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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 23 MAI 2023
N° RG 21/06462
N° Portalis DBV3-V-B7F-UZUA
AFFAIRE :
[P] [I] épouse [O]
C/
[R] [V], membre de la S.C.P. BADET-BLERIOT- [R] [V] et Catherine André [V]
…
Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 27 Mai 2016 par la Cour d’Appel de PARIS
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 14/22853
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Claire RICARD,
-la SCP RONZEAU ET ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé les 21 mars et 09 mai 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) des 26 octobre 2017, 30 janvier 2019 et 30 septembre 2021 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de PARIS le 27 mai 2016
Madame [P] [I] épouse [O]
née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Claire RICARD, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2211528
Me Yves MAYNE de la SELEURL MAYNE, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : L0059
****************
DÉFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Maître Jean-Jacques EYROLLES, membre de la S.C.P. BADET-BLERIOT- Jean-Jacques EYROLLES et Catherine André EYROLLES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
et
la S.C.P. BADET-BLERIOT- Jean-Jacques EYROLLES et Catherine André EYROLLES
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés audit siège
N° SIRET : 305 096 943
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentés par Me Michel RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat postulant – barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 9 – N° du dossier 1323135,
Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat – barreau d’AIX-EN-PROVENCE, vestiaire : 205
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
**********************
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 20 octobre 2008, reçu par M. [V], notaire associé de la société civile professionnelle Badet-Blériot-[V], devenue la société civile professionnelle Badet-Blériot [V] & André-[V] (ci-après « la SCP notariale »), la société civile de construction vente Cap Dolus (ci-après « la société Cap Dolus ») a vendu à Mme [O] un appartement en l’état futur d’achèvement dépendant d’un immeuble en cours de rénovation, en vue d’un usage de résidence de tourisme dans une zone de revitalisation rurale.
Le prix de vente stipulé de 260 000 euros TTC a été payé à hauteur de 70 %, soit 182 000 euros, au moyen d’un crédit contracté auprès de la caisse régionale de financement (la société Norfi). Mme [O] s’est engagée à verser le complément du prix selon les termes définis dans l’acte.
Le bien n’a jamais été réalisé et la société Cap Dolus a été placée en liquidation judiciaire le 4 novembre 2010.
Par actes des 15, 16 et 21 mai 2012, Mme [O] a notamment assigné M. [V], notaire associé rédacteur de l’acte de vente et, par acte du 8 octobre 2013, elle a assigné en intervention forcée la SCP notariale, aux fins de voir engager leur responsabilité pour manquement à leur devoir de conseil et d’information et non-respect des dispositions légales relatives à la vente en l’état de futur achèvement.
Par jugement contradictoire rendu le 21 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a, s’agissant des chefs de dispositif intéressant le présent litige :
– dit que Mme [O] échoue à démontrer que Me [V] aurait commis une faute dommageable à son égard,
– débouté Mme [O] de toutes ses demandes en dommages et intérêts contre Me [V] et la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles,
– condamné Mme [O] aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamné Mme [O], en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, à verser la somme de 1000 euros à Me [V], et la somme de 1000 euros à la SCP Badet-Bleriot, Jean-Jacques Eyrolles et Catherine André-Eyrolles.
Par arrêt rendu le 27 mai 2016, la cour d’appel de Paris a notamment :
– déclaré irrecevable la demande formée par Mme [O] tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêt immobilier souscrit par Mme [O],
– confirmé le jugement entrepris,
– rejeté toute autre demande,
Par un arrêt du 26 octobre 2017, la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il déclare irrecevable la demande de Mme [O] tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêt immobilier souscrit par elle, rejeté ses demandes de dommages-intérêts formées contre la société Norfi, et rejeté toutes ses demandes de dommages-intérêts contre M. [V] et la SCP notariale, l’arrêt rendu le 27 mai 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris.
Par décision de rabat du 30 janvier 2019, la Cour de cassation a :
– rabattu l’arrêt rendu le 26 octobre 2017 par la troisième chambre civile,
Statuant à nouveau,
– constaté la déchéance du pourvoi à l’égard de la société Norfi,
– constaté le maintien du pourvoi à l’encontre de M. [V] et de la société notariale Marie Pierre Badet-Bleriot, [R] [V], Catherine André [V], et de la cassation de l’arrêt rendu le 27 mai 2016, par la cour d’appel de Paris, en ce qu’il rejette toutes les demandes de dommages-intérêts contre M. [V] et la société notariale.
L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
Par arrêt rendu le 8 novembre 2019, la cour d’appel de Paris a, s’agissant des chefs de dispositif intéressant le présent litige, confirmé le jugement en ce qu’il déboute Mme [O] de ses demandes contre M. [V] et la SCP notariale Badet-Bleriot-[V].
Par un arrêt du 30 septembre 2021, la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il confirme le jugement en ce qu’il déboute Mme [O] de ses demandes contre M. [V] et la SCP notariale Badet-Bleriot-[V], l’arrêt rendu le 8 novembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris,
– remis, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles.
Mme [O] a saisi la cour d’appel de Versailles par déclaration de saisine du 22 octobre 2021.
Par dernières conclusions notifiées le 24 novembre 2022, Mme [O] demande à la cour, au fondement des articles 1147 et 1240 du code civil, des articles L. 312-33 et L. 312-10 alinéa 2 du code de la consommation, de l’article R. 261-18 du code de la construction et de l’habitation, de l’article R. 622-21 du code de commerce, de :
déclarer son appel recevable et bien fondé,
infirmer le jugement du 21 octobre 2014 en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,
déclarer que la SCP Badet-Bleriot-[V] est solidairement responsable des agissements fautifs de Me [V], notaire associé de la SCP,
Par conséquent,
condamner solidairement Me [V] et la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles à lui verser la somme de 186 992,29 euros correspondant aux fonds réglés pour l’acquisition de ce bien en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), déduction déjà faite du prix de revente du bien le 6 février 2017 reversé directement à la banque Norfi,
condamner solidairement Me [V] et la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles à lui verser la somme de 65 152,50 au titre du préjudice fiscal,
condamner solidairement Me [V] et la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles à verser à Mme [O] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral,
débouter les intimés de leurs demandes,
condamner solidairement Me [V] et la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles à verser à Mme [O] la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par d’uniques conclusions notifiées le 14 février 2022, M. [V] et la SCP Badet-Blériot [V] & André-[V] demandent à la cour de :
confirmer la décision dont appel,
déclarer Mme [O] irrecevable à agir pour défaut de qualité en raison de la vente de l’immeuble,
Subsidiairement,
dire et juger qu’elle ne rapporte pas la preuve de l’existence d’une faute du notaire, ni d’un préjudice lequel serait en relation de cause à effet directe avec la faute alléguée, ni d’un achèvement que ne correspondrait pas au stade hors d’eau,
débouter par conséquent Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contre M. [V],
dire et juger que par son inertie à achever l’immeuble avec ses fonds disponibles, elle a contribué à son préjudice relatif à l’inachèvement,
La débouter de sa demande de dommages et intérêts, de préjudice fiscal ou moral et de paiement du montant des intérêts du prêt en cas de déchéance,
condamner Mme [O] à leur payer, chacun, la somme de 2000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
la condamner reconventionnellement aux entiers dépens distraits au profit de M. [K], ès qualités, avocat associé de la SCP [K] & associés, avocat, sur son affirmation d’y avoir pourvu.
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire
La cour rappelle que l’article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.
Par prétention, il faut entendre, au sens de l’article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu’il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les « dire et juger » ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l’examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels « dire et juger » qu’à condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.
Sur les limites de la saisine
L’acte de vente du 20 octobre 2008 comprend une clause de nantissement, selon laquelle 50% du prix de vente versé par Mme [O] est affecté en nantissement du prix de vente, payable à terme et sans garantie hypothécaire, que doit la société Cap Dolus, suivant acte de vente du même jour, à la société civile immobilière Marinotel à qui elle a acheté l’immeuble.
Cette clause de nantissement est rédigée en ces termes :
« De convention expresse, et pour assurer le remboursement des sommes dues à la Société Marinotel par le vendeur en vertu de l’acte de vente reçu aux présentes minutes le 20 octobre 2008 pour l’acquisition par la société Cap Dolus des biens dépendant des présentes la société Cap Dolus affecte à titre de gage et de nantissement conformément aux articles 2071 et suivants du code civil 50% du prix de la présente vente, déduction faite des frais à la charge du vendeur, est affecté en nantissement au profit de l’acquéreur. »
Par ailleurs, afin de protéger l’acquéreur d’un immeuble en l’état futur d’achèvement, en cas d’incapacité du vendeur à mener à bien l’opération de construction, du risque de ne pas pouvoir récupérer l’argent qu’il aura versé ou de procéder à l’achèvement de l’immeuble, le législateur a prévu que le contrat de vente devait faire état d’une garantie d’achèvement ou de remboursement à son profit (article L.261-11 du code de la construction et de l’habitation).
Jusqu’à l’ordonnance n°2013-890 du 3 octobre 2013, cette garantie pouvait, aux termes de l’article R. 261-17 du même code, résulter soit de l’existence de conditions propres à l’opération, c’est ce qu’il était convenu d’appeler la « garantie intrinsèque » d’achèvement, soit de l’intervention dans certaines conditions, d’une banque, d’un établissement financier ou d’une entreprise d’assurance afin de donner une garantie financière d’achèvement ou de remboursement, ce qui constituait la « garantie extrinsèque ».
L’article R. 261-18, consacré à la garantie intrinsèque, disposait (dans sa version antérieure au décret n°2010-1128 du 27 septembre 2010 applicable à la cause) :
« La garantie d’achèvement résulte de l’existence de conditions propres à l’opération lorsque cette dernière répond à l’une ou à l’autre des conditions suivantes :
a) Si l’immeuble est mis hors d’eau et n’est grevé d’aucun privilège ou hypothèque (‘) ».
Dans son arrêt rendu le 8 novembre 2019, la cour d’appel de Paris a estimé que l’immeuble était hors d’eau et que la publication de la levée l’hypothèque grevant l’immeuble était sur le point d’intervenir en raison de l’extinction de la créance correspondante, de sorte que les conditions d’application de la garantie intrinsèque, posées par l’article R. 261-18 précité étaient réunies.
Dans son arrêt du 30 septembre 2021, la Cour de cassation n’a pas retenu le premier moyen soulevé par Mme [O] tiré du fait qu’en présence d’hypothèque dont la levée n’était pas encore publiée, la cour d’appel de Paris aurait dû considérer que la garantie intrinsèque ne pouvait être légalement mise en ‘uvre.
La Cour de cassation considère que « pour rejeter la demande de Mme [O], l’arrêt [de la cour d’appel de Paris du 8 novembre 2019] retient, par motifs propres, qu’au jour de la conclusion de l’acte de vente, la garantie intrinsèque était une option ouverte par la loi au vendeur, que, si elle n’a pas la même efficacité que la garantie extrinsèque, elle était néanmoins licite et que, aucun élément ne permettant au notaire de supposer que cette garantie ne pourrait être utilement mise en ‘uvre, aucune faute ne peut lui être reprochée pour ne pas avoir attiré l’attention de Mme [O] sur le risque d’inefficacité de cette garantie ».
Il en résulte que la Cour de cassation admet la motivation de la cour d’appel de Paris qui a souverainement considéré que la garantie intrinsèque pouvait légalement s’appliquer au cas d’espèce, au visa des conditions posées par l’article R. 261-18 précité, pour les motifs suivants :
l’attestation du maître d”uvre du 31 juillet 2008 suffisait à établir que l’immeuble était hors d’eau et Mme [O] ne démontrait pas le contraire ;
une hypothèque avait été radiée et l’autre était en cours de radiation.
Par conséquent, les développements de Mme [O] relatifs à la prétendue faute du notaire tirée de l’absence d’information sur la différence entre garanties intrinsèque et extrinsèque sont inopérants (p.17 et 18 des conclusions).
En revanche, retenant comme fondé le deuxième moyen soulevé par Mme [O], la Cour de cassation considère que, bien que légale, la garantie intrinsèque prévue à l’acte de vente du 20 octobre 2008 était fragilisée par la présence de la clause de nantissement, et qu’il appartenait à la cour de vérifier que le notaire en avait informé Mme [O].
La Cour de cassation considère ainsi, au visa de l’article 1240 du code civil, qu’alors que la cour d’appel avait « relevé, par motifs adoptés, que l’acte de vente affectait 50 % du prix de la vente en nantissement au profit du vendeur de la société Cap Dolus en sûreté de la créance constituée par le prix de vente, qui avait été stipulé payable à terme mais sans garantie hypothécaire, de sorte que la garantie intrinsèque offerte par la société Cap Dolus au regard de cette clause de nantissement était fragilisée, ce dont le notaire devait informer Mme [O], la cour d’appel a violé le texte susvisé » (souligné par la cour).
En d’autres termes, la Cour de cassation estime qu’en affectant 50% du prix de vente en nantissement d’un prix dont elle était redevable à terme, sans garantie hypothécaire, la société Cap Dolus ne présentait plus une assise financière suffisante pour garantir le bon déroulement de l’opération. La garantie intrinsèque, tenant aux conditions de l’opération proposée par la société Cap Dolus, était certes légale mais fragilisée par l’affectation de 50% du prix de vente payé par Mme [O] à un prix de vente dont la société Cap Dolus était elle-même redevable à terme.
Il résulte du considérant précité que la question de savoir si la garantie intrinsèque a été fragilisée ou non par la clause de nantissement n’est pas en débat. Ce point a été tranché très clairement par la Cour de cassation, avec l’emploi de l’indicatif : « de sorte que la garantie intrinsèque offerte par la société Cap Dolus au regard de cette clause de nantissement était fragilisée » (souligné par la cour).
Par conséquent, les développements du notaire et de la SCP notariale visant à démontrer que la clause de nantissement ne fragilisait pas la garantie intrinsèque (page 11 des conclusions notamment) sont inopérants.
Il s’infère finalement du considérant « ce dont le notaire devait informer Mme [O] » que la cour est saisie de la question de savoir si le notaire a satisfait ou non à son obligation d’information en portant à la connaissance de Mme [O] que la clause de nantissement fragilisait la garantie intrinsèque de l’opération, et, le cas échéant, de l’indemnisation du ou des préjudices en découlant directement.
Sur la qualité à agir
Moyens des parties
M. [V] et la SCP notariale font valoir que Mme [O] a revendu le bien immobilier le 6 février 2017, ce dont elle n’a pas informé la Cour de cassation lors du premier pourvoi. Ils soutiennent qu’en vendant son bien, elle a perdu la qualité d’acquéreur, lui permettant d’alléguer une faute à propos d’un acte de vente, qui a reçu sa pleine efficacité et dont le caractère parfait a permis sa revente.
Mme [O] conteste ce moyen d’irrecevabilité, au fondement des articles 31 et 32 du code de procédure civile, et soutient que l’existence du droit d’agir s’apprécie à la date de la demande introductive d’instance, soit le 23 mai 2012, peu important que la vente de son bien soit intervenue plus tard, en cours de procédure.
Appréciation de la cour
Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’article 32 du code de procédure civile dispose que’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
En l’espèce, au jour de l’introduction de l’instance en 2012, Mme [O] était partie à l’acte de vente, en tant qu’acquéreur, rédigé par M. [V] dont elle poursuit aujourd’hui la responsabilité. Elle a donc qualité à agir contre lui et la société notariale dont il est associé, peu important qu’elle ait revendu le bien immobilier objet de la vente en cours de procédure. Cette revente n’aura d’incidence, le cas échéant, qu’au stade de l’appréciation des préjudices.
Le moyen tiré du défaut de qualité à agir de Mme [O] sera donc rejeté.
Sur la faute
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes d’indemnisation au motif qu’aucune faute ne pouvait être reprochée au notaire, Mme [O] fait valoir, au fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, que le notaire a commis une faute en ne l’informant pas des conséquences juridiques de la clause de nantissement ni du risque d’inefficacité subséquent de la garantie intrinsèque.
Elle indique avoir été démarchée au départ pour cette opération, dont elle devait tirer un avantage fiscal ; qu’elle n’a jamais rencontré le notaire et n’a jamais été rendue destinataire du projet d’acte de vente en amont de la signature. Elle explique avoir signé une procuration le 25 août 2008 chez Mme [X], notaire à [Localité 5], au bénéfice de Mme [G], clerc de notaire de l’étude [V], et ne pas avoir été présente lors de la vente du 20 octobre 2008. Elle précise avoir versé, le jour de la signature, à la société Cap Dolus un acompte de 70% du prix de vente (soit la somme de 182 610 euros sur un total de 260 000 euros).
Elle fait valoir que la clause de nantissement ne permettait d’affecter que 50% du prix de vente en garantie intrinsèque et que ce mécanisme aurait dû attirer l’attention du notaire sur les difficultés financières de la société Cap Dolus et sur la dangerosité générale du projet de vente. Elle ajoute que le notaire n’a jamais appelé son attention sur cette clause et sur la fragilisation de la garantie intrinsèque qui en résultait, de sorte qu’elle n’était pas éclairée de manière claire et circonstanciée sur le projet. Elle considère que M. [V] a failli à son devoir de conseil, ses lettres du 8 août 2008 ‘ qui ne visait que le volet fiscal du projet – et du 22 décembre 2008 ‘ qui ne faisait qu’une allusion tardive et partielle une « garantie intrinsèque » – n’étant pas de nature à l’informer clairement sur les modalités de financement et la garantie d’achèvement du projet. Elle estime que les intimés inversent les rôles en faisant valoir qu’elle n’a sollicité aucun conseil spécial auprès du notaire, et cherchent à dédouaner le notaire de ses manquements, manquements d’autant plus fautif qu’il avait instrumenté l’acte de vente du même jour entre la société Cap Dolus et la société Marinotel.
Poursuivant la confirmation du jugement, M. [V] et la SCP notariale répliquent que le notaire n’a commis aucune faute.
Ils font valoir que sur la lettre d’information du 8 août 2008, Mme [O] a porté et signé la mention « Bon pour avis de conseils donnés » ; qu’elle a été rendue destinataire par lettre recommandée avec accusé réception du même jour (AR signé) de plusieurs documents dont un acte de procuration ; que l’acte de procuration mentionne qu’elle a été rendue destinataire d’une note valant avis de conseil donné ainsi que du projet d’acte de vente ; qu’elle a retourné à l’étude, le 22 octobre 2008, une décharge de mandat par laquelle elle reconnaissait que la procuration avait été valablement remplie ; que la vente était parfaite puisqu’elle a pu, par la suite, revendre son bien. Ils font valoir que Mme [O] a choisi de ne pas être présente à l’acte et n’a sollicité M. [V] à aucun moment en amont de la vente. Ils en concluent qu’elle s’estimait donc suffisamment informée.
En outre, ils soutiennent que la clause de nantissement était favorable et n’était pas de nature à fragiliser la garantie intrinsèque de l’opération dans la mesure où, selon eux, 50% du prix de vente était affecté aux travaux, alors que seuls 30% d’entre eux ‘ non encore payés – restaient à achever. Ils soulignent que la garantie intrinsèque était légale et qu’il n’est pas interdit par le législateur d’affecter une partie seulement du prix de vente aux travaux.
Appréciation de la cour
L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, celui qui s’estime lésé doit démontrer, outre la faute du notaire, un préjudice et le lien causal entre ce dernier et la faute.
Le notaire, qui, prêtant son concours à l’établissement d’un acte doit veiller à l’utilité et à l’efficacité de cet acte, est également tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues, sous réserve que celles-ci n’aient pas été immuablement arrêtées ou qu’elles n’aient pas produit leurs effets antérieurement.
Le devoir de conseil est impératif et le notaire ne peut s’y dérober en alléguant qu’il s’est borné à donner une forme authentique aux conventions des parties, ou en se prévalant des compétences ou connaissances personnelles de son client, ou de l’intervention d’autres professionnels à ses côtés.
En revanche, le client, qui a fait le choix d’une opération dont les risques lui ont été clairement désignés, ne peut pas obtenir la condamnation du notaire à l’indemniser des conséquences de leur réalisation.
De même, le notaire, qui n’est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l’opportunité économique d’une opération en l’absence d’éléments d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, n’est pas tenu d’informer l’acquéreur du risque d’échec du programme immobilier, qu’il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente (1ère Civ., 26 septembre 2019, pourvoi n° 18-23.166, 18-21.403).
Découle de l’exigence d’efficacité et de sécurité une obligation d’investigation qui s’inscrit dans la logique de sécurité juridique qui fonde la fonction notariale. Pour ce faire, le notaire doit rechercher la volonté des parties, prendre toutes les initiatives nécessaires, se renseigner avec précision afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient s’opposer à l’efficacité de l’acte qu’il instrumente.
Toutefois, tenu d’une obligation de moyen, le notaire n’est pas soumis à une obligation d’investigation illimitée ; son étendue dépend des possibilités effectives de contrôle et de vérification. En effet, la responsabilité du notaire, qui aura accompli les contrôles juridiques nécessaires, ne peut être engagée que si l’officier public pouvait suspecter l’inefficacité de l’acte, douter de l’efficacité de l’opération envisagée, dans ce cas, il peut lui être reproché de ne pas avoir accompli des investigations complémentaires.
En l’espèce, M. [V] a reçu l’acte de vente signé entre la société Cap Dolus et Mme [O] le 20 octobre 2008 (pièce 1 de l’appelante et pièce 4 des intimés). Il est également celui qui a instrumenté l’acte de vente du bien immobilier entre la société Cap Dolus et la société civile immobilière Marinotel, vente qui s’est déroulée le même jour (pièce 1 de l’appelante p.41). Il était donc parfaitement informé que la société Cap Dolus a vendu un bien à Mme [O] dont elle n’avait pas encore payé le prix, puisque le prix de vente, en ce qui la concerne, était payable à terme sans garantie hypothécaire.
Ainsi que l’a tranché la Cour de cassation, la clause de nantissement prévu à l’acte de vente entre Mme [O] et la société Cap Dolus fragilisait la garantie intrinsèque attachée aux conditions de l’opération, de sorte qu’en d’autres termes, la société Cap Dolus ne disposait pas de fonds propres suffisants pour garantir efficacement l’achèvement de l’opération.
Les intimés ne peuvent donc pas prétendre que la clause de nantissement était favorable et ne fragilisait pas la garantie intrinsèque de l’opération.
Il appartenait dès lors au notaire, qui savait que la garantie fournie perdait en efficacité en raison de cette clause de nantissement et qu’il était par conséquent peu probable qu’elle soit utilement mise en ‘uvre, d’en informer Mme [O] (3ème Civ, 13 octobre 2016, n°15-21.491 ; 1ère Civ., 31 janvier 2018, n°17-10.249 ; 3ème civ., 19 mai 2016, n°15-14.342 ; a contrario : 1ère Civ, 20 mars 2013, 12-24.750).
Force est de constater que dans ses écritures, le notaire liste l’ensemble des informations qu’il a donné à l’appelante mais ne justifie à aucun moment avoir appelé son attention sur la fragilisation de la garantie intrinsèque de l’opération en raison de la clause de nantissement.
Le fait que Mme [O] ait apposé et signé la mention « Bon pour avis de conseils donnés » sur la lettre du 8 août 2008 est inopérante à démontrer l’effectivité ou/et la preuve du respect par le notaire de son devoir de conseil et d’information, donc une absence de faute, dans la mesure où cette lettre n’aborde que le volet fiscal de l’opération mais est totalement silencieuse sur la garantie intrinsèque et l’existence d’une clause de nantissement (pièce 14 de l’appelante).
La lettre du notaire du 22 décembre 2008 est postérieure à la vente et n’informe en rien Mme [O] de la fragilisation de la garantie intrinsèque du fait de la clause de nantissement. Cette lettre se contente en effet d’indiquer « A la lecture du projet d’acte vous constaterez que la garantie d’achèvement proposée par le vendeur est une garantie dite « intrinsèque » (75% de l’opération financée par fonds propres ou par des ventes déjà conclues) ; le vendeur s’étant réservé cependant la faculté de substituer à cette garantie toute autre garantie intrinsèque ou toute garantie extrinsèque » (pièce 15 de l’appelante). A aucun moment, M. [V] n’appelle l’attention de Mme [O] sur la fragilité de cette garantie, alors même qu’il sait que la société Cap Dolus a recours à une clause de nantissement pour faire face à son propre prix de vente.
L’acte de procuration comporte l’acceptation d’une clause de nantissement (pièce 3 des intimés p.8) mais la transmission et signature de cet acte ne se sont accompagnées d’aucune explication. En outre, la cour note que l’acte de procuration vise selon une formation générale l’acceptation « en tant que de besoin » de « tout nantissement du dit prix de vente » sans aucune précision relativement à la vente initiale et ne mentionne pas le nom de la société Marinotel, de sorte que Mme [O] n’était pas en mesure de comprendre qu’une partie du prix de vente qu’elle a payé était nanti à une autre fin que ce qu’elle espérait. La seule mention d’une clause de nantissement n’est a fortiori pas de nature à pallier à l’obligation d’information du notaire quant aux conséquences juridiques de cette clause sur la garantie intrinsèque de l’opération.
Le fait que Mme [O] ait signé une décharge de mandat ne signifie pas davantage qu’elle a été pleinement informée sur ce point, mais seulement que l’objet de la procuration a été rempli.
La transmission du projet d’acte de vente, le jour de la vente, ne s’est accompagné d’aucune information supplémentaire relative à cette clause et à ses conséquences sur l’opération.
Ainsi, M. [V] ne démontre pas avoir informé Mme [O] de la fragilisation de la garantie intrinsèque de l’opération en raison de la clause de nantissement.
Contrairement à ce que prétendent les intimés, il n’appartenait pas à Mme [O], au surplus totalement profane en matière juridique, de solliciter au préalable des explications auprès du notaire. Il appartenait à ce dernier de remplir l’obligation d’information à laquelle il est tenu. En n’y procédant pas, il a manqué à son obligation et commis une faute.
Le jugement sur ce point sera donc infirmé.
Sur le lien de causalité et les préjudices
Moyens des parties
Poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes d’indemnisation, Mme [O] fait valoir que le défaut d’information du notaire est directement à l’origine de trois préjudices : un préjudice financier, un préjudice fiscal et un préjudice moral.
Elle soutient que si elle avait été informée sur le risque d’inefficacité de la garantie intrinsèque, elle ne se serait pas engagée ou aurait exigé une clause plus protectrice. Elle considère donc que le lien de causalité entre la faute et le préjudice est pleinement constitué. Elle précise, s’agissant du préjudice financier, qu’il constitue une perte de chance dans la mesure où « par la faute du notaire, Mme [O] a été privée de la possibilité d’éviter la réalisation à son détriment du risque d’insolvabilité avec pour conséquence de l’avoir laissée propriétaire d’un bien inachevé et inutilisable » (sic p.25 des conclusions).
Estimant que dans son arrêt du 26 octobre 2017, la Cour de cassation a considéré sa demande recevable, elle sollicite tout d’abord la condamnation solidaire de M. [V] et de la SCP notariale à lui verser une somme de 186 992,29 euros au titre de son préjudice matériel, correspondant au prêt qu’elle a souscrit auprès de la banque Norfi, augmenté des intérêts, déduction faite de la somme de 84 150 euros correspondant au prix auquel elle a revendu son bien le 6 février 2017.
Par ailleurs, elle soutient avoir perdu une chance d’acquérir l’avantage fiscal prévu à l’article 199 decies E du code général des impôts auquel elle était éligible. Estimant que, dans son arrêt du 26 octobre 2017, la Cour de cassation a considéré sa demande de réparation au titre du préjudice fiscal recevable, elle demande une somme de 65 152,50 euros (correspondant à 25% de la somme de 260 610 euros correspondant à son emprunt et qui équivaut, selon elle, au « prix de revient » du logement acquis).
Enfin, elle demande la condamnation solidaire du notaire et de la SCP notariale à lui verser 20 000 euros au titre de son préjudice moral causé par le stress quotidien et la longueur de la procédure, au cours de laquelle aucun professionnel n’a su apporter des réponses à ses questions légitimes alors qu’elle a été victime d’un montage frauduleux.
En réplique, M. [V] et la SCP notariale poursuivent la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de ses demandes. Ils estiment non constitué le lien de causalité existant entre la faute alléguée et les préjudices réclamés. L’opération ne comportant, selon eux, aucun risque qui aurait dû attirer l’attention du notaire, ce dernier ne peut pas être tenu responsable de l’inachèvement de l’opération.
Ils contestent la lecture de l’arrêt du 26 octobre 2017 par l’appelante. Le préjudice matériel allégué doit être, selon eux, rejeté car il n’est pas rattachable à une faute du notaire. Ils ajoutent que Mme [O] s’est désistée de son action à l’encontre du vendeur, pourtant seul responsable de l’inachèvement des travaux, et n’a pas cherché à achever ces derniers avec les 30% du prix qu’elle n’a pas réglé. Considérant qu’elle a laissé l’immeuble se dégrader pendant 9 ans avant de le revendre, elle a, selon eux, participé à son propre préjudice.
Par ailleurs, ils considèrent qu’elle ne démontre pas son préjudice fiscal en ne justifiant pas les modalités (situation fiscale, situation maritale, montant d’impôt sur le revenu) selon lesquelles elle aurait été éligible au dispositif prévu pour les investisseurs dans des biens immobiliers en état futur d’achèvement dans des zones de revitalisation rurale. Ils ajoutent que le bien n’ayant pas été achevé, elle ne justifie pas de l’encaissement de loyers et ne pouvait donc pas prétendre à l’avantage fiscal escompté.
Enfin, sur le préjudice moral, ils font valoir que Mme [O] ne démontre pas par des éléments probants l’étendue de son préjudice et ne permet pas à la cour de quantifier le stress quotidien qu’elle dit avoir subi. Ils ajoutent qu’elle a participé à allonger la procédure et à aggraver la situation de l’immeuble par son inaction et ses errements procéduraux pendant plusieurs années. Ils font valoir de nouveau que seul le vendeur est responsable de l’inachèvement des travaux.
Appréciation de la cour
Le notaire qui a manqué à son obligation d’information sera condamné à réparer le préjudice en résultant de manière certaine. Ainsi, lorsque le plaignant aurait, de manière certaine, évité le dommage si le notaire n’avait pas failli, ce dernier sera condamné à le réparer. Tel est le cas du préjudice moral causé à un particulier en raison des fautes commises par le notaire.
En revanche, toute incertitude sur l’existence du préjudice et/ou sur le lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices allégués ne peut donner lieu à réparation qu’au titre d’une perte de chance, entendue comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
La perte de chance subie par le particulier qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute d’un auxiliaire de justice, se mesure donc à la seule probabilité de succès de la diligence omise.
Sur le préjudice matériel
En l’espèce, force est de constater que si M. [V] avait rempli son obligation d’information et avait appelé l’attention de Mme [O] sur la fragilité des conditions d’achèvement de l’opération, cette dernière aurait eu la possibilité de refuser de signer la vente. La faute du notaire est donc directement à l’origine d’un préjudice matériel, lié à la souscription d’un emprunt adossé au contrat de vente d’un bien immobilier, finalement jamais achevé, et au versement de la majeure partie de cet emprunt correspondant à 70% du prix de la vente.
Ainsi, en raison du défaut d’information du notaire, Mme [O] a perdu une chance de renoncer à acquérir le bien et d’éviter de payer 70% du prix de vente (soit un montant de 182 610 euros sur un montant total emprunté auprès de la banque Norfi de 260 610 euros). La cour estime que cette chance de ne pas souscrire à l’opération était de 50%, qu’il convient de multiplier par la somme déboursée par Mme [O] le jour de la vente.
Le reste de l’emprunt souscrit, adossé au contrat de vente, a été conservé par Mme [O] de sorte qu’il ne constitue pas un préjudice.
Il y a lieu par ailleurs de déduire le prix de revente du bien (84 150 euros) (pièce 26 de l’appelante).
Ainsi le préjudice matériel de Mme [O] s’élève à :
(182 610 ‘ 84 150) x 50% = 49 230 euros.
C’est à tort que les intimés allèguent que Mme [O] a participé à son propre préjudice en laissant soi-disant se dégrader l’immeuble. Les photographies de 2011 – soit juste après la liquidation judiciaire de la société Cap Dolus et seulement trois ans après la vente – versées aux débats par Mme [O] et non contestées par les intimés, démontrent l’état de délabrement avancé de l’immeuble de sorte qu’indépendamment de la volonté de Mme [O], le bien immobilier était déjà vétuste et très difficile à vendre.
Ce moyen soulevé par les intimés sera donc rejeté.
En application de l’article 16 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit et la société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes (3ème Civ., 24 avril 2003, n°01-12.658 ; 1ère Civ., 13 juillet 2016, n°15-21.527).
Dès lors, le jugement sera infirmé et M. [V] et la SCP notariale seront condamnés à verser solidairement à Mme [O] 49 230 euros en réparation de son préjudice matériel.
Sur le préjudice fiscal
L’article 199 decies E du code général des impôts dispose que :
« Tout contribuable qui, entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2010, acquiert un logement neuf ou en l’état futur d’achèvement faisant partie d’une résidence de tourisme classée dans une zone de revitalisation rurale et qui le destine à une location dont le produit est imposé dans la catégorie des revenus fonciers bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu. L’indexation d’une part minoritaire du loyer sur le chiffre d’affaires ne fait pas obstacle à l’imposition dans la catégorie des revenus fonciers.
Cette réduction d’impôt est calculée sur le prix de revient de ces logements dans la limite de 50 000 € pour une personne célibataire, veuve ou divorcée et de 100 000 € pour un couple marié. Son taux est de 25 % (‘) ».
En l’espèce, contrairement à ce que fait valoir Mme [O], la perte de l’avantage fiscal escompté n’est pas directement dû au défaut d’information du notaire mais à l’absence d’achèvement de l’opération, laquelle est du seul fait de la société Cap Dolus.
La demande de Mme [O] sur ce point sera par conséquent rejetée.
Sur le préjudice moral
Mme [O], qui aurait pu éviter de s’engager dans un investissement financier hautement risqué si le notaire avait satisfait à son obligation d’information, a directement subi du fait de la faute de ce dernier un préjudice moral lié aux tracas et au stress subi tout au long de la procédure.
Il convient par conséquence de lui allouer en réparation une somme de 5000 euros, à laquelle seront solidairement condamnés M. [V] et la SCP notariale.
Le jugement, sur ce point, sera infirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Selon l’article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.
Le tribunal, qui a condamné Mme [O] à verser 1000 euros à M. [V] et 1000 euros à la SCP notariale au titre de l’article 700 du code de procédure civile et qui l’a condamnée aux dépens, sera infirmé de ces chefs.
M. [V] et la SCP notariale, parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance, ainsi qu’aux dépens d’appel de l’instance cassée et de la présente instance, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.
Il apparaît équitable d’allouer à Mme [O] la somme de 7000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Chacun des intimés sera dès lors condamné à lui verser 3500 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition, dans les limites de la saisine,
Vu l’arrêt du 8 novembre 2019 de la cour d’appel de Paris (RG 19/02957),
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2021 (pourvoi n° D 20-10.755),
INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de ses demandes contre M. [V] et la SCP notariale Badet-Bleriot-[V] ;
INFIRME le jugement en ce qu’il a condamné Mme [O] à verser 1000 euros à M. [V] et 1000 euros à la SCP Badet-Bleriot-Eyrolles au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
INFIRME le jugement en ce qu’il a condamné Mme [O] aux dépens de première instance ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE solidairement M. [V] et la SCP Badet-Blériot [V] & André-[V] à verser à Mme [O] 49 230 euros en réparation de son préjudice matériel ;
CONDAMNE solidairement M. [V] et la SCP Badet-Blériot [V] & André-[V] à verser à Mme [O] 5000 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNE in solidum M. [V] et la SCP Badet-Blériot [V] & André-[V] aux dépens de première instance, ainsi qu’aux dépens d’appel de l’instance cassée et de la présente instance, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement M. [V] et la SCP Badet-Blériot [V] & André-[V] à verser chacun à Mme [O] 3500 euros (soit 7000 euros au total) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demande.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,