 15 novembre 2022, l’appel de la SA Crédit Coopératif à l’encontre de la SCP [W] a été déclaré irrecevable, l’appel provoqué a été déclaré recevable, et le conseiller de la mise en état s’est déclaré incompétent pour connaître de la fin de non-recevoir soulevée par M. [W] relative à la demande de dommages et intérêts formée à son encontre par la banque.

La clôture a été prononcée le 25 janvier 2023 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 13 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 6 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SA Crédit Coopératif présente l’argumentation suivante :

– Il existe une erreur purement matérielle dans l’acte notarié :

* le notaire a repris dans l’acte authentique les conditions générales de l’emprunt, annexées à l’acte, en mentionnant par erreur qu’il devait être remboursé par ‘180 échéances mensuelles constantes (capital + intérêts) chacune de 2 011,11 Euros, le tableau d’amortissement sera adressé à l’emprunteur après le versement total du prêt’ au lieu de mentionner ‘180 échéances mensuelles constantes en capital chacune de 2 011,11 Euros et décroissante en intérêts’.

* cette mention erronée aboutit à un calcul de 180 x 2011,11 Euros = 361 999,80 Euros correspondant au seul capital prêté.

* en cas d’annulation du cautionnement, la responsabilité du notaire serait engagée.

* le déblocage des fonds ayant été échelonné, il a existé des tableaux d’amortissement provisoires avec calculs d’échéances à chaque fois, et établissement du tableau définitif seulement lors du déblocage du solde de l’emprunt, tenant compte de la durée totale de l’emprunt.

– La validité du consentement s’apprécie au jour de la formation du contrat :

* le tribunal ne pouvait apprécier l’existence d’une erreur en prenant en compte le montant des échéances dues à partir de janvier 2013.

* en tout état de cause, il n’existe qu’un écart insignifiant de 1,011 %.

* les éléments retenus par le tribunal sont relatifs à l’exécution du contrat et non à sa formation.

– M. [I] ne peut pas contester le montant dû par la SAS PGF :

* il n’est débiteur que de 108 600 Euros.

* la créance a été vérifiée et admise au passif, ce qui empêche toute autre contestation.

– La garantie d’Oséo n’a aucune incidence sur M. [I] :

* la portée du cautionnement a été expliquée dans l’acte authentique et M. [I] a renoncé au bénéfice de discussion.

* en mars 2012, il a été destinataire de l’accord d’intervention d’Oséo et de ses conditions générales qui expliquent son intervention et son caractère subsidiaire au cautionnement.

– Le cautionnement était adapté à la situation de M. [I] :

* M. [I] ne produit aucun élément justifiant de sa situation en 2012.

* il avait rempli une fiche de déclaration de situation indiquant des revenus annuels nets de 37 000 Euros, des disponibilités de 64 000 Euros et des actifs immobiliers nets d’un montant de 350 000 Euros.

– Elle n’a manqué à aucun devoir de mise en garde :

* M. [I] dirigeait plusieurs sociétés et est une caution avertie.

* la SAS PGF a remboursé l’emprunt pendant plusieurs années et était en mesure de rembourser l’emprunt souscrit, ses difficultés provenant de la perte d’un important marché au Brésil.

– Subsidiairement, le notaire doit la relever indemne de toute condamnation à dommages et intérêts

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

– réformer la décision,

– déclarer les contestations relatives à la validité du contrat de prêt et au quantum de la créance irrecevables,

– rejeter les contestations de M. [I],

– en cas de nullité du cautionnement :

– condamner M. [W] à lui payer la somme de 108 600 Euros en indemnisation du préjudice subi,

– en cas de condamnation à l’encontre de M. [W] et du Crédit Coopératif :

– condamner M. [W] à la relever indemne de toute condamnation prononcée au profit de M. [I],

– dans tous les cas :

– condamner M. [I] ou à défaut M. [W] aux entiers dépens et (à lui payer) 7 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

*

* *

Par dernières conclusions notifiées le 10 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [Y] [I] présente l’argumentation suivante :

– Il a été induit en erreur sur les caractéristiques essentielles du prêt :

* l’acte authentique vise 180 x 2011,11 Euros = 361 999,80 Euros, soit un montant inférieur au montant du prêt hors intérêts, alors que les conditions particulières renvoient à des mensualités de 2 011,11 Euros n’incluant pas les intérêts.

* aucune des échéances n’a été constante et le tableau d’amortissement émis le 28 décembre 2012, qui comporte des échéances variables, n’est pas conforme à l’acte authentique.

* l’article L. 313-1 du code de la consommation indique quels sont les coûts qui doivent être pris en compte pour calculer le TEG.

* le calcul de la banque n’a pas pris en compte la souscription de parts sociales pour un montant de 3 629,50 Euros, de sorte que le TEG est de 6,52 % et non de 6,36 %.

* il a missionné M. [G] qui l’a confirmé.

* il n’a ainsi pas eu une connaissance précise de la portée de son engagement.

* il ne remet pas en cause le montant de la créance de la SAS PGF telle qu’il a été admis au passif.

* l’intervention de l’organisme Oséo ne lui a pas été expliquée, il ignorait que son intervention n’était que subsidiaire et pensait que s’il était actionné en qualité de caution, il bénéficierait d’un recours contre Oséo à hauteur de 25 %, ce qui constituait une condition déterminante de son consentement.

– Subsidiairement, la responsabilité du notaire est engagée :

* l’acte authentique de prêt est entaché de multiples erreurs, incohérences et contradictions, et le notaire ne l’a pas informé sur la garantie Oséo.

* le devoir de conseil n’est pas amenuisé lorsqu’il est prétendu que la caution était avertie.

* le notaire n’ignorait pas qu’il était endetté pour le même montant auprès de la Banque Populaire Occitane.

– La banque est également fautive :

* il est une caution profane et non avertie et il existe une disproportion entre son engagement et son endettement, ses biens et ses revenus.

* dès l’exercice clos au 31 décembre 2008, la SAS PGF montrait des signes de difficultés économiques et le 30 juin suivant, une perte de 50 004 Euros était constatée.

* les difficultés de la société existaient le 24 juillet 2012.

– Son engagement est disproportionné :

* lorsqu’il a souscrit le cautionnement, il était propriétaire :

– d’un appartement à usage locatif situé à [Localité 9] grevé d’un emprunt dont le solde restant dû était alors de 135 680 Euros,

– d’une maison individuelle à [Localité 8] acquise en 1992 pour 39 941 Euros vendue le 4 août 2015 pour 130 000 Euros, d’une valeur de 110 000 Euros.

– d’une maison d’habitation située à [Localité 5] estimée à 65 000 Euros en 2006, pour laquelle il a emprunté, afin de financer une soulte et des travaux, avec un en-cours de 64 304,87 Euros en 2012.

* il ne disposait que des revenus variables de son entreprise.

* il était caution de 18 000 Euros depuis le 6 mai 2009, 24 000 Euros depuis le 22 janvier 2011 et de 90 500 Euros depuis le 24 juillet 2012 (ces deux dernières sommes concernant la Banque Populaire Occitane).

* sa situation s’est ensuite encore dégradée et il n’est actuellement pas en capacité de rembourser la somme réclamée.

Au terme de ses conclusions, il demande à la Cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a annulé le cautionnement,

– subsidiairement :

– condamner solidairement la SA Crédit Coopératif et M. [W] à lui payer la somme de 108 600 Euros au titre de son engagement de caution, à charge pour lui de régler la banque,

– très subsidiairement :

– le décharger de son cautionnement compte tenu de son caractère disproportionné,

– en tout état de cause :

– condamner la SA Crédit Coopératif et M. [W] à lui payer la somme de 5 000 Euros à titre de dommages et intérêts outre 800 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

*

* *

Par dernières conclusions notifiées le 19 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [Y] [W] présente l’argumentation suivante :

– Le cautionnement est valide :

* il existe une différence entre les mentions de l’acte authentique et les conditions du prêt sur des échéances mensuelles constantes en capital et intérêts ou en capital et décroissantes en intérêts.

* les tableaux d’amortissements indiquent des échéances constantes en capital et décroissantes en intérêts, documents qui ont été reçus par M. [I] en sa qualité de dirigeant de la SAS PGF et qui n’ont suscité aucune réaction de sa part.

* un tel prêt fonctionne selon le déblocage des fonds et M. [I] le savait, comme en atteste des courriels produits aux débats.

* l’erreur invoquée ne porte pas sur une qualité essentielle du contrat, l’écart constaté étant en réalité insignifiant.

* l’erreur sur le taux d’intérêts concerne le TEG, mais la sanction n’est alors que la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel et en tout état de cause, l’argument a été rejeté par le juge-commissaire.

* l’acte authentique a informé M. [I] des modalités et conditions d’exécution de la garantie d’Oséo, en rappelant en son article 24 l’autonomie du cautionnement, qui ne bénéficie qu’au prêteur, et les conditions générales de l’intervention d’Oséo ont été envoyées à la SAS PGF.

– M. [I] est une caution avertie :

* il était gérant associé de la SCI JLB Immo, de la JLB Holding qui a pour activité le conseil en gestion administrative comptabilité financière sociale et commerciale, et PDG de la SAS PGF.

* M. [I] a monté un dossier avec demande de subvention, assisté d’un avocat au barreau de Bordeaux, avec plusieurs banques.

– Il n’a commis aucune faute :

* il s’est limité à authentifier l’acte de prêt qui avait fait l’objet d’un acte sous seing privé du 7 mars 2012, et son acte est postérieur au premier déblocage des fonds.

* l’erreur de la banque sur le TEG préexistait à son intervention.

* son acte est valide : il a vérifié les garanties et inscrit l’hypothèque.

* M. [I] a parfaitement compris l’intervention d’Oséo.

* seule une perte de chance de ne pas avoir souscrit le cautionnement pourrait être invoquée.

Au terme de ses conclusions, il demande à la Cour de :

– déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts présentée par la SA Crédit Coopératif à son encontre,

– réformer le jugement en ce qu’il a annulé le cautionnement,

– rejeter les demandes de nullité du cautionnement,

– rejeter les demandes présentées à son encontre,

– condamner les parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

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MOTIFS :

1) Sur la nullité du cautionnement pour erreur :

Selon l’ancien article 1110 du code civil, applicable au cautionnement en litige, l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.

En l’espèce, M. [I] fonde sa demande en nullité sur les arguments suivants :

a : mauvaise indication des mensualités de l’emprunt :

L’acte notarié de prêt établi le 24 juillet 2012 mentionne :

‘Échéancier 180 échéances mensuelles constantes (capital + intérêts) chacune de 2 011,11 Euros’.

Il s’agit d’une erreur purement matérielle du fait que la multiplication par 180 mensualités de 2 011,11 Euros totalise 361 999,80 Euros, soit une somme qui ne correspond (compte tenu des arrondis) qu’au capital emprunté, alors que le crédit accordé à la SAS PGF n’était pas gratuit, l’acte mentionnant un taux effectif global de 6,36 %.

En réalité, conformément à l’offre de prêt acceptée par M. [I], la SAS PGF s’est engagée sur le versement de 180 échéances mensuelles de 2 011,11 Euros, représentant le capital emprunté, avec ajout d’intérêts décroissants.

Ensuite, s’agissant d’un capital emprunté qui ne fait pas l’objet d’un unique versement à l’emprunteur mais de versements échelonnés au fur et à mesure de la facturation de l’avancement des travaux, les mensualités évoluaient en fonction de ces versements.

M. [I] a d’ailleurs envoyé un courriel, le 14 juillet 2012, à Mme [K], employée de la SA Crédit Coopératif, dans laquelle il lui a posé des questions sur le détail de ce mécanisme, et notamment sur les conséquences de travaux d’un coût inférieur à l’emprunt, comme par exemple ‘comment le calcul et l’application des intérêts intercalaires sera-t-elle réalisée ‘ Au fur et à mesure des déblocages successifs de fonds, ce qui serait en contradiction avec le projet de tableau d’amortissement’ qui atteste de sa compréhension au moins globale du caractère évolutif du montant des mensualités en fonction du déblocage du capital.

En tout état de cause, le montant des mensualités contractuellement mises à la charge de la SA PGF n’a aucune incidence sur la substance de l’engagement de caution souscrit par M. [I] qui consiste à rembourser, dans la limite de 25 %, les sommes qui pourraient être impayées par cette société sur l’emprunt de 362 000 Euros.

C’est s’il y avait eu une erreur sur le montant cautionné, ce qui n’est pas le cas, que M. [I] aurait pu invoquer l’existence d’un vice de son consentement au cautionnement.

Les modalités de remboursement de l’emprunt ne peuvent, par suite, constituer une condition déterminante de l’engagement de la caution.

Aucune erreur ne peut être invoquée sur ce point.

b : taux effectif global de l’emprunt :

M. [I] met en cause le fait que le calcul du TEG de l’emprunt n’a pas intégré le coût de 3 629,50 Euros dont la SAS PGF a dû s’acquitter pour l’acquisition de parts sociales, et qu’il est basé sur un mauvais taux de période, de sorte que le TEG réel est de 6,52 % au lieu de 6,36 %.

Il avait présenté la même objection devant le juge-commissaire dans le cadre de la contestation de la créance déclarée au passif par la SA Crédit Coopératif, mais le juge-commissaire a admis la totalité de la créance déclarée, rejetant ainsi l’erreur alléguée, ce qui s’impose à M. [I] qui ne peut plus présenter à nouveau la même argumentation.

En outre, l’erreur invoquée n’a, sur ce point également, aucune incidence sur le consentement à l’acte de cautionnement donné pour une somme plafonnée à 108 600 Euros inférieure au seul capital emprunté, indépendamment du montant des intérêts.

Aucune erreur ne peut être invoquée sur ce point.

c : intervention d’Oséo :

La garantie d’Oséo constitue un système d’assurance du capital risque au profit de l’entreprise financée.

Le mécanisme de la garantie d’Oséo est le suivant : la banque créancière dont le prêt n’a pas été intégralement remboursé poursuit l’emprunteur et ses cautions en paiement et, au terme de ces poursuites, Oséo lui paye la somme non recouvrée, au prorata de sa part de risque.

Il s’agit par conséquent d’un mécanisme subsidiaire qui n’intervient qu’après que les cautions ont exécuté leurs engagements.

En l’espèce, le contrat notarié de prêt stipule :

‘GARANTIES :

* garantie d’Oséo Garantie à hauteur de 25 %

* caution personnelle et solidaire de M. [I] [Y] (…) à hauteur de 108 600 Euros’

(…)

Le présent cautionnement s’ajoute aux autres garanties que la caution a déjà pu ou pourrait donner au prêteur en faveur de l’emprunteur, ainsi qu’à celles constituées par ce dernier ou un tiers.’

En outre, M. [I] s’est vu notifier par Oséo, avant de se porter caution, la ‘notification de garantie’accordée le 24 janvier 2012 au profit de la SAS PGF pour un taux de 25 %, assortie des ‘conditions générales de la garantie d’Oséo en matière de crédit et de crédit-bail’ dont l’article 2 stipule :

‘La garantie ne bénéficie qu’à l’établissement intervenant. Elle ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment par le bénéficiaire et ses garants pour contester tout ou partie de leur dette’.

De part ces explications, M. [I] a été informé du caractère subsidiaire de l’intervention d’Oséo, c’est à dire après exécution des engagements de caution, et n’a pu croire qu’il pourrait limiter son cautionnement compte tenu de l’intervention de cet organisme.

Enfin, il n’existe strictement aucun élément de nature à attester du caractère déterminant qu’aurait eu pour M. [I], les modalités d’intervention de l’organisme Oséo.

Aucune erreur ne peut, non plus, être invoquée sur ce point.

Le cautionnement est valable, ce qui rend sans objet l’action subsidiaire de la banque à l’encontre du notaire.

Finalement, le jugement qui a annulé le cautionnement doit être infirmé.

2) Sur la disproportion du cautionnement :

Aux termes des anciens articles L. 341-4 et L. 332-1 du code de la consommation, applicables au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

La disproportion doit être manifeste, c’est à dire flagrante ou évidente, au regard de tous les éléments du patrimoine de la caution et pas seulement de ses revenus.

Enfin, la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalie apparente sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier.

En l’espèce, à l’occasion de la négociation de l’emprunt et des garanties, le 29 février 2012, M. [I] a signé et ‘certifié sincère et véritable’ une déclaration de ‘renseignements patrimoniaux’ à l’intention de la SA Crédit Coopératif dans laquelle il a déclaré la situation suivante :

– célibataire,

– chef d’entreprise à revenus mensuels de 5 250 Euros,

– patrimoine :

* maison d’habitation à [Localité 5] acquise 95 000 Euros en 2006, estimée à 200 000 Euros, soit une estimation nette de 132 790 Euros après déduction du capital restant dû sur l’emprunt souscrit pour son acquisition.

* appartement à [Localité 9] acquis 135 680 Euros en 2002, estimé à 150 000 Euros, libre d’hypothèque, soit une estimation nette de 14 320 Euros après déduction du capital restant dû sur l’emprunt souscrit pour son acquisition.

* ferme et dépendances à [Localité 8] acquise 40 000 Euros en 1991, estimée à 200 500 Euros, libre d’hypothèque, soit une estimation nette de 200 000 Euros après déduction du capital restant dû sur l’emprunt souscrit pour son acquisition.

* assurance-vie de 104 790 Euros nantie à hauteur de 58 890 Euros.

* PEL : 20 192 Euros.

– revenus annuels de la dernière année civile : 45 000 Euros (salaire) + 18 000 Euros (revenus locatifs), soit au total 63 000 Euros, réduits à 37 045,20 Euros après déduction des remboursements d’emprunts.

Cette situation atteste de revenus nets annuels de 37 045,20 Euros et d’un patrimoine net de 542 202 Euros.

M. [I] ne peut être admis à opposer à la banque qu’en réalité sa situation aurait été moins favorable, ni l’existence d’un autre cautionnement souscrit au profit de la Banque Populaire le 30 août 2014, soit postérieurement à celui du 24 juillet 2012.

Même en prenant en compte l’existence de deux cautionnements en cours, de 24 000 Euros du 22 janvier 2011, et celui de 90 500 Euros daté du 24 juillet 2012 (étant précisé que dans la déclaration de patrimoine, il n’existe pas de rubrique permettant à la caution de déclarer les cautionnements en cours), le cautionnement souscrit au profit de la SA Crédit Coopératif n’était pas manifestement disproportionné à la situation de M. [I].

Par conséquent, la SA Crédit Coopératif peut se prévaloir du cautionnement qui sera déclaré valable.

3) Sur le devoir de mise en garde de la banque :

Pour invoquer un manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers elle, une caution, fut-elle non avertie, doit rapporter la preuve que son engagement n’est pas adapté à ses capacités financières personnelles ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur, débiteur principal.

En l’espèce, l’allégation de difficultés économiques et financières de la SAS PGF, par l’appelant, n’implique pas l’existence d’une faute de la banque à accorder un crédit que M. [I], en sa qualité de dirigeant de la société, a lui-même sollicité.

Sur ce point, l’appelant ne produit aux débats aucun bilan de cette société contemporain à la souscription de l’emprunt en litige permettant d’en apprécier la situation économique et financière exacte.

Il n’est d’ailleurs pas possible de considérer que la banque n’aurait pas dû accorder le financement qui lui a été demandé, étant rappelé que la SAS PGF n’a effectué une déclaration de cessation des paiements que le 30 octobre 2015 et qu’elle a ainsi poursuivi son activité pendant plus de 2 ans à l’aide de l’emprunt souscrit le 24 juillet 2012.

M. [I] a d’ailleurs expliqué dans la déclaration de cessation des paiements qu’en 2012 et 2013, il avait décidé de réaliser ‘des travaux de rénovation et d’agrandissement de nos locaux sur le site de [Localité 5] pour moderniser et adapter notre outil de travail aux besoins croissants de l’entreprise’ ce qui implique qu’à l’époque, le projet financé paraissait viable.

Ensuite, compte tenu de la situation de M. [I], telle qu’étudiée plus haut lors de l’examen de son argumentation relative à la disproportion du cautionnement, son engagement n’était pas inadapté à ses facultés et ne générait aucun risque d’endettement contre lequel il aurait dû être mis en garde.

La demande de dommages et intérêts formée à l’encontre de la SA Crédit Coopératif doit être rejetée.

4) Sur l’action en responsabilité de M. [I] à l’encontre de M. [W] :

En premier lieu, comme indiqué plus haut, l’erreur matérielle sur le montant des mensualités mises à la charge de l’emprunteur dans le contrat de prêt n’a aucune conséquence particulière pour M. [I] qui n’en est pas préjudicié et qui avait une parfaite connaissance des engagements souscrits.

Il en est de même pour le taux effectif global de l’emprunt, le notaire n’ayant en rien l’obligation de vérifier le calcul du taux qui figure au contrat.

En deuxième lieu, M. [I] ayant été parfaitement informé, tant par l’acte notarié que par les conditions générales d’Oséo, du caractère subsidiaire de l’intervention de cet organisme, après mise en jeu du cautionnement, il ne peut, non plus, imputer aucune faute sur ce point au notaire.

En troisième lieu, M. [W] n’avait pas à vérifier si le cautionnement souscrit était, ou non, en adéquation avec la situation patrimoniale de M. [I] qui avait rempli, antérieurement à la rédaction de l’acte notarié, une fiche de situation de revenus et de patrimoine remise à la banque.

Tel était d’ailleurs le cas.

M. [I], dirigeant de plusieurs sociétés et habitué du monde des affaires (son entreprise avait, à une époque, un client important au Brésil), ne prétend pas qu’il ignorait en quoi consistait un cautionnement et l’acte notarié lui a rappelé ‘La caution déclare se porter caution personnelle et solidaire au profit du prêteur et s’engage à ce titre à lui payer, en cas de défaillance de l’emprunteur, toutes les sommes que ce dernier pourrait devoir au prêteur’ dans la limite ensuite stipulée, l’en informant ainsi expressément.

L’action en responsabilité à l’encontre du notaire doit être rejetée.

Enfin, l’équité nécessite de condamner l’appelant à payer à la SA Crédit Coopératif et à M. [W] la somme de 3 000 Euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

– STATUANT A NOUVEAU,

– REJETTE la demande d’annulation du cautionnement souscrit le 24 juillet 2012 par [Y] [I] au profit de la SA Crédit Coopératif et, en conséquence, le déclare valable et dit qu’il doit produire effet ;

– REJETTE les demandes de dommages et intérêts présentées par [Y] [I] à l’encontre de la SA Crédit Coopératif et de [Y] [W] ;

– CONDAMNE [Y] [I] à paye à la SA Crédit Coopératif et à [Y] [W], la somme de 3 000 Euros, chacun, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE [Y] [I] aux dépens de 1ère instance et d’appel.

– Le présent arrêt a été signé par André Beauclair, président, et par Nathalie Cailheton, greffière, à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,

 


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