Responsabilité du Notaire : 17 janvier 2024 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/04705

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Responsabilité du Notaire : 17 janvier 2024 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/04705
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N° RG 21/04705 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NVBC

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Saint-Etienne au fond du 31 mars 2021

RG : 19/00383

S.A.R.L. RUBIS IMMOBILIER

C/

[I]

Société SCP [V] ET ASSOCIES

S.A. ALLIANZ IARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 17 Janvier 2024

APPELANTE :

La SARL RUBIS IMMOBILIER, immatriculée au RCS de SAINT-ETIENNE sous le n° 794 635 896, dont le siège social est [Adresse 2] à [Localité 8] prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

Représentée par Me Laurent PRUDON, avocat au barreau de LYON, toque : 533

Ayant pour avocat plaidant Me Benjamin MEUNIER de la SELARL TOURNAIRE – MEUNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉS :

1° M. [N] [I]

[Adresse 3]

[Localité 5]

2° La société ALLIANZ IARD, Société Anonyme immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le n°542 110 291, ayant son siège social [Adresse 1]

En qualité d’assureur de Monsieur [I]

Représentés par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

Ayant pour avocat plaidant Me Eric MANDIN de la SARL MANDIN – ANGRAND AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

SCP [V] ET ASSOCIES

[Adresse 7]

[Localité 6]

Signification de la déclaration d’appel à personne habilitée le 18 octobre 2021

Défaillante

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 09 Mai 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 Novembre 2023

Date de mise à disposition : 17 Janvier 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Bénédicte BOISSELET, président

– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

– Véronique DRAHI, conseiller

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Exposé du litige

Le 16 juin 2015, la société Rubis Immobilier, aménageur lotisseur, a conclu avec les consorts [E]-[O] un avant-contrat de vente d’un terrain à aménager en lotissement situé dans la commune de [Localité 8] (département de la Loire).

La société Rubis Immobilier a signé, en date du 10 juillet 2015, une convention de maîtrise d”uvre avec [N] [I], géomètre expert, assuré en responsabilité civile professionnelle par la compagnie Allianz, pour la réalisation du lotissement.

Un permis d’aménager a été accordé par la commune de [Localité 8] le 7 mars 2016.

Au mois de juin 2016, le géomètre a réalisé les travaux de bornage du périmètre de l’opération au contradictoire de l’ensemble des riverains qui l’ont signé.

Les travaux d’aménagement du lotissement ont commencé au cours de l’été 2016.

Le 24 novembre 2016, le géomètre a fait publier les parcelles du lotissement créé au service du cadastre.

Par deux actes authentiques du 6 décembre 2016 établis par Maître [C] [V], Notaire au sein de la SCP [C] et Mathieu [V], la société Rubis Immobilier a acquis l’unité foncière à aménager en lotissement.

[P] [M] est propriétaire de la parcelle cadastrée section BO N°[Cadastre 4], parcelle agricole et qui est enclavée.

Il bénéficiait auparavant d’une servitude de passage pour accéder à son fonds.

Dans le cadre du nouveau lotissement créé, il bénéficiait d’une servitude de passage entre les lots 11 et 12.

Un plan de servitude a été établi au mois d’avril 2016, plan qu’il a contesté aux motifs que sa largeur ne lui permettait pas de faire passer ses engins agricoles, notamment sa moissonneuse batteuse.

Aux motifs qu'[N] [I] avait commis une faute dans l’exécution de la mission qu’elle lui avait confiée, qu’en raison de cette faute elle avait dû faire procéder à l’établissement d’une nouvelle servitude pour que [P] [M] puisse exploiter son fonds, ce qui avait été pour elle à l’origine de frais importants, la société Rubis Immobilier a, le 24 janvier 2019, assigné [N] [I] et son assureur, la compagnie Allianz, devant le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne aux fins de le voir au principal condamner à l’indemniser de son préjudice.

Le 26 août 2019, [N] [I] et la compagnie Allianz ont assigné en intervention forcée Maître [C] [V] et la SCP notariale [C] et Mathieu [V], aux motifs que l’ensemble des servitudes n’a pas été acté dans les actes authentiques de vente du terrain.

Par jugement du 31 mars 2021, le Tribunal judiciaire de Saint-Etienne a :

DÉBOUTÉ la société Rubis Immobilier de sa demande tendant à la condamnation in solidum d'[N] [I] et de la compagnie Allianz au paiement de la somme de 42 654,72 euros TTC avec indexation ;

DÉCLARÉ sans objet l’appel en cause effectué par [N] [I] et la compagnie Alliance à l’encontre de Maître [C] [V] et la SCP [C] [V] et Mathieu [V] ;

DÉBOUTÉ la société Rubis Immobilier de sa demande tendant à la condamnation d'[N] [I] et de la compagnie Allianz pour résistance abusive ;

CONDAMNÉ la société Rubis Immobilier à verser à [N] [I] et la compagnie Allianz la somme de 1 600 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNÉ [N] [I] et la société Allianz à verser à Maitre [C] [V] et à la SCP [C] [V] et Mathieu [V] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNÉ la société Rubis Immobilier aux entiers dépens ;

REJETÉ les demandes plus amples ou contraires formée par les parties.

Le Tribunal a retenu en substance qu’aucune faute contractuelle du géomètre n’était établie, alors que :

La convention du 10 juillet 2015 liant le géomètre à la société Rubis Immobilier ne prévoit pas expressément que la mission du géomètre-expert comprenait la prévision d’une servitude d’une largeur suffisante pour permettre le passage d’engins agricoles de très grande taille ;

Il ressort des pièces versées aux débats qu’une servitude permettant d’accéder au fonds des consorts [M] avait déja été créée le 30 septembre 1970 par acte notarié, que cette servitude, d’une largeur de trois mètres, permettait le passage d’engins agricoles d’un gabarit supérieur à sa largeur, et que c’est du fait de l’édification d’un mur de clôture à la suite du nouveau bornage que le passage entre les lots n°11 et n°12, pourtant d’une largeur de 3,3 mètres, se révèle insuffisant pour permettre le passage d’une moissonneuse batteuse ;

Il est donc non contestable que le géomètre a tenu compte de l’existence d’une servitude dans le cadre de sa mission d’établissement du projet de lotissement ;

La société Rubis Immobilier ne rapporte pas la preuve qu’elle a porté à la connaissance du géomètre-expert que la servitude devait être d’une largeur suffisante pour permettre le passage de moissonneuses batteuses ;

Par ailleurs, [P] [M] a signé le procès-verbal de bornage établi par [N] [I] sans émettre la moindre réserve, alors que ce document permettait de fixer les limites de propriété et donc nécessairement d’apprécier la largeur du passage et l’assiette de la servitude afférente.

Par acte régularisé par RPVA le 28 mai 2021, la société Rubis Immobilier a interjeté appel de l’intégralité des chefs de décision figurant au dispositif du jugement du 31 mars 2021, dont elle a repris les termes dans sa déclaration d’appel, à l’exception des chefs de décision déclarant sans objet l’appel en cause du notaire effectué par [N] [I] et son assureur et les condamnant à payer au notaire une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Cet appel n’étant dirigé qu’à l’encontre d'[N] [I] et de la compagnie Allianz, ces derniers ont régularisé par assignation un appel provoqué à l’encontre de Maître [C] [V] et de la SCP [C] et Mathieu [V].

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 3 février 2022, la société Rubis Immobilier demande à la cour de :

Vu les articles 1103 et 1104 nouveaux du Code civil, 699 et 700 du Code de procédure civile,

LA DÉCLARER recevable et bien fondée en ses demandes,

INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Saint -Etienne en date du 31 mars 2021.

Statuant à nouveau,

JUGER qu'[N] [I] a commis des fautes dans l’exécution de ses obligations contractuelles en ce qu’il n’a omis de prendre en compte l’accord de [P] [M] pour l’établissement de la servitude de passage d’une largeur suffisante,

JUGER qu'[N] [I] a commis des fautes dans l’exécution de ses obligations contractuelles en ce qu’il a omis de prendre en compte une largeur suffisante au titre des servitudes de passage entre les lots n°11 et n°12 sur le plan de bornage du lotissement.

En conséquence,

CONDAMNER in solidum [N] [I] et la compagnie Allianz au paiement de la somme de 42 654,72 euros TTC au profit de la société Rubis Immobilier en réparation de son préjudice,

JUGER que cette somme sera indexée à l’indice BT01 du coût de la construction à compter de la mise en demeure adressée par le conseil de la société Rubis Immobilier le 2 juin 2017,

FAIRE application de l’anatocisme,

DÉBOUTER [N] [I] et la compagnie Allianz de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER in solidum [N] [I] et la compagnie Allianz au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

CONDAMNER in solidum [N] [I] et la compagnie Allianz à la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER in solidum [N] [I] et la compagnie Allianz aux entiers dépens en ceux compris le coût de la consultation de Monsieur [Y] [W], dont distraction au profit de la Maitre Prudon, sur son affirmation de droit.

L’appelante expose :

Que les missions contractuelles confiées au géomètre comprenaient notamment la réalisation du bornage du périmètre de l’opération et que pour la réalisation du permis d’aménager, le géomètre a établi un plan de servitude en complément du plan de bornage contractuellement prévu ;

Que dans le cadre de l’établissement de ce plan de servitude, il a commis une faute en ne recueillant pas l’accord d’un propriétaire du fond enclavé quant à la largeur suffisante de la servitude de passage pour permettre le passage d’engins agricoles ;

Que cette faute a engendré un important préjudice financier pour la société Rubis Immobilier, dans l’obligation de faire réaliser en urgence et pour un coût financier très important un nouvel accès au fond enclavé permettant l’accès aux engins agricoles.

La société Rubis Immobilier soutient en premier lieu qu'[N] [I] a manqué à son devoir de conseil.

Elle fait valoir à ce titre :

Qu’il appartenait au géomètre d’attirer l’attention de la société Rubis Immobilier sur la largeur suffisante de la servitude de passage à prendre en compte, du fait de l’enclavement des parcelles agricoles derrière le lotissement nouvellement créé et par ailleurs de recueillir l’accord de l’ensemble des parties dans le cadre du projet de servitude de passage ;

Qu’en l’espèce, il a commis une faute en limitant à 3,3 mètres la largeur de la servitude de passage au niveau des lots n°11 et n°12 du projet de lotissement ;

Qu’il n’est pas reproché au géomètre de manquement dans l’établissement des plans de bornage comme tentent de le faire admettre les intimés, mais de n’avoir pas pris en compte une largeur suffisante au titre d’une servitude de passage dans la réalisation des plans de bornage, au titre de son devoir de conseil ;

Qu’en effet, le bornage de l’opération nécessitait obligatoirement la prise en compte des différentes servitudes existantes, qu’elle avait par deux mails attiré l’attention du géomère sur la nécessité impérieuse de prendre en compte l’existence de servitudes de passage tels qu’instituées par l’acte notarié du 9 juin 1971, ce qu’il n’a pas fait en ne prévoyant qu’une largeur de 3,3 mètres entre les lots n°11 et n°12 pour l’exercice de cette servitude, ce qui est notoirement insuffisant.

Elle précise :

Que les différents acquéreurs des lots ont chacun construit leur maison d’habitation et ont procédé à la construction de murs séparatifs de propriété ;

Que de ce fait, la largeur initiale envisagée par le géomère, soit 3,3 mètres,qui pouvait se concevoir pour le passage d’engins agricoles en l’absence de mur, est devenue inadaptée, ce qu’a confirmé Monsieur [W], qu’elle a saisi d’une demande de consultation ;

Qu’elle a donc été dans l’obligation de trouver un autre accès aux parcelles agricoles appartenant à [P] [M] le long du lot n°13.

Elle fait valoir en second lieu qu’en raison de la faute commise, le géomètre doit l’indemniser des surcoûts qu’elle a du engager pour modifier la servitude de passage initialement prévue, indiquant :

Qu’elle a dû procéder à l’acquisition supplémentaire d’un droit de passage le long du lot n°13 et verser à son propriétaire, Madame [K], une indemnité de 7 000 euros ;

Qu’une constitution de servitude a été réalisée par acte notarié du 22 mai 2017, ce qui a engendré des frais notariés supplémentaires pour la somme de 1 700 euros ;

Que par ailleurs, des travaux importants de couverture d’un bassin d’orage ont été nécessaires pour permettre la sortie des engins agricoles le long de la parcelle n°13, travaux s’élevant à la somme de 33 954,72 euros TTC et réalisés par la société Courbon.

Elle indique enfin que, compte tenu de l’absence de réponse aux différents courriers de mise en demeure adressés à [N] [I], il doit également être condamné in solidum avec la compagnie Allianz au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Aux termes de leurs dernières écritures, régularisées par RPVA le 15 avril 2022, [N] [I] et la compagnie Allianz son assureur demandent à la cour de :

Vu les articles 1103, 1104 et 1112-1 du Code civil, Vu l’article L.112-6 du Code des assurances,

A titre principal,

CONFIRMER l’ensemble des chefs de jugement querellés (dont ils reprennent les termes dans le dispositif de leurs écritures) ;

A titre subsidiaire,

DIRE ET JUGER que Maître [C] [V] et la SCP [C] [V] et Mathieu [V] ont commis des fautes en lien de causalité direct et certain avec les préjudices invoqués, de nature à engager leur responsabilité ;

DIRE ET JUGER que Maître [C] [V] et la SCP [C] [V] et Mathieu [V], en leur qualité de notaire instrumentaire, ont manqué à leurs obligations professionnelles lors de la rédaction des actes authentiques du 6 décembre 2016, en ne reportant pas les servitudes de passage figurant sur le plan de bornage établi par [N] [I] ;

DIRE ET JUGER que ces manquements participent a minima à 75 % à la survenance des désordres invoqués par la société Rubis Immobilier ;

DIRE ET JUGER que les éventuelles condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ne pourraient être que ramenées à de plus justes proportions, sans dépasser 25 % du montant des préjudices invoqués, si la responsabilité du Géomètre-Expert venait à être démontrée ;

CONDAMNER Maître [C] [V] et la SCP [C] [V] et Mathieu [V] in solidum, ou à défaut l’un d’entre eux, à relever et garantir [N] [I] et la compagnie Allianz Iard de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ;

En tout état de cause,

DIRE ET JUGER que la société Rubis Immobilier ne rapporte pas la preuve de l’existence et du quantum de ses préjudices ;

DIRE ET JUGER qu’en application de l’article L.112-6 du Code des assurances, la compagnie Allianz Iard ne peut être tenue au-delà des limites de son contrat (garantie, plafond et franchise) ;

CONDAMNER la société Rubis Immobilier ou tout autre succombant, à verser à la Compagnie Allianz Iard une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Les intimés font valoir à titre principal qu’aucune faute contractuelle d'[N] [I] n’est démontrée, en ce que :

Sur la base de l’arrêté du permis d’aménager du 7 mars 2016, [N] [I] a défini, après bornage au mois de juin 2016, les limites périphériques du lotissement en accord avec les riverains, dont les consorts [M] ;

Les travaux de bornage de la limite périphérique du lotissement côté fonds [M] grevé de servitudes de passage créées par acte du 9 juin 1971, ont été adoptés par lesdits consorts en juin 2016 sans observations particulières et n’ont jamais fait l’objet de contestation, notamment sur l’assiette du passage décidée ;

Le géomètre a parfaitement tenu compte, dès la phase d’étude d’avant-projet, de la servitude de passage au profit des consorts [M] puisqu’un passage était réservé à cet effet entre les lots n°11 et n°12 ;

Il appartenait à la société Rubis Immobilier, conformément à son obligation de loyauté contractuelle, d’informer le Géomètre-Expert de l’usage spécifique de la servitude et du gabarit particulier des engins devant l’emprunter, ce qu’elle n’a pas fait, se limitant à lui signaler qu’il fallait tenir compte de l’existence de la servitude de passage et non de son assiette ;

De surcroît, alors que cette servitude, d’une largeur de 3 mètres, a été créée en 1971 par acte notarié et que jusqu’en 2017, l’assiette de la servitude n’a posé aucune difficulté pour l’exploitation du fonds dominant, ce n’est que si le géomètre avait prévu une largeur inférieure à celle figurant dans l’acte constitutif que sa responsabilité aurait pu être recherchée, ce qui n’est pas le cas puisqu’a été prévue une largeur supérieure de 3,3 mètres ;

Il n’est pas démontré que l’exploitation du fonds dominant ne peut être faite par des engins d’une envergure excédant celle de la servitude ;

Plus généralement, la société Rubis Immobilier ne peut rechercher la responsabilité contractuelle du géomètre alors qu’elle ne lui a pas transmis les éléments d’information techniques qui lui étaient nécessaires.

En second lieu, à titre subsidiaire et au cas où il serait retenu que le géomètre a manqué à ses obligations contractuelles, les intimés font valoir que la responsabilité du géomètre ne peut être engagée à défaut de démonstration d’un préjudice en lien direct avec le prétendu manquement.

Elle soutient que ce n’est pas le cas en l’espèce, le préjudice allégué par la société Rubis Immobilier ne résultant que d’une erreur commise par le notaire, alors que :

C’est au notaire qu’il appartient d’instrumenter les servitudes de passage, ce qui échappe à la compétence du Géomètre-Expert ;

En l’espèce, les deux actes notariés de vente rédigés par Maître [C] [V] le 6 décembre 2016 ne font pas mention de l’existence de servitudes de passage grevant les fonds objet des ventes ;

Le notaire, qui doit veiller à la sécurité des actes qu’il établit ainsi qu’à leur efficacité, n’a apporté aucune sécurité à l’acte de vente constaté du 6 décembre 2016, cette absence de sécurité juridique ayant privé la société Rubis Immobilier d’un moyen lui permettant de limiter les conséquences techniques et économiques consécutives au litige ;

Ainsi, l’omission du notaire instrumentaire est à l’origine des préjudices allégués par la société Rubis Immobilier et la responsabilité du notaire, qui a manqué à son obligation de conseil et de vérification, devait être retenue a minima à hauteur de 75 %.

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, les intimés contestent le quantum des préjudices dont il est demandé réparation, alors que :

Il n’est pas expliqué à quoi correspond la somme de 7 000 euros qui a été versée à Madame [K], ni à quel titre celle-ci a été versée ;

La somme de 1 700 euros pour la rédaction d’un nouvel acte notarié faisant état des servitudes ne peut en aucune façon être mise à la charge du géomètre dès lors que le notaire a commis une faute en ne faisant pas état des servitudes de passage sans les actes d’acquisition.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur la responsabilité contractuelle d'[N] [I]

Aux termes de l’article 1134 ancien du Code civil, applicable à l’espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L’article 1147 ancien du Code civil dispose quant à lui :

‘Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ‘.

Enfin, selon l’article 1353 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

En l’espèce, la convention qui lie les parties est une convention signée le 10 juillet 2015 entre la société Rubis Immobilier et [N] [I], géomètre expert.

Dans cette convention, la société Rubis Immobilier confie à [N] [I] les travaux fonciers et de maîtrise d’oeuvre du lotissement situé sur la commune de [Localité 8], lotissement comportant 14 lots.

Il est précisé qu’il a notamment en charge l’étude et la constitution du dossier de demande de permis d’aménager pour la création de 14 lots, le bornage du périmètre de l’opération, le piquetage du projet et le bornage des lots, la rémunération prévue étant de 1 600 euros HT par lot.

Il n’est pas contesté qu’en exécution de la mission qui lui avait été confiée par la société Rubis Immobilier, [N] [I] a :

constitué le dossier de demande de permis d’aménager et dressé un plan de composition du lotissement, que sur cette base, un arrêté de permis d’aménager a été délivré à la société Rubis Immobilier le 7 mars 2016 ;

établi un plan de bornage et en complément un plan de servitude.

Il ressort en effet d’un acte notarié constitutif de servitude du 9 juin 1971 qu’une servitude d’une largeur de 3 mètres avait déjà été instituée au profit des consorts [M] pour leur permettre d’accéder à leur parcelle et que cette servitude a été déplacée à l’occasion de la réalisation du lotissement, le géomètre prévoyant qu’elle emprunte la voie principale du lotissement puis bifurque en direction de l’ouest pour rejoindre son ancienne emprise en passant entre les lots n°11 et n°12.

En l’espèce, la société Rubis Immobilier ne reproche pas au géomètre d’avoir omis de prendre en compte la servitude de passage au profit du fonds [M]. Elle lui reproche en revanche de n’avoir pas prévu une largeur suffisante pour permettre les passages de moissonneuses batteuses, raison pour laquelle elle indique avoir été contrainte de déplacer la servitude et d’engager à cette occasion des frais supplémentaires importants.

Elle précise à ce titre que s’il existait une précédente servitude d’une largeur inférieure entre les fonds cadastrés, celle-ci devait désormais être d’une largeur supérieure et adaptée, pour tenir compte de ce que les acquéreurs de lots allaient construire des murs pour clôturer leur propriété, ce qui ne permettrait plus le passage des engins agricoles devant accéder au fonds [M].

Pour autant, la cour constate :

Que la société Rubis Immobilier ne rapporte pas la preuve d’avoir averti le géomètre qu’il convenait de tenir compte désormais du passage de moissonneuses batteuses et de leur dimension, les mails dont elle fait état à ce titre se limitant à l’inviter à rappeler la nécessité de ‘gérer les servitudes’ sans qu’il soit fait état d’un impératif à respecter concernant leur assiette ;

Que par ailleurs un plan de bornage du périmètre de l’opération a été établi par le géomètre au mois de juin 2016, en présence de l’ensemble des riverains qui ont tous signé le procès-verbal de bornage, notamment les consorts [M], lesquels en conséquence ont donné leur accord sur les limites qui avaient été définies.

Dans la mesure où la société Rubis Immobilier ne rapporte pas la preuve qu’elle a informé le géomètre de la nécessité d’adapter la largeur de la servitude aux dimensions d’engins agricoles susceptibles de l’emprunter, où par ailleurs le plan de bornage établi par le géomètre a été approuvé et signé par les consorts [M] qui n’ont fait à cette occasion aucune objection, il ne peut être reproché à [N] [I], tenu à une obligation de moyen, d’avoir manqué à ses obligations contractuelles dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée, étant en outre observé que la servitude mise en place par [N] [I] était d’une largeur de 3,3 mètres, soit supérieure à la largeur de la servitude initiale de l’acte du 9 juin 1971.

Pour la même raison, la société Rubis Immobilier n’est pas plus fondée à reprocher à [N] [I] un manquement à son devoir de conseil, dès lors qu’elle ne justifie pas avoir porté à sa connaissance la nécessité d’adapter la largeur de la servitude à une spécificité qu’il ne pouvait connaître, et qu’il lui appartenait au titre de son obligation de bonne foi de lui transmettre l’ensemble des éléments techniques nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

A ce titre, la cour rappelle de nouveau que les consorts [M] ont validé le procès-verbal de bornage et n’ont fait aucune observation à cette occasion et que si, comme l’ont relevé à raison les premiers juges, le procès-verbal de bornage n’est pas un acte constitutif de servitude, il permet néanmoins de fixer les limites de propriété et donc nécessairement d’apprécier la largeur du passage séparant les différentes propriétés et par la même l’assiette des éventuelles servitudes afférentes.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour confirme la décision déférée qui a retenu que la responsabilité contractuelle d'[N] [I] n’était pas engagée et a débouté la société Rubis Immobilier de sa demande visant à condamner in solidum [N] [I] et la compagnie Allianz au paiement de la somme de 42 654,72 euros TTC en indemnisation de son préjudice.

La cour par voie de conséquence la confirme également en ce qu’elle a déclaré sans objet l’appel en cause effectué par [N] [I] et la compagnie Allianz à l’encontre des notaires et a débouté la société Rubis Immobilier de sa demande de condamnation des intimés pour résistance abusive.

2) Sur les demandes accessoires

La société Rubis Immobilier succombant, la cour confirme la décision déférée qui l’a condamnée aux dépens de la procédure de première instance et à payer à [N] [I] et la compagnie Allianz Iard une somme de 1 600 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.

Pour la même raison, la cour condamne la société Rubis Immobilier aux dépens à hauteur d’appel et à payer à la compagnie Allianz la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision déférée dans son intégralité ;

Condamne la société Rubis Immobilier aux dépens à hauteur d’appel ;

Condamne la société Rubis Immobilier à payer à la compagnie Allianz la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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