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ARRET N°
du 28 février 2023
N° RG 22/01009 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FFS6
[R]
c/
[K]
[I]
[I]
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 28 FEVRIER 2023
APPELANT :
d’un jugement rendu le 29 avril 2022 par le TJ de CHARLEVILLE-MEZIERES
Maître [A] [R]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Emmanuelle SOLVEL de la SCP SOLVEL – BARRUE, avocat au barreau des ARDENNES, avocat postulant et La SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMES :
Madame [G] [K] épouse [I]
[Adresse 7]
[Localité 6] / FRANCE
Représentée par Me Bruno CHOFFRUT de la SELARL LE CAB AVOCATS, avocat au barreau de REIMS
Monsieur [U] [I]
[Adresse 5]
[Localité 8] /FRANCE
Représenté par Me Bruno CHOFFRUT de la SELARL LE CAB AVOCATS, avocat au barreau de REIMS
Monsieur [H] [I]
[Adresse 3]
[Localité 9] / FRANCE
Représenté par Me Bruno CHOFFRUT de la SELARL LE CAB AVOCATS, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame MAUSSIRE, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Madame Florence MATHIEU, conseillère
GREFFIER :
Madame [J] [L]
DEBATS :
A l’audience publique du 17 janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 février 2023,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 28 février 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Madame [G] [K] épouse [I] était propriétaire en nu propriété ou pleine propriété d’actions dans trois sociétés familiales soit’:
– de 200 actions en pleine propriété et de 700 actions en nue propriété de la société Fondatex sur lesquelles sa mère [X] [K]-[D] avait conservé l’usufruit,
– de 28.203 actions en pleine propriété et 25.003 actions en nue propriété de la société LFA Finance,
– de 8 actions en pleine propriété et de 4 actions en nue propriété de la société La Fonte Ardennaise pour les quelles sa mère précité avait conservé l’usufruit.
Envisageant la transmission à titre gratuit par donation partage à titre d’avancement de part successorales, à ses enfants Messieurs [U] et [H] [I], de la nu propriété de ses parts de sociétés, sa mère ou elle-même gardant l’usufruit de ces parts, Madame [G] [K] épouse [I] a sollicité Maître [A] [R], notaire à [Localité 12] pour réaliser l’acte.
Celui-ci a estimé la masse des actions à donner en nu propriété à la somme de 889 905 euros et a calculé les droits de mutation en appliquant les exonérations autorisées par la loi Dutreil.
Cette loi permet, en application des dispositions de l’article 787B du code général des impôts, de voir les droits de mutation à titre gratuit des parts ou actions d’une société industrielle,commerciale, artisanale, agricole ou libérale, être exonérés à concurrence de 75% de leur valeur.
Le notaire a, en suite de l’accord de sa cliente, établi un acte de donation partage le 30 avril 2016 qu’il a fait enregistrer au service des impôts le 12 mai 2016 et il s’est acquitté des droits calculés qui lui avaient été versés par avance par sa cliente.
Il est précisé que dans l’acte la valeur des droits donnés à chaque enfant est fixé à 444 952,65 euros (889 9105,30 euros /2) détaillée comme telle pour chacun d’eux’:
Fondatex: 139 944 euros + LFA Finance’: 254 857 euros + La fonte ardennaise: 385,65 euros’; que le notaire a appliqué une exonération de droits de mutation des ¿ de cette valeur en visant l’article 787B du CGI soit de 333 714,49 euros ‘; que sur la valeur taxable restante de 111 238,16 euros une somme de 100 000 euros a encore été déduite pour tenir compte de l’abattement personnel dont peut bénéficier tout donataire pour aboutir à une assiette de valeur des biens taxables de 11 238,16 euros générant des droits à acquitter de 721 euros par donataire soit 1442 euros payés à l’administration.
Les conditions du régime fiscal de l’article 787B du code général des impôts reprises dans le paragraphe «’engagement de conservation des titres’» mentionnées dans l’acte de donation posent ‘:
– que lorsque l’un des associés vient à consentir une donation entre vifs des titres dont il est titulaire, le donataire doit prendre l’engagement pour lui et ses ayant cause à titre gratuit de conserver pendant les durées indiquées les parts sociales ou les actions dont ils sont respectivement titulaires’et prendre le même engagement avec ses associés,
– l’obligation pour «’l’un des associés ou l’un des héritiers, donataires ou légataires, d’exercer effectivement dans la société pendant la durée de l’engagement de 2 ans prévu à l’article 787B et pendant les 3 années qui suivent la transmission, l’une des fonctions énumérées.
Par actes authentiques reçus par Maître [A] [R] le 29 avril 2016, un engagement, pour les durées visées, de conservation des titres des sociétés dont les parts démembrées ont été données par madame [I], a été pris par la donatrice et pour ses ayant cause à titre gratuit et par les associés des 3 sociétés.
Ces actes indiquent que doit être assurée, la remise chaque année au centre des impôts d’une attestation de la société justifiant du respect de l’engagement collectif de conservation et du pourcentage que les titres doivent représenter ainsi que l’obligation pendant la durée de l’engagement que les fonctions de direction au sein de la société soient assurées par l’un des donataires l’un des héritiers ou légataires ou l’un des autres associés ayant souscrit l’engagement collectif de conservation des titres.
Par courrier du 20 décembre 2019, le centre des finances publiques de [Localité 10] a proposé aux donataires et à Madame [G] [K] épouse [I], tous solidairement tenus au paiement des droits de donation, une rectification de ceux-ci, en remettant en cause la possibilité de bénéficier de l’exonération des droits d’enregistrement calculés au dépôt de l’acte de donation partage de parts démembrées du 30 avril et prévus à l’article 787B précité au motif que «’ les dispositions du présent article s’appliquent en cas de donation avec réserve d’usufruit à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices’»’et que la lecture des statuts des sociétés Fondatex, LFA Finance et de la Fonte Ardennaise ne faisaient pas apparaître l’existence de cette mention au jour de la donation.
La proposition de rectification supprimait tout l’abattement Dutreil et ne retenant que l’abattement du régime général de 100 000 euros aboutissait sur une base taxable de 344 952,65 euros pour chaque enfant (444 952,65 ‘ 100 000) à des droits dus par chacun de 67 185 euros (134 370/2) dont à déduire le montant des droits réglés initialement de 1 442 euros outre intérêts de retard à compter du 1er juin 2016 premier jour du mois suivant l’enregistrement de l’acte jusqu’au jour du paiement.
Elle fixait ainsi la dette à 134 370 ‘ 1442 +16 483 = 149 416 euros.
Dans un courrier du 10 janvier 2020 du notaire à l’administration fiscale , celui-ci l’a informée que les décisions de modifier les statuts avaient été prises bien antérieurement à la donation même si elles n’avaient pas été ratifiées par les assemblées générales des sociétés et que les dirigeants n’avaient pas eu conscience des conséquences qui résulteraient d’une adoption tardive par l’assemblée générale des modifications décidées; que les donateurs n’étaient pas pressés pour réaliser la donation partage et auraient très bien pu attendre le délai nécessaire à la publication de la modification des statuts avant de consentir la donation partage.
Le 16 juin 2020, l’administration répondait que même si la bonne foi n’était pas en cause, les rappels étaient fondés et qu’elle refusait donc de donner une suite favorable au recours hiérarchique formé le 6 février 2016.
Les 30 octobre 2020 et 23 novembre 2020, Mme [G] [K] épouse [I] et ses donataires se sont vus notifier par le centre des finances publiques une mise en demeure d’avoir à régler la somme de 149.411 euros.
Le 26 novembre 2020, son conseil a adressé à Maître [A] [R], une mise en demeure de payer cette somme, soit personnellement ou soit par l’intermédiaire de son assurance, dans la mesure où ainsi qu’il l’avait écrit à l’administration, ses clients pouvaient tranquillement attendre que toutes les conditions soient remplies avant de faire la donation.
Puis, Madame [G] [K] épouse [I], Messieurs [U] et [H] [I], ci après aussi dénommés les consorts [I], par exploit d’huissier en date du 12 mars 2021, l’ont assigné devant le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières aux fins de le voir déclarer responsable du préjudice lié au redressement fiscal dont ils ont fait l’objet et le condamner à leur verser la somme de 132.928 euros en indemnisation, ainsi que 16.483 euros représentant les intérêts dus au 31 décembre 2019, outre 4.000 euros au titre de préjudice moral et 10.000 euros au titre de la résistance abusive et injustifiée et 7.000 euros d’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 29 avril 2022, le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières a rendu la décision suivante’:
– Condamne Maître [A] [R] à payer à Madame [G] [K] épouse [I], Monsieur [U] [I] et Monsieur [H] [I] la somme de 132.928 euros avec intérêts au taux de 0,40 % par mois jusqu’au 31 décembre 2017 et avec intérêts au taux de 0,20% par mois à compter du 1er janvier 2018 jusqu’à complet paiement ;
– Déboute Madame [G] [K] épouse [I], Monsieur [U] [I] et Monsieur [H] [I] de leur demande au titre du préjudice moral ;
– Déboute Madame [G] [K] épouse [I], Monsieur [U] [I] et Monsieur [H] [I] de leur demande au titre de la résistance abusive ;
– Condamne Maître [A] [R] aux entiers dépens ;
– Condamne Maître [A] [R] à payer à Madame [G] [K] épouse [I], Monsieur [U] [I] et Monsieur [H] [I], la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Déboute Maître [A] [R] de sa demande au titre de l’a1ticle 700 du code de procédure civile ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil, le tribunal a retenu la responsabilité du notaire en lui reprochant d’avoir manqué à son devoir de vigilance et d’avoir fait preuve de négligence en ne s’assurant pas, lorsqu’il a reçu l’acte de donation partage, de la modification des statuts, alors même que cette dernière conditionne le bénéfice de l’exonération de 75% des droits de mutation.
Par déclaration en date du 9 mai 2022, Me [A] [R] a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières.
Le 22 juin 2022 les consorts [I] se sont acquittés des montants dus auprès de l’administration fiscale.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives en date du 3 octobre 2022, Me [A] [R], appelant, demande à la cour, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamné à payer à Madame [G] [K], épouse [I], Monsieur [U] [I] et Monsieur [H] [I] la somme de 132.928 euros avec intérêts au taux de 0,40 % par mois jusqu’au 31 décembre 2017 et avec intérêts au taux de 0,20 % par mois à compter du 1er janvier 2018 jusqu’à complet paiement outre la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de limiter le cas échéant à la somme de 30.382 euros le montant de la réparation allouée aux consorts [I] et de les condamner au paiement d’une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du CPC outre en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC, au profit de Me Christine DOMBEK (SCP DOMBEK).
Il dénie avoir commis une faute, puisqu’il s’est fait confirmer par Monsieur [B] [D], dirigeant des sociétés en cause, la veille de la signature de l’acte de donation partage, que les statuts des sociétés avaient été modifiés afin de limiter le droit de vote des donataires aux décisions affectant les bénéfices’; qu’il n’est pas responsable de l’erreur du dirigeant des sociétés qui a considéré à tort que la décision du conseil de surveillance était suffisante pour modifier les statuts.
Il soutient que quand bien même il aurait commis une faute, il ne doit pas réparation d’un préjudice que les consorts [I] auraient subi dans tous les cas même si les statuts avaient été modifiés’puisque les donataires ne remplissaient pas une autre condition indispensable pour pouvoir bénéficier de l’exonération par application des dispositions des paragraphes d) et a) de l’article 787 B du code général des impôts’; qu’en effet ils soutiennent à tort que le dégrèvement des 75% pourrait être obtenu pour des associés d’une même famille qui n’ont aucun rôle dans la société, dès lors qu’un associé, étranger à la famille, signataire du pacte d’engagement, exerce une fonction dans la société.
Il estime que si la perte de chance était retenue, elle ne pourrait être égale à la totalité du redressement fiscal mis à leur charge et devrait se limiter à 30.382 euros au motif que le dégrèvement accordé pour les droits de donation des parts de la société LFA FINANCE, holding, ne pouvait être inclus dans le domaine d’application de l’exonération de droits DUTREIL, et que de même, il convenait de tenir compte d’une réduction des droits de mutation liée au décès de Madame [X] [D] veuve [K] survenu le [Date décès 4] 2022 et usufruitière de certaines parts sociales.
Aux termes de leurs dernières conclusions récapitulatives en date du 5 décembre 2022, les consorts [I], intimés, demandent à la cour de’ confirmer la décision de première instance qui condamne Maître [A] [R] à leur verser la somme principale de 132 928 euros outre les intérêts dus jusqu’à complet paiement.
Ils fixent ces intérêts au 31 décembre 2019 à 16 483 euros et postérieurs à 4.188 euros et aboutissent à une condamnation totale de 153.599euros.
Ils forment appel incident pour réclamer l’infirmation du jugement pour le surplus et réclamer la condamnation de Maître [A] [R] à leur verser des dommages et intérêts de 4.000 euros pour les indemniser de leur préjudice moral et de 10.000 euros pour le préjudice causé par sa résistance abusive et injustifiée à les indemniser.
Ils réclament 6.000 euros au titre de l’article 700 du CPC pour leurs frais irrépétibles de première instance et une somme de 5.000 euros pour leurs frais irrépétibles d’appel et subsidiairement, demandent à la cour de surseoir à statuer dans l’attente de la réponse de l’administration fiscale à la demande de réduction de droits effectués par Maître [A] [R].
Se fondant sur les dispositions des articles 1194 et 1217 du code civil, les consorts [I] font valoir que Maître [A] [R] a engagé sa responsabilité civile contractuelle.
Ils développent que Maître [A] [R], en sa qualité de notaire professionnel du droit, avait l’obligation, vis-à-vis de ses clients, de vérifier que la modification statutaire nécessaire avait été faite et que les formalités de publicité avaient été exécutées préalablement à la signature de son acte’; qu’il devait en outre,’avant de faire son acte, vérifier que ses clients pouvaient bénéficier des droits fiscaux réduits qu’il leur avait calculés’; qu’il ne peut leur faire reproche que les donataires, en tout état de cause, n’auraient pas pu bénéficier d’une quelconque exonération parce qu’ils n’auraient pas eu la qualité de dirigeants des sociétés alors qu’en cas d’engagement collectif des associés de la société de conserver les titres, il suffit qu’un seul de ces associés remplisse l’une des conditions énumérées et qu’il n’y a aucune obligation pour les donataires d’être dirigeants des sociétés’; que l’administration fiscale n’a d’ailleurs fait valoir aucun problème d’activité dans la société lors de son redressement.
Ils précisent que Madame [I] justifie avoir réglé un total de 153.599 euros.
Ils invoquent un préjudice moral lié aux tracasseries dues au redressement fiscal et au blocage de leurs comptes bancaires par l’administration dont ils demandent l’indemnisation par le versement d’une somme de 4.000euros et 10.000euros pour la résistance abusive.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 décembre 2022.
MOTIFS
Sur la faute du notaire
La responsabilité civile du notaire s’apprécie au regard des conditions habituelles de la responsabilité et suppose donc la preuve de l’existence d’une faute en lien de causalité avec le préjudice dont il est réclamé réparation.
Les obligations du notaire lui imposent, en sa qualité de professionnel du droit, instrumentaire d’un acte juridique, de s’assurer de sa validité et de son efficacité technique.
Par ailleurs, elles l’obligent de conseiller et d’éclairer les parties sur la portée et les effets de l’acte dont la réalisation lui est confiée.
En l’espèce, Maître [A] [R] est intervenu pour assister les consorts [I] à l’occasion de la signature d’un acte de donation de la nu propriété d’actions de 3 sociétés, lesquelles devaient dès lors être démembrées, madame [I] la mère conservant l’usufruit des parts sociales dont elle donnait la nu propriété à ses deux enfants.
Maître [A] [R] a calculé le montant des droits à acquitter par la donatrice et les donataires au titre de l’acte de donation partage du 30 avril 2016, en faisant application des dispositions de l’article 787 B du code des impôts, prévoyant l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75% de la valeur de la donation.
Il a chiffré le montant des droits à acquitter à 721 euros par donataire.
Le centre des finances publiques de [Localité 10] a remis en cause la possibilité de bénéficier de l’exonération des droits d’enregistrement calculés au dépôt de l’acte de donation partage de parts démembrées du 30 avril et prévus à l’article 787B précité au motif que’ les dispositions du présent article ne s’appliquaient en cas de donation avec réserve d’usufruit qu’ à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices’et que la lecture des statuts des sociétés Fondatex, LFA Finance et la Fonte Ardennaise ne faisait pas apparaître l’existence de cette mention au jour de la donation.
Maître [A] [R] estime que certes la modification des statuts qui était indispensable avant la date de la donation pour bénéficier de l’avantage fiscal pour inclure cette clause n’a été opérée qu’après l’acte de donation partage mais que la responsabilité ne lui en revient pas’; que la faute qui doit être retenue est celle de gestion des dirigeants des sociétés qui ont attendu l’assemblée générale ordinaire pour officialiser la modification acceptée par le conseil de surveillance le 26 avril, soit 4 jours avant l’acte de donation partage du 30 avril’.
Mais dans la mesure où il est constant que le bénéfice de la loi Dutreil imposait des modifications statutaires des 3 sociétés et que l’administration fiscale s’est fondée sur l’irrégularité des statuts pour motiver son redressement, il appartenait au notaire chargé d’instrumenter un acte de donation partage de la nu propriété de parts de sociétés dans le cadre duquel il a calculé les droits fiscaux de mutation dus par ses clients, de s’assurer que les conditions d’exonération posées par cette loi étaient remplies à cette date.
Au regard des obligations d’efficacité développées précédemment, il ne suffisait donc pas à ce titre d’informer verbalement plusieurs mois avant la signature de l’acte le dirigeant des sociétés M. [D] qu’il était indispensable pour que les consorts [I] bénéficient des avantages fiscaux, qu’il procéde à la mise à jour des statuts des dites sociétés, et ce même si celui-ci était conseillé par un avocat, mais il lui appartenait de s’assurer qu’au moment de l’acte, cette modification indispensable avait été faite et que les statuts contenaient toutes les mentions nécessaires pour permettre le bénéfice de la loi Dutreil.
Il devait donc lui réclamer les statuts et vérifier qu’il contenait la clause litigieuse.
Il aurait ainsi constaté qu’elle n’y figurait pas et que le dirigeant ne disposait en réalité que des décisions du comité de direction des sociétés de modifier les statuts mais n’avait pas encore fait ratifier ces décisions par les assemblées générales.
Il ne peut lui reprocher de lui avoir donné une information inexacte ce que celui conteste d’ailleurs dans son attestation, alors que dans le cadre de son obligation de conseil en sa qualité de professionnel du droit, il lui appartenait de préciser à son client le cas échéant qu’une décision d’un comité directeur ne valait pas celle de l’assemblée générale et que contrairement à ce qu’il croyait, la modification des statuts n’avait pas été faite.
La faute que lui reproche les intimés et caractérisée par le tribunal est dès lors établie et est en lien de causalité direct avec le redressement.
Le bénéfice des dispositions de l’article 787B du code général des impôts issu de la loi Dutreil concernant les donations de parts de sociétés familiales et ainsi que le rappelle l’acte de donation partage au paragraphe «’conditions du régime fiscal de l’article 787B’» supposent que d’autres conditions que l’inscription statutaire manquante, et postérieures à la conclusion de l’acte, soient remplies.
Ainsi’se rajoutent:
– lorsque l’un des associés vient à consentir une donation entre vifs des titres dont il est titulaire l’obligation du donataire de prendre l’engagement pour lui et ses ayant cause à titre gratuit de conserver pendant les durées indiquées les parts sociales ou les actions dont ils sont respectivement titulaires’et prendre le même engagement avec ses associés,
– l’obligation pour «’l’un des associés ou l’un des héritiers, donataires ou légataires, d’exercer effectivement dans la société pendant la durée de l’engagement de 2 ans prévu à l’article 787B et pendant les 3 années qui suivent la transmission, l’une des fonctions énumérées.
Dans la mesure où d’autres conditions devaient être tenues qui ne dépendaient que des personnes visées ci dessus, la faute de Maître [A] [R] ne leur a fait perdre que la chance de ne pas perdre l’abattement qui leur était proposé le 30 avril 2016 en tenant leur engagement de conservation et d’occupation des fonctions visées au sein des sociétés dont les titres démembrés étaient donnés.
Maître [A] [R] estime qu’ils n’avaient aucune chance de tenir leur autre engagement prévu au paragraphe (d), imposant aux donataires d’exercer dans la société dont les parts leur étaient données, puisqu’à aucun moment cet exercice n’a été envisagé et que la lecture des extraits kbis produits montre que aucun des donataires, [U] [I] qui demeure à [Localité 11] et [H] [I] qui habite en Allemagne, n’a effectivement exercé au sein d’une des 3 entreprises des fonctions requises pour bénéficier des dispositions de la loi Dutreil’; qu’ils le reconnaissent dans leur mail à l’administration au moment du redressement.
Le notaire en déduit que même si la clause avait été insérée dans les statuts, les donataires n’auraient en tout état de cause pas pu éviter, 2 ans plus tard lorsque l’administration avait fait son contrôle, d’être redressés pour le même montant que celui que ladite administration leur aurait réclamé au titre de l’absence de modification des statuts’; que c’est donc le comportement des consorts [I] postérieurement à l’acte authentique de donation qui a justifié le redressement fiscal; qu’ainsi le défaut d’inclusion de la clause est sans lien avec le redressement .
Mais Madame [G] [K] épouse [I], Messieurs [U] et [H] [I] lui opposent à juste titre que dans le cadre de son obligation de conseil, il était tenu de les informer et de les rendre attentifs à l’obligation précitée si ce n’est à risquer de perdre leurs avantages’; qu’il supporte la charge de la preuve de sa réalisation et que cette preuve n’est pas apportée par la seule constatation que l’obligation était écrite dans l’acte alors même qu’il reconnaît lui même qu’à aucun moment, les donataires n’avaient envisagé d’exercer ce qui démontrait l’inefficacité d’un acte de donation partage qui les exonère de leurs de mutation.
Il ne peut dès lors sans mauvaise foi, leur opposer l’absence d’exercice au sein des sociétés dont ils ont hérité des parts en nu propriété, pour s’exonérer du préjudice lié à l’obligation de payer des droits de mutation qu’ils auraient pu avoir la chance d’éviter si ils avaient, au regard des circonstances, choisi de ne pas conclure l’acte de donation partage.
Ainsi, en est-il de la transmission des parts de la société LA Finance, holding puisqu’à supposer que la transmission des parts de ce type de société ne permette pas de bénéficier de l’exonération de la loi Dutreil, il appartenait à Maître [A] [R] de l’exclure de la donation partage, tout au moins d’avertir le donateur qu’il n’avait sur cette donation aucun avantage fiscal et pas de calculer les droits de mutation des parts de cette société de la même manière que les autres.
Il a ainsi, par sa faute, encore fait perdre aux intimés la chance de ne pas avoir à payer des droits de mutation en reculant ou organisant différemment la transmission de leur patrimoine.
Il faut préciser que madame [I] était âgée de 63 ans en 2016 et bénéficiait de près de 6 années pour envisager une donation à ses enfants en réduction de ses droits et que le notaire reconnaît dans son courrier de recours aux impôts qu’elle n’avait aucune urgence particulière à ce titre; l’évolution de la législation fiscale aurait pu, dans l’avenir, lui offrir d’autres opportunités d’exonération de droits de mutations.
Dans tous les cas, les consorts [I] montrent qu’ils ont rempli les autres conditions de l’article 787B du CGI.
En effet, l’article précité dans sa version en vigueur du 31 juillet 2011 au 1er janvier 2017 et dans son paragraphe (d) vise les donataires, légataires et héritiers mentionnés au (a) mais aussi l’un des associés mentionnés au (a).
Or, le paragraphe (a) de l’article 787B dispose que «’les parts ou les actions mentionnées ci dessus doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses cause à titre gratuit, avec d’autres associés’»’.
Il suffit donc, s’il y a un engagement collectif des associés de conservation des titres, qu’un seul d’entre eux soit dirigeant des sociétés et ce texte n’impose pas d’obligations supplémentaires aux donataires, ce qui résulte d’ailleurs clairement de la lecture de chaque acte d’engagement collectif qui a été signé en l’étude de Maître [A] [R].
Or il ne fait pas débat que dans chaque société l’un des associés signataires des engagements de conservation des titres produits aux débats, soit messieurs [B] et [N] [D], apparaît dans l’extrait Kbis à jour au 20 septembre 2021 et est resté en qualité de dirigeants de chacune des 3 sociétés.
D’ailleurs, aucun manquement n’est reproché par l’administration à ce titre dans son redressement en 2019 alors que l’engagement courait à compter du mois d’avril 2016.
Ainsi, la perte de chance de Madame [G] [K] épouse [I], Messieurs [U] et [H] [I] de ne pas avoir eu à payer des droits de mutation supérieurs à ceux dont ils pouvaient bénéficier par le bénéfice de la loi Dutreil, si le notaire n’avait pas fait preuve de négligence et s’était assuré que les statuts avaient été complétés avant la donation et si le notaire avait rempli son obligation de conseil, peut être fixée à 90% du préjudice subi.
Sur le préjudice
Madame [G] [K] épouse [I], Messieurs [U] et [H] [I] réclament un préjudice égal au montant du redressement.
Maître [A] [R] leur oppose que dans ce préjudice ne peut être incluse l’exonération des droits concernant la société LFA Finance qui n’entre pas dans le domaine d’application de la loi Dutreil
Il peut être précisé qu’il a été vu que Me [R] aurait dû aviser ses clients de cette exclusion et leur déconseiller de céder ces parts, de sorte que le préjudice lié à des droits de mutation qu’ils auraient pu éviter lui est imputable.
Les concluants affirment que quoi qu’il en soit, la société est bien éligible à l’exonération Dutreil
En effet, si l’exonération «’Dutreil’» offre une exonération de 75% des droits de mutation à titre gratuit aux seules sociétés exerçant à titre principale une activité industrielle, commerciale,artisanale, agricole ou libérale et exclut donc à priori les sociétés holdings dont l’activité consiste en la gestion, elle inclut en revanche dans son champ d’application les sociétés holding lorsqu’elles ont la qualité d’animatrices de leur groupe de société au moment de la conclusion du pacte Dutreil ou de la transmission de l’engagement et jusqu’au terme de l’engagement collectif de conservation.
Or en l’état des pièces produites, il apparaît que la société LFA Finance est une société familiale à qui a été reconnue expressément le statut de holding animatrice par l’administration fiscale lors d’un contrôle fiscal distinct et opéré dans des temps concomitant à l’acte de donation partage.
Et Maître [A] [R], qui sans restriction ni réserve, a choisi d’inclure cette société dans la donation partage et de la faire bénéficier des exonérations de la loi Dutreil, ne développe pas les éléments lui permettant de considérer désormais que la société LFA Finance n’est pas une société holding animatrice.
Il faut dès lors inclure dans le préjudice, celui du redressement de l’imposition de la donation des parts de cette société.
Maître [A] [R] développe également concernant le montant des droits dus à l’administration, que le préjudice n’est pas définitif en ce que les droits de mutation peuvent encore être réduits du fait du décès de la mère de madame [I], usufruitière qui avait transmis ses droits à sa fille.
Il entend ainsi profiter de la déduction devant être faite sur le montant des droits à la suite du décès de Mme [X] [D], veuve [K].
Mais ses adversaires contestent tout droit à réduction des droits qui résulteraient de ce décès au motif qu’en l’espèce, l’usufruit transmis n’a pas été constitué au profit de plusieurs personnes mais au seul profit de Mme [X] [D]’; que puisque celle-ci n’est pas un testateur qui a constitué plusieurs usufruits, les dispositions de l’article 1965B du CGI invoquées par le notaire sont inapplicables.
La cour constate alors que ce décès remonte à plusieurs mois, ce qui laissait le temps à Maître [A] [R] alors qu’il était chargé de la succession de cette dame, tout comme de l’établissement de la donation du mois d’avril 2016 et qu’il était poursuivi en responsabilité du préjudice qu’il entend voir réduire ce jour, d’interroger l’administration fiscale, tout au moins de conseiller à ses clients de le faire ou d’effectuer les démarches nécessaires, le cas échéant de chiffrer et de calculer la réduction dont pourraient se prévaloir les consorts [I].
Or, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il les aient informés d’éventuels droits avant de soulever cette possibilité dans le cadre de ses dernières conclusions dans cette procédure.
Et une victime n’est pas tenue d’entamer des démarches pour tenter de réduire son préjudice.
Il ne peut donc lui reprocher son inaction dans des démarches de réductions fiscales qui ne sont pas de droit à la lecture des développements adverses et dont il n’apparaît pas à ce stade qu’elles aboutiront, lui même mandaté pour ce faire par madame [I] par courrier du1er décembre 2022 et directement intéressé par le résultat ne justifiant d’aucun commencement de recherches de reconnaissance de la réduction.
Le montant du préjudice constaté est donc égal au montant du redressement fixé et payé par les intimés soit, selon bordereau de l’administration fiscale du 4 juillet 2022 qui indique qu’il a été progressivement et complètement soldé, de 153 599 euros
Aussi, compte tenu de la perte de chance de 90% ne pas pouvoir bénéficier des exonérations fiscales au regard des conditions futures à respecter après la conclusion de l’acte, la cour confirme le jugement, si ce n’est à limiter le préjudice à ce pourcentage.
Maître [A] [R] est dès lors condamné à payer à Madame [G] [K] épouse [I], Messieurs [U] et [H] [I] la somme de 138 239,10 euros outre intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Sur le dommage complémentaire
Les consorts [I] se prévalent de l’existence d’un préjudice moral résultant de la résistance abusive et injustifiée de leur propre notaire de 10.000 euros outre un préjudice complémentaire lié aux tracasseries dues au redressement fiscal et liées à l’obligation de se rendre au service des impôts ou les contraintes de voir bloquer leurs comptes bancaires par l’administration.
Retenant ces contraintes en lien de causalité avec la faute du notaire, la cour fixe le préjudice moral et matériel des intimés à la somme de 2 000 euros et condamne Maître [A] [R] à leur payer ce montant.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Charleville Mézières du 29 avril 2022 en toutes ses dispositions si ce n’est quant au quantum du préjudice,
Statuant sur ce point et ajoutant,
Dit que le préjudice des consorts [I] est constitué par une perte de chance de 90% de ne pas avoir à payer les droits et intérêts réclamés par l’administration fiscale pour la somme de 153 599 euros,
Condamne en conséquence Maître [A] [R] à payer aux consorts [I] la somme de 138 239,10 euros outre intérêts au taux légal à compter de ce jour,
Condamne Maître [A] [R] à payer aux consorts [I] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel,
Condamne Maître [A] [R] à payer aux consorts [I] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
Condamne Maître [A] [R] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE