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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 03 OCTOBRE 2023
N° RG 21/06040
N° Portalis DBV3-V-B7F-UYON
AFFAIRE :
S.A.R.L. OPPORTUNITÉ FINANCE & IMMOBILIER
C/
S.E.L.A.S. ALLIANCE NOTAIRES [Localité 4]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Août 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 19/11820
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP,
-Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 26 septembre 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
S.A.R.L. OPPORTUNITÉ FINANCE & IMMOBILIER
prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
N° SIRET : 481 748 465
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Henry RANCHON du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : P0008
APPELANTE
****************
S.E.L.A.S. ALLIANCE NOTAIRES [Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
N° SIRET : 785 399 908
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : D0848 – N° du dossier 220.525
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [J], président de la SAS Revival 2, a sollicité M. [R], notaire exerçant au sein de la SELAS Alliance Notaires [Localité 4], (ci-après « société Alliance Notaires [Localité 4] ») pour l’assister dans un projet d’acquisition de l’ensemble immobilier « [Adresse 7] » situé à [Localité 5] (Seine-Saint-Denis) détenu par la SCI [Adresse 7].
Une première promesse synallagmatique de vente conclue au prix de 39 200 000 euros entre la SCI [Adresse 7] et la SAS Revival 2 a été reçue le 27 septembre 2018 par le notaire du vendeur, M. [G], avec la participation de M. [R]. Cet acte stipulait le versement d’un dépôt de garantie d’un montant de 1 960 000 euros et la réalisation de la vente au plus tard le 17 décembre 2018. Cependant, l’acte n’ayant pas été itéré dans les délais, un procès-verbal de carence constatant que le dépôt de garantie de 1 960 000 euros était définitivement acquis au vendeur à titre de clause pénale était dressé par M. [G].
Une seconde promesse synallagmatique de vente était néanmoins régularisée le 24 janvier 2019 entre la SCI [Adresse 7] et la SAS Arthur 2 (ci-après la « société Arthur 2 ») venant aux droits de la SAS Revival 2. Cet acte, dressé par les mêmes notaires, stipulait la réalisation de la vente au plus tard le 1er avril 2019 et le versement d’un dépôt de garantie d’un montant de 3 659 900 euros comprenant :
– 1 960 000 euros déjà versés lors de la signature de la première promesse de vente du 27 septembre 2018,
– 500 000 euros à verser le jour de la signature de la promesse de vente,
– 1 199 000 euros à verser avant le 28 février 2019.
La somme de 500 000 euros versée à ce titre a été « prêtée » par la SARL Opportunités Finance & Immobilier (ci-après « la société OFI ») à la société Arthur 2 après avoir été consignée entre les mains de la société Alliance Notaires [Localité 4].
Mais, à défaut de règlement de la somme complémentaire de 1 199 000 euros le 28 février 2019, la promesse devenait caduque par le fait de l’acquéreur.
Expliquant avoir découvert que la promesse du 24 janvier 2019 n’était pas un avenant à celle du 27 septembre 2018 et imputant à la société Alliance Notaires [Localité 4], qui ne l’avait pas informée de l’absence d’accord de l’associé majoritaire de la société Arthur 2 dont la solvabilité était déterminante de son consentement, un manquement à son devoir de conseil, la société OFI l’a, par courrier du 29 mars 2019 itéré le 7 mai 2019, enjoint de lui restituer la somme de 500 000 euros prêtée à la société Arthur 2.
C’est dans ces circonstances que la société OFI a, par acte d’huissier de justice du 11 décembre 2019, assigné la société Alliance Notaires [Localité 4] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Nanterre en indemnisation.
Par un jugement contradictoire du 30 août 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
Rejeté la fin de non-recevoir opposée par la Selas Alliance Notaires [Localité 4],
Rejeté l’intégralité des demandes de la SARL Opportunités Finance & Immobilier,
Rejeté la demande de la SARL Opportunités Finance & Immobilier au titre des frais irrépétibles,
Condamné la SARL Opportunités Finance & Immobilier à payer à la Selas Alliance Notaires [Localité 4] la somme de cinq mille euros (5 000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SARL Opportunités Finance & Immobilier à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par Me Valérie Toutain de Hauteclocque conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement.
La société Opportunité Finance & Immobilier a interjeté appel de ce jugement le 4 octobre 2021 à l’encontre de la société Alliance Notaires-[Localité 4].
Par dernières conclusions notifiées le 5 avril 2023, la société Opportunités Finance & Immobilier demande à la cour, au fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, de :
– Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’action de la société Opportunités Finance & Immobilier,
– Infirmer le jugement pour le surplus et
Statuant à nouveau,
– Juger que la SELAS Alliance Notaires [Localité 4] n’a pas procédé aux diligences requises quant à l’exercice de son obligation de conseil et a fait preuve de légèreté et de négligences fautives dans l’exercice de ses fonctions que ce soit à l’égard de la société tierce prêteuse, la société Opportunités Finance & Immobilier, ou de l’acquéreur, la société Arthur 2,
En conséquence,
– Condamner la SELAS Alliance Notaires [Localité 4] à payer à la société Opportunités Finance & Immobilier la somme de 500.000,00 € (cinq cent mille euros) augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt,
– Condamner la SELAS Alliance Notaires [Localité 4] à payer à la société Opportunités Finance & Immobilier la somme de 15.000 € (quinze mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la SELAS Alliance Notaires [Localité 4] aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Henry Ranchon en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 25 avril 2023, la société Alliance Notaires-[Localité 4] demande à la cour de :
– Déclarer la SELAS Alliance Notaires [Localité 4] recevable et bien fondée en ses conclusions,
– Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 30 août 2021, en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par l’office notarial,
Vu l’article 122 du code de procédure civile,
– Déclarer la société Opportunités Finance & Immobilier irrecevable en ses demandes faute d’intérêt à agir,
A titre subsidiaire,
Vu les dispositions de l’article 1240 du code civil,
– Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 30 août 2021, en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de la Société Opportunités Finance & Immobilier formées à l’encontre de la SELAS Alliance Notaires [Localité 4],
– Confirmer la condamnation de la Société Opportunités Finance & Immobilier au paiement
d’une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
– Condamner la Société Opportunités Finance & Immobilier au paiement d’une somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la même aux entiers dépens d’instance, dont distraction au profit de Me Valérie Toutain de Hauteclocque, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 11 mai 2023.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l’appel
Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions.
Sur la recevabilité de la demande
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement qui a rejeté sa fin de non-recevoir, la société Alliance Notaires [Localité 4] demande à la cour à titre principal, au fondement de l’article 122 du code de procédure civile, de déclarer irrecevable l’action de la société OFI au motif qu’elle est dépourvue d’un intérêt à agir contre elle. Elle fait valoir qu’aucun lien juridique ni contractuel ne la relie à la société OFI, qui n’était ni sa cliente ni partie à la promesse de vente, et qu’elle n’a jamais été consultée sur le financement de l’acquisition. Elle précise que par lettre du 23 janvier 2019, la société OFI a expressément donné instructions au notaire de verser les fonds à la société Arthur 2 aux fins de mise à disposition. Elle en déduit que, faute de justifier d’un intérêt à agir, l’action de la société OFI est irrecevable.
Poursuivant la confirmation du jugement sur ce point, la société OFI considère que sa demande, au fondement de la responsabilité délictuelle, est recevable. Elle fait valoir qu’en tant que prêteur de la société Arthur 2 des fonds indispensables à l’efficacité de la promesse de vente du 24 janvier 2019, elle a intérêt et qualité à agir à l’encontre de la SELAS Alliance Notaires [Localité 4], qui a assuré le maniement des fonds.
Appréciation de la cour
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon les articles 31 et 32 du même code, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
En l’espèce, il résulte des écritures de l’appelante qu’à l’appui de sa demande formée au fondement de l’article 1240 du code civil, celle-ci ne soulève pas seulement un manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil, mais également une faute dans la manipulation et le versement des fonds prêtés dont le notaire avait été rendu destinataire.
Or, même si la société OFI est tiers à la promesse de vente et n’était pas cliente de la société Alliance Notaire [Localité 4], cette dernière a bien été destinataire des fonds prêtés. La société OFI a donc bien intérêt à agir contre l’étude notariale.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré sa demande à l’encontre de la société Alliance Notaires [Localité 4] recevable.
Sur la responsabilité de l’étude notariale
Le jugement a rejeté les demandes de la société OFI aux motifs d’une part, qu’elle n’était pas partie à l’acte ni cliente de la société Alliance Notaires [Localité 4] de sorte que cette dernière n’était tenue à aucune obligation d’information vis-à-vis d’elle, et qu’il n’était pas démontré de faute dans l’usage des fonds prêtés.
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation, la société OFI demande à la cour, au fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, de condamner la société Alliance Notaires [Localité 4] à lui verser 500 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt, aux motifs que l’étude notariale :
a manqué à son obligation d’information et a fait preuve d’une légèreté fautive en ne l’informant pas de ce que les fonds prêtés n’étaient assortis d’aucune caution ni aucune garantie autonome à première demande ;
en ne s’assurant pas de l’accord de l’ensemble des actionnaires de la société Arthur 2 à la vente dans les conditions prévues dans la 2ème promesse ;
a fait preuve d’une négligence fautive en ne plaçant pas les 500 000 euros versés par l’OFI sous séquestre.
Elle précise que lors de la première promesse de vente du 27 septembre 2018, la somme de 1 960 000 euros a été avancée à la société Arthur 2 par la Compagnie de [Localité 6] et diverses sociétés du même groupe (ci-après dénommées ensemble « CDP ») qui sont devenues associés de la société Arthur 2 à hauteur de 75% à la suite d’un acte de cession d’actions du 8 octobre 2018. Le président de la société Arthur 2, devenu associé minoritaire, est demeuré M. [W] [J]. Or, par courrier du 22 mars 2019, peut avant l’échéance de la 2e promesse de vente, CDP a signifié à M. [J] et à la société Arthur 2 son refus de poursuivre le projet d’acquisition de l’immeuble et a mis en demeure ce dernier de lui rembourser l’avance en compte courant consenti d’un montant de 1 960 000 euros.
Selon elle, l’obligation de conseil du notaire était renforcée compte tenu de l’importance du montant en jeu et du caractère inhabituel des clauses relatives au paiement du dépôt de garantie, portant directement atteinte aux intérêts du prêteur. Elle ajoute que le notaire aurait dû vérifier que M. [J] était mandaté par ses associés pour signer la promesse de vente et contracter un prêt.
Elle fait valoir que les défaillances fautives du notaire lui ont directement causé un préjudice, constitué par la perte de chance d’appréhender la somme de 500 000 euros prêtée à la société Arthur 2.
Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de la société OFI, la société Alliance Notaires [Localité 4] demande à la cour de rejeter la demande d’indemnisation de cette dernière à hauteur de 500 000 euros, aux motifs qu’elle ne démontre ni faute, ni lien de causalité ni préjudice réel et certain. Elle insiste sur le fait que c’est à l’encontre de l’emprunteur, avec qui elle était liée par un lien contractuel et à qui est dû l’échec de la vente, qu’aurait dû agir la société OFI.
Elle réplique qu’elle n’avait pas à vérifier l’accord de l’associé majoritaire pour procéder à la vente puisqu’en vertu des articles 12.2 et 16 des statuts de la société Arthur 2, le président de cette dernière, M. [W] [J], avait tout pouvoir pour représenter la société et signer la vente au nom de celle-ci. Elle ajoute qu’il ne lui appartenait pas de s’assurer, au-delà de ses diligences, de la persistance des pouvoirs et des fonctions du gérant après une cession de parts sociales, les associés ayant toute latitude d’appréciation sur le maintien de ce dernier en fonction et sur la limitation de ses pouvoirs.
Elle précise qu’il n’a jamais été question que la société OFI soit partie à la promesse de vente et qu’elle n’a jamais été consulté ni chargé de conseiller les parties à la vente sur les modalités de son financement.
Sur l’absence de séquestre, elle insiste sur le fait qu’il appartenait à la société OFI de négocier avec son emprunteur des garanties de remboursement. Elle ajoute qu’elle a versé les fonds à l’acquéreur, conformément aux instructions expresses de la société OFI par lettre du 23 janvier 2019. Elle en déduit qu’il ne peut lui être reproché aucune faute.
Considérant qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués, elle fait valoir que ce n’est pas l’intervention du notaire, ni la rédaction de l’acte notarié, qui est à l’origine de la perte, pour la société OFI, de 500 000 euros., mais uniquement les accords pris entre l’acquéreur, ses associés et les investisseurs. Faute d’avoir négocié des garanties suffisantes, la société OFI est, selon elle, responsable du dommage qu’elle invoque.
Enfin, elle considère que le préjudice allégué est hypothétique et qu’il est évalué à la hauteur de l’avantage perdu alors qu’il ne devrait en principe n’être qu’une perte de chance. Selon elle, le notaire ne saurait être tenu de supporter l’emprunt consenti par un tiers à l’acquéreur, encore moins les conséquences de l’échec d’une promesse qui n’a pas été réitérée par son fait.
Appréciation de la cour
Le notaire doit, en sa qualité d’officier public et par le seul effet de la loi, veiller à l’utilité et à l’efficacité de l’acte qu’il reçoit et est tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde envers les parties afin que les droits et obligations réciproquement contractés par elles répondent aux finalités révélées de leur engagement et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité (1ère Civ., 3 mai 2018, n°16-21.872). Les obligations du notaire, parmi elles le devoir de conseil et d’information, tendent à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte. Elles relèvent de sa responsabilité délictuelle.
L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, celui qui s’estime lésé doit démontrer, outre la faute du notaire, un préjudice et le lien causal entre ce dernier et la faute.
En application de l’article 16 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit et la société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes (3ème Civ., 24 avril 2003, n°01-12.658 ; 1ère Civ., 13 juillet 2016, n°15-21.527).
Sur la faute
En premier lieu, la société OFI invoque un manquement au devoir d’information du notaire en ce que la société Alliance Notaires [Localité 4] ne se serait pas assurée de l’accord de l’ensemble des associés de la société Arthur 2 pour signer la deuxième promesse de vente et ne l’aurait pas informée de l’absence de garantie de remboursement des fonds prêtés.
Or, le notaire qui instrumente un acte de vente n’est tenu d’aucun devoir d’information et de conseil envers les tiers dont il n’a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d’un droit opposable aux parties (1ère Civ., du 28 mars 2000, 97-20.169, Publié au bulletin ; 1ère Civ., 3 mai 2018, 17-12.473, Publié au bulletin).
En l’espèce, la société OFI n’était pas partie à la promesse de vente et n’était pas cliente de la société Alliance Notaires [Localité 4]. Elle ne produit aucune pièce, aucun contrat de prêt permettant à la cour de vérifier les conditions du prêt allégué qui aurait été alloué à la société Arthur 2. Elle ne démontre donc pas avoir eu un droit opposable aux parties à l’acte. Il s’ensuit que le notaire n’était tenu d’aucune obligation d’information ou de conseil vis-à-vis d’elle.
L’arrêt cité par la société OFI (1ère Civ., 8 novembre 2017, 16-23.197) est inopérant à démontrer un manquement à une obligation d’information de la société Alliance Notaires [Localité 4]. En effet, dans cette espèce, le notaire est le rédacteur de deux actes authentiques de prêt dans lesquels une hypothèque est prise sur un bien immobilier. Il est ensuite rédacteur de l’acte de vente de ce bien, et verse le prix de vente au vendeur-emprunteur incluant le montant de la purge des hypothèques. La cour d’appel a, pour rejeter les demandes de la banque, a retenu que, celle-ci n’ayant pas exercé son droit de suite, elle ne justifiait pas d’un préjudice certain tiré de la perte de toute possibilité de recouvrer sa créance. La Cour de cassation a cassé cet arrêt aux motifs « que la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, et qu’est certain le dommage subi par l’effet de la faute d’un professionnel du droit, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ».
Cet arrêt est donc sans lien avec les faits soumis à la cour dans la présente instance, faits dans lesquels la société Alliance Notaires [Localité 4] n’est pas rédactrice de l’acte de prêt entre la société OFI et la société Arthur 2. Elle n’est donc pas censée protéger les conditions de mise en ‘uvre de ce prêt, lesquelles résultent d’une négociation entre ces deux sociétés. N’étant tenue à aucune obligation d’information à l’égard du prêteur, tiers à l’acte, elle n’a commis aucune faute de ce chef.
Il appartenait à la société OFI de s’assurer des conditions de remboursement du prêt ou de l’existence d’une contrepartie aux fonds versés à la société Arthur 2 et, au besoin, de se retourner contre elle.
En second lieu, la société OFI reproche à l’intimée une négligence fautive en omettant de vérifier la capacité à disposer de la société Arthur 2.
Sur ce point, contrairement à ce que prétend l’appelante, le notaire, n’est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l’opportunité économique d’une opération en l’absence d’éléments d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher. Découle de l’exigence d’efficacité et de sécurité une obligation d’investigation qui s’inscrit dans la logique de sécurité juridique qui fonde la fonction notariale. Pour ce faire, le notaire doit rechercher la volonté des parties, prendre toutes les initiatives nécessaires, se renseigner avec précision afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient s’opposer à l’efficacité de l’acte qu’il instrumente.
Toutefois, tenu d’une obligation de moyen, le notaire n’est pas soumis à une obligation d’investigation illimitée ; son étendue dépend des possibilités effectives de contrôle et de vérification. En effet, la responsabilité du notaire, qui aura accompli les contrôles juridiques nécessaires, ne peut être engagée que si l’officier public pouvait suspecter l’inefficacité de l’acte, douter de l’efficacité de l’opération envisagée, dans ce cas, il peut lui être reproché de ne pas avoir accompli des investigations complémentaires.
En l’espèce, la société OFI, procédant par affirmation et sans verser le moindre élément probant, se borne à indiquer (p.10 de ses écritures) : « le notaire a l’obligation, en présence de raisons objectives ou d’indices sérieux permettant de douter des pouvoirs d’une partie, de faire les investigations nécessaires ».
Or, rien ne permettait au notaire de douter que la vente ne pourrait pas aboutir.
En outre, les articles 12.2 et 16 des statuts (pièce 1 appelante) de la société Arthur 2 donnaient à M. [J], président de cette société, le pouvoir pour la représenter lors de la signature de la promesse de vente, sans que cela ne nécessite un accord unanime de ses associés, et alors que cet achat immobilier était parfaitement conforme à son objet social (acquisition en vue de la revente d’ensemble immobilier).
A partir du moment où M. [J] avait le pouvoir de représenter et d’agir au nom de la société pour signer l’acte notarié, il n’entrait pas dans les obligations du notaire de vérifier l’accord de l’ensemble des associés.
Sur ce point, l’arrêt cité par l’appelant (1ère Civ., 2 octobre 2013, 12-25.862), ayant trait à la capacité juridique à disposer d’une partie à l’acte de vente (la cliente avait subi des mauvais traitements et un abus de faiblesse, et n’était même pas présente à l’acte mais représentée sans que cette procuration soit justifiée) n’est pas transposable à la présente instance.
Par ailleurs, l’appelante fait référence au dernier alinéa de l’article 12.2 des statuts qui donne au président la possibilité d’accomplir « tous actes de direction, de gestion et d’administration de la société », et non les actes de disposition. Toutefois, cette disposition n’est applicable que « dans les rapports entre associés » et concernent les actes listés à l’article 16 des statuts, c’est-à-dire les actes pour lesquels l’unanimité des associés est nécessaire, la signature d’une vente immobilière n’étant pas comprise dans cette liste.
En troisième lieu, la société OFI estime que la société Alliance Notaires [Localité 4] a commis une faute en ne conservant pas les fonds sous séquestre.
Or, il est établi par les productions des parties que le 21 janvier 2019 la société OFI a versé 500 000 euros au notaire qui les a placés sur le compte au nom de OFI ouvert en ses livres à la caisse des dépôts et consignations, et que ce n’est que sur instructions expresses de la société OFI par lettre du 23 janvier 2019 que le notaire a versé les fonds sur un compte ouvert en ses livres à la caisse des dépôts et consignations au nom de la société Arthur 2 (pièces 5 à 8 OFI). La société OFI ne verse aucune pièce permettant d’établir que ces fonds ont été transférés ensuite par le notaire au vendeur.
D’ailleurs, il ressort du courriel du notaire adressé à la société OFI le 21 janvier 2019 (pièce 5) que ces 500 000 euros ne correspondaient en réalité pas à un prêt à proprement parler mais à une prise de participation de la société OFI dans la société Arthur 2.
Il résulte de ces éléments que la société Alliance Notaires n’a commis aucune faute dans le maniement des fonds qui lui ont été confiés et a agi conformément aux instructions de l’appelante.
Enfin, aucun manquement contractuel ne peut être reproché à la société Alliance Notaires [Localité 4], la promesse de vente était efficace. La vente n’a pas abouti seulement du fait de la société Arthur 2 qui n’a pas versé le solde du prix.
Ainsi, en l’absence de démonstration d’une faute imputable à la société Alliance Notaires [Localité 4], c’est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société OFI de sa demande d’indemnisation. Le jugement sur ce point sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement qui a exactement statué sur les dépens et les frais irrépétibles sera confirmé de ces chefs.
La société OFI, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.
Il apparaît équitable d’allouer à la société Alliance Notaires [Localité 4] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La société OFI sera dès lors condamnée au paiement de cette somme.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société OFI à verser à la société Alliance Notaires [Localité 4] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société OFI aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,