Responsabilité du Notaire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 22/00813

·

·

Responsabilité du Notaire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 22/00813
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

CF/CD

Numéro 23/03458

COUR D’APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRÊT DU 24/10/2023

Dossier : N° RG 22/00813 – N° Portalis DBVV-V-B7G-IE4Y

Nature affaire :

Demande en réparation des dommages causés par l’activité des auxiliaires de justice

Affaire :

[L] [V]

épouse [M]

C/

[R] [A],

SELARL [J] [S] & [R] [A] ASSOCIÉS

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 24 Octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 12 Septembre 2023, devant :

Madame FAURE, Présidente, magistrate chargée du rapport conformément à l’article 785 du code de procédure civile

Madame BLANCHARD, Conseillère

Madame REHM, Magistrate honoraire

assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l’appel des causes.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public le 15 juillet 2022

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [L] [V] épouse [M]

née le [Date naissance 4] 1954 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Maître TISSERANT de la SELARL CABINET MONTMARTRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

Maître [R] [A]

notaire associée de l’office notarial ‘Maîtres [J] [S] et [R] [A], sis

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 6]

SELARL ‘[J] [S] & [R] [A] ASSOCIÉS’

prise en la personne de ses gérants légalement la personne morale, dont le siège social se situe

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentées par Maître DEL REGNO de la SELARL MONTAGNÉ – DEL REGNO ASSOCIÉS, avocat au barreau de PAU

Assistées de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS

sur appel de la décision

en date du 07 SEPTEMBRE 2021

rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TARBES

RG numéro : 20/00302

EXPOSE DU LITIGE

Madame [W] [N], décédée le [Date décès 5] 2015, a institué pour légataire universelle sa nièce Madame [L] [M] aux termes d’un testament olographe du 30 mai 2001.

Le 4 décembre 2015, Madame [L] [M] a accepté purement et simplement le legs de Madame [N].

Une déclaration de succession a été enregistrée auprès des services fiscaux le 23 mars 2016.

Mme [W] [N] était conjointe survivante de son époux décédé le [Date décès 2] 2008 avec qui elle était mariée sous le régime de la communauté légale sans avoir eu d’enfant.

Toutefois, d’une précédente union, M. [U] [N] avait eu trois enfants.

Il n’avait pas été procédé avant le décès de Madame [N] à la liquidation de la communauté et de la succession de Monsieur [N].

Dans le patrimoine de Monsieur [N], il existait un bien situé à [Localité 8] et Madame [N] avait été désignée légataire de l’usufruit.

Les enfants [N] ont décidé de vendre le bien et la vente est intervenue le 20 juin 2017 pour le prix de 187 000 €.

Me [R] [A] a établi une attestation immobilière en date du 20 juin 2017, attribuant la moitié du bien en pleine propriété à Madame [L] [M], légataire universel d'[W] [N] et la quote part indivise de Madame [N] a été consignée chez le notaire à hauteur de 87 500 €.

Les droits de succession se sont élevés à la somme de 134.356 € et les frais d’acte notariés à 12 540,78 €.

Par actes des 1er juin et 11 juillet 2017, les enfants [N] ont fait délivrer une assignation en partage à l’égard de Madame [M].

Le 9 novembre 2018 une transaction notariée sera établie par Me [H] [T], représentant les héritiers de M. [U] [N] et Me [R] [A] représentant Madame [L] [M].

La liquidation de la communauté faisait apparaître une récompense due par Madame [W] [N], d’un montant transactionnel de 151 585 euros.

Le 6 juin 2019, Madame [L] [M] a reçu une proposition de rectification de la Direction Générale des Finances Publiques de [Localité 6] lui réclamant le paiement de droits successoraux complémentaires à hauteur de 51 425 euros outre des intérêts de retard pour 6 582 euros, proposition reposant sur l’attestation de propriété établie par Me [R] [A] le 20 juin 2017.

Par acte d’huissier du 12 février 2020, Madame [L] [M] a assigné Me [A] et l’étude notariale devant le tribunal judiciaire de Tarbes aux fins de voir engager sa responsabilité et les voir condamner à lui payer in fine les sommes de 100 182 €, 96 666,45 € et 8 532 €.

Suivant jugement contradictoire en date du 7 septembre 2021 (RG n° 20/00302), le juge de première instance a :

– débouté Madame [L] [M] de l’ensemble de ses demandes,

– rejeté la demande reconventionnelle de Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] et Me [R] [A], notaires associés,

– condamné Mme [L] [M] au paiement d’une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit,

– condamné Mme [L] [M] aux dépens.

Le tribunal a considéré que l’immeuble de [Adresse 7] était un bien de communauté qui devait revenir à Madame veuve [N] pour l’entier usufruit et aux trois enfants de Monsieur [U] [N] pour la nue-propriété.

À la suite du décès de Madame [N], le tribunal a considéré que la maison revenait donc par extinction de l’usufruit de Madame [N] aux enfants de Monsieur [U] [N] et que pour cette raison, il n’a pas été fait état de cette maison dans l’actif successoral. Il a relevé que la vente ayant eu lieu à la suite de la décision des enfants [N], une attestation immobilière et une déclaration de succession complémentaire ont été établies. Il a précisé que le prix de vente devait être intégré aux opérations de partage dans le cadre de la liquidation de l’indivision post-communautaire des époux [N]. Il en a déduit qu’aucune faute ne pouvait être retenue contre le notaire.

Le tribunal a observé que l’obligation de conseil avait été effectuée par le notaire et que Madame [M] avait accepté en toute connaissance de cause le partage.

Il a considéré que le manquement au devoir de conseil et d’information sur le paiement des droits successoraux n’était ni explicité ni motivé ; que la succession n’était pas déficitaire et qu’il était donc normal que Madame [M] paie des droits de succession réclamés par l’administration fiscale et qu’il n’appartient pas au notaire de supporter des droits fiscaux relatifs à la réintégration des biens immobiliers et au partage transactionnel.

Le tribunal a déclaré que la procédure n’était pas abusive pour rejeter la demande reconventionnelle du en paiement de dommages-intérêts.

Madame [L] [V] épouse [M] a relevé appel par déclaration du 20 mars 2022 (RG n° 22/00813), critiquant le jugement dans l’ensemble de ses dispositions sauf le rejet de la demande reconventionnelle de Me [A] et de l’étude notariale.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 13 octobre 2022, Madame [L] [V] épouse [M], appelante, statuant sur le fondement de l’article 1240 du code civil et du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, entend voir la cour :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Tarbes le 7 septembre 2021,

et statuant à nouveau, de :

à titre principal :

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 100 082 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de l’établissement de la déclaration de succession de Mme [N] et des actes subséquents,

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 96 666,45 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de représenter Mme [M] dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la communauté entre les époux [N] et de la succession de M. [N],

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 8 532 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des défaillances du notaire dans son devoir d’information et de conseil relatifs au paiement des droits successoraux,

à titre subsidiaire :

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 13 866,87 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de l’établissement de la déclaration de succession de Mme [N] et des actes subséquents,

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 96 666,45 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de représenter Mme [M] dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la communauté entre les époux [N] et de la succession de M. [N],

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 8 532 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des défaillances du notaire dans son devoir d’information et de conseil relatifs au paiement des droits successoraux,

à titre infiniment subsidiaire :

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 6 582 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de l’établissement de la déclaration de succession de Mme [N] et des actes subséquents,

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 6 532 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des défaillances du notaire dans son devoir d’information et de conseil relatifs au paiement des droits successoraux,

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL, « [J] [S] & [R] [A], notaires associés » à verser à Mme [M], en deniers ou en quittances, la somme totale de 25 712 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de représenter Mme [M] dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la communauté entre les époux [N] et de la succession de M. [N],

en tout état de cause :

– rejeter les demandes incidentes formulées par l’intimée,

– condamner in solidum Me [R] [A] et la SARL « [J] [S] & [R] [A], notaires associés », à verser à Mme [M], la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Madame [M] critique le jugement en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’une déclaration de succession défectueuse et qu’une déclaration complémentaire de succession a été établie alors que le notaire reconnaît elle-même que cela n’a pas été fait. Or, Madame [M] soutient que c’est ce qui est à l’origine d’importantes conséquences fiscales.

Madame [M] considère que Me [A] a commis des fautes en ce qu’elle n’a pas déclaré l’immeuble de [Localité 8] dans la déclaration de succession, n’a pas averti Madame [M] des risques d’une vente en cas de liquidation de la communauté et n’a effectué aucune déclaration rectificative auprès des services fiscaux alors qu’elle avait établi une attestation de propriété où Madame [M] était moitié indivisaire du bien pour un montant de 93 500 €, prix qu’elle n’a jamais perçue puisque cela a servi à payer la récompense. De même, cela avait une conséquence dès lors que Madame [M] s’est retrouvée débitrice d’une récompense à hauteur de 151 585 € à la suite de la transaction et que celle-ci n’a pas été inscrite au passif de la déclaration de succession.

Madame [M] reproche au notaire de n’avoir fait aucune diligence auprès des services fiscaux sans observations ou de remise des pénalités.

Madame [M] ajoute que le montant versé par le contrat d’assurance-vie ne peut être intégré à la succession qui se retrouve déficitaire de 13 866,87 € et non excédentaire de 84 198,99 €.

Madame [M] déclare que le notaire aurait dû lui conseiller d’accepter la succession à concurrence de l’actif net.

Le préjudice est équivalent au montant des impôts et intérêts de retard sur des sommes que Madame [M] n’a jamais perçues. Il est donc équivalent à 93 500 € correspondant au montant qu’elle aurait dû recevoir de la vente de l’immeuble outre les intérêts de retard à hauteur de 6 582 €.

Madame [M] fait valoir en outre que Me [A] a failli à ses obligations professionnelles en participant à la rédaction d’un acte de partage déséquilibré voire lésionnaire des droits de Madame [M] et en lui conseillant de signer la transaction.

Elle considère que le bien immobilier aurait dû être attribué aux enfants [N] au moment du partage et aurait pu permettre de rembourser la dette de Madame [N] sans transiter par le patrimoine et n’aurait pas engendré des droits de mutation pour Madame [M].

Elle fait état d’un préjudice correspondant à une perte de chance de recevoir la quote-part revenant à sa tante défunte soit la moitié de la communauté et 1/4 de l’actif net de la succession de Monsieur [N] qui ne peut être inférieure à 50 % de 175 832,89 € soit 87 916,45 €, outre le remboursement des frais de partage de 8 750 € soit un total de 96 666,45 €.

À cela elle ajoute un préjudice distinct résultant d’un manquement à son devoir de conseil et d’information sur le paiement des droits successoraux qu’elle évalue à 8 532 €.

Subsidiairement, elle limite son préjudice à 38 826 €.

Par conclusions déposées le 15 juillet 2022, Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] & [R] [A], sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil, entend voir la cour :

– confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu, le 7 décembre 2021, par le tribunal judiciaire de Tarbes,

– débouter Mme [L] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de Me [R] [A] et de la SELARL [J] [S] & [R] [A],

– faire droit à l’appel incident de Me [R] [A] et de la SELARL [J] [S] & [R] [A],

– condamner, en conséquence, Mme [L] [M] à verser à Me [R] [A] et à la SELARL [J] [S] & [R] [A] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

– en toute hypothèse, condamner Mme [L] [M] à verser à Me [R] [A] et à la SELARL [J] [S] & [R] [A] une somme de 3 000 euros – venant s’ajouter aux 2 500 euros alloués par le tribunal – au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et ce par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– et condamner Mme [L] [M] en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, au profit de Me [I] [O] (SELARL Montagné-[O] associés).

Les moyens de Me [A] et de la SELARL [J] [S] & [R] [A] sont les suivants :

– Me [A] admet avoir omis d’établir la rectification de la déclaration auprès des services fiscaux ;

– le décès de Madame [N] a remis en cause l’accord trouvé sur le devenir de l’immeuble de [Localité 8] puisque l’usufruit qu’elle devait recueillir n’avait plus lieu d’être ; l’immeuble ne devait pas se retrouver dans le patrimoine successoral ;

– lors de l’acte de notoriété, l’actif successoral se composait principalement :

– de la moitié du bien immobilier de [Adresse 7], dont le devenir n’était pas encore fixé à l’époque ;

– d’un contrat d’assurance-vie dont la clause bénéficiaire était rédigée en faveur des « héritiers de l’assuré », ce qui impliquait que Mme [L] [M] accepte la succession pour pouvoir percevoir le montant dudit contrat qui s’élevait à la somme de 151 922,86 € ;

– d’un placement d’un montant de 125 268,59 €,

– du mobilier ayant fait l’objet d’un inventaire par Maître [K], commissaire-priseur à [Localité 6], et vendu pour partie à l’Hôtel des ventes,

– et de divers comptes bancaires.

Les droits de succession se sont élevés à la somme de 134 356 € et les frais d’acte, en ce compris ceux du partage, à la somme de 12 540,78 €.

– compte tenu de l’excédent bénéficiaire de la succession, de 80 000 € environ même après les droits d’imposition sur l’immeuble de 51 425 €, l’intérêt de Madame [M] était d’accepter la succession,

– la discussion avec les enfants [N] a porté sur les récompenses, lesquelles manquaient de fondement juridique ; une récompense forfaitaire a été proposée par Me [A] qui devait permettre à Madame [M] de ne pas avoir de soulte à sa charge, et des conseils ont été donnés par Me [A] tout au long de la négociation ;

– elle a tenté une démarche auprès de l’administration fiscale sur la remise des pénalités ;

– sur le préjudice, le notaire ne saurait être tenu de payer au lieu et place d’un contribuable les impôts que celui-ci doit à l’administration fiscale ;

– les intérêts de retard ne constituent pas une pénalité mais la simple compensation de l’érosion monétaire et des intérêts que la somme non réglée a nécessairement générés au profit de l’appelante pendant la période considérée ;

– Me [R] [A] ne saurait, en aucun cas, être tenue responsable du fait que, pour l’acquisition du bien de [Localité 9], Mme [L] [M] n’a pas été en mesure de justifier du règlement du prêt au moyen de deniers autres que des deniers communs ;

– elle ne saurait être tenue responsable du fait que les enfants de M. [N] n’ont pas accepté la nouvelle proposition de calcul des récompenses qu’elle avait présentée dans l’intérêt de sa cliente et ont lancé une assignation les 1er juin et 11 juillet 2017 ;

– Madame [L] [M] omet délibérément le fait que la liquidation de la communauté entre époux constituait un préalable à la liquidation de la succession et que l’affectation de la partie du prix lui revenant a participé au règlement de la récompense qui était due par celle dont elle était la légataire universelle ;

– la réintégration de la valeur du bien dans le calcul des droits de succession, telle qu’effectuée par l’Administration fiscale, n’a fait que rétablir l’exacte situation de ladite succession ;

– l’oubli de Me [A] n’a pas eu de conséquences fiscales, et la procédure est abusive dès lors qu’il est réclamé par Madame [M] des dommages-intérêts à hauteur de 200 000 €.

Vu les conclusions du Procureur Général du 08 août 2022 qui s’en remet à la jurisprudence habituelle de la Cour.

Vu l’ordonnance de clôture du 9 août 2023.

MOTIFS

La responsabilité du notaire Me [R] [A] est recherchée sur le fondement délictuel qui exige une faute prouvée, un préjudice et un lien de causalité.

Le notaire doit assurer la validité et l’efficacité des actes qu’il reçoit. Il est soumis à une obligation d’information et de conseil envers son client et doit procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l’utilité et l’efficacité des actes qu’il dresse. Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l’acte auquel il prête son concours.

Sur les fautes reprochées à Me [A] :

Le 4 décembre 2015, l’acte constatant l’acceptation de la succession de Madame [W] [N] par Madame [L] [V] épouse [M] a été dressé par Madame [A] où il est indiqué que Madame [M] déclare accepter purement et simplement la succession de Madame [N] qu’elle recueille en totalité, activement comme passivement.

Le 10 mars 2016, Me [A] a établi la déclaration de succession auprès des services fiscaux laquelle fait mention d’un actif brut de 135 248,61 € dont 125 088,30 € de contrat de capitalisation nominatif Unofi capital plus et d’un passif brut de 7 549,88 €, mais une masse taxable nette après le rapport d’une donation de 12 000 €, de 139 698,73 €. Les droits étaient calculés à hauteur de 70 234 €.

Compte tenu de l’assurance-vie versée à Madame [M] à hauteur de 151 922,56 €, assurance souscrite à la suite de la vente d’un bien de Madame [N] le 6 janvier 2014 à [Localité 9], la part taxable de cette assurance-vie s’est élevée à 116 518 € et les droits à 64 085 € se sont ajoutés à ceux précités. Au vu de la déclaration de succession, les actifs bruts y compris l’assurance-vie s’élevaient donc à 299 171,17 (135 248,61 + 12 000 + 151 922,56 €).

Il convient de relever par une simple comparaison de cette déclaration de succession comportant un passif de 7 549,88 € et des droits à hauteur de 141 968,88 € soit 149 518,76 € et un actif de 299 171,17 €, et du tableau récapitulatif des recettes/dépenses de Me [A] produit en pièce 13 lequel fait état de dépenses à hauteur de 296 907,12 € et de 381 106,11 € de recettes une très nette disparité dans la composition tant de l’actif que du passif. Aussi, à la date du 4 décembre 2015, le notaire Me [A] ne justifie pas qu’elle avait pleinement informé Madame [M] de la masse successorale lui permettant d’accepter purement et simplement la succession.

Par ailleurs, ne figure pas dans les actifs de la déclaration de succession, la composante de la liquidation de communauté des époux [N] et la liquidation de la succession de Monsieur [N] décédé avant son épouse. Me [A] ne démontre pas avoir porté à la connaissance de Madame [M] que la masse successorale de Madame [N] allait donc s’en trouver modifiée ce qui s’est réalisée effectivement eu égard aux comptes finaux de la succession précités.

Me [A] ne peut s’exonérer en prétendant que Madame [M] ne pouvait ignorer les discussions avec les héritiers de Monsieur [N] sur la liquidation de sa succession puisque Madame [M] représentait sa tante dans les tractations, dès lors que le patrimoine de la défunte s’apprécie au jour du décès et qu’au [Date décès 5] 2015, en l’absence de liquidation préalable de la succession de Monsieur [N] et de la communauté des époux [N], les éléments qui en dépendaient devaient figurer dans la déclaration de succession ou à tout le moins, par précaution figurer dans une déclaration provisoire auprès des services fiscaux. Il convient de faire observer que Madame [M], vendeuse, ne disposait pas des connaissances juridiques ou fiscales lui permettant de découvrir l’anomalie.

Par suite, alors même qu’un immeuble situé à [Localité 8] dépendait du patrimoine [N], Me [A] ne peut prétendre aujourd’hui que Madame [N] n’en avait que l’usufruit et qu’il ne serait jamais entré dans son patrimoine successoral, l’usufruit s’éteignant lors du décès, alors qu’elle a elle-même établi une attestation immobilière le 20 juin 2017, lors de la vente de ce bien pour un montant de 187 000 €, où elle attribue la moitié indivise de ce bien à Madame [M].

Le tribunal ne pouvait donc considérer que l’immeuble ne faisait pas partie du patrimoine successoral de Madame [N] comme l’a fait le notaire.

Aussi, Me [A] a commis une faute en faisant croire à Madame [M] que la succession se résumait à ce qui était porté dans la déclaration de succession laquelle en outre a été établie plus de trois mois après l’acceptation pure et simple, alors que la composition du patrimoine de la succession de Madame [N] n’était pas définitive et que Me [A] a occulté toute la composition du patrimoine issu de la liquidation de la succession de Monsieur [N] et de la liquidation de la communauté [N]. Me [A] a ainsi failli à son devoir d’assurer l’efficacité de la déclaration de succession qui a été établie.

Il n’est pas démontré qu’une déclaration de succession complémentaire a été établie comme l’a déclaré le tribunal, alors qu’aucune pièce n’est produite pour le justifier. Me [A] reconnaît elle-même qu’elle a omis d’y procéder. Il s’agit également d’une faute qui doit être retenue contre le notaire.

Il est reproché également par Madame [M] à Me [A] un manquement dans son devoir de conseil et d’information dès lors qu’elle ne l’a pas informé de l’impact fiscal de la vente du bien à [Localité 8] qui a conduit à des droits supplémentaires à hauteur de 51 425 € et Madame [M] considère qu’elle a donc accepté un partage avec les enfants [N] inégalitaire à son détriment.

La chronologie des faits est révélatrice de ce défaut d’information sur le partage dès lors que la transaction entre Madame [M] et les enfants [N] est intervenue le 9 novembre 2018 alors que Madame [M] a eu connaissance des droits afférents à la vente du bien par un avis de recouvrement le 20 août 2019 à hauteur de 58 007 €. Ce n’est que par cet avis de recouvrement que Madame [M] a connu l’impact fiscal de la vente du bien et elle n’a donc pu en tenir compte dans le règlement du partage conflictuel qui a abouté à une transaction.

La faute de Me [A] est donc caractérisée par plusieurs manquements et le jugement sera donc infirmé dans le débouté des demandes de Madame [M] et sa condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Sur les préjudices :

Il est sollicité par Madame [M] la somme totale de 100 082 €, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de l’établissement de la déclaration de succession de Madame [N] et des actes subséquents, composée par 93 500 €, soit la valeur du bien immobilier réintégré à l’actif de la succession en application de l’article 750 ter du code général des impôts par les services fiscaux et sur laquelle Madame [M] a réglé des droits de succession à hauteur de 51 425 € alors qu’elle n’a dit-elle jamais perçu le fruit de la vente et 6 582 € d’intérêts de retard dont Madame [M] a dû s’acquitter suite au rejet de ses demandes gracieuses.

Or, Madame [M] ne peut venir prétendre qu’elle n’a pas perçu le prix de vente de l’immeuble de [Localité 8] dont elle pouvait prétendre à la moitié à hauteur de 93 500 € soit 87 000 € déduction des frais, dès lors que cette somme a été comptabilisée dans ses droits eu égard à l’acte de partage du 9 novembre 2018 et qu’elle est venue notamment en compensation de la récompense due à la communauté [N] à hauteur de 151 585 €.

Cette somme de 93 500 € qu’elle n’a pas touchée directement ne constitue pas un préjudice indemnisable dès lors que le défaut de son versement en espèces s’inscrit dans le cadre de comptes entre les parties.

Subsidiairement, il est demandé la somme de 13 866,87 € équivalent au montant du déficit de la succession de Madame [N] résultant des défaillances de Maître [A]. Compte tenu de la différence entre le patrimoine déclaré et celui effectivement établi dans le tableau recettes/dépenses de Me [A], il ne peut s’agir que d’une perte de chance de ne pas avoir effectué une acceptation à concurrence de l’actif net au lieu de l’acceptation pure et simple mais il n’est pas établi que Madame [M] aurait alors renoncé à la succession après l’inventaire.

Par ailleurs, elle ne peut considérer que la succession s’est avérée déficitaire alors qu’elle ne prend pas en considération dans son calcul le bénéfice de l’assurance-vie corrélé au fait qu’elle devait être héritière pour en être bénéficiaire.

Dès lors qu’in fine, elle bénéficie d’un solde créditeur de 84 198,99 € après déduction de la somme réglée au titre des droits complémentaires de 58 007 €, le résultat de la succession et de l’assurance-vie reste bénéficiaire et il n’est donc pas démontré de préjudice résultant de cette perte de chance. Elle sera donc déboutée de dommages-intérêts à ce titre.

En revanche, il est constant que la somme de 6 582 € correspond aux intérêts de retard qu’elle a dû acquitter auprès de l’administration fiscale le 5 novembre 2020 du fait de l’avis de recouvrement survenu en août 2019 suite à la rectification du montant des droits de succession après incorporation de la vente de l’immeuble de [Localité 8] dans le patrimoine successoral de Madame [N].

Comme lui a précisé la conciliatrice fiscale, l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du code général des impôts a pour objet de compenser forfaitairement le préjudice financier subi par l’Etat du fait de l’encaissement tardif de la créance ; il présente donc le caractère d’une réparation pécuniaire et non d’une sanction. Or il s’agit du préjudice direct résultant du retard apporté par le notaire à procéder à la déclaration de succession complète initiale, voire même de l’absence de la déclaration de succession complémentaire après incorporation de l’immeuble vendu. Cette somme sera donc retenue dans le préjudice subi par Madame [M] dès lors qu’aucun intérêt de retard n’aurait couru si aucune faute de Me [A] n’était survenue à ce titre.

Il est sollicité par Madame [M] la somme totale de 96 666,45 €, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des fautes commises par le notaire en charge de représenter Madame [M] dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la communauté entre les époux [N] et de la succession de Monsieur [N]. Cette somme est composée, selon Madame [M], de la perte de chance de recevoir la quote-part revenant à sa tante défunte : soit la moitié de la communauté et ¿ de l’actif net de la succession de Monsieur [N] qui ne peut être inférieure à 50 % de 175 832,89 € donc à la somme de 87 916,45 € et le remboursement des frais de partage à hauteur de 8 750 €, incombant à Madame [M] alors qu’elle n’a perçu aucune somme dudit partage.

Aucune de ces sommes ne peut être retenue dès lors que Madame [M] ne peut prétendre qu’elle n’a rien obtenu du partage de la communauté des époux [N] et de la succession de Monsieur [N] alors que s’il est constant qu’elle n’a pas perçu de sommes en espèces, elle en a obtenu un bénéfice puisqu’il est indiqué dans l’acte de partage du 9 novembre 2018 que ses droits se sont élevés à la somme de 175 832,88 € qui lui ont été attribués ‘par confusion sur elle-même’ selon la formule employée dans l’acte.

Aussi, aucun préjudice ne peut être retenu à ce titre et la somme de 96 666,45 € sera rejetée tant au titre de sa demande principale que subsidiaire.

Il est sollicité la somme totale de 8 532 €, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des défaillances du notaire dans son devoir d’information et de conseil relatifs au paiement des droits successoraux.

Madame [M] avait souscrit 140 parts auprès de la SCPI NOTAPIERRE afin de placer les sommes perçues de cette succession pour un montant de 50 400 €. Il s’agissait d’un placement à long terme qui lui permettait d’avoir une distribution trimestrielle de revenus d’un montant moyen de 500 €.

Ce placement correspond à l’équivalent du montant des droits fiscaux supplémentaires que Madame [M] a été contrainte de s’acquitter après la vente de l’immeuble [Localité 8]. Elle a donc dû renoncer à ce placement pour s’acquitter des droits et procéder au rachat de ce capital.

Elle ne peut prétendre qu’elle a perdu le bénéfice des versements de 502 € trimestriels du 4e trimestre 2019 et début 2020 alors qu’il n’est pas démontré que le capital remboursé ne prenait pas en compte cette période y afférente et d’autant qu’elle a sollicité le remboursement de 57 parts et que le capital remboursé de 27 489,60 € correspond à 83 parts. Donc elle ne peut donc prétendre à une perte de 2 500 €. En outre, elle ne justifie pas du coût du rachat anticipé à hauteur de 4 032 € puisqu’elle n’explicite pas ce montant. En revanche, eu égard à la lettre du 11 octobre 2019 de Unofi qui rembourse 27 489,60 € pour 83 parts et qui indique que la valeur d’entrée unitaire était de 360 €, le montant de la part lors du remboursement était donc de 331,20 €. L’attestation du 3 octobre 2019 faisant état d’une souscription de 57 parts, la perte de Madame [M] s’élève donc à 28,80 x 57 = 1 641,60 €.

Il lui sera donc accordé cette somme à titre de dommages-intérêts.

Subsidiairement, il est sollicité la somme de 27 712 € soit 50 % de la somme dont Madame [M] a dû s’acquitter auprès de l’administration fiscale équivalent à la perte de chance de n’avoir pu opter pour une meilleure option fiscale en l’absence de tout conseil ou information de Me [A] à ce propos, ce qui aurait pu être évité, selon Madame [M], en refusant de vendre le bien de [Localité 8] ou en négociant l’acte de partage transactionnel avec l’intégration des droits de mutation générés par la vente.

Il convient de retenir la perte de chance de négocier dans des conditions plus avantageuses l’acte de partage qui a résulté d’une transaction, en prenant en compte dans le partage l’impact fiscal de la vente de l’immeuble de [Localité 8] si Madame [M] en avait été informée par son notaire, faute qui a été retenue à ce titre ci-dessus. Cette perte de chance doit être estimée à 20 % et le préjudice retenu à ce titre sera justement apprécié à hauteur de 10 285 €.

Me [R] [A] et l’étude notariale seront donc condamnées in solidum au paiement de ces sommes à titre de dommages-intérêts.

Sur la demande reconventionnelle de Me [A] :

Me [A] succombant, la procédure à son encontre ne peut être qualifiée d’abusive et de vexatoire. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Me [A] et l’étude notariale de leur demande en dommages-intérêts.

L’équité commande d’allouer à Madame [M] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] et [R] [A], notaires associés, de leur demande en dommages-intérêts,

Infirme pour le surplus les dispositions soumises à la cour,

statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne in solidum Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] et [R] [A], notaires associés à payer à Madame [L] [M] les sommes suivantes au titre de son préjudice :

– 6.582 € correspondant aux intérêts de retard acquittés auprès de l’administration fiscale,

– 1 641,60 € correspondant à la perte dans son placement ultérieur,

– 10 285 € au titre de la perte de chance de négocier l’acte de partage avec les héritiers [N] dans des conditions plus avantageuses,

Condamne in solidum Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] et [R] [A], notaires associés à payer à Madame [L] [M] la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Me [R] [A] et la SELARL [J] [S] et [R] [A], notaires associés aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Carole DEBON Caroline FAURE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x