Responsabilité du Notaire : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05782

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Responsabilité du Notaire : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05782
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2023

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05782

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Février 2020 – Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU – RG n° 18/00194

APPELANTE

LE FOND COMMUN DE TITRISATION CASTANEA, ayant pour société de gestion la SAS EQUITIS GESTION, venant aux droits de la SA SOCIETE GENERALE en vertu d’un bordereau de cession de créance en date du 03 août 2020, soumis aux dispositions du Code monétaire et financier

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Frédérick JUNGUENET de la SELARL DBCJ AVOCATS, avocat au barreau de MELUN

INTIMES

Monsieur [M] [G]

[Adresse 13]

[Localité 6]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Monsieur [C] [V]

[Adresse 12]

[Localité 9]

Représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Monsieur [U] [V]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

S.E.L.A.S. [Z] ET ASSOCIES

[Adresse 5]

[Localité 8]/FRANCE

Représentée par Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 04 juillet 2023 prorogée au 19 septembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Le 9 juillet 2002, la SA Société générale a consenti à M. [L] [V] et à Mme [H] [F] épouse [V], parents de MM. [C] et [U] [V], un prêt d’un montant de 281 472 euros destiné au financement de l’acquisition des parts de la Snc Tabac du Perron, lequel a été renégocié dans le courant de l’année 2004.

Par acte du même jour, la Société générale a par ailleurs consenti à la Snc Tabac du Perron un prêt d’un montant de 132 913 euros.

La déchéance du terme des contrats de prêts a été prononcée par la banque suivant courrier recommandé avec avis de réception du 15 septembre 2009.

Par arrêt en date du 20 décembre 2012, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 17 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Melun condamnant solidairement M. et Mme [V] à payer à la Société générale la somme en principal de 321 840,26 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 9,20% à compter du 3 novembre 2009.

Entre-temps, par acte reçu le 9 octobre 2009 par maître [O] [Z], membre de la SCP [O] [Z], Eric Truffet et Ludovic Duret, notaires associés, M. et Mme [V] ont cédé à leurs fils, [C] et [U], la nue-propriété des biens sis [Adresse 1] à [Localité 10] dont ils étaient propriétaires, s’en réservant l’usufruit.

Le bien situé [Adresse 1] à [Localité 10] a été vendu le 6 juin 2012 par la famille [V] à Mme [J] pour le prix de 425 000 euros.

Le 29 juin 2012, les consorts [V] ont fait l’acquisition d’un bien situé [Adresse 3] à [Localité 11], MM. [C] et [U] [V] en acquérant la nue-propriété, et M. et Mme [V] l’usufruit.

Dans le cadre d’une instance initiée à l’encontre des seuls époux [V], la cour d’appel de Paris, par arrêt rendu le 20 mai 2016, a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Melun en date du 9 décembre 2014 déclarant, au motif de l’existence d’une fraude paulienne, la donation-partage sus-visée inopposable à la banque dans la limite de sa créance.

Le 7 février 2017, la Société générale a inscrit une hypothèque judiciaire sur les droits d’usufruit des époux [V] pour un montant en principal de 321 840,26 euros.

Le 20 juin 2017, une seconde hypothèque judiciaire a été prise par la banque sur les biens des consorts [V].

C’est dans ces circonstances que, par acte en date du 2 mars 2018, la Société générale a assigné MM. [C] et [U] [V] devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, devenu tribunal judiciaire, lesquels ont eux-mêmes assigné en intervention forcée la Selas [Z] & associés, notaire, anciennement dénommée SCP [O] [Z], Eric Truffet et Ludovic Duret, notaires associés, et M. [M] [G], avocat.

Par jugement rendu le 19 février 2020, ce tribunal a :

– déclaré irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité et en réparation formée par la Société générale à l’encontre de MM. [C] et [U] [V],

– débouté la Selas [Z] & associés de sa demande d’indemnisation formée à hauteur de 15 000 euros à l’encontre de MM. [C] et [U] [V],

– condamné la Société générale à payer à MM. [C] et [U] [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné MM. [C] et [U] [V] à payer à la Selas [Z] & associés la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné MM. [C] et [U] [V] à payer à M. [M] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes comme inutiles ou mal fondées,

– condamné la Société générale à supporter les dépens de l’instance,

– accordé à la Scp Interbarreaux Raffin & associés, à maître Jean-Pierre Dagorne, avocat au barreau de Paris ainsi qu’à maître Dominique Saulnier, avocat au barreau de Fontainebleau, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 27 mars 2020, la Société générale a fait appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 15 décembre 2020, le magistrat en charge de la mise en état a constaté d’une part le désistement partiel de la Société générale à l’égard de la Selas [Z] & associés et de M. [G] et, d’autre part, le désistement par la Selas [Z] & associés de sa demande tendant à voir déclarer l’appel incident des consorts [V] à son égard irrecevable.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 25 novembre 2022, le Fonds commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion la Sas Equitis Gestion, représenté par son recouvreur, la Sas Mcs et associés, venant aux droits de la SA Société générale, demande à la cour de :

– juger recevable et bien fondée son intervention volontaire en sa qualité de cessionnaire de la créance initialement détenue par la Société générale à l’encontre des consorts [V],

– infirmer le jugement et en conséquence,

– condamner MM. [C] et [U] [V], solidairement, à lui payer la somme de 649 976,24 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2020,

– condamner MM. [C] et [U] [V] aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel,

– condamner MM. [C] et [U] [V], solidairement à lui verser la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er mars 2023, MM. [C] [V] et [U] [V] demandent à la cour de :

à titre principal,

– déclarer le fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la Société générale, irrecevable et mal fondé en son appel,

– le déclarer irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l’en débouter purement et simplement,

en conséquence,

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles relatives aux condamnations prononcées à leur encontre en application de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

– les recevant en leur appel incident et y faisant droit,

– infirmer partiellement la décision déférée en ce qu’elle les a condamnés à payer à la Selas [Z] & associés et à M. [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire n’y avoir lieu à condamnation sur ce point,

– la confirmer pour le surplus et rejeter toutes les autres demandes,

y ajoutant,

– condamner le Fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la banque, à leur payer la somme de 7 500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la banque, aux entiers dépens de première instance et d’appel dont recouvrement au profit de maître Charles-Hubert Olivier, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

très subsidiairement, sur le fond,

– déclarer qu’ils n’ont commis aucune faute à l’encontre de la banque aux droits de laquelle vient le fonds commun de titrisation Castanea et, en tout état de cause, qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute alléguée par l’appelant à titre principal et le préjudice,

en conséquence,

– déclarer la demande du fond commun de titrisation Castanea, en sa qualité de cessionnaire de la créance initialement détenue par la banque, mal fondée et le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– dire n’y avoir lieu en conséquence à statuer sur les appels en garantie formés par eux,

encore plus subsidiairement,

– les déclarer recevables et bien fondés en leur action en garantie formée tant à l’encontre de la Selas [Z] & associés, notaires à Melun, que de M. [G], avocat au barreau de Melun,

en conséquence,

– débouter la Selas [Z] & associés et M. [G] de l’ensemble de leurs demandes reconventionnelles à raison de leur caractère infondé,

– condamner in solidum la Selas [Z] & associés et M. [G] à les relever et à les garantir de toute condamnation prononcée contre eux,

en toutes hypothèses,

– condamner tout succombant à leur payer une somme de 7 500 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner tout succombant au paiement de tous les dépens de première instance et d’appel, en ce compris ceux afférents aux appels en garantie dont distraction sera ordonnée au profit de Me Charles-Hubert Olivier conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 8 septembre 2020, la Selas [Z] & associés, anciennement dénommée Scp [Z]-Truffet-Duret, demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que l’action de la banque était prescrite,

– dire et juger prescrite l’action principale intentée par la banque à l’encontre de MM. [C] [V] et [U] [V],

subsidiairement,

– dire et juger prescrite l’action en responsabilité civile intentée par MM. [C] et [U] [V] à son encontre,

– dire et juger l’appel en garantie formé par MM. [C] et [U] [V] à son encontre tant irrecevable que mal fondé,

– les en débouter,

et statuant reconventionnellement,

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

– condamner MM. [C] et [U] [V] à lui payer une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

– les condamner en outre au paiement d’une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction sera faite au profit de Me Kuhn, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 mars 2023, M. [M] [G] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité et en réparation formée par la banque aux droits de laquelle vient le fonds commun de titrisation Castanea, à l’encontre de MM. [C] et [U] [V], et en ce qu’il a jugé sans objet l’action en garantie formée par MM. [C] et [U] [V] à son encontre,

à titre principal,

– déclarer irrecevable l’action engagée par MM. [C] et [U] [V] à son encontre comme étant prescrite,

à titre subsidiaire,

– juger que MM. [C] et [U] [V] ne rapportent pas la preuve d’une faute qu’il aurait commise,

– juger que MM. [C] et [U] [V] ne peuvent se prévaloir d’aucun préjudice actuel et certain s’analysant en une perte de chance,

– juger que MM. [C] et [U] [V] ne rapportent pas la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice invoqué et les reproches formulés à son encontre,

– débouter par conséquent MM. [C] et [U] [V] de l’intégralité de leurs demandes formées à son encontre,

reconventionnellement,

– condamner MM. [C] et [U] [V] à lui régler une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 21 mars 2023.

Selon message adressé par RPVA le 28 juin 2023, la cour a invité les parties à lui adresser dans un délai d’un mois leurs observations sur la nature du préjudice de la Société générale qui est susceptible de s’analyser en une perte de chance de recouvrer sa créance en exécution de l’arrêt du 20 décembre 2012, laquelle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Le Fonds commun de titrisation Castanea a fait parvenir une note en délibéré le 12 juillet 2023 suivie d’un message RPVA en réplique à la note adverse de MM. [V] du 24 juillet 2023, M. [G] et la Selas [Z] & associés ayant par ailleurs informé la cour qu’ils n’entendaient pas prendre part au débat sur le préjudice de la Société générale.

SUR CE,

L’intervention du Fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la SA Société générale, en vertu d’un bordereau de cession de créance en date du 3 août 2020, qui n’est pas critiquée, est recevable.

En l’absence de moyen développé au soutien de la demande tendant à voir juger l’appel irrecevable, il convient de le déclare recevable.

Sur la prescription :

Le tribunal a jugé que l’action en responsabilité de la Société générale contre MM. [V] était prescrite en ce que :

– l’action intentée par la banque n’est pas une action immobilière réelle mais une action en responsabilité fondée sur l’article 1240 du code civil encadrée par la prescription quinquennale de l’article 2224 du même code,

– le fait générateur de la prescription de l’action en responsabilité quasi-délictuelle à l’encontre de MM. [V] est la date à laquelle la banque a connu ou aurait dû connaître l’acte de donation-partage réalisé le 9 octobre 2009, publié le 9 novembre 2009, soit le 7 février 2011, date de la demande de renseignements hypothécaires qu’elle a formulée auprès du service de la publicité foncière de Melun,

– le délai qui expirait le 8 février 2016 n’a pas été interrompu par l’action paulienne, qui a conduit à l’arrêt du 20 mai 2016, intentée contre les seuls époux [V],

– l’action paulienne ne faisait pas obstacle à l’introduction, avant même qu’une décision définitive ne soit rendue dans cette instance, d’une action en responsabilité à l’encontre des fils [V].

Le fonds commun de titrisation Castanea soutient que son action en responsabilité contre MM. [V] n’est pas prescrite, en ce que :

– le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil est le jour de la réalisation concrète du dommage,

– la seule existence de l’acte de donation-partage n’était pas suffisante à établir une faute des donateurs fondant une action en responsabilité à l’encontre de leurs enfants, les époux [V] contestant avoir eu une quelconque intention frauduleuse et soutenant être parfaitement solvables au jour de la donation, puisque la faute de MM. [V] était nécessairement exclue si la fraude des parents n’était pas établie,

– la cour d’appel de Paris, par son arrêt du 20 mai 2016, a confirmé l’existence d’une fraude paulienne, de sorte que l’une des conditions préalables à l’action en responsabilité contre les enfants donataires, à savoir l’existence d’une fraude de leurs parents, n’était remplie qu’à cette date,

– en outre l’insolvabilité des débiteurs n’est apparue que fin 2014, après la délivrance le 16 octobre 2014 d’un commandement resté sans effet,

– la prescription n’a commencé à courir qu’à compter du jour où les conditions préalables au succès au fond de toute action en responsabilité quasi-délictuelle à l’encontre des enfants [V] ont été réunies.

Les consorts [V], M. [G] et la Selas [Z] et associés font leur le raisonnement du tribunal et concluent à la prescription de l’action.

Selon l’article 2224 du code civil, ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.

Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité délictuelle exercée à l’encontre de MM. [V] est la date à laquelle le dommage s’est manifesté, soit à compter de l’arrêt passé en force de chose jugée de la cour d’appel de Paris du 20 mai 2016, qui considérant que la fraude paulienne était caractérisée, a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Melun en date du 9 décembre 2014 ayant déclaré inopposable à la banque, dans la limite de sa créance, la donation-partage du 9 octobre 2009.

Dans ces conditions, l’action engagée le 2 mars 2018 à l’encontre de MM. [V] n’est pas prescrite.

Le jugement est donc infirmé.

Sur la responsabilité de MM. [C] et [U] [V]

* Sur la faute

Le fonds commun de titrisation Castanea soutient que MM. [C] et [U] [V] ont commis une faute, en ce que :

– le jugement du 9 novembre 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Melun, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris le 20 mai 2016, a constaté que la donation-partage effectuée par les parents [V] au profit de leurs enfants était constitutive d’une fraude paulienne,

– la famille [V] a mis en place un montage similaire s’agissant de l’acquisition ultérieure de la propriété d'[N], limitant ainsi son droit de gage au seul usufruit du bien,

– MM. [V], du fait de leur proximité familiale avec les débiteurs, ne pouvaient ignorer la finalité fautive poursuivie par ces opérations, à savoir la priver d’obtenir le recouvrement de sa créance envers leurs parents,

– ils ont donc participé sciemment à ces opérations,

– MM. [V] ont apposé la mention ‘pris connaissance’ sur la correspondance en date du 23 juillet 2009 par laquelle le notaire attirait explicitement et sans équivoque leur attention sur le risque que cette opération soit constitutive d’une fraude à l’égard des créanciers,

– dans leurs écritures, MM. [V] font l’aveu explicite de la fraude dont ils se sont rendus complices en parfaite connaissance, admettant que c’était M. [G], qui avait conseillé ce montage à ses clients sans les informer des risques inhérents à cette opération,

– il est démontré que ce n’est pas une intention libérale qui a motivé la donation -partage mais une intention malhonnête d’organiser l’insolvabilité de leurs parents afin de leur permettre d’échapper à leurs créanciers.

MM. [V] répliquent que :

– la banque postule l’existence d’une faute quasi-délictuelle sans même chercher à la démontrer,

– ils n’ont commis aucune faute arguant de leur bonne foi, de la confiance naturelle vouée à leurs parents qui leur ont délibérément dissimulé la vérité en présentant la donation comme un cadeau,

– ils ne se sont pas comportés comme des complices aveugles de leurs parents et n’ont pas accepté la donation de leur plein gré aux fins de permettre à leurs parents d’échapper à leurs obligations à l’égard de la banque,

– l’intervention d’un notaire était de nature à les rassurer,

– l’accomplissement des formalités de publicité afférentes à la donation-partage écarte toute volonté de dissimulation.

Aux termes de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Même à supposer que MM. [C] et [U] [V] aient ignoré que leur parents leur faisaient une première donation sur la nue-propriété des biens sis [Adresse 1] à [Localité 10] dont ils étaient propriétaires, alors que la Société générale venait de prononcer la déchéance du terme des prêts consentis et les avaient mis en demeure de lui payer une somme totale de 318 560,47 euros, il résulte de la lettre établie par l’étude notariale le 23 juillet 2009, qu’ils ont paraphée puis signée sous la mention ‘pris connaissance’, qu’ils étaient parfaitement informés de ce que la donation-partage envisagée était constitutive d’une fraude aux droits des créanciers de leurs parents, le notaire ayant précisé ‘dans la mesure où elle conduit à diminuer votre patrimoine et par conséquent l’assiette de leur gage’.

Il ressort en outre de l’acte de vente en date du 6 juin 2012 et de la fiche de renseignements émanant du service de la publicité foncière que le bien situé [Adresse 1] à [Localité 10] a été vendu le 6 juin 2012 par la famille [V] à Mme [J] pour un prix de 425 000 euros, lequel a été immédiatement réinvesti par les consorts [V] dans l’acquisition d’un bien situé [Adresse 3] à [Localité 11], MM. [C] et [U] [V] en acquérant la nue-propriété, et M. et Mme [V] l’usufruit et les premiers constituant sur cet immeuble à titre gratuit, au profit de leurs parents un usufruit successif leur vie durant sans réduction au décès du prémourant.

Ce faisant MM. [C] et [U] [V] n’ignoraient pas qu’ils contribuaient à nouveau à réduire le patrimoine de leurs parents au détriment de leur créancier. Ils ont ainsi commis une faute de nature à engager leur responsabilité délictuelle vis-à-vis de la Société générale.

Sur le lien de causalité et le préjudice

Le fonds commun de titrisation Castanea soutient que, par ces montages destinés à soustraire leurs parents à ses poursuites, la Société générale, aux droits de laquelle il se trouve, a été privée de la possibilité de faire valoir ses droits sur le prix de vente du bien de [Localité 10], et de bénéficier d’un droit de poursuite sur l’intégralité des droits de propriété du bien d'[N], celui-ci ne pouvant s’exercer que sur l’usufruit des parents, ce qui lui a nécessairement causé un préjudice financier, s’élevant à 649 976,24 euros au 30 novembre 2020 en ce compris les intérêts au taux conventionnel de 9,20% à compter du 3 novembre 2009.

En réponse à la demande de la cour, il reconnaît que son propre préjudice consiste en la perte de chance de recouvrer l’intégralité de sa créance, laquelle ne peut être équivalent au montant de ladite créance mais peut être évalué à la valeur des biens soustraits du patrimoine des époux [V], biens qui auraient pu être raisonnablement appréhendés en l’absence de manoeuvres frauduleuses et sur la pleine propriété de laquelle une hypothèque judiciaire n’a pu être inscrite. Il rappelle que le bien aisément saisissable appartenant à ces derniers en pleine propriété était d’une valeur de 408 000 euros, qu’il a été transformé en des liquidités difficilement saisissables dont seule la valeur correspondant à l’usufruit leur revenait, soit compte tenu de leur âge au jour de la vente 50% du prix de vente et qu’une partie de cette somme, 125 000 euros, a été immédiatement utilisée pour acquérir l’usufruit de leur résidence à [Localité 11], précisant que la valeur de l’usufruit diminue avec l’âge et n’est pas saisissable faute d’être susceptible d’intéresser quiconque.

Il ajoute que le lien de causalité est établi en ce que si MM. [C] et [U] [V] n’avaient pas consenti à la donation-partage puis au démembrement de propriété, d’une part, le bien de [Localité 10] serait resté dans le patrimoine de leurs parents et la Société générale aurait pu mettre en oeuvre une mesure d’exécution sur ce bien et, d’autre part, les époux [V] auraient acquis le bien en pleine propriété de sorte que la banque aurait pu poursuivre le recouvrement de sa créance sur la totalité de ce bien et non seulement sur l’usufruit.

MM. [V] répliquent que :

– le lien de causalité n’est pas démontré entre la donation et la perte alléguée,

– la stipulation selon laquelle le taux d’intérêt sera majoré en cas de défaillance de l’emprunteur est une clause pénale susceptible de modération par le juge si elle est excessive,

– les intérêts de retard attachés à la créance principale doivent être modérés en ce qu’ils sont manifestement excessifs tant au regard du profit escompté par la banque que de la réalité du préjudice qu’elle prétend avoir subi, et auquel elle a elle-même contribué en accordant des prêts à des emprunteurs de manière inconsidérée, rappelant que le banquier prêteur de fonds est tenu de vérifier les capacités financières des emprunteurs et de les mettre en garde sur le risque d’un endettement excessif et les difficultés qu’ils pourraient rencontrer pour rembourser les prêts.

En réponse à la demande de la cour, ils ajoutent que :

– à supposer qu’ils aient commis une faute, celle-ci n’aurait pas causé de perte de chance en raison de l’inertie de la Société générale qui avait toute latitude parallèlement à son action au fond pour solliciter l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier détenu par leurs parents, l’inopposabilité prononcée par l’arrêt du 20 mai 2016 lui permettant d’entreprendre les démarches nécessaires pour poursuivre l’exécution de sa créance mais n’a pris une inscription provisoire que le 4 avril 2017 sur la pleine propriété du bien de [N],

– l’appelant n’a pas épuisé toutes les voies de recouvrement de sa créance à l’encontre de leurs parents, se contentant d’affirmer sans preuve que l’usufruit d’une maison n’est susceptible d’intéresser personne, cette réticence à poursuivre jusqu’au bout l’exécution des arrêts rendus confinant à la déloyauté procédurale notamment au regard du montant des intérêts,

– la perte de chance ne revêt donc pas un caractère certain,

– subsidiairement, la perte de chance doit s’apprécier au regard de la valorisation de la nu-propriété, laquelle correspond à une fraction de la valeur de la propriété selon l’âge de l’usufruitier, soit compte tenu de l’âge de leurs parents et du prix de vente dont il convient de déduire un prêt et divers frais, une valeur de 191 677 euros (425 000- 34 139,51 et frais/50%) dont il convient de déduire encore la somme de 15 000 euros versée par leurs parents à la Société générale,

En vertu d’un arrêt confirmatif du 20 décembre 2012 de la cour d’appel de Paris, la Société générale est titulaire à l’encontre de M. et Mme [V] d’une créance de 321 840,26 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 9,20% à compter du 3 novembre 2009.

En suite des fautes de MM. [V] ayant contribué à diminuer le patrimoine de leurs parents et donc le gage des créanciers, la Société générale n’a pu obtenir le paiement de cette somme, en sorte que son préjudice est en lien direct avec les fautes de ces derniers, étant relevé que celui-ci

s’analyse en une perte de chance d’obtenir l’exécution de cet arrêt si la donation-partage en fraude de ses droits n’avait pas été acceptée par les bénéficiaires le 9 octobre 2009.

Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d’une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l’événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable, le caractère hypothétique d’une telle perte de chance excluant toute indemnisation.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Le bien immobilier objet de la donation-partage a été vendu le 6 juin 2012 pour une somme de 425 000 euros qui, selon les éléments soumis à la cour, aurait pu, en l’absence de la donation-partage, permettre de désintéresser intégralement la banque.

En effet, le bien objet de la donation-partage faisait l’objet d’une hypothèque inscrite par l’UCB, dont le solde de la créance selon décompte arrêté au 18 juin 2012 (34 139,51 euros) a été réglé par prélèvement sur le prix de vente, le créancier donnant son accord à la mainlevée selon la mention figurant à l’acte et il n’est pas démontré que d’autres sûretés auraient été prises sur ce bien.

Ainsi s’ils n’avaient pas procédé courant juin 2012 à l’acquisition d’ un nouveau bien immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 11], la Société générale, bien que ne disposant pas à cette époque d’une sûreté sur le bien de [Localité 10], la première hypothèque judiciaire ayant été prise le 7 février 2017 sur les droits d’usufruit des époux [V] pour un montant en principal de 321 840,26 euros puis la seconde, le 20 juin 2017, sur les biens des consorts [V], la Société générale aurait pu faire valoir ses droits sur le prix de vente du bien de [Localité 10] et aurait eu une chance très importante d’être désintéressée, sans qu’il puisse utilement lui être reproché de ne pas avoir inscrit d’hypothèque postérieurement aux arrêts de condamnation.

La perte de chance peut ainsi être évaluée à 80%.

Le préjudice du fonds Castenea, venant aux droits de la Société générale, peut donc être fixé à 257 472,20 euros (321 840,26 x 0,80), arrondi à 257 470 euros, lequel sera intégralement réparé par la condamnation de MM. [V] à lui payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 2 mars 2018, date de la première demande formulée à leur égard.

Sur l’appel en garantie formé par MM. [V] à l’encontre de la Selas [Z] & associés

Le tribunal a jugé que l’action en garantie de MM. [C] et [U] [V] contre la société notariale et M. [G] était sans objet en raison de l’irrecevabilité de l’action principale.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action

La société notariale conclut à la prescription de la demande en garantie formée par MM. [V] à son encontre au motif que la demande a été introduite plus de neuf ans après la régularisation de l’acte litigieux. Elle estime que même si le jugement du 17 janvier 2011 consacrant la créance de la banque à l’encontre des débiteurs est retenu comme point de départ de la prescription, l’appel en garantie est intervenu plus de sept ans après la délivrance de l’assignation devant le tribunal de Melun.

MM. [V] soutiennent que leur action en responsabilité délictuelle contre le notaire n’est pas prescrite car le fait générateur d’une telle action est la date à laquelle le risque s’est réalisé, soit le jour où ils ont été assignés en paiement par la banque, le 12 février 2018. précisant que le notaire a été appelé en garantie dans le délai de cinq ans, par assignation du 16 mai 2018 et par conclusions du 11 octobre 2018.

Selon l’article 2224 du code civil, ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.

Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité délictuelle exercée à l’encontre du notaire en sa qualité de rédacteur d’acte est la date à laquelle le dommage s’est manifesté.

MM. [V] n’étant pas parties à l’instance qui a abouti à l’arrêt du 20 mai 2016, le dommage dont ils se prévalent est la demande en paiement formée à leur encontre par la banque, lequel s’est manifesté par la délivrance de l’assignation du 2 mars 2018.

Dans ces conditions, la demande en garantie contre le notaire introduite par assignation du 16 mai 2018 n’est pas prescrite.

Sur la responsabilité du notaire

MM. [C] et [U] [V] soutiennent que le notaire a manqué à ses obligations professionnelles en ce que :

– alors que le notaire est tenu de conseiller toutes les parties à l’acte, de veiller à l’équilibre des intérêts en présence, d’assurer l’efficacité et la validité de l’acte, Mme [Z] a commis une faute professionnelle constituée par un manquement à son devoir de diligence, de compétence, d’information et de conseil,

– elle n’a pas veillé à la validité et à l’efficacité de l’acte puisque la donation du 9 octobre 2009 a été qualifiée d’inopposable pour fraude paulienne le 20 mai 2016,

– sa mission consistait à se renseigner puis à mettre en évidence les risques susceptibles d’être encourus par ses clients et à les dissuader de procéder à cette donation,

– elle n’a pas vérifié la compatibilité de l’objet de la donation avec ses effets sur les dettes souscrites par les donateurs, ce qui constitue un défaut de diligence,

– elle se devait d’informer toutes les parties à la donation, y compris les enfants, des risques mais également du but poursuivi par leurs parents, le notaire ayant connaissance d’après les éléments versés au débat du but poursuivi par leurs parents,

– un notaire doit impérativement refuser d’instrumenter un acte suspecté de fraude, or tel n’a pas été le cas,

– le notaire ne peut s’exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière la faute des parents, ou la seule mise en garde formulée par courrier le 23 juillet 2009, le caractère suffisant de l’information alléguée n’étant pas rempli par ce courrier et démontrant, au contraire, qu’il avait connaissance de l’objectif frauduleux.

La Selas [Z] & associés conteste toute faute de sa part aux motifs que :

– l’acte de donation-partage est parfaitement efficace mais a seulement été déclaré inopposable à la banque du fait de la réticence dolosive des consorts [V], passé en fraude des droits de la banque,

– elle ignorait au jour de la réception de la donation que les effets escomptés qu’envisageaient les donateurs et les donataires étaient ‘d’empêcher toute poursuites sur les biens des époux [V] dès lors que depuis plusieurs années ils ne réglaient plus leurs dettes à la banque’,

– leur intention frauduleuse est d’autant moins contestable que l’acte de donation partage est concomitant à la déchéance des prêts consentis par la banque et que préalablement à la réception de l’acte, les donateurs, en raison de leur qualité de commerçant, avaient été informés par le notaire par courrier du 23 juillet 2009 du risque que cette donation soit considérée comme une forme d’organisation d’insolvabilité pour leurs éventuels créanciers,

– ce courrier a été paraphé et signé sous l’apposition de la mention ‘pris connaissance’ par les donateurs et donataires,

– l’existence de la créance de la banque et la déchéance des prêts litigieux ne lui ont pas été révélées.

Le notaire rédacteur d’acte doit s’assurer de l’efficacité de l’acte qu’il reçoit et informer les parties sur la portée de leurs engagements et ce quelles que soient les compétences des parties. Il est également tenu de les éclairer et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il prête son concours.

Conformément à ce que soutient le notaire, l’acte de donation-partage ne s’est pas révélé inefficace mais a seulement été déclaré inopposable à la banque du fait de la fraude paulienne.

MM. [V] ne rapportent pas la preuve qu’au jour de l’acte de donation-partage, Mme [Z] avait connaissance de l’existence de la créance de la Société générale et le notaire, s’il est tenu d’une obligation d’investigation, n’avait pas à rechercher l’existence d’éventuels créanciers au-delà de la vérification de la situation hypothécaire du bien, ce qu’il a fait comme le démontre le passage y afférent dans l’acte.

Il résulte, en outre, de la lettre établie par l’étude notariale le 23 juillet 2009, que le notaire a parfaitement rempli ses obligations d’information et de conseil en ce qu’il a attiré l’attention des époux [V] ‘sur le fait que les biens immobiliers donnés à vos enfants, sous réserve de vos usufruits respectifs, sont actuellement grevés d’une hypothèque au profit de l’UCB’, qu’il leur appartenait par conséquent d’aviser celle-ci du changement et de recueillir son approbation préalablement à la régularisation de l’acte, précisant enfin ‘Par ailleurs, compte tenu de la nature de votre activité professionnelle, je tiens également à vous alerter sur le fait que vos créanciers pourraient considérer que la mutation envisagée est réalisée en fraude à leurs droits dans la mesure où elle conduit à diminuer votre patrimoine et par conséquent l’assiette de leur gage’.

Cette lettre ayant été paraphée puis signée sous la mention ‘pris connaissance’ tant par les donateurs que par les donataires, MM. [V] ne peuvent prétendre de pas avoir été informés des risques encourus.

Dès lors, aucune faute ne peut être reprochée à la Selas [Z] & associés, MM. [V] étant, en conséquence, déboutés de leur demande de garantie à son encontre.

Sur l’appel en garantie formé par MM. [V] à l’encontre de M. [G]

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action

M. [G] soutient que l’action en garantie formée par MM. [V] à son encontre est prescrite en application de l’article 2225 du code civil, la fin de sa mission se situant à la date de la donation-partage, soit le 9 octobre 2009, de sorte que MM. [V] auraient dû agir avant le 9 octobre 2014 ce qu’ils n’ont pas fait, M. [C] [V] ne l’ayant assigné que le 16 mai 2018 et M. [U] [V] n’ayant formé des demandes que par conclusions du 11 octobre 2018. Il considère que la prescription ne peut avoir commencé à courir au moment de l’assignation délivrée par la banque le 12 février 2018, au risque d’allonger indéfiniment le délai pendant lequel il est possible de rechercher la responsabilité civile professionnelle d’un ancien conseil.

MM. [V] prétendent que la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil n’était pas acquise au jour de la demande en garantie formée le 16 mai 2018 à l’encontre de M. [G], reprenant la même argumentation que celle développée à l’égard de la Selas [Z] & associés.

M. [G] n’ayant pas été mandaté pour représenter ou assister MM. [V] en justice, le point de départ du délai de la prescription de cinq ans applicable n’est pas la fin de mission de l’avocat prévu à l’article 2225 du code civil mais le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action conformément à l’article 2224 du même code.

MM. [V] n’étant pas parties à l’instance qui a abouti à l’arrêt du 20 mai 2016, le dommage dont ils se prévalent s’est manifesté par la délivrance de l’assignation du 2 mars 2018, en sorte que la demande en garantie formée contre M. [G] également introduite par assignation du 16 mai 2018 n’est pas prescrite.

Sur la responsabilité de l’avocat

MM. [C] et [U] [V] soutiennent que :

– le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice,

– M. [G] a manqué à ses obligations d’information, de conseil, de compétence et de prudence en conseillant aux époux [V], qu’il défendait dans le litige qui les opposait à la banque et dont il n’ignorait rien de leur situation patrimoniale, de consentir une donation à leurs enfants sans les informer des risques inhérents à cette opération dans l’hypothèse où elle serait remise en cause par une décision de justice,

– l’avocat, qui avait connaissance de l’existence de la créance de la banque à l’encontre des époux [V], n’a pas pris en compte des éléments objectifs du dossier,

– il aurait dû s’abstenir de conseiller aux époux [V] d’entreprendre cette donation,

– il ne peut pas reporter sa faute professionnelle sur les enfants inexpérimentés de ses clients,

– la faute du notaire n’exonère pas la faute de l’avocat.

M. [G] réplique que :

– il est impossible à MM. [V] de reporter une part de leur responsabilité personnelle sur lui, puisque s’ils sont condamnés c’est parce que la cour aura considéré qu’ils ont commis une faute personnelle à l’égard de la Société générale,

– la faute invoquée est imprécise en ce qu’ils considèrent tantôt que le prétendu conseil a été fait aux consorts [V] tantôt uniquement à leurs parents,

– MM. [V] ne peuvent invoquer un défaut de conseil pour autrui et, n’étant pas ses clients, ils ne peuvent pas plus lui reprocher un défaut de conseil à leur encontre,

– il n’a jamais eu connaissance de la donation effectuée le 9 octobre 2009, ni que le bien objet de la donation avait été vendu avec le jour même acquisition d’un nouveau bien,

– il n’a jamais conseillé aux consorts [V], parents ou enfants, de mettre en oeuvre la donation litigieuse, de sorte qu’il ne peut pas lui être reproché un défaut de conseil sur une opération qu’il ignorait,

– les attestation du 18 juin 2018 établies par les parents [V] a posteriori l’ont été pour les besoins de la cause,

– l’attention des parents [V] a été attirée sur les conséquences de l’opération qu’ils envisageaient par un courrier du notaire en date du 23 juillet 2009,

– s’il était celui qui avait conseillé cette donation litigieuse, il est évident que les époux [V] ne lui auraient pas donné mandat d’assurer leur défense dans le cadre de la procédure initiée à leur encontre par la Société générale.

Il est constant que M. [G] n’a pas reçu de mandat de la part de MM. [V].

Il résulte des pièces produites que M. [G] a assisté les époux [V] devant le tribunal de grande instance de Melun dans la procédure initiée le 7 juin 2013 par la Société générale aux fins d’inopposabilité de la donation mais qu’il n’était pas leur conseil devant le tribunal de commerce de Melun puis la cour d’appel de Paris dans la procédure qui a abouti à leur condamnation envers la Société générale au paiement de la somme principale de 321 840,26 euros par jugement du 17 janvier 2011 confirmé par arrêt du 20 décembre 2012.

Le preuve n’est pas rapportée par les deux seules attestations produites par MM. [V], dont il convient de relever qu’elles sont écrites de la même main et dans des termes identiques, émanant de leurs parents, qui ne peuvent pas être considérés comme des tiers objectifs, et indiquant uniquement ‘Sur les conseils de notre avocat nous avons décidé de faire une donation-partage à titre gratuit de notre bien sis à [Localité 10], de ce que M. [G] aurait été le conseil des époux [V] dès 2009 et qu’il leur aurait conseillé la donation-partage litigieuse.

En l’absence de démonstration d’un mandat confié par leurs parents, MM. [V] sont déboutés de leur demande de garantie à son égard.

Sur la demande reconventionnelle de la Scp notariale

La Selas [Z] & associés estime avoir subi un préjudice du fait de cette procédure abusive et vexatoire, qui met en cause sa compétence professionnelle, en ce que les consorts [V] l’ont trompée et que MM. [V] essayent désormais de lui faire supporter les dettes contractées par leurs parents tout en conservant le produit d’une fraude orchestrée pour flouer la Société générale.

MM. [V] répliquent qu’au regard du rôle joué par le notaire dans la rédaction de la donation litigieuse, ses demandes indemnitaires sont injustifiées.

La faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice doit être caractérisée par la partie qui l’invoque.

Si le droit d’accès au juge est un principe fondamental, la fraude paulienne retenue par l’arrêt du 20 mai 2016, et dont ils ont eu connaissance à tout le moins par l’assignation qui leur a été délivrée le 2 mars 2018, confère un caractère particulièrement téméraire à l’appel en garantie formé par MM. [V] à l’encontre du notaire, faisant dégénérer l’exercice de ce droit en abus, action qui comme il le soutient justement, a mis en cause sa compétence professionnelle.

Le préjudice subi du fait de cette procédure abusive sera réparé par la condamnation de MM. [V] à lui payer la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare l’appel recevable,

Déclare recevable l’intervention volontaire du Fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la SA Société générale,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l’action formée par le Fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la SA Société générale, à l’encontre de MM. [C] et [U] [V],

Condamne in solidum MM. [C] et [U] [V] à payer au Fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la SA Société générale, la somme de 257 470 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2018, outre celle de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déclare recevables les appels en garantie formés par MM. [C] et [U] [V] à l’encontre de la Selas [Z] & associés et de M. [M] [G],

Déboute MM. [C] et [U] [V] de leurs demandes à l’encontre de la Selas [Z] & associés et de M. [M] [G],

Condamne in solidum MM. [C] et [U] [V] à payer à la Selas [Z] & associés la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum MM. [C] et [U] [V] aux dépens de première instance et d’appel,

Condamne in solidum MM. [C] et [U] [V] à payer à la Selas [Z] & associés la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum MM. [C] et [U] [V] à payer à M. [M] [G] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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