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Copies exécutoires
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 1
ARRÊT DU 25 AOÛT 2023
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/20517 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEW5D
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 octobre 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20/03526
APPELANTE
S.A.S. PI3A immatriculée au RCS de Bayonne sous le numéro 814 086 948, agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domiciliè en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
Représentée par Me Gaspard BENILAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2572
INTIMÉ
Maître [O] [V], notaire associé membre de la SCP [D] NOTAIRE, titulaire de l’office notarial
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté et assisté de Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Catherine GIRARD-ALEXANDRE, conseillère ,chargée du rapport et Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère faisant fonction de présidente .
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Corinne JACQUEMIN, conseillère faisant fonction de présidente
Catherine GIRARD-ALEXANDRE, conseillère
Muriel PAGE, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Marylène BOGAERS.
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour initialement prévue le 09juin 2023 puis prorogé au 30 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère faisant fonction de présidente et par Madame Marylène BOGAERS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS PI3A, exerçant une activité de promotion immobilière, qui avait pour projet de réaliser un ensemble immobilier de 12 logements sis [Adresse 1] à [Localité 7], sur une parcelle cadastrée section AD n°[Cadastre 5], située dans une zone relevant du droit de préemption urbain, a conclu avec les époux [W], par acte authentique reçu le 3 octobre 2017 par Maître [O] [V], en concours avec Maître [X] [H], notaire à [Localité 6], une promesse unilatérale de vente moyennant le prix de 650 000 €.
Cet acte précisait que le projet immobilier de la société PI3A consistait en un ensemble immobilier de 12 logements sans logements sociaux, pour une surface de plancher minimum de 696 m2 et comportait diverses conditions suspensives dont la renonciation par la ville ou par tout autre titulaire pouvant en bénéficier au droit de préemption urbain.
Le 9 octobre 2017, l’étude notariale adressait par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, une déclaration d’intention d’aliéner portant sur les biens objet de la vente, aux services de l’urbanisme de la commune de [Localité 7], laquelle est restée sans réponse dans les deux mois suivant cet envoi, valant ainsi tacite renonciation à son droit de préemption.
En raison de difficultés inhérentes à la faisabilité du projet souhaité, cette promesse de vente a fait l’objet d’un avenant, puis une nouvelle promesse de vente a été signée le 20 décembre 2018, en présence des mêmes notaires, aux termes de laquelle le projet immobilier de la société PI3A était décrit comme un ensemble immobilier pour 7 logements pour une surface plancher de 564 m2, moyennant le prix de 610 000 € et comportait également diverses conditions suspensives, dont celle tenant à la purge du droit de préemption urbain.
Maître [V] ayant notifié comme précédemment une déclaration d’intention d’aliéner l’Etablissement public de l’Ile de France notifiait sa décision de préempter par courrier du 14 juin 2017.
Faisant grief à Maître [V] d’avoir manqué à son obligation de conseil en ne l’ayant pas informée du risque inhérent à la baisse du prix d’achat au regard du droit de préemption urbain, et en ne l’ayant pas alertée sur la nécessité d’effectuer une seconde déclaration d’intention d’aliéner en cas de signature d’une nouvelle promesse de vente à un prix inférieur, ce qui lui aurait causé un préjudice important dès lors qu’elle a vu son projet péricliter alors qu’elle avait déjà engagé des frais importants, la SAS PI3A a fait assigner, par acte d’huissier du 24 avril 2020, Maître [V] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager sa responsabilité professionnelle et obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts .
Par jugement en date du 13 octobre 2021, le tribunal judiciaire Paris, estimant que le notaire avait commis une faute en n’ayant pas alerté la SAS PI3A sur les conséquences de la signature d’une seconde promesse de vente au regard de l’exercice du droit de préemption urbain par l’administration, et ce nonobstant l’activité professionnelle de la société PI3A et le fait qu’elle soit assistée par son propre notaire, avait généré pour cette dernière un préjudice consistant en la perte de chance de ne pas exposer de dépenses durant la période séparant la date de signature de la seconde promesse le 26 décembre 2018 et le 29 mars 2019, date de l’exercice du droit de préemption, a condamné Maître [V] à lui payer la somme de 3 000 € de dommages et intérêts outre 2 000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 24 novembre 2011, la SAS PI3A a interjeté appel du jugement en ce qu’il a limité les condamnations mises à la charge de Maître [V] à la somme de 3 000 € et rejeté ses autres demandes.
En ses dernières conclusions signifiées le 22 mars 2023, la SAS PI3A conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu que le notaire avait manqué à son devoir de conseil, et à son infirmation en ce qu’il a limité le montant des condamnations, et demande à ce titre de condamner Maître [V] à lui payer :
44 261,60 € en réparation de son préjudice matériel correspondant aux divers frais engagés en lien direct avec le projet, objet de la promesse de vente, (frais de publicité, d’avocat, de notaire, d’honoraires d’architecte et d’élaboration de plans, frais d’huissier pour affichage)
300 000 € en réparation de la perte de chance de voir aboutir son projet immobilier ;
5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
A l’appui de ses prétentions, la SAS PI3A fait valoir, sur la faute du notaire, que ce dernier, rédacteur d’acte est tenu d’un devoir de conseil à l’égard de toutes les parties à l’acte, sans pouvoir se retrancher derrière la présence à l’acte du propre notaire de l’autre partie, ou les compétences ou connaissances personnelles du client, de sorte qu’il importe peu en l’espèce qu’elle soit une société spécialisée dans les opérations de promotion immobilière.
Elle ajoute qu’en l’absence d’obstacle résultant de l’exercice du droit de préemption à l’occasion de la première promesse, elle était fondée à croire que le droit de préemption avait été définitivement purgé et qu’il appartenait à Maître [V], dès lors que les parties ont envisagé de négocier le prix et de le revoir à la baisse, de les informer du risque inhérent à ce changement de prix tenant à une plus forte probabilité d’exercice du droit de préemption par une collectivité.
Sur la perte de chance, elle soutient que l’omission fautive de Maître [V] a engendré une perte de chance totale et réelle de voir aboutir son projet, puisqu’elle avait obtenu un permis de construire, que le projet était bien avancé et que son sort dépendait uniquement de la levée de l’option.
La somme de 300 000 € réclamée correspond selon la société PI3A à la marge prévisionnelle qui aurait dû être faite sur le programme.
Par ses dernières conclusions du 13 mai 2022, Maître [V] conclut à l’infirmation du jugement à titre principal, estimant n’avoir commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle, et à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où une faute serait retenue à son encontre, de limiter le montant des condamnations à celles octroyées en première instance.
En substance, il soutient qu’il n’a commis aucune faute, dès lors que la société PI3A en sa qualité de professionnel de la construction, n’ignorait rien de la procédure de purge du droit de préemption, que le notaire n’a pas à se faire juge de l’opportunité économique que représente une opération pour ses clients, et qu’enfin il n’est pas tenu d’informer de données de fait qui sont déjà connues des parties.
Il ajoute que la promesse de vente du 26 décembre 2018 faisait mention en termes clairs et dénués d’ambiguïté de l’obligation de purger de nouveau le droit de préemption urbain, et que la SAS PI3A ne saurait soutenir qu’elle n’aurait pas compris les termes de la promesse qu’elle a signé en pleine connaissance de cause après lecture.
Il souligne par ailleurs qu’à supposer établie une faute de sa part, la société PI3A ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité avec le préjudice invoqué, à savoir qu’elle n’aurait pu finaliser son projet sans la signature de la promesse litigieuse.
Il rappelle que le projet initial était différent, et que la SAS PI3A ne rapporte pas la preuve qu’elle aurait obtenu un permis de construire pour le permis initial, ni que toutes les autres conditions suspensives prévues à l’acte étaient remplies.
Par ailleurs, il fait valoir que la SAS PI3A ne rapporte aucunement la preuve d’un préjudice certain et actuel, et notamment celle que l’ensemble des factures qu’elle produit sont en relation avec le projet immobilier, celle du règlement desdites factures, et qu’en toute hypothèse les frais dont il est demandé remboursement correspondent aux frais de commercialisation inhérents à tout projet immobilier engagés nécessairement avant la réalisation effective de la vente.
Enfin, il soutient que la perte de chance invoquée n’est pas justifiée et ne présente pas de caractère de probabilité raisonnable, et ce d’autant que les éléments de l’espèce démontrent que si la société PI3A n’avait pas signé la seconde promesse de vente, elle n’aurait tout simplement pas réitéré la vente, n’ayant pas levé l’option de la première promesse de vente et qu’elle reconnait que la signature de la seconde promesse de vente et les modifications des conditions de la vente ont été rendues indispensables du fait des difficultés rencontrées quant à la faisabilité de son projet initial.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la responsabilité du notaire
Il est constant que le notaire, est tenu, dans sa mission légale d’authentification des actes juridiques, d’un devoir d’information et de conseil à l’égard de toutes les parties à l’acte pour lequel il prête son concours, dont il n’est pas dispensé par les compétences ou connaissances personnelles de l’une des parties, ou encore l’intervention ou l’assistance d’un autre professionnel à ses côtés.
Il s’ensuit que le notaire, tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique, engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil en cas de manquement à ce devoir d’information et de conseil.
De plus, il incombe au notaire la preuve de l’exécution de son devoir d’information et de conseil, cette preuve, pouvant résulter de toute circonstance ou document établissant que le client a été averti de la portée, des effets et des risques inhérents à l’acte que ce notaire a instrumenté.
En l’espèce, la société PI3A reproche à Maître [V] de ne pas l’avoir alertée, à l’occasion de la signature de la seconde promesse de vente en date du 20 décembre 2018, à la fois sur la plus forte probabilité d’exercice du droit de préemption urbain par une collectivité dans l’hypothèse d’une baisse du prix de vente et sur les conséquences de la signature d’une seconde promesse de vente, notamment quant à l’obligation pour le notaire de procéder, à une autre notification de déclaration d’intention d’aliéner en raison des modifications de l’une des caractéristiques de la vente.
S’agissant du premier grief invoqué par la société PI3A, il sera rappelé que l’obligation d’information et de conseil du notaire ne s’étend pas à l’opportunité économique que représente l’opération pour ses clients, de sorte qu’en l’espèce, l’obligation d’information de Maître [V] ne pouvait porter sur l’opportunité pour la société PI3A de convenir avec le vendeur d’une baisse du prix.
En outre, l’augmentation du risque de préemption dans cette situation était purement hypothétique, et ce d’autant que la différence du prix de vente convenu entre la première promesse de vente et la seconde, 650.000 € pour la première et 610.000 € pour la seconde, soit 40.000 € était particulièrement faible, la contenance de la parcelle vendue étant inchangée, et répondait en outre à des critères et à des conditions déterminées par l’administration, qui étaient en l’état des pièces produites, ignorées du notaire.
Concernant le second grief allégué, il est constant que la preuve de l’information donnée par le notaire peut être faite par tout moyen, et peut notamment résulter des clauses mêmes de l’acte.
En l’espèce, la promesse de vente du 10 décembre 2018 contient en page 12 une clause 10.2, libellée en caractères majuscules et en gras « ENONCE DE LA CONDITION SUSPENSIVE A LAQUELLE AUCUNE DES PARTIES NE PEUT RENONCER », suivie de la clause, également en caractères gras, 10.2.1. Non-exercice du droit de préemption urbain – Droit de préférence, et comportant 53 lignes, soit près d’une page et demie, dans les termes suivants :
«
»
Il en résulte que l’obligation pour le notaire de notifier à l’administration une déclaration d’intention d’aliéner, obligatoire en raison de la signature d’une promesse de vente dont les caractéristiques concernant le prix étaient différentes de la première, est clairement stipulée dans l’acte authentique signé par le représentant de la société PI3A, assisté d’un notaire, après lecture faite par les parties, et que cette dernière ne peut prétendre ne pas avoir été informée de cette nécessité de procéder aux formalités de purge du droit de préemption urbain, quand bien même celles-ci auraient été réalisées suite à la première promesse de vente dont les caractéristiques étaient différentes, notamment quant au prix de vente.
De plus, la société PI3A est infondée à soutenir qu’il s’agirait d’une clause de style sur laquelle il aurait fallu attirer particulièrement son attention, alors que cette clause, parfaitement claire, précise et non équivoque, comportant pas moins de 53 lignes sur une page et demie, constitue une des conditions suspensives de la vente, donc une des conditions essentielles et déterminantes de celle-ci, et sur laquelle il est incontestable que les parties sont nécessairement particulièrement attentifs.
De même, il est inopérant de prétendre que le notaire aurait dû faire figurer dans l’acte du 20 décembre 2018 qu’il y avait lieu à une « nouvelle » purge du droit de préemption, dès lors qu’il s’agit d’une autre promesse de vente, aux caractéristiques différentes de la première quant au prix de vente, et non d’un avenant, et qu’il n’y est fait aucunement référence à la première promesse de vente.
Enfin, l’appelante ne peut prétendre avoir été légitimement fondée à croire que le droit de préemption était définitivement purgé suite à la déclaration d’intention d’aliéner consécutive à la première promesse de vente, sauf à considérer que la clause insérée à l’acte du 20 décembre 2018, qu’elle a signé, n’aurait alors eu aucune utilité, ni raison d’y figurer, sans que pour autant elle interroge le ou les notaires sur l’exercice du droit de préemption qu’elle considérait prétendument purgé.
En conséquence, il est démontré que le notaire, Maître [V], n’a pas manqué à son obligation d’information et de conseil à l’égard de la société PI3A, et ne saurait en conséquence voir engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Le jugement sera donc infirmé, et la société PI3A déboutée de l’ensemble de ses demandes, tant principale en indemnisation de divers préjudices, qu’accessoires au titre des frais non taxables.
II- Sur les demandes accessoires
La société PI3A, partie perdante, doit être condamnée aux dépens, tant de première instance, ce qui justifie l’infirmation du jugement de ce chef, que d’appel.
Le jugement sera également infirmé en ce qu’il a condamné Maître [V] à payer à la société PI3A la somme de 2.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, il serait inéquitable en l’espèce de laisser à la charge de Maître [V] les frais irrépétibles exposés à l’occasion de l’instance d’appel, de sorte que la société PI3A sera condamnée à lui payer à ce titre la somme de 4.000 €.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 13 octobre 2021 en toutes ses dispositions ;
Déboute la SAS PI3A de toutes ses demandes ;
Condamne la SAS PI3A aux dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la SAS PI3A à payer à Maître [O] [V] la somme de 4.000 € (QUATRE MILLE EUROS) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, La conseillère faisant fonction de Présidente