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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03985 – N°Portalis DBVH-V-B7G-IUXJ
MPF
JUGE DE LA MISE EN ETAT DE NIMES
17 novembre 2022 RG:21/01206
[A]
C/
[I]
[K]
[O]
Grosse délivrée
le 21/09/2023
à Me Christèle CLABEAUT
à Me Jean-charles JULLIEN
à Me Jean-michel DIVISIA
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2023
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Juge de la mise en état de Nîmes en date du 17 Novembre 2022, N°21/01206
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 01 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 Septembre 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
Madame [J] [A]
née le 02 Septembre 1968 à [Localité 9]
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Christèle CLABEAUT de la SCP LEMOINE CLABEAUT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉS :
Monsieur [N] [I]
né le 10 Juillet 1945 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [G] [K] épouse [I]
née le 30 Mars 1947 à [Localité 10] ALGERIE
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [D] [O]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 21 Septembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte authentique passé le 18 Juin 2010 en l’étude de Maître [D] [O], notaire, [B] [A] a vendu à [N] et [G] [I] la nue-propriété d’un appartement et d’un parking situés [Adresse 3] (Gard). Le prix de vente, d’un montant de 35 000 euros, était payable sous forme d’une rente annuelle et viagère de 2640 euros.
[B] [A] est décédé le 28 avril 2020, laissant pour lui succéder [J] [A], sa fille.
Estimant que le prix du bien vendu était très inférieur à sa valeur marchande à la date de la vente et que le notaire avait failli dans l’exercice de son devoir de conseil, par actes des 31 mars et 1er avril 2021, [J] [A] a assigné [N] [I], [G] [K] épouse [I] et [D] [O], notaire au Grau-Du-Roi, devant le tribunal judiciaire de Nîmes aux fins d’annulation de la vente du 18 juin 2010 et en indemnisation
Par conclusions d’incident du 1er décembre 2021, le notaire et les vendeurs ont soulevé la prescription de l’action engagée par [J] [A].
Par ordonnance contradictoire du 17 novembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nîmes a :
-déclaré irrecevables comme prescrites l’action en nullité de la vente et l’action en responsabilité contre [D] [O], notaire et contre les époux [I], vendeurs.
– condamné [J] [A] à payer à [N] [I], [G] [K] épouse [I] et [D] [O] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 000 euros chacun ;
– condamné [J] [A] aux entiers dépens.
Le premier juge a retenu la prescription de l’action aux motifs que l’acquéreur, [B] [A], a nécessairement eu, ou aurait dû, avoir connaissance des faits lui permettant d’agir au plus tard au jour de l’acte de vente soit le 18 juin 2010 de sorte qu’en application de l’article 2224 du code civil, l’action aurait dû être engagée avant le 19 juin 2015. Le juge de la mise en état a considéré que la fille de l’acquéreur, [J] [A], en sa qualité d’ayant droit de son défunt père, ne détenait pas davantage de droits que ce dernier.
Par déclaration du 12 décembre 2022, [J] [A] a interjeté appel de cette décision.
Par avis de fixation de l’affaire à bref délai en date du 23 janvier 2023, l’instruction de l’affaire a été déclarée close le 30 mai 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 5 juin 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2022, [J] [A], appelante, demande à la cour de :
– réformer la décision entreprise,
– constater que Mme [J] [A] n’a eu connaissance des faits dommageables fondant tant son action au titre de l’annulation du contrat de vente en viager que son action au titre de la responsabilité tant du notaire que des époux [I], qu’en date des 27 et 28 juin 2019, faits actés dans le courrier en date du 8 juin 2019 ,
– déclarer que les dispositions de l’article 2224 du code civil s’appliquent tant à l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de l’annulation du contrat de vente en viager qu’à l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de la responsabilité tant du notaire que des époux [I] ,
– déclarer que l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de l’annulation du contrat de vente en viager n’est pas prescrite ,
– déclarer l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de l’annulation du contrat de vente en viager parfaitement recevable ,
– déclarer que l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de la responsabilité tant du notaire que des époux [I] n’est pas prescrite,
– déclarer l’action engagée par Mme [J] [A] au titre de la responsabilité tant du notaire que des époux [I] de parfaitement recevable ,
– rejeter toutes les demandes fins et prétentions de Me [D] [O] ,
– rejeter toutes les demandes fins et prétentions des époux [I] ,
– condamner Mme et M. [I] et Me [D] [O] in solidium à porter et payer à Mme [J] [A] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’incident.
L’appelante fait valoir que, vivant à l’étranger, elle n’a eu connaissance des faits justifiant l’annulation de la vente et engageant la responsabilité des intimés que le 27 juin 2019 lors des rendez-vous avec Me [O] et son père, [B] [A].
Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2023, [D] [O], intimée, demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré prescrite l’action de Mme [A] à compter du 18 juin 2015 ,
– condamner Mme [A] à payer à Me [O] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ,
– condamner Mme [A] aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
L’intimée souligne que les griefs invoqués par l’appelante étaient nécessairement connus de son père lors de la signature de l’acte du 18 juin 2010 et qu’en sa qualité d’ayant droit de [B] [A], elle ne peut faire revivre le délai expiré depuis le 18 juin 2015.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2023, les époux [I], intimés, demandent à la cour de :
– confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 17 novembre 2022 ,
– condamner Mme [A] [J] à payer à M. [I] [N] et Mme [G] [I] une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au regard des frais irrépétibles engagés par Mme et M. [I] devant la cour,
– condamner Mme [A] [J] au paiement des entiers dépens.
Les intimés répliquent que le moyen de Mme [A] selon lequel elle n’aurait connaissance des faits que les 27 et 28 juin 2019 ne peut prospérer, cette dernière étant l’ayant droit de M. [A] le vendeur du bien immobilier, elle ne peut disposer de plus de droit que son père.
MOTIFS :
A l’appui de son action en nullité de la vente, [J] [A] soutient que la valeur du bien a été largement sous-estimée et que la rente viagère convenue était trop faible dès lors qu’aucun bouquet, représentant généralement 20 à 30 % de la valeur du bien, n’avait été prévu.
Elle fait valoir que la valeur du bien vendu au prix de 35 000 euros le 18 juin 2010 a été estimée en 2019 entre 155 000 et 160 000 euros. Elle soutient que son père, peu instruit, n’était pas en mesure de comprendre la portée de ses engagements et disposait par ailleurs de moyens financiers limités, et reproche au notaire d’avoir manqué à son obligation de conseil en s’abstenant de faire estimer le bien avant la vente et de conseiller à son client de prévoir un bouquet en contrepartie d’une rente viagère faible. L’appelante explique qu’elle vivait à l’étranger à la période de la vente et que ce n’est qu’en 2019, lors d’un rendez-vous chez le notaire, qu’elle a découvert la réalité.
Elle reproche donc au notaire un manquement à son devoir de conseil et aux époux [I] des man’uvres dolosives justifiant l’annulation de la vente et la réparation du préjudice qu’ils ont causé.
L’article 2224 du code civil dispose que le délai de prescription de cinq ans commence à courir du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Sur l’action en nullité :
[J] [A] expose que, vivant à l’étranger depuis de nombreuses années, elle n’a pas eu connaissance des faits lui permettant d’engager l’action en nullité de la vente consentie par son père le 18 Juin 2010.
Le 1er juillet 2019, [B] [A] adressait à la chambre départementale des notaires du Gard la lettre suivante : « j’étais très affaibli psychologiquement à cette période suite à un divorce difficile…aujourd’hui le retour dans ma vie de ma fille et de mon petit-fils m’a ouvert les yeux. J’ai été totalement manipulé par Maître [O] et Mr [I] bénéficiaire du viager… ».
L’appelante estime que le consentement de son père a été vicié par des man’uvres dolosives que les époux [I] auraient commises et qui auraient consisté en la minoration du prix par rapport à sa valeur réelle et en l’absence de stipulation du règlement d’un bouquet. Elle ne soutient pas qu’à la date de la vente, son père ne disposait pas de l’intégrité de ses facultés mentales. Elle ne fonde pas son action en nullité de la vente sur l’insanité d’esprit de son père, laquelle action serait d’ailleurs irrecevable en application de l’article 489-1 du code civil.
Dès la signature du contrat, [B] [A] a pris connaissance que les acquéreurs se borneraient à lui verser une rente viagère annuelle et ne lui règleraient pas un bouquet, les stipulations du contrat relatives aux modalités de règlement du prix de vente étant claires et dénuées d’ambiguïté.
L’appelante ne peut sérieusement soutenir que la valeur réelle du bien vendu n’a été découverte qu’en 2019, date à laquelle elle a sollicité un avis de valeur auprès de l’agence immobilière « Côté Particuliers » du Grau du Roi. En effet, la valeur vénale d’un bien immobilier n’est pas une information confidentielle en ce qu’elle est déterminée par rapport au marché immobilier local: l’agent immobilier pour donner son avis s’est d’ailleurs fondé essentiellement sur la situation géographique du bien. Avant même de vendre son bien, le vendeur était en mesure de connaître la situation du marché immobilier au Grau du Roi et de comparer son bien par rapport à d’autres biens mis en vente et présentant des caractéristiques similaires au sien. L’information sur la valeur réelle de son bien est un fait qu’il aurait dû connaître avant même de le vendre.
Les intimés démontrent que le point de départ de la prescription de l’action en nullité de la vente est le jour de sa signature, le 18 juin 2010. L’appelante échoue quant à elle à démontrer que la valeur réelle du bien vendu ne pouvait pas être connue avant l’estimation immobilière de 2019 ou avant le rendez-vous chez le notaire du 27 juin 2019 et que le point de départ de la prescription devrait être reporté à cette dernière date.
Sur la responsabilité du notaire :
Selon l’appelante, le notaire aurait commis un manquement à son obligation de conseil en passant un contrat de vente en viager dans laquelle aucun bouquet n’a été prévu et le prix de vente largement sous-estimé.
Les clauses de l’acte de vente quant aux modalités de paiement du prix sont clairement exposées en page 5 : « le prix est converti en l’obligation par l’acquéreur de servir une rente annuelle et viagère …d’un montant annuel de 2640 euros… ». Aucun bouquet n’est prévu.
Le dommage résultant de l’absence de bouquet mis à la charge des acquéreurs était donc connu de l’acquéreur dès la signature de la vente. Le décalage supposé entre le prix de vente et la valeur alléguée du bien vendu pouvait sans difficulté être connue du vendeur dès la vente.
Le point de départ du délai de prescription est donc bien le 18 juin 2010.
En conséquence, les actions engagées par [J] [A] sont prescrites depuis le 18 Juin 2015.
Le premier juge les a déclarées à juste titre irrecevables et l’ordonnance critiquée sera confirmée en toutes ses dispositions.
Il n’est pas inéquitable de laisser la charge de leurs frais irrépétibles aux intimés lesquels seront déboutés de leur demande sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR :
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne [J] [A] aux dépens,
Déboute [D] [O], [N] [I] et [G] [K] épouse [I] de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,