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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 21/09/2023
****
N° de MINUTE : 23/300
N° RG 21/03103 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TVHN
Jugement (N° 16/01681) rendu le 28 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance d’Amiens
Arrêt rendu le 10 décembre 2019 par la cour d’appel d’Amiens
Arrêt rendu le 8 avril 2021 par la Cour de cassation
APPELANTES
SELARL [T] -Randoux agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [K] [X]
[Adresse 5]
[Localité 1]
SELARL R & D agissant en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X] [C]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentées par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Frédéric Mangel, avocat au barreau de Saint-Quentin, avocat plaidant
INTIMÉ
Maître [O] [Y]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Franck Derbise, avocat au barreau d’Amiens, avocat plaidant, substitué par Me Agnès Grandet, avocat au barreau d’Amiens
DÉBATS à l’audience publique du 11 mai 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d’instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023, après prorogation du délibéré en date du 6 juillet 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 10 mars 2023
Communiquées aux parties le 13 mars 2023
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mars 2023
****
EXPOSE DU LITIGE
Selon statuts du 8 mai 2000, M. [K] [X] et Mme [Z] [C] son épouse, ont constitué une SCI « [X] [C] », dont le capital de 2 000 francs était divisé en 100 parts sociales de 20 francs chacune et attribuées à 50 % à chaque associé, les consorts [X]-[C] alors que M. [X] était initialement désigné gérant statutaire de la société.
Par jugement du 3 mars 2006, le tribunal de commerce d’Amiens a prononcé la liquidation judiciaire personnelle de M. [X] et a désigné M. [T], en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 31 mai 2006, M. [F], notaire à [Localité 7], a établi au profit des Consorts [L]-[J] un compromis de vente de l’immeuble à usage d’habitation sis [Adresse 8], à [Localité 7], cadastré Section AK n°[Cadastre 4], d’une contenance de 63 centiares dont la SCI « [X]-[C] » était propriétaire.
Cet acte précisait que M. [X], associé de la SCI « [X] » se trouvait en état de liquidation judiciaire et qu’intervenait en conséquence au compromis, son liquidateur judiciaire en la personne de M. [T], tandis qu’il prévoyait une condition suspensive à la vente, celle de l’autorisation préalable du juge-commissaire à la procédure collective de M. [X].
Le projet de vente échouait finalement pour des questions liées au droit de préemption de la commune.
Saisi à la requête du liquidateur judiciaire de M. [X], le président du tribunal de grande instance de Péronne, par ordonnance du 28 février 2007, publiée le 19 novembre 2007, sous le numéro 0-1128 désignait M. [I] [M], en qualité d’administrateur provisoire de la SCI [X]-[C] avec pour mission la gérance.
Par exploits en date des 8 et 11 février 2013, le liquidateur judiciaire assignait M. [X] et son épouse devant le tribunal de grande instance d’Amiens, aux fins, au visa des articles 1844-7 alinéa 5 du code civil et 750 du code de procédure civile, de voir ordonner la dissolution anticipée de la SCI “[X] [C]”, et de désigner tel mandataire qu’il lui plaira afin d’assurer la liquidation de la SCI “[X] [C]”.
Par conclusions signifiées à la mise en état du tribunal de grande instance d’Amiens en date du 3 octobre 2013, le conseil de M. [X] informait la Selarl [T] et Randoux de ce que l’immeuble appartenant à la SCI « [X] [C] » avait été vendu par acte dressé par M. [O] [Y], notaire à [Localité 7], le 23 avril 2011, moyennant le prix de vente de 97 000 euros.
Par jugement rendu le 7 janvier 2015, le tribunal de grande instance d’Amiens a :
– constaté que l’immeuble, propriété de la SCI [X] [C] sis [Adresse 8] à [Localité 7], avait été vendu sur acte reçu par M. [Y] notaire à [Localité 7], le « 26 » avril « 2013 »,
– constaté que les parts détenues par M. [X] dans la SCI [X] [C] étaient des biens de communauté légale,
– ordonné la dissolution anticipée de la SCI [X] [C], et désigné M. [M], en qualité de liquidateur amiable de ladite SCI, à l’effet de procéder aux opérations de liquidation avec la mission habituelle.
Après avoir tenté en vain d’obtenir du notaire des explications sur les conditions dans lesquelles était intervenue la vente, la Selarl [M]-[B] agissant en sa qualité de liquidateur amiable a assigné M. [Y] devant le tribunal de grande instance d’Amiens, au visa de l’article 1147 et en tant que de besoin 1382 du code civil, aux fins de :
– dire et juger que M. [Y] a gravement failli aux obligations qui lui incombaient en sa qualité de rédacteur d’acte et a privé l’acte de vente en cause de toute efficacité juridique,
– entendre condamner M. [Y] à payer à M. [M] ès qualités la somme de 97 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait des fautes commises par ce dernier en sa qualité de professionnel,
– dire et juger que ladite somme portera intérêt à taux légal à compter de l’exploit introductif d’instance jusqu’à complet paiement,
– entendre condamner M. [Y] à payer à Maitre [M] pris ès qualités la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de M. Pascal Pouillot avocat aux offres de droit,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution.
La Selarl [T]-Randoux, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [X], est intervenue volontairement au litige pour demander la condamnation du notaire à lui payer la somme de 66 227,83 euros remise aux époux [X] au titre du solde créditeur du produit de la vente, sans tenir compte de la liquidation judiciaire personnelle de M. [X] et de son dessaisissement consécutif.
Par jugement du 28 mars 2018, le tribunal de grande instance d’Amiens a débouté les demandeurs de leurs demandes, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné Me [M] et Me [T] aux dépens, dont la distraction est ordonnée.
Par arrêt du 10 décembre 2019, la cour d’appel d’Amiens a confirmé le jugement rendu le 28 mars 2018 par le tribunal de grande instance d’Amiens et condamné in solidum la SCP [M]-[B] et la Selarl [T]-Randoux, en leurs qualités respectives, aux dépens d’appel, outre 4 000 euros à payer à M. [O] [Y].
La SCP [M]-[B] et la Selarl [T]-Randoux, en qualité respectivement de liquidateur amiable de la SCI [X] [C] et de liquidateur judiciaire de M. [X], ont formé un pourvoi à l’encontre dudit arrêt.
Par arrêt rendu le 8 avril 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens en toutes ses dispositions et renvoyé l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Douai, condamnant M. [Y] aux dépens, ainsi qu’à verser à la SCP [M] [B] et la Selarl [T] Randoux ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour de cassation a motivé ainsi sa décision :
Pour exclure tout lien de causalité entre les fautes du notaire retenues par motifs adoptés, consistant à ne pas avoir procédé aux vérifications des publications légales permettant de découvrir la mise en liquidation judiciaire de M. [X] et de l’extrait d’immatriculation de la SCI au registre du commerce et des sociétés mentionnant la désignation de l’administrateur provisoire, et le préjudice constitué par la dissipation du solde du prix de vente de l’immeuble de la SCI devant revenir à la liquidation judiciaire de M. [X] et rejeter les demandes, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la mission de l’administrateur provisoire de la SCI se limitait à sa gérance tandis que l’article 13 des statuts permettait aux associés de décider de la vente de leur consentement unanime, de sorte qu’il importe peu que M. et Mme [X] se soient faussement présentés comme les co-gérants de la SCI. Elle ajoute que le notaire a versé les fonds, non directement à M. et Mme [X], mais sur le compte de la SCI et que c’est par la seule faute du liquidateur amiable, qui n’a pas procédé à l’examen des comptes de la société, que les fonds ont été dissipés.
En statuant ainsi, alors que le notaire, en ne procédant pas aux vérifications lui incombant quant à la qualité déclarée de cogérants de M. et Mme [X] et à l’absence affirmée par M. [X] de procédure collective ouverte à son égard, a permis la conclusion de la vente sans l’intervention à l’acte de l’administrateur provisoire, seul habilité à représenter la SCI et à recevoir le solde du prix de vente lui revenant, ce qui a provoqué la dissipation des fonds ensuite constatée, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Par arrêt du 19 mai 2022, la présente cour de renvoi a observé que :
1. la déclaration d’appel est au nom de la Selarl R & D agissant en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X] [C], ayant siège à Arras, alors que toute la procédure antérieure était au nom d’une SCP [M] et [B], que ce soit dans le jugement du tribunal de grande instance d’Amiens du 28 mars 2018, l’arrêt de la cour d’appel Amiens du 10 décembre 2019 et l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2021.
2. la première page des dernières conclusions notifiées le 18 février 2022 par les appelants fait apparaître comme concluant « la Selarl R & D agissant en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X] [C] », ayant siège à Arras,
3. le premier paragraphe du dispositif de ces mêmes conclusions fait apparaître comme concluant la « SCP [M] [B] en qualité d’administrateur provisoire »,
4. dans le reste du dispositif, les demandes de condamnations sont formées par « Me [M] ès qualités ».
Elle a par conséquent révoqué l’ordonnance de clôture du 7 mars 2022 et ordonné le renvoi de l’affaire à l’audience de mise en état du 27 juin 2022, pour permettre aux parties de conclure :
d’une part, sur l’identité et la qualité de l’appelant désigné dans la déclaration d’appel comme étant la Selarl R & D agissant en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X] [C] ;
d’autre part, sur l’identité et la qualité de la personne ayant formé des demandes par conclusions du 18 février 2022 sous des appellations, qualités et formes juridiques variées ;
enfin, sur les conséquences procédurales susceptibles de s’attacher à ces variations dans la dénomination et la qualité de l’un des appelants.
Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2022, la Selarl R & D en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X]-[C], et la Selarl [T]-Randoux en qualité de liquidateur judiciaire de M. [X], demandent à la cour de renvoi de :
– dire la SCP [M]-[B] en qualité de liquidateur amiable et la Selarl [T]-Randoux en qualité de liquidateur judiciaire de M. [X], recevables et bien fondés en leurs demandes.
– débouter l’intimé de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, au visa des articles 1147, 1382, 1240 et 1423 du code civil, L. 641-9 I du code de commerce et au vu de l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 8 avril 2021,
– juger que M. [Y] a gravement failli aux obligations qui lui incombaient en sa qualité de rédacteur d’acte et a privé l’acte de vente en cause de toute efficacité juridique,
– condamner M. [Y] à payer à la SELARL « R & D » ès qualités de liquidateur amiable, la somme de 97 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait des fautes commises par ce dernier en sa qualité de professionnel,
– juger que ladite somme portera intérêt à taux légal à compter de l’exploit introductif d’instance jusqu’à complet paiement,
En tout état de cause,
– déclarer inopposable le versement opéré par Me [Y] entre les mains du débiteur dessaisi à la procédure collective,
En conséquence,
– condamner Me [Y] à payer entre les mains de la Selarl [T]-Randoux ès qualités la somme de 66 227,83 euros,
– condamner M. [Y] à payer en sus à la Selarl « R & D » ès qualités de liquidateur amiable et à la Selarl [T] Randoux ès qualités, la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de M. Frédéric Mangel avocat aux offres de droit.
– condamner M. [Y] aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
A l’appui de leurs prétentions, elles font valoir que :
– la mention d’administrateur provisoire résulte d’une erreur matérielle, étant observé que tant l’administrateur provisoire que le liquidateur amiable d’une SCI ont qualité pour la représenter ; Me [M] a par ailleurs agi ès qualités, alors que le mandat confié à une société est nécessairement exercée par l’un de ses membres ;
– le notaire a fautivement dressé l’acte de vente : (i) sans disposer d’une autorisation préalable de la vente du bien immobilier par l’assemblée générale de la SCI, alors que les statuts stipulent que le gérant ne peut y procéder sans une telle autorisation ; (ii) sans faire intervenir l’administrateur provisoire, gérant de la SCI depuis 2007, à l’acte de vente, alors qu’il était seul habilité à représenter la SCI et à recevoir le solde du prix de vente ; il appartenait au notaire de procéder à ces vérifications qu’autorisait la publication légale des désignations des liquidateurs amiable et judiciaire, pour assurer l’efficacité de l’acte de vente qu’il rédigeait, sans qu’il puisse s’exonérer de sa responsabilité au motif des fausses déclarations des parties ou de l’absence d’éléments de nature à le faire douter de l’authenticité de ces déclarations ; alors que le notaire a précisé avoir disposé d’un extrait Kbis de moins de trois mois applicable à la SCI, il n’a pu ignorer la mention d’une administration provisoire qui y était encore mentionnée au jour de l’acte litigieux ; il a en outre attesté l’identité des personnes physiques, qu’il indique lui avoir été régulièrement justifiée ;
– la notaire a fautivement versé une partie du prix de vente à M. [X], alors que ce dernier était dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens par son placement en liquidation judiciaire ;
– le préjudice subi par la SCI, représentée par son liquidateur amiable, est constitué par la dissipation du prix de vente, de sorte que son indemnisation s’élève à 97 000 euros,
– alors que les parts sociales de M. [X] dans la SCI sont des actifs de la liquidation judiciaire et que les fonds versés en considération de ces droits sociaux entrent dans l’actif de la procédure collective, le préjudice subi par la collectivité des créanciers de M. [X], représentée par son liquidateur judiciaire, est constitué, outre du retard à réaliser la liquidation des actifs, de l’absence de versement du produit de la vente entre les mains du liquidateur judiciaire aux fins d’apurer le passif déclaré, alors que le versement de la somme de 66 227,83 euros par le notaire directement aux consorts [X]-[C] est inopposable à la procédure collective et doit par conséquent lui revenir ; l’actif dissipé étant un bien commun des époux [X], l’article 1413 du code civil s’y applique, de sorte que la procédure collective peut obtenir le versement de la totalité du boni de prix de vente ;
– le lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice constitué par la dissipation des fonds a été consacré par l’arrêt de cassation. Il appartient au notaire de justifier des modalités de reversement des fonds dont il a été détenteur lors de la vente, ainsi que des destinataires de ces fonds.
Suivant conclusions notifiées le 30 septembre 2022, M. [Y] demande à la cour au visa des articles 1382 du code civil et 4, 633 et 564 du code de procédure civile, de :
– déclarer irrecevables comme étant nouvelles les demandes présentées par la Selarl [M] [B] ayant pour nouvelle dénomination R&D à son encontre, aucune demande indemnitaire n’ayant été formulée à son profit avant le dépôt de ses dernières conclusions en date du 29 juin 2022, postérieurement à la réouverture des débats ;
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Amiens le 28 mars 2018 en ce qu’il a débouté la Selarl [M]-[B] ayant pour nouvelle dénomination R&D, et la Selarl [T]-Randoux de leurs demandes indemnitaires dirigées à son encontre,
– l’infirmer en ce qu’il a retenu l’existence d’une faute qui lui est imputable et en ce qu’il l’a débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
=> à titre principal,
– juger qu’il n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle.
– débouter la Selarl [M]-[B] ayant pour nouvelle dénomination R&D et la Selarl [T]-Randoux de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,
=> à titre subsidiaire, si par impossible la cour retenait l’existence d’une faute qui lui était imputable,
– juger que la Selarl [M] et [B] ayant pour nouvelle dénomination R&D et la Selarl [T] Randoux ne justifient pas de l’existence d’un préjudice qui serait directement résulté de la faute qui lui est reprochée,
En conséquence, dire et juger mal fondées la Selarl [M] et [B] ayant pour nouvelle dénomination R&D et la Selarl [T] Randoux en l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,
En conséquence, les en débouter.
=> en tout état de cause, condamner tout succombant à lui payer la somme de 4000 euros d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, Me [Y] fait valoir que :
la demande indemnitaire présentée par la Selarl [M] [B], nouvellement dénommée R&D, est irrecevable comme nouvelle devant la cour, dès lors que cette demande n’a été présentée que par Me [M] jusqu’aux dernières conclusions antérieures à la révocation de l’ordonnance de clôture par l’arrêt du 19 mai 2022. La nouveauté d’une demande peut résulter de la personne par qui ou contre qui la demande est formulée et notamment lorsqu’elle est présentée en appel par une partie en une qualité différente de celle en laquelle elle avait procédé en première instance.
sa responsabilité civile professionnelle n’est pas engagée :
** il n’a commis aucune faute, dès lors que : (i) il n’avait aucune obligation de vérifier les déclarations des vendeurs sur leur capacité à conclure ou à disposer de leurs biens ; (ii) l’extrait Kbis de la SCI ne comporte aucune précision sur la mission confiée à l’administrateur provisoire, dont les pouvoirs sont limités à réaliser des actes conservatoires et d’administration, alors qu’il lui appartient de solliciter l’autorisation des associés pour réaliser un acte de disposition ; (iii) la réunion d’une assemblée générale n’était pas requise dès lors qu’en application de l’article 13 des statuts, une décision collective telle qu’une vente peut résulter du consentement de tous les associés exprimés dans un acte ;
** il partage l’analyse faite par les premiers juges sur l’absence de lien de causalité : la faute invoquée par Me [T] ne lui a pas causé de préjudice, dès lors que ce dernier n’avait pas qualité pour exercer les actions liées à la qualité d’associé de M. [X] concernant le patrimoine de la SCI ; le reliquat du produit de la vente a été remis à la SCI, et non aux associés : même en cas d’intervention du liquidateur judiciaire à la vente, le paiement du créancier hypothécaire serait intervenu et le solde aurait été remis à la SCI ; la circonstance que ce solde ait été ultérieurement distrait ne relève pas de sa responsabilité, dès lors que la mission du notaire s’arrête à la remise des fonds à la SCI, et qu’il n’est ainsi pas chargé de surveiller l’utilisation des fonds par cette société elle-même ; le préjudice invoqué par le liquidateur judiciaire résulte d’une faute imputable aux époux [X], voire à l’administrateur provisoire ;
même en admettant l’existence d’une faute, réclamer à la fois une condamnation au profit de la SCP [M] [B] à hauteur de 97 000 euros et une condamnation de 66 227,83 euros au profit de la Selarl [T] Randoux n’a aucun sens ; adoptant quasiment la motivation du jugement critiqué, M. [Y] fait valoir que :
=> s’agissant de la demande du liquidateur amiable de la SCI :
(i) aucune démarche n’a été entreprise à l’encontre de M. [X] lui-même, alors que ce dernier avait admis sa dette à l’égard de sa liquidation judiciaire à hauteur de la moitié du reliquat de 66 227,83 euros ; (ii) en tout état de cause, la SCP [M] [B] se serait vue remettre une somme de 86 227,83 euros après déduction des taxes et frais et aurait dû rembourser la créance hypothécaire de la banque BSD : par conséquent, « la somme de 66 227,83 euros serait revenue à chacun des co-associés en considération de leurs droits sociaux, dans la mesure où la SCI n’est débitrice d’aucune autre somme » ; en qualité d’administrateur provisoire, puis de liquidateur amiable de la SCI, la SCP [M] [B] ne subit aucun préjudice ; (iii) si le prix de vente avait été versé à la SCP [M] [B], elle aurait dû répartir le boni du prix de vente entre les deux associés, ce qu’a précisément fait le notaire après le désintéressement de ses créanciers ; le principe de la vente immobilière était acquis, dès lors qu’en août 2006, un premier compromis de vente avait été conclu avec un autre acquéreur ; la différence nette de prix entre les deux compromis est minime, alors que les négociations n’ont été menées que par l’agence immobilière, sans que le notaire y participe ;
=> s’agissant de la demande du liquidateur judiciaire de M. [X] : en cas de liquidation judiciaire de l’associé d’une SCI, ses parts sociales sont incluses dans son patrimoine et doivent servir à désintéresser ses créanciers professionnels ; en l’espèce, M. [X] n’aurait pu récupérer que la moitié du solde du prix de vente, soit 33 114 euros de boni, de sorte que la liquidation judiciaire ne peut prétendre au maximum qu’à ce montant ;
les préjudices invoqués par l’administrateur provisoire et par le liquidateur judiciaire ne sont pas établis, « sauf à ce qu’ils démontrent que d’autres créanciers n’ont pas été désintéressés et pour quel montant » ; « les fonds ne pouvaient être remis à la Selarl [T] Randoux ès qualité de liquidateur personnel de M. [X] que si et seulement si les créanciers de la SCI [X] [C] avaient au préalable été désintéressé » : la demande de restitution du boni de la vente au profit du liquidateur judiciaire de M. [X] démontre que la SCP [M] [B] ne subit aucun préjudice dans le cadre de la liquidation amiable, dès lors que tous ses créanciers ont été désintéressés.
Par réquisitions du 10 mars 2023, communiquées le 13 mars 2023 aux parties, le ministère public s’en rapporte à la sagesse de la cour.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes formulées par la Selarl [M] [B] nouvellement dénommée R&D :
M. [Y] ne conteste pas que la Selarl [M] [B], nouvellement dénommée R&D, a la qualité de liquidateur amiable de la SCI, alors qu’il a notamment conclu à son encontre en cette qualité (pages 1 et 11 de ses dernières conclusions).
Dans son arrêt du 8 avril 2021, la Cour de cassation a rappelé que le président du tribunal de grande instance de [Localité 7] avait désigné le 28 février 2007 Me [I] [M], aux droits duquel vient la SCP [M] [B], en qualité d’administrateur provisoire.
Si la faute reprochée à M. [Y] est contemporaine de ce mandat d’administrateur provisoire confié à la SCP [M] [B], cette dernière avait toutefois acquis la qualité non contestée de liquidateur amiable de la SCI, selon le jugement rendu le 7 janvier 2015 par le tribunal de grande instance d’Amiens, lors de l’assignation en responsabilité délivrée au notaire par acte du 26 avril 2016.
Le tribunal de grande instance d’Amiens a statué sur les demandes indemnitaires formulées à l’encontre de M. [Y] par la SCP [M] [B] en cette qualité de liquidateur amiable.
La Selarl [M] [B] justifie avoir ultérieurement modifié sa dénomination sociale, qui est ainsi devenue la société R&D à compter de juillet 2019.
La déclaration d’appel à l’encontre du jugement critiqué, puis la saisine de la cour de renvoi, ont été formées sous cette nouvelle dénomination.
Les conclusions des appelants ont enfin été rédigées devant la cour de renvoi par la Selarl R&D en sa qualité de liquidateur amiable de la SCI.
Alors que la première page des conclusions signifiées par les appelants fait clairement et exclusivement apparaître comme concluant « la Selarl R & D agissant en qualité de liquidateur amiable de la SCI [X] [C] », la demande indemnitaire est par ailleurs fondée sur la responsabilité civile du notaire à l’égard de la SCI désormais représentée par la société R&D dans le cadre de la vente de son immeuble intervenue le 26 avril 2011. Tant les termes du litige que l’identification de la personne ayant conclu en qualité de liquidateur amiable de la SCI excluent ainsi toute possibilité pour M. [Y] de prétendre que la Selarl [M] [B] n’aurait pas formulé une demande indemnitaire en cette qualité devant la cour.
En définitive, la double circonstance que le premier paragraphe du dispositif des conclusions notifiées le 18 février 2022 par les appelants fait apparaître comme concluant la « SCP [M] [B] en qualité d’administrateur provisoire » et que les autres demandes sont formulées au profit de « Me [M] ès qualités », résulte d’une erreur matérielle dans la dénomination du représentant de la SCI, dont la rectification est valablement intervenue.
Dans ces conditions, la personne ayant formulé les demandes indemnitaires en première instance n’a en réalité pas changé de qualité en appel, de sorte que les demandes présentées par la Selarl R&D à l’encontre de M. [Y] ne sont pas irrecevables comme nouvelles.
Sur la responsabilité du notaire :
Lorsqu’il est reproché au notaire d’enfreindre une obligation tenant à sa qualité d’officier public, dans l’exercice strictement entendu de sa mission légale, sa responsabilité ne peut être que délictuelle ou quasi délictuelle.
En application de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il appartient en conséquence à ceux qui invoquent sa responsabilité civile professionnelle du notaire de rapporter la preuve d’une faute du notaire, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
A titre liminaire, il est observé qu’en dépit de certains moyens développés (référence au « préjudice subi par la Selarl [T] Randoux ès qualités », ou à des fautes imputables au notaire dans les paragraphes consacrés aux rapports entre le liquidateur judiciaire et M. [Y]) :
la Selarl [T] Randoux n’invoque pas dans le dispositif de ses conclusions, dont la cour est exclusivement saisie, une responsabilité civile de M. [Y] à l’égard de la collectivité des créanciers : en réalité, lesdites conclusions ne visent qu’une condamnation du notaire à payer des dommages-intérêts au profit du seul liquidateur amiable de la SCI ;
en définitive, le dispositif des conclusions de la Selarl [T] Randoux fonde exclusivement sa demande sur le dessaisissement de plein droit du débiteur par l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, qui est sanctionnée par l’inopposabilité à la procédure collective des actes réalisés par ce dernier en violation de l’article L. 641-9 du code de commerce.
L’ensemble des moyens discutant d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité au titre de la demande formulée par le liquidateur judiciaire de M. [X] est par conséquent inopérant.
Sur la faute du notaire à l’égard de la SCI, représentée par son liquidateur amiable :
Il incombe s’assurer la validité et de l’efficacité de l’acte diligenté par ses soins.
Il appartient au notaire seul de vérifier l’efficacité des actes de vente, à l’exclusion des parties aux contrats.
Si le notaire rédacteur de l’acte, recevant un acte en l’état de déclarations erronées, n’engage sa responsabilité que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est cependant tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu’il existe une publicité légale aisément accessible, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse.
En l’espèce, M. [Y] a dressé le 26 avril 2011 un acte notarié de vente portant sur un immeuble appartenant à la SCI [X] [C], qu’il précise être représentée par M. [X] et Mme [C] épouse [X] en qualité de co-gérants et au visa de l’article 12 de ses statuts (page 1 de la partie normalisée de l’acte).
La seule circonstance que l’acte mentionne que les contractants « déclarent en outre qu’ils ne font l’objet d’aucune mesure ou procédure civile ou commerciale susceptible de restreindre leur capacité ou de mettre obstacle à la libre disposition de leurs biens » ne présente pas un caractère exonératoire de responsabilité pour le notaire, dès lors que la faute reprochée consiste à ne pas avoir procédé à une vérification préalable d’une telle capacité.
Sur ce point, l’acte notarié précise d’ailleurs que « le notaire soussigné certifie que l’identité des parties, personnes physiques, telle qu’elle figure dans la partie normalisée du présent acte, lui a été régulièrement justifiée. Et spécialement en ce qui concerne la société SCI [X] [C] par la production d’un extrait de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés de moins de trois mois ».
Une telle mention révèle d’une part la connaissance par le notaire de son obligation de s’assurer de la réalité des indications fournies par les parties sur leur identité et leur capacité, en vérifiant ces données indispensables à la validité et à l’efficacité de l’acte par le recours aux publicités légales.
Cette même mention caractérise d’autre part une première faute commise par M. [Y]. En effet, un extrait Kbis délivré au cours des trois mois ayant précédé la signature du compromis de vente portait d’ores et déjà la mention de la nomination de M. [M] en qualité d’administrateur provisoire de la SCI, ayant pris effet à compter du 28 février 2007, ladite mention ayant été portée au RCS le 19 novembre 2007.
Contrairement aux prétentions de M. [Y], une telle mention justifiait des investigations complémentaires par le notaire : à cet égard, l’absence de toute vérification sur l’étendue des pouvoirs conférés par le président du tribunal de grande instance de [Localité 7] à M. [M] au titre de ce mandat d’administrateur provisoire est fautive, alors que la mission confiée à ce mandataire consistait précisément à assurer la gérance de la SCI.
A la différence d’un mandataire ad hoc, l’administrateur provisoire avait ainsi reçu une mission générale de gestion : en l’absence de caducité d’une telle mission à la date du compromis de vente litigieux, le ou les gérants statutaires n’avaient ainsi pas qualité pour représenter cette dernière dans le cadre de la vente, étant observé que seul M. [X] était désigné par l’article 12 des statuts, contrairement à l’affirmation d’une cogestion par M. [Y].
Sur ce point, la Cour de cassation a notamment jugé en l’espèce que l’intervention de l’administrateur provisoire à la conclusion de la vente était nécessaire, dès lors que ce dernier est « seul habilité à représenter la SCI et à recevoir le solde du prix de vente lui revenant ».
En effet, une telle vérification aurait enfin permis à M. [Y] d’observer qu’en application de l’article 12 des statuts, seul M. [M] était habilité à représenter la SCI en sa qualité de gérant pour vendre l’immeuble, après y avoir été autorisé par une décision ordinaire des associés (ainsi que le notaire l’indique lui-même dans ses propres conclusions : page 12), étant précisé qu’il était également seul habilité à choisir les modalités d’une telle décision collective, conformément à l’article 13 des mêmes statuts. Dans ces circonstances, bien que les époux [X] réunissaient l’intégralité des droits sociaux de la SCI, ils ne pouvaient, en leur qualité d’associés, opter de leur propre chef pour une décision collective de vente immobilière résultant de la seule expression de leur consentement dans l’acte de vente, au lieu et place d’une assemblée générale qu’il aurait appartenu à l’administrateur provisoire de convoquer en sa qualité de gérant, dans des conditions qui l’auraient nécessairement informé de l’existence du projet de vente.
La seconde faute commise par M. [Y] est constituée par l’absence de vérification des déclarations de M. [X] ayant indiqué qu’il n’était soumis à aucune procédure collective, alors qu’il appartenait à ce notaire de procéder à une consultation du Bodacc pour y rechercher l’existence éventuelle d’une telle publicité de sa liquidation judiciaire.
Sur le préjudice :
Il appartient à la société R&D de démontrer le préjudice qu’elle invoque, qui est exclusivement constitué par une dissipation du produit de la vente immobilière. Sur ce point, aucun moyen n’est en réalité fondé sur les conditions de négociations du prix de vente immobilière.
Pour démontrer une telle dissipation, elle produit exclusivement des courriers dont elle est la rédactrice :
– dans un courrier du 3 avril 2015, l’administrateur provisoire indique ainsi avoir pris connaissance de l’extrait du compte client de la SCI révélant l’existence d’un versement de 66 227,83 euros et précise qu’il n’a pas été rendu destinataire des fonds en question (pièce 13 des liquidateurs).
– dans un courrier du 10 mars 2016, l’administrateur provisoire demande au notaire le remboursement des fonds.
– dans un courrier adressé le 20 avril 2016 par la SCP [M] et [B] à l’avocat des époux [X], au notaire et au liquidateur judiciaire de M. [X], figure l’allégation d’un « paiement des fonds indûment versés aux époux [X] [C] ».
Pour autant, l’existence d’un tel paiement direct au profit des associés de la SCI ne repose sur aucun élément probant.
A l’inverse, le courrier de M. [Y] du 30 juin 2015 indique exclusivement à l’administrateur provisoire de la SCI qu’il a réglé différentes factures et procédé au remboursement des prêts auprès de la BSD CIN à hauteur de 10 799,66 euros, avant d’indiquer : « part dans le prix de vente à SCI [X] [C] : 66 227,83 euros ». Il n’en résulte aucun aveu d’un versement aux associés eux-mêmes.
Par ailleurs, M. [Y] justifie avoir réalisé le 27 avril 2011 un virement d’un montant de 66 227,83 euros au bénéfice de la SCI [X] [C] sur la base d’un RIB applicable à cette dernière. L’intitulé de ce virement correspond à la « part dans le prix de vente », dont le montant est effectivement conforme à la ventilation que ce notaire a indiqué dans son courrier précité de juin 2015 (sa pièce 5).
Ce virement de 66 227,83 euros est surtout confirmé par le relevé du compte client de la SCI [X] [C] (pièce 11 des liquidateurs), qui fait également apparaître le versement au profit de la BSD CIN en remboursement de prêts pour un montant de 10 799,66 euros.
Contrairement aux prétentions de l’administrateur provisoire, il ne ressort pas de ce relevé de compte que « 66 227,83 euros sont revenus aux consorts [X], dont le sieur [X], en liquidation judiciaire, était dessaisi » (page 4 de ses conclusions), mais au contraire que le versement a profité à la SCI elle-même.
Le jugement du tribunal de grande instance d’Amiens du 7 janvier 2015 ayant ordonné la dissolution de la SCI, indique enfin, dans sa motivation, que le notaire a remis à la seule SCI ladite somme.
La société R&D est ainsi d’une part défaillante dans la démonstration d’une dissipation de cette somme résultant d’un versement direct par le notaire au profit des époux [X].
D’autre part, la société R&D n’établit pas davantage que la dissipation alléguée des fonds soit survenue postérieurement au versement effectué par le notaire sur le compte de la SCI. À cet égard, alors qu’elle dispose de la comptabilité de la SCI dont elle assure la gestion, la société R&D ne produit aucune pièce établissant que la somme de 66 227,83 euros aurait quitté l’actif de la SCI, quel qu’en soit le bénéficiaire.
Enfin, alors que la mission confiée à l’administrateur provisoire était notamment de « remettre au liquidateur judiciaire de M. [X] le montant du boni de liquidation à revenir à ce dernier en sa qualité d’associé », la société R&D ne précise pas si la liquidation amiable de la SCI est clôturée.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société R&D ne démontre pas l’existence du préjudice allégué par la SCI, de sorte qu’en dépit des fautes commises par le notaire, la responsabilité civile de ce dernier n’est pas engagée.
Le jugement critiqué est en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le liquidateur amiable de la SCI de sa demande indemnitaire.
Sur le dessaisissement de M. [X] :
L’article L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 applicable à l’espèce, dispose que :
I. – Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d’établir la culpabilité de l’auteur d’un crime ou d’un délit dont il serait victime.
Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l’administrateur lorsqu’il en a été désigné.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le dessaisissement de M. [X] a débuté le 3 mars 2006, date du jugement ouvrant à son encontre une procédure de liquidation judiciaire, et qu’à l’époque des actes dont l’inopposabilité est invoquée, cette procédure collective n’était pas clôturée.
Pour autant, lorsqu’il est par ailleurs associé ou gérant d’une SCI, le dessaisissement du débiteur résultant de son placement en liquidation judiciaire :
– n’affecte pas l’exercice de ses droits au sein de cette SCI : le liquidateur n’a ainsi pas qualité pour exercer les actions liées à la qualité d’associé de société civile ou de gérant de ce débiteur et concernant le patrimoine de la personne morale, ou pour participer aux décisions collectives.
– implique en revanche que le liquidateur judiciaire peut appréhender le montant correspondant aux parts sociales de cet associé.
Indépendamment de la question de l’administration provisoire de la SCI, le dessaisissement de M. [X] n’était pas en lui-même de nature à faire obstacle à sa participation à la vente immobilière d’un actif dépendant du patrimoine de la SCI.
Le gage des créanciers de la liquidation judiciaire ne porte ainsi pas directement sur le produit de la vente d’un actif de la SCI, dont cette dernière est seule créancière, mais sur les sommes distribuées par la SCI à l’associé en liquidation judiciaire ou sur le boni de liquidation de cette SCI.
A ce titre, il n’appartenait pas au notaire de verser directement au liquidateur judiciaire de M. [X] le produit de la vente litigieuse.
En définitive, le dessaisissement n’a vocation à être utilement invoqué par la Selarl [T] Randoux qu’à l’égard d’un versement direct que le notaire aurait réalisé au profit des époux [X] eux-mêmes.
La Selarl [T] Randoux invoque d’ailleurs exclusivement une telle hypothèse, en limitant dans son dispositif sa demande à « déclarer inopposable le versement opéré par Me [Y] entre les mains du débiteur dessaisi à la procédure collective ».
Pour autant, il a été précédemment jugé qu’un tel versement direct par le notaire entre les mains des époux [X] n’est pas prouvé. A l’inverse, M. [Y] justifie avoir procédé à un virement au profit de la seule SCI. L’existence d’un détournement ultérieur par les associés du produit de la vente dont a bénéficié la SCI sur son compte bancaire n’est pas davantage prouvée. Alors que la clôture de la liquidation amiable de la SCI n’est enfin pas établie, il n’est pas davantage établi que les associés ont bénéficié d’un boni de liquidation intégrant le produit de la vente.
Dans ces conditions, il n’est pas démontré que M. [Y] a procédé à un versement d’une somme de 66 227,83 euros au profit du débiteur de la liquidation judiciaire en violation du dessaisissement de M. [X]. L’inopposabilité d’un tel versement à la procédure collective ne peut en conséquence être valablement invoquée pour justifier que M. [Y] procède à un nouveau versement de ce montant au profit des créanciers de la liquidation judiciaire.
Le jugement critiqué est en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le liquidateur judiciaire de M. [X] de sa demande à l’encontre de M. [Y].
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d’une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,
et d’autre part, à condamner la Selarl R&D et la Selarl [T] Randoux, outre aux entiers dépens d’appel, à payer à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevables les demandes présentées à l’encontre de M. [O] [Y] par la Selarl [M] [B] ayant pour nouvelle dénomination R&D ;
Confirme le jugement rendu le 28 mars 2018 par le tribunal de grande instance d’Amiens en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne in solidum la Selarl R&D et la Selarl [T] Randoux aux dépens d’appel ;
Condamne in solidum la Selarl R&D et la Selarl [T] Randoux à payer à M. [O] [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le Greffier
Harmony Poyteau
Le Président
Guillaume Salomon