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COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°455
DU : 25 Octobre 2023
N° RG 21/02550 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FXC3
VD
Arrêt rendu le vingt cinq Octobre deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 08/11/2021 par le Tribunal judiciaire de CUSSET (19/00893)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Stéphanie LASNIER, Greffier, lors de l’appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé
ENTRE :
M. [G] [N]
[Adresse 4]
[Localité 1] USA
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(avocat postulant) et Me Eric DEBEURME de la SCP DEBEURME ERIC, avocat au barreau de LILLE (avocat plaidant)
Timbre fiscal acquitté
APPELANT
ET :
M. [J] [W]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Dominique VAGNE de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
INTIMÉ
DEBATS : A l’audience publique du 13 Septembre 2023 Madame DUFAYET a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 25 Octobre 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 25 Octobre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Mme [B] [U], divorcée de M. [M] [N] et remariée avec M. [C] [V] sous le régime de la séparation de biens le 27 septembre 1986, est décédée à [Localité 8] le [Date décès 2] 2015.
Elle a laissé pour lui succéder son unique fils M. [G] [N] et son conjoint survivant M. [V].
Le 21 mars 1990, Mme [U] avait consenti à M. [V] une donation entre époux lui transmettant à son choix les quotités disponibles légales entre époux, à savoir un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, ou l’usufruit total sur les biens de la succession ou la quotité disponible ordinaire.
Le 4 mars 1998, Mme [U] avait rédigé un testament olographe déposé auprès de maître [R], notaire à [Localité 7], aux termes duquel elle déclarait vouloir réduire à l’usufruit seulement la donation entre époux.
Le 28 mai 2015, maître [J] [W], notaire à [Localité 5], a rédigé l’acte de notoriété établissant les qualités héréditaires de M. [N] et de M. [V] et leurs droits respectifs, à savoir pour M. [N] la totalité de la succession en nue-propriété et pour M. [V] la totalité en usufruit.
Le 25 septembre 2015, la déclaration de succession a été déposée au service des impôts. Le montant de l’actif net successoral était évalué à 353 331,73 euros dont 43 155,77 euros de liquidités, et le montant des droits de succession à acquitter par M. [N] était fixé à 29 696 euros, M. [V] en étant exonéré conformément aux dispositions fiscales.
Le même jour, maître [W] a reçu par acte authentique la reconnaissance de dette de M. [N] envers M. [V] pour la somme de 46 000 euros, cette somme devant en partie servir à payer les frais de succession. Cet acte comporte renonciation expresse de M. [N] à se prévaloir des dispositions contenues dans l’acte de donation entre époux relatives aux modalités de prise en charge des frais et droits incombant aux héritiers nus-propriétaires, par prélèvement direct sur les fonds de la succession soumis à usufruit du conjoint survivant.
Par exploit d’huissier du 16 juillet 2019, M. [N] a fait assigner maître [W] devant le tribunal de grande instance de Cusset afin d’engager sa responsabilité pour faute et obtenir la nullité de l’acte de reconnaissance de dette pour vice du consentement.
Par jugement du 8 novembre 2021, le tribunal a :
– rejeté l’exception de nullité de l’assignation pour vice de forme,
– déclaré recevable l’action de M. [N] à l’encontre de maître [W],
– débouté M. [N] de sa demande de limitation de sa reconnaissance de dette à la somme de 15304 euros et d’exclusion de l’assiette du prêt le montant de 29 196 euros représentant les droits de succession,
– débouté M. [N] de sa demande de condamnation de maître [W] à établir un acte rectificatif de reconnaissance de dette,
– débouté M. [N] de sa demande de condamnation de maître [W] à lui régler la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral invoqué,
– débouté maître [W] de sa demande de condamnation de M. [N] à lui verser des dommages et intérêts,
– condamné M. [N] à payer à maître [W] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [N] aux dépens,
– débouté M. [N] de sa demande au titre des dépens,
– débouté M. [N] de sa demande du prononcé de l’exécution provisoire.
Le tribunal a retenu un manquement de maître [W] à son devoir d’information et de conseil portant sur la clause de renonciation insérée dans la reconnaissance de dette. Il a en revanche estimé que M. [N] ne démontrait pas l’existence d’un préjudice en découlant.
Le tribunal a rejeté les demandes portant stricto sensu sur la reconnaissance de dette en l’absence d’appel en cause de M. [V].
Par déclaration électronique en date du 7 décembre 2021, M. [N] a interjeté appel de cette décision.
Par déclaration électronique en date du 24 décembre 2021, maître [W] a interjeté appel de cette décision.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 4 août 2022, statuant également sur un incident.
Par acte du 26 janvier 2022, M. [N] a fait délivrer assignation à M. [C] [V] en intervention forcée et en appel provoqué devant la cour d’appel.
Par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 4 août 2022, cette assignation a été déclarée irrecevable.
Suivant conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 13 juillet 2023, M. [N] demande à la cour, au visa des articles 1112, 1130, 1131, 1132,1240,1241 du code civil, 700 du code de procédure civile, 327, 331, 550 et suivants, 700, 910 et suivants du code de procédure civile, de :
– juger partiellement mal jugé, bien appelé,
– le déclarer recevable en son appel,
– infirmer le jugement en ce qu’il :
– l’a débouté de sa demande de limitation de la reconnaissance de dettes à la somme de 15 304 euros et d’exclusion de l’assiette du prêt, le montant de 29 196 euros représentant les droits de succession,
– l’a débouté de sa demande de condamnation de maître [W] à établir un acte rectificatif de reconnaissance de dette,
– l’a débouté de sa demande de condamnation de maître [W] à lui régler la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral invoqué,
– l’a condamné à payer à maître [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamné aux entiers dépens,
– l’a débouté de sa demande au titre des dépens,
– l’a débouté de sa demande de prononcer l’exécution provisoire.
– confirmer ledit jugement pour le surplus,
– statuant à nouveau :
– juger maître [W] irrecevable et en tout cas mal fondé en son appel,
– l’en débouter ainsi que de ses autres demandes, fins et conclusions,
– prononcer la nullité de l’acte en date du 25 septembre 2015 établi par maître [W], notaire, portant reconnaissance de dette de sa part envers M. [V] pour la somme de 46 000 euros,
– juger que maître [W], notaire, a commis une faute délictuelle ou quasi-délictuelle à son détriment,
– condamner maître [W] à lui rembourser ou à lui payer les sommes suivantes :
– 29 696 euros, représentant les droits de succession,
-1 000 euros au titre de la provision sur frais relatifs à la reconnaissance de dette,
-11 040 euros au titre des pénalités de retard (6 900 + 4 140 selon décompte de M. [V])
avec intérêts judiciaires au taux légal à compter du 25 septembre 2015, date de l’acte de reconnaissance de dette,
– condamner maître [W] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de préjudice moral,
– condamner maître [W] à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner de même aux frais et dépens tant de première instance que d’appel dont
distraction au profit de maître Rahon.
Suivant conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, maître [W] demande à la cour, au visa des articles 564 du code de procédure civile, 1240 et suivants, 1147, 1137 du code civil, de :
– à titre principal :
– juger irrecevables les demandes de M. [N] s’agissant de demandes nouvelles pour les raisons exposées,
– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes
– à titre subsidiaire :
– juger qu’il n’a pas manqué à ses obligations de conseils au visa des dispositions de l’article 1240 et suivants du code civil,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [N] de sa demande de limitation de sa reconnaissance de dettes à la somme de 15 304 euros et d’exclusion du prêt le montant de 29196 euros représentant les droits de succession.
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [N] de sa demande de condamnation à établir un acte rectificatif de reconnaissance de dette,
– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes à son encontre,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [N] de sa demande de condamnation à lui régler la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral invoqué,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de condamnation de M. [N] à lui verser des dommages et intérêts,
– condamner M. [N] à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [N] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et condamner M. [N] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel,
– condamner M. [N] aux entiers dépens comprenant la procédure devant le conseiller de la mise en état.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et moyens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 août 2023.
Motivation de la décision
1/ Sur la demande de nullité de reconnaissance de dette
Maître [W] souligne que M. [N] a sollicité la nullité de la reconnaissance de dette au terme de son assignation mais qu’il n’a pas repris cette demande dans ses dernières conclusions de première instance, de sorte que le tribunal a relevé que cette prétention était abandonnée.
Présentée de nouveau devant la cour d’appel, il estime qu’il s’agit d’une demande nouvelle et donc irrecevable.
De son côté, M. [N] prétend qu’en vertu des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément. En outre, il affirme que l’article 568 du même code confère à la cour un pouvoir d’évocation qui ne peut porter que sur les points du litige qui n’ont pas été jugés en première instance, ce qui est bien le cas en l’espèce. En outre, la possibilité d’évoquer le fond a pour objet de donner à l’affaire une solution définitive, d’autant que les parties ont toutes deux conclu sur la demande de nullité de la reconnaissance de dette.
Il résulte des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile ceci :
‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.’
L’article 566 du même code prévoit ceci :
‘Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.’
Enfin l’article 568 du même code dispose que :
‘Lorsque la cour d’appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction’.
L’évocation ne fait pas obstacle à l’application des articles 554,555 et 563 à 567.’
Le tribunal a relevé dans sa décision ceci :
‘Sur la nullité de la reconnaissance de dette
Cette demande de nullité pour vice du consentement de la reconnaissance de dette figurant dans l’assignation du 29 juillet 2019 n’a pas été reprise dans le dispositif des dernières conclusions récapitulatives de M. [G] [N], de sorte qu’il [y] a lieu de constater qu’elle a été abandonnée.’
Il est indifférent que cette absence de demande devant les premiers juges soit le fruit d’un oubli volontaire ou involontaire. Le fait est que la demande de nullité de l’acte de reconnaissance de dette n’a pas été présentée devant les premiers juges qui n’en étaient pas saisis.
M. [N] ne prétend pas que sa demande de nullité en cause d’appel tendrait à opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, ce que de toutes façons elle ne tend pas à faire.
En revanche, il entend se prévaloir des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile. Or, d’évidence, la demande de nullité de l’acte de reconnaissance de dette, laquelle est au coeur de ce litige, ne constitue en aucun cas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge qui devait trancher la question du manquement du notaire à son devoir d’information et de conseil.
En outre, selon une jurisprudence ancienne et constante, une prétention ne peut être considérée comme l’accessoire, la conséquence et le complément d’une demande soumise aux premiers juges lorsque, devant ces derniers, l’appelant s’était désisté de cette demande (Soc. 3 mars 1982, n°80-10.844).
Enfin, M. [N] ne saurait se prévaloir du pouvoir d’évocation de la cour sur le fondement de l’article 568 du code de procédure civile puisque la cour ne se trouve ni dans un cas d’infirmation ou d’annulation d’un jugement ayant ordonné une mesure d’instruction, ni dans un cas de jugement ayant statué sur une exception de procédure ayant mis fin à l’instance.
Au total, la demande de nullité de la reconnaissance de dette, nouvelle en cause d’appel, sera déclarée irrecevable.
2/ Sur la responsabilité du notaire
Pour retenir la responsabilité du notaire, le tribunal a énoncé que ce dernier ne rapportait pas la preuve d’avoir conseillé M. [N] sur les conséquences de la clause contenue dans la reconnaissance de dette selon laquelle il renonce à se prévaloir de la clause de prélèvement des droits de succession sur l’actif de celle-ci et contenue dans l’acte de donation.
Maître [W] sollicite l’infirmation de la décision sur ce point.
Il affirme que l’écrit du 7 septembre 2015 émanant de M. [N] lui-même constitue la reconnaissance expresse de sa possibilité de payer les droits de succession sur les fonds disponibles de celle-ci. Il a délibérément fait un autre choix car il avait besoin de liquidités. Il s’est d’ailleurs lui-même renseigné auprès de l’administration fiscale quant à la possibilité de différer le paiement des droits de succession et les modalités.
Il ajoute que le tribunal ne pouvait tirer argument de ce que le projet d’acte ne contenait pas cette clause de renonciation, puisqu’il ne s’agissait précisément que d’un projet qui a été modifié contradictoirement le jour de la signature de l’acte dans des termes très clairs et explicités le jour même.
Il précise que l’acte contient en effet une clause pénale qui est sans aucun rapport avec le taux d’usure évoqué par M. [N]. Il rappelle qu’aucun plafond n’est prévu pour une telle clause.
M. [N] développe dans le paragraphe 6 de ses conclusions le manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil, les paragraphes précédents étant consacrés au rappel de la genèse du règlement de la succession et des différents actes notariés (paragraphes 1 à 3) et aux moyens au soutien de la demande de nullité de la reconnaissance de dette (paragraphes 4 et 5).
Il prétend ainsi ne pas avoir été éclairé sur l’intérêt et les conséquences d’un paiement différé des droits de succession et ne pas avoir été clairement informé sur la possibilité de prélever les droits de succession sur les liquidités successorales.
Le notaire n’a pas non plus attiré son attention sur l’inutilité de contracter un prêt auprès de M. [V] pour régler les frais de succession et sur les risques inhérents au non-remboursement du prêt contracté à l’échéance convenue au regard des pénalités de retard prévues à l’acte.
Il ajoute que le notaire n’a pas attiré son attention sur la clause de renonciation insérée à la reconnaissance de dette, laquelle s’est pourtant révélée désastreuse pour lui. Il prétend qu’elle ne figurait pas dans le projet d’acte et qu’elle a été rajoutée au dernier moment avant la signature.
Sur ce, il est admis que sur le fondement de la responsabilité délictuelle le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui, d’avertir les contractants de toutes les conséquences prévisibles que peut entraîner l’acte juridique projeté, de les informer sur sa portée, ses effets et, le cas échéant, sur les risques qu’il peut présenter. La preuve du respect de ces obligations pèse sur lui.
Dans un courrier électronique du 7 septembre 2015 adressé par M. [N] à l’étude de maître [W], il écrit ceci :
‘ Mr [C] [V] m’a fait part de votre appel du Vendredi 04 septembre me proposant d’accepter le paiement de mes droits de succession d’un montant approximatif, je n’ai pas le chiffre exact, de 35 000 Euros, avec les fonds disponibles sur les comptes communs de Mr [V] et de ma défunte mère Mme [V].
Je ne souhaite – pas – m’acquitter de ces droits fiscalement à ce jour et je voudrais opter pour un paiement en différé pour tous les biens de Mme [V] EXCEPTE celui de la maison de campagne de la Lozère et du bois. (Voir email envoyé à Maître [W] à ce sujet). Il m’a été confirmé qu’il n’y aurait aucune conséquence légale ou fiscale pour Mr [V] et que les frais d’intérêt de 2% m’en incombaient en totalité. (…)’
Par ce message, M. [N] exprime très clairement le fait qu’il a été informé par le notaire de la possibilité de s’acquitter du paiement des droits de succession avec les liquidités disponibles dans la succession de sa mère. Pour autant, il expose de façon limpide sa ferme volonté de les payer de manière différée, à une exception près qu’il mentionne. Il est également parfaitement conscient des intérêts à hauteur de 2% qui seront ainsi à sa charge auprès de l’administration fiscale.
Par la production de ce message, et contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la cour estime que maître [W] prouve avoir informé M. [N] de la possibilité de s’acquitter des frais de succession sur les liquidités de celle-ci, mais également des intérêts dus au Trésor Public en cas de paiement différé. Il prouve également que M. [N] a compris l’enjeu de ce choix.
En ce qui concerne le défaut d’information sur la clause de renonciation, il convient de rappeler que cette clause prévue dans la reconnaissance de dette est rédigée comme suit : ‘Monsieur [G] [N] déclare aux présentes renoncer expressément aux dispositions contenues dans l’acte de donation entre époux reçu par Maître [D] [R], notaire à [Localité 7], le 21 mars 1990, relatives aux modalités de prise en charge des frais et droits incombant aux héritiers réservataires nus-propriétaires par prélèvement direct sur les fonds de la succession soumis à l’usufruit du conjoint survivant, afin que ce dernier en ait la libre disposition.’
Le fait que cette clause ne figure pas dans le projet d’acte qui a été envoyé à M. [N], mais seulement dans l’acte définitif ne prive pas le notaire d’avoir rempli son obligation d’information sur celle clause. En effet, d’une part il convient de relever qu’elle figure en page 2 de la reconnaissance de dette qui en comporte 11 et qu’elle se trouve dans un paragraphe intitulé ‘exposé – objet de la reconnaissance de dette’. Elle est écrite dans une typologie plus grasse que les autres mentions de l’acte, à l’exception des mentions relatives au montant de la reconnaissance de dette et des modalités de remboursement qui sont également en gras.
D’autre part, et surtout, cette clause n’est que la conséquence de ce que le notaire a expliqué plus tôt à M. [N] et dont il est établi qu’il était informé dès le 7 septembre, c’est-à-dire qu’en payant les droits de succession de manière différée, il renonçait à ce qu’ils soient prélevés sur les liquidités de la succession. Cette clause n’est que la traduction écrite le 25 septembre de l’information qu’il a reçue le 7 septembre.
En ce qui concerne la clause pénale contenue à l’acte, elle est clairement explicitée dans un paragraphe intitulé ‘délai d’exigibilité non respecté-sanction’ et rédigée comme suit : ‘Si le remboursement du capital intervenait postérieurement à la date d’exigibilité, des pénalités de retard d’un montant de 3% du capital restant dû par mois de retard, seraient appliquées à compter de la date d’échéance finale jusqu’au jour du règlement définitif.’
Il s’agit d’une clause pénale insérée dans un contrat telle que le permet l’article 1231-5 du code civil et donc parfaitement légale. La page contenant cette mention porte le paraphe de M. [N]. Cette clause, rédigée en termes clairs et simples, n’est pas l’apanage d’un acte notarié, la plupart des contrats comportant de telles clauses. Le notaire n’était donc pas tenu d’une obligation particulière d’information ou de conseil relative à cette clause très claire, que M. [N] a acceptée et qui n’était utile qu’en cas de non-respect de ses obligations, c’est-à-dire le remboursement de la somme empruntés sur un délai de 7 ans, ce délai apparaissant en gras en page 2 de l’acte qui porte également le paraphe de M. [N] comme il a été dit plus avant.
S’agissant de l’inutilité de souscrire un prêt, il sera ici également relevé que ce prêt n’est que la conséquence du souhait de M. [N] de payer les droits de succession de manière différée. Ce prêt était en effet inutile dès lors que M. [N] réglait les frais de succession avec les liquidités de celle-ci, ce qu’il ne souhaitait pas faire. Le notaire ne pouvait donc pas attirer son attention sur l’inutilité du prêt, celui-ci étant la conséquence du paiement différé.
Au surplus, au-delà des informations que maître [W] justifie avoir fournies à M. [N] au 7 septembre 2015, il apparaît que ce dernier ne s’en est pas contenté mais a effectué des démarches complémentaires auprès du service des impôts concernant les modalités de paiement des frais de succession.
En effet, le 8 septembre 2015, soit postérieurement à ses échanges avec l’étude notariale, M. [N] interrogeait le service des impôts de [Localité 6] par courrier électronique, en ces termes :
‘ Suite à notre conversation téléphonique de ce jour et vous remerciant du temps que vous m’avez impartit pour y répondre, je sollicite de votre part une confirmation sur les questions suivantes :
1-) L’usufruitier peut-il s’opposer à la demande de paiement en différé de l’héritier, responsable donc du paiement des droits de succession. Car me dit-on, il y a ‘Hypothèque par l’Etat’
2-) Si l’héritier opte pour une demande de paiement en différé sur l’ensemble des droits de succession, et que la encore, il peut être considéré qu’il y a hypothèque par l’Etat sur les biens réels, cela peut-il interdire la revente de la nue-propriété de l’un des biens par l’héritier PENDANT la période de paiement des droits en différé. Sans que l’héritier se soit acquitté des droits de succession ds leur totalité.
3-) Et dépendammant de cette réponse : Si l’ensemble des droits de succession comportant, pour simplifier les choses, DEUX biens principaux, le bien A et le bien B, l’héritier peut-il s’acquitter comptant du montant des droits de succession portant sur le bien B et faire une demande de paiement différé sur le bien A, au prorata des valeurs estimées, sous la forme d’un acompte’ Afin de libérer la vente de la nue-propriété du bien B.
Vous remerciant sincèrement de votre diligence sur ces réponses car nous sommes déjà un peu hors délai.
Meilleures salutations.’
Les premiers juges ont estimé que cette demande auprès du service des impôts attestait de ce que maître [W] n’avait pas rempli son obligation d’information et de conseil. Cependant, la cour en fait une autre analyse.
En effet, il résulte des pièces produites que M. [N] souhaitait s’acquitter immédiatement des droits de succession sur les biens situés en Lozère puisqu’il voulait en céder la nue-propriété à M. [V], mais de manière différée pour le reste de l’actif de la succession, ce qui n’est pas contesté (cf. son courrier électronique du 7 septembre 2015 in fine – sa pièce 11).
Le message ci-dessus adressé au service des impôts atteste donc de ses interrogations quant à la possibilité de s’acquitter de cette façon des droits dus, après avoir été informé en ce sens par le notaire puisqu’il emploie l’expression ‘car me dit-on’, élément encore corroboré par le fait que ses échanges avec le service des impôts sont postérieurs à ceux qu’il a eus avec le notaire.
En outre, les informations dont il a cherché la confirmation auprès du Trésor Public ne portent pas sur la possibilité de payer les droits dus sur les liquidités de la succession, mais sur la possibilité d’un traitement différencié selon les biens. Or, il ne reproche pas de manquement au notaire sur ce terrain.
Enfin, si le notaire est tenu d’une obligation de conseil quant aux conséquences fiscales des opérations auxquelles il prête son concours, il justifie y avoir satisfait en l’espèce en informant M. [N] de ce qu’un paiement différé entraînerait le paiement d’intérêts à hauteur de 2%, comme M. [N] le reprend dans son message 7 septembre 2015.
Au total, maître [W] justifie avoir rempli son obligation d’information et de conseil s’agissant de la possibilité pour M. [N] de s’acquitter des droits de succession sur les liquidités de celle-ci et des conséquences fiscales du choix d’un paiement différé.
Cependant, le dispositif de la décision ne s’étant pas prononcé sur ce point mais ayant seulement débouté M. [N] de ses demandes indemnitaires, la cour confirmera le jugement par substitution de motifs.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral de maître [W]
Maître [W] a été débouté de cette demande par les premiers juges au motif que, le manquement au devoir d’information et de conseil étant établi, il ne pouvait invoquer une atteinte à son honneur et son professionnalisme.
Maître [W] reprend cette demande devant la cour, estimant que son intégrité et son honnêteté intellectuelles ont été mises en cause.
M. [N] n’a pas conclu sur ce chef de demande.
Le fait que la cour écarte le manquement du notaire à son devoir d’information et de conseil n’entraîne pas de facto la reconnaissance d’un préjudice moral en découlant pour maître [W]. En effet, ce préjudice n’est étayé par aucune pièce et ne saurait résulter de sa seule mise en cause devant une juridiction civile, cela d’autant que la cour écarte tout manquement de sa part. La décision sera confirmée sur ce point par substitution de motifs.
4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant en son appel, M. [N] en supportera les dépens.
Il devra également payer la somme de 3 000 euros à maître [W] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare irrecevable en cause d’appel la demande de nullité de la reconnaissance de dette présentée par M. [G] [N],
Juge que maître [J] [W] justifie avoir satisfait à son obligation d’information et de conseil,
Déboute M. [G] [N] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,
Confirme le jugement, dans les limites de sa saisine, par substitution de motifs,
Condamne M. [G] [N] à payer à maître [J] [W] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel;
Condamne M. [G] [N] aux dépens d’appel.
Le Greffier La Présidente