Your cart is currently empty!
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 17 OCTOBRE 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/12705
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2020 -Tribunal Judiciaire de CRETEIL – RG n° 17/02384
APPELANTE :
S.A. MMA IARD, en qualité d’assureur de [F] [O], notaire
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
INTIMEES :
Madame [U] [W] divorcée [R]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentée par Me Houda MARFOQ, avocat au barreau de PARIS
S.A. CREDIT FONCIER
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentée par Me Frédéric PUGET de la SELARL PUGET LEOPOLD COUTURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R029
INTERVENANTS VOLONTAIRES :
Madame [P] [I] veuve [O] en sa qualité d’ayant droit de [F] [O], notaire
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
Monsieur [Y] [O] en sa qualité d’ayant droit de [F] [O], notaire
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
Madame [B] [O] en sa qualité d’ayant droit de [F] [O], notaire, représenté par son représentant légal Madame [P] [I]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
Monsieur [N] [O] en sa qualité d’ayant droit de [F] [O], notaire,
représenté par son représentant légal Madame [P] [I]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport, et devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour,composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 17 octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, pour la Première Présidente de chambre empêchée et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Par acte notarié du 24 avril 2003, reçu en l’étude de M. [F] [O], M. [S] [R] et Mme [U] [W], son épouse, se sont portés acquéreurs d’un bien immobilier situé au [Adresse 6] à [Localité 12], cadastré section I n°[Cadastre 3], consistant en un appartement de trois pièces (lot n°12), une cave (lot n°19) et un parking (lot n°34).
Aux termes du même acte, valant acceptation d’une offre émise le 6 mars 2003, la société Entenial (aux droits de laquelle vient la société Crédit foncier de France) leur a consenti un prêt d’un montant de 150 000 euros, d’une durée de 240 mois et moyennant un taux d’intérêt de 3,70 %.
Ce prêt a été assorti d’un privilège de prêteur de deniers en premier rang et sans concurrence sur les biens objet de la vente, pour un montant de 140 000 euros, outre une hypothèque conventionnelle. A la requête de M. [F] [O], ces sûretés ont fait l’objet d’une inscription auprès du 1er bureau de la conservation des hypothèques (devenu service de la publicité foncière) de [Localité 13] le 20 mai 2003, avec effet jusqu’au 20 avril 2030.
Par acte notarié du 15 janvier 2009, M. [F] [O] a procédé à la vente du lot n°34 (parking) appartenant aux époux [R].
Le 13 octobre 2010, la radiation totale des inscriptions de privilège et hypothèque sur les biens des époux [R] a été prononcée par le conservateur des hypothèques, à la requête de M. [F] [O].
Par acte notarié du 1er juillet 2011 établi par Me [K], M. [S] [R] et Mme [U] [W] ont vendu les biens correspondant aux lots de copropriété n°12 et 19, pour un prix de 267 000 euros.
Le divorce de M. [S] [R] et Mme [U] [W] a été prononcé par jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil du 13 octobre 2011.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 mai 2015, le Crédit foncier de France a mis en demeure les emprunteurs de lui régler un arriéré de remboursement de 14 989,20 euros, en vain, puis a tenté de procéder à une saisie-vente puis à une saisie-attribution.
C’est dans ces circonstances que, se prévalant d’une faute commise par le notaire instrumentaire, le Crédit foncier de France a fait assigner M. [F] [O] et la société MMA Iard devant le tribunal de grande instance de Créteil par exploits d’huissier des 8 et 9 février 2017, 10 mars 2017 et 13 mars 2017.
Mme [U] [W] divorcée [R] est intervenue volontairement à l’instance.
Par jugement du 3 mars 2020, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Créteil a :
– condamné M. [F] [O] à payer au Crédit foncier de France la somme de 99 490,10 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019 et jusqu’à parfait paiement,
– condamné M. [F] [O] à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement et jusqu’à parfait paiement,
– débouté Mme [U] [W] de sa demande en dommages et intérêts au titre d’une perte de chance de désintéresser son créancier,
– condamné M. [F] [O] au paiement des entiers dépens de l’instance,
– condamné M. [F] [O] à payer au Crédit foncier de France la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [F] [O] à payer à Mme [U] [W] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société MMA Iard à garantir M. [F] [O] de toutes condamnations prononcées à son encontre,
– débouté M. [F] [O] et la société MMA Iard de leur appel en garantie formé à l’encontre de Mme [U] [W].
Par déclaration du 4 septembre 2020, la Sa MMA Iard, en sa qualité d’assureur de M. [F] [O], a interjeté appel de cette décision.
Le 10 septembre 2020, Mme [P] [I] veuve [O], MM. [Y] et [N] [O] et Mme [B] [O], en leur qualité d’ayants droit de [F] [O] décédé, et la Sa MMA Iard, en sa qualité d’assureur de [F] [O], ont également interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 6 septembre 2022, le magistrat en charge de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 5 mars 2021 dans le dossier RG 20.12705 et le 10 mars 2021 dans le dossier RG 20.12856, rédigées en termes identiques, la société MMA Iard, Mme [P] [I] veuve [O], MM. [Y] et [N] [O] et Mme [B] [O], en leur qualité d’ayants droit de [F] [O], demandent à la cour de :
– déclarer recevables les consorts [O] en leur intervention volontaire,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné [F] [O] à payer au Crédit foncier de France la somme de 99 490,10 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019 et jusqu’à parfait paiement,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné [F] [O] à payer à Mme [U] [W] la somme de 3 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement et jusqu’à parfait paiement,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné [F] [O] au paiement des frais irrépétibles et des dépens,
– débouter le Crédit foncier de France de l’intégralité de ses demandes formulées à leur encontre,
– débouter Mme [W] de l’intégralité de ses demandes formulées à leur encontre,
à titre reconventionnel,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté [F] [O] et ‘les Mma’ de leur demande de garantie dirigée contre Mme [W],
– condamner Mme [W] à les garantir de toutes condamnations susceptibles d’être prononcées à leur encontre au profit du Crédit foncier de France,
– condamner le Crédit foncier de France ou tout succombant à verser à [F] [O] (sic) et ‘aux MMA’ la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 7 décembre 2020, dans les deux dossiers, Mme [W] demande à la cour de :
à titre principal :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que :
* [F] [O] a commis une faute civile au sens de l’article 1240 du code civil entraînant sa responsabilité civile à son égard et à l’égard du Crédit foncier de France,
* la faute de [F] [O] lui a fait perdre la chance de pouvoir désintéresser le Crédit foncier de France,
* la société MMA et [F] [O] doivent lui verser la somme de 3 000 euros au titre de cette perte de chance,
* devait être rejetée la demande de garantie formée par la société MMA et [F] [O] à son encontre,
– rejeter les prétentions et demandes des appelants relatives à son enrichissement sans cause,
à titre subsidiaire :
– juger qu’au regard des fautes commises par [F] [O], elle n’a pas à garantir la condamnation de la société MMA et de [F] [O] au titre de l’action de in rem verso (enrichissement sans cause),
à titre plus subsidiaire :
– fixer le montant de garantie des ayants droit de [F] [O] et de la société MMA au titre de l’enrichissement sans cause de Mme [W], à hauteur d’un euro eu égard aux fautes commises par [F] [O], appauvri,
en toute état de cause :
– condamner les ayants droit de [F] [O] et la société MMA solidairement à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les ayants droit de [F] [O] et la société MMA aux dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 21 octobre 2022, la SA Crédit foncier de France demande à la cour de :
– déclarer la société Mma Iard, Mme [P] [O], M. [Y] [O], Mme [B] [O], et M. [N] [O] mal fondés en toutes leurs demandes, et les en débouter,
– confirmer la décision,
– condamner la société Mma Iard, Mme [P] [O], M. [Y] [O], Mme [B] [O], et M. [N] [O] à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [U] [R], la société Mma Iard et [F] [O] (sic) aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 4 avril 2023.
SUR CE,
L’intervention volontaire des ayants droit de [F] [O], qui n’est pas contestée, est recevable.
Sur la responsabilité du notaire
Le tribunal a retenu que [F] [O] avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en sollicitant du conservateur des hypothèques le 13 octobre 2010 la radiation totale des inscriptions prises le 20 mai 2003 par le Crédit foncier de France alors que la procuration accordée par ce dernier dans le cadre de la vente d’un bien immobilier par M. [S] [R] et Mme [U] [W] ne concernait qu’une main-levée partielle.
Les appelants ne contestent pas l’existence de la faute.
Mme [W] soutient que [F] [O] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle en opérant une mainlevée totale sur l’ensemble des biens immobiliers alors que la procuration donnée par le Crédit foncier de France ne l’autorisait qu’à donner une mainlevée partielle de l’hypothèque sur le lot n°34. Elle ajoute qu’il ne l’a jamais informée des conséquences de cette mainlevée totale et des modalités de recouvrement de la dette immobilière du Crédit foncier de France alors qu’il savait que la banque n’avait pas pu recouvrer la totalité de sa créance, ce qu’elle-même ignorait.
Le Crédit foncier de France soutient qu’en donnant mainlevée totale du privilège de prêteur de deniers dont il bénéficiait, le notaire a contrevenu à ses obligations professionnelles, notamment d’assurer l’efficacité de l’acte instrumenté et des mandats confiés, et commis une faute lourde.
La responsabilité du notaire en sa qualité de rédacteur d’acte peut être engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à charge pour celui qui l’invoque d’établir une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Le notaire est tenu d’assurer l’efficacité de l’acte qu’il instrumente et d’informer les parties sur la teneur et les conséquences de celui-ci.
Aux termes de l’acte de vente du 24 avril 2003, reçu par [F] [O] (p 7 et 20), le Crédit foncier de France bénéficiait d’un privilège de prêteur de deniers, lequel a été régulièrement publié auprès de la Conservation des hypothèques le 20 mai 2003.
Par acte sous seing privé en date du 6 janvier 2009, intitulé ‘Procuration pour mainlevée partielle’, le Crédit foncier de France a donné pouvoir à tout clerc de notaire de l’étude de [F] [O] pour ‘procéder à la mainlevée partielle avec ou sans constatation de paiement, avec désistement de tous droits de privilège, hypothèque, action résolutoire et autres droits réels et consentir la radiation de l’inscription prise le 1er septembre 2003 au Bureau des Hypothèques de [Localité 13], 1er bureau volume 2003V numéro 1562, mais en tant seulement qu’elle grève le lot n° 34 dans un ensemble immobilier cadastré section 1 numéro [Cadastre 3] d’une superficie totale de 10a 5ca, situé sur la commune d'[Localité 12] (Val de Marne), [Adresse 4]. L’effet desdits droits et inscriptions demeurant expressément réservé sur le surplus des immeubles hypothéqués.’
Nonobstant les termes clairs et précis de cette procuration, le 6 octobre 2010, [F] [O] a requis le conservateur des hypothèques de procéder à la radiation totale des inscriptions prises le 20 mai 2003, lequel a procédé à la radiation demandée le 13 octobre suivant.
Il n’est pas contesté que [F] [O], qui a excédé les termes du pouvoir qui lui avait été donné, a commis une faute dans l’accomplissement d’une formalité essentielle de l’acte instrumenté, de nature à engager sa responsabilité tant vis à vis du Crédit foncier de France que de Mme [W] qu’il n’a au surplus pas informée des conséquences d’une telle radiation.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Pour condamner [F] [O] au paiement de la somme de 99 490,10 euros, le tribunal a retenu que :
– seul le préjudice certain résultant de la faute d’un notaire peut donner lieu à indemnisation, et la possibilité d’obtenir le recouvrement amiable ou forcé de sa créance fait obstacle à la condamnation du notaire fautif, à défaut pour le demandeur de démontrer l’insolvabilité du débiteur,
– le Crédit foncier de France n’a eu connaissance de la radiation totale de ses inscriptions de privilège que postérieurement à la vente des lots n°12 et 19, dans la mesure où le notaire ne l’en a pas informé et n’a pas eu connaissance de la vente, son information n’étant pas requise en l’absence d’inscriptions à purger,
– le Crédit foncier de France n’ayant pu bénéficier des garanties dont il disposait sur les biens immobiliers des époux [R], le préjudice résultant de la faute du notaire revêt un caractère certain, excédant la seule perte de chance, dans la mesure où le produit de la vente aurait permis de le désintéresser de manière certaine,
– le Crédit foncier de France rapporte la preuve de l’insolvabilité de ses débiteurs,
– en l’absence d’élément permettant d’étayer la demande de condamnation au paiement d’intérêts au taux de 1,75%, la somme de 99 490,10 euros doit être assortie des intérêts au taux légal.
Les appelants soutiennent que :
– la banque ne rapporte pas la preuve d’un préjudice réel et certain, qui serait en lien de causalité avec les fautes reprochées au notaire, l’erreur commise ne constituant nullement la cause exclusive des préjudices,
– seuls les époux [R] sont redevables des sommes dues au titre du prêt qu’ils ont souscrit auprès du Crédit foncier de France et ces derniers ont manifestement continué à procéder à des remboursements entre 2011 et 2015,
– le Crédit foncier de France ne justifie pas qu’il serait dans l’impossibilité de recouvrer les sommes dues auprès des débiteurs, de sorte que le préjudice allégué ne constitue pas un préjudice indemnisable par le notaire et son assureur,
– le Crédit foncier de France peut tout au plus prétendre à une perte de chance de percevoir plus rapidement le règlement de sa créance, laquelle ne saurait correspondre à l’intégralité des sommes réclamées.
Le Crédit foncier de France fait valoir que :
– par la faute du notaire, il n’a pas pu lors de la vente des lots 12 et 19 appartenant aux époux [R] faire valoir sa sûreté et obtenir le règlement intégral de sa créance privilégiée,
– ce préjudice ne lui a été révélé qu’après qu’il a mis en demeure le 21 mai 2015 les époux [R] d’avoir à solder le montant de leur arriéré à défaut d’une exigibilité du prêt, puis l’exigibilité anticipée prononcée, à la réception de la fiche de renseignements de la publicité foncière,
– la faute de [F] [O] l’a donc exposé au risque avéré d’impossibilité de mise en ‘uvre d’une garantie pour le recouvrement de sa créance et le contraint désormais à faire face à l’insolvabilité des débiteurs principaux sans bénéficier de garantie réelle,
– il rapporte la preuve de l’insolvabilité des époux [R] par la production de deux saisies-ventes et de deux saisies-attributions infructueuses,
– la faute du notaire est la cause exclusive du préjudice,
– l’anéantissement de sa garantie ne constitue pas une perte de chance mais un préjudice actuel et certain car en l’absence de faute la garantie sur les biens immobiliers lui aurait permis d’être intégralement réglé de sa créance,
– en tout état de cause, la chance d’être réglé de la totalité de sa créance à la suite de la vente par les époux [R] des lots 12 et 19 est réelle et sérieuse puisque le prix de vente était supérieur au montant de sa créance,
– la question de la solvabilité des époux [R] n’est pas une cause exonératoire de la responsabilité du notaire car au moment de la vente leur solvabilité était sans incidence sur le fait qu’il aurait dû par l’effet de sa garantie être réglé du montant total de sa créance,
– surabondamment, le notaire l’a définitivement privé de sa liberté de choix édictée à l’article 111-7 du code des procédures civiles d’exécution et d’exercer toute voie d’exécution forcée compatible avec les garanties dont il bénéficiait.
La responsabilité d’un professionnel du droit ne présente pas de caractère subsidiaire et est certain le dommage subi par l’effet de sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice.
Il est établi que par acte de Me [K], notaire, du 1er juillet 2011, les époux [R] ont vendu les lots 12 et 19 du bien immobilier leur appartenant, moyennant un prix de vente de 267 000 euros, le Crédit foncier de France n’étant pas informé par le notaire instrumentaire de cette vente, en l’absence d’inscription de sûreté à son profit sur ces lots consécutivement à la faute du notaire.
Le versement du prix de vente par Me [K] à M. [R] démontre d’une part que ce notaire n’a pas eu connaissance du privilège existant puisque si tel avait été le cas il aurait été dans l’obligation de verser à la banque partie du prix de vente à hauteur du montant de sa créance et d’autre part qu’il n’y avait pas d’autre créancier inscrit.
Le Crédit foncier de France a donc été privé, par la faute de [F] [O], de la possibilité de bénéficier de son privilège de prêteur de deniers inscrit en premier rang à hauteur de 140 000 euros et en conséquence d’obtenir dès la réalisation de la vente le remboursement de sa créance, qui s’élevait à cette date à une somme inférieure au prix de vente, puisqu’elle était de 97 596,48 euros au 31 août 2015.
Ce préjudice, qui est direct et certain, sans pouvoir être analysé en une perte de chance, est en lien direct et exclusif avec le manquement du notaire à son obligation de diligence quant à la radiation des inscriptions de privilège.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont condamné [F] [O] à payer au Crédit foncier de France la somme de 99 490,10 euros, selon décompte arrêté au 18 juin 2019, sauf à fixer les intérêts au taux légal à compter du jugement qui constate la créance indemnitaire.
Sur la demande en paiement de dommages et intérêts formée par Mme [U] [W]
Le tribunal a jugé que :
– la faute du notaire à l’égard de la banque constitue également une faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme [W] dès lors que le non-remboursement l’a privée d’une chance réelle et sérieuse de ne plus être en situation de débitrice,
– toutefois, si la faute du notaire a bien fait perdre à Mme [W] une chance de désintéresser son créancier lors de la vente du 1er juillet 2011, aucun préjudice direct n’est cependant caractérisé en lien avec cette perte de chance, dans la mesure où [F] [O] a été condamné à réparer l’entier préjudice subi par le Crédit foncier de France,
– une condamnation du notaire au paiement d’une somme de 90 414,96 euros aboutirait à une double indemnisation,
– en revanche,la faute du notaire a fait perdre une chance réelle et sérieuse à Mme [W] de ne pas subir de saisie-attribution sur ses comptes,
– le montant de l’indemnisation, qui ne peut être équivalent au montant saisi puisque le produit de la saisie a partiellement désintéressé le créancier, est estimé à la somme de 3 000 euros.
Les appelants considèrent d’une part que la somme de 97 596,48 euros n’est pas un préjudice indemnisable par le notaire et son assureur sauf à ce que les emprunteurs bénéficient d’un enrichissement sans cause, et d’autre part, que Mme [W] ne justifie d’aucun préjudice indemnisable au titre de la perte de chance d’éviter la saisie-attribution, rappelant qu’elle ne conteste pas devoir les sommes réclamées par le Crédit foncier de France. Ils font valoir qu’elle ne peut sérieusement soutenir qu’elle pensait que la dette de 97 596,48 euros était ‘apurée’, alors que la somme de 266 445,42 euros a été remise aux époux [R] sur le prix de vente, en sorte qu’elle ne pouvait ignorer que le prêt octroyé par le Crédit foncier de France n’avait pas été intégralement remboursé.
Mme [W] affirme que la faute de [F] [O] est la cause exclusive de son préjudice, lequel est constitué de la perte de chance de régler la totalité de la dette immobilière au moment où le prix de vente a été versé par le notaire à son ex-époux, soulignant qu’à ce jour elle est insolvable et ne peut régler la somme de 97 596,48 euros au Crédit foncier de France. Elle ajoute que si elle avait su qu’il y avait eu une mainlevée totale de l’inscription de privilège sur le bien immobilier et que l’entier prix de vente avait été remis à son ex-conjoint, elle aurait pu exiger du notaire ayant réalisé la vente de séquestrer une partie du prix pour régler le Crédit foncier de France.
Mme [W], qui sollicite à titre principal, la confirmation du jugement ne sollicite plus à hauteur d’appel la condamnation de [F] [O] à lui payer la somme de 90 414,96 euros correspondant au préjudice résultant de la perte de chance de régler sa dette au moment de la vente sur le prix de vente du bien immobilier.
Les appelants affirment sans le démontrer que Mme [W] ne pouvait ignorer que le prêt accordé par la banque n’avait pas été intégralement remboursé en suite de la vente.
Les pièces produites, notamment le relevé de compte-chèques de Mme [W], établissent au contraire que le solde du prix de la vente n’a pas été versé par Me [K] à cette dernière mais qu’elle n’a bénéficié que d’un versement de 73 586,68 euros opéré le 24 mai 2011 par son ex-époux, de sorte qu’elle a légitimement pu croire au regard des sommes concernées que le solde du prêt immobilier avait été payé.
En raison de la faute du notaire, Mme [W] a perdu une chance très sérieuse, devant être évaluée à 90%, de rembourser son prêt immobilier à la date de la vente, par la mise en oeuvre des suretés ou si elle avait été informée des conséquences de la radiation par la mise sous séquestre d’une partie du prix de la vente, et donc de ne pas subir les conséquences de la procédure de saisie-attribution réalisée par le Crédit foncier de France sur son compte le 6 décembre 2018 et débloquée le 14 janvier 2019 à hauteur de 7 181,52 euros.
Mme [W] limitant le montant de sa demande d’indemnisation à la somme de 3 000 euros, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué cette somme en réparation de son préjudice.
Sur l’appel en garantie formée par les appelants à l’encontre de Mme [W]
Le tribunal a débouté [F] [O] et la société MMA Iard de leur demande de garantie formée à l’encontre de Mme [W] au motif qu’il n’est pas établi que le patrimoine de Mme [W] a été enrichi sans cause au détriment de celui de [F] [O], dès lors que c’est par son fait personnel qu’il a été appauvri.
Les appelants prétendent que la condamnation prononcée à l’encontre de [F] [O] et des MMA au profit du Crédit foncier, correspondant à l’intégralité de la créance dont fait état la banque, aboutit à désintéresser le créancier, alors même que Mme [W] ne conteste pas être redevable de ces sommes, mais pensait que la banque avait été désintéressée lors de la vente du bien. Ils concluent qu’il en résulte bien un enrichissement sans cause qui justifie la demande de garantie formulée à son encontre.
Mme [W] répond que :
– les éléments constitutifs de l’enrichissement sans cause ne sont pas remplis en ce qu’il n’y a pas de lien entre son prétendu enrichissement et l’appauvrissement, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur celui qui se prétend appauvri,
– il n’y a pas d’appauvrissement des appelants (sic) à son profit puisque le Crédit foncier de France agit dans le but de faire condamner le notaire en responsabilité civile, c’est donc sa propre faute civile qui conduit à appauvrir les appelants, dans le but de réparer le préjudice qui en résulte pour le Crédit foncier et son préjudice à elle corrélativement,
– si la cour souhaitait accueillir la théorie de l’enrichissement sans cause, elle ne pourrait pas entrer en voie de condamnation à son égard car la Cour de cassation a jugé que l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri (1ère Civ 19.03.2015 RG 14-10075) et qu’en application de l’article 1303-2, alinéa 2, du code civil, la faute de l’appauvri peut conduire à une modération de l’indemnisation,
– la faute commise par [F] [O] est d’une particulière gravité, notamment eu égard aux obligations auxquelles les notaires, officiers publics et ministériels, doivent répondre et à la vigilance dont ils doivent faire preuve dans l’exercice de leurs missions, de sorte qu’elle ne peut donner lieu à une garantie de la part de Mme [W],
– en tout état de cause, la cour devra modérer l’indemnisation à 1 euro.
La condamnation du notaire au bénéfice de Mme [W] étant prononcée au titre de la mise en oeuvre de sa responsabilité civile professionnelle résultant de dispositions légales, il est mal fondé à se prévaloir d’un enrichissement sans cause à ce titre.
Le jugement doit donc également être confirmé en ce qu’il a débouté les appelants de leur demande de garantie.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant dans les limites de l’appel,
Déclare recevable l’intervention volontaire de Mme [P] [I] veuve [O], MM. [Y] et [N] [O] et Mme [B] [O], en leur qualité d’ayants droit de [F] [O],
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a assorti la somme de 99 490,10 euros des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019,
Statutant à nouveau de ce chef,
Dit que la somme de 99 490,10 euros sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2020,
Condamne in solidum la SA MMA iard, Mme [P] [I] veuve [O], MM. [Y] et [N] [O] et Mme [B] [O], en leur qualité d’ayants droit de [F] [O], à payer à Mme [U] [W] et à la Sa Crédit foncier de France la somme de 3 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la SA MMA iard, Mme [P] [I] veuve [O], MM. [Y] et [N] [O] et Mme [B] [O], en leur qualité d’ayants droit de [F] [O], aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE POUR LA PREMIERE PRESIDENTE EMPECHEE