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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
2ème CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 14 SEPTEMBRE 2023
N° RG 19/06865 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LMKL
SCI DU [Adresse 2]
c/
SCP [Y] [W], [S] [P] ET [H] [W]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 18/10270) suivant déclaration d’appel du 31 décembre 2019
APPELANTE :
Société DU [Adresse 2]
société civile immobilière au capital de 1 000 € ayant son siège social [Adresse 1], immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 451 359 632, prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Laurène D’AMIENS de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Rémy GUILLOT substituant Me Matthieu BARANDAS de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Société [Y] [W], [S] [P] ET [H] [W]
SCP immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro 326 380 060, domiciliée 20
[Adresse 4].
Représentée par Me HARDY substituant Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Paule POIREL
Conseiller : Monsieur Alain DESALBRES
Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU
Greffier : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon un compromis de vente en date du 21 mars 2018 dressé pardevant maître [Y] [W], notaire, la Société Civile Immobilière du [Adresse 2] (la SCI) a promis de vendre à M. [M] [J] un immeuble d’habitation situé au numéro [Adresse 1] dans la commune de [Localité 5], moyennant le prix principal de 1 400 000 euros.
L’acquéreur a déclaré financer cette acquisition au moyen de fonds personnels. La date de réitération a été fixée au 25 juin 2018 au plus tard.
A titre de clause pénale, il a été prévu le versement d’une somme de 140 000 euros par la partie se refusant à exécuter ses engagements.
Le dépôt de garantie de 70 000 euros n’a jamais été déposé par l’acquéreur entre les mains du notaire désigné en qualité de séquestre.
M. [J] ne s’est pas présenté à l’étude suite à la délivrance d’une sommation de comparaître. Un procès-verbal de carence a été dressé le 30 août 2018.
Considérant comme fautifs le refus de M. [J] de réitérer la vente ainsi que le retard du notaire dans son intervention, la SCI a, par acte du 26 octobre 2018, saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une action fondée sur les articles 1217, 1231-1 et 1240 du code civil dirigée contre M. [J] et la SCP [Y] [W] et [U] [L].
Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
– déclaré recevables les demandes soutenues par la SCI à l’encontre de M. [J],
– constaté la caducité du compromis de vente du 21 mars 2018,
– condamné M. [J] à payer à la SCI la somme de 140 000 euros au titre de clause pénale,
– débouté la SCI de sa demande en dommages et intérêts formée contre la SCP [Y] [W] et [U] [L],
– débouté les parties de leurs demandes en indemnité de procédure,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– condamné M. [J] aux dépens,
– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.
La SCI a relevé appel de cette décision le 31 décembre 2019 en ce qu’elle a :
‘- débouté la SCI Montesquieu de sa demande en dommages et intérêts formée contre la SCP [Y] [W] et [U] [L],
– débouté les parties de leurs demandes en indemnité de procédure,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– condamné M. [J] aux dépens,
– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires’.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 03 mai 2022, la SCI demande à la cour, sur le fondement des articles 1217, 1231-1, 1240 code civil, de :
– réformer la décision entreprise en ce qu’elle :
– l’a déboutée de sa demande en dommages-intérêts formée à l’encontre de la SCP [Y] [W] et [U] [L],
– a débouté les parties de leurs demandes en indemnité de procédure,
– a rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
y réformant et statuant à nouveau :
– condamner la SCP [Y] [W] [S] [P] et [H] [W] au paiement :
– de la somme de 70 000 euros en réparation du préjudice subi,
– de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause de première instance,
– de la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel
– des entiers dépens.
Elle fait notamment valoir que :
– En se désintéressant totalement du versement par l’acquéreur du dépôt de garantie et en ne l’alertant pas de cette carence, le notaire a privé d’efficacité la clause de l’acte relative au dépôt de garantie et a de ce fait engagé sa responsabilité ;
– le notaire a manqué à son devoir de conseil en ne la prévenant pas du non paiement du dépôt de garantie ;
– le notaire a omis de solliciter le versement du dépôt de garantie, a tardé à l’en informer, n’a pas donné suite à la demande de sommation formulée le 02 juillet 2018 et s’est manifestement trouvé en conflit d’intérêts ce qui a eu pour effet d’altérer l’objectivité et la qualité de ses conseils ;
– son préjudice es manifeste car elle se trouve privée de la possibilité de percevoir les 70 000 euros de dépôt de garantie qui auraient permis de financer la moitié de la clause pénale ;
– ce préjudice est d’autant plus établi que M. [J] ne peut plus être localisé aujourd’hui comme en atteste le procès-verbal de recherches infructueuses du 27 août 2018, de sorte que la condamnation à l’encontre de ce dernier ne sera pas exécutée ;
– la SCP notariale engage en conséquence sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil, le lien de causalité entre ses fautes et le préjudice est clairement établi.
Suivant ses dernières conclusions notifiées le 16 juin 2020, la SCP [Y] [W] [S] [P] et [H] [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement critiqué en ce qu’il a débouté la SCI des demandes formées à son encontre,
– condamner la SCI à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens.
Elle fait notamment valoir :
– qu’elle n’entend pas contester le manquement qui lui est reproché quant à la tardiveté de l’information donnée à la SCI ;
– qu’il est cependant certain que ce manquement est sans lien de causalité avec le préjudice allégué par la SCI, à savoir l’impossibilité de percevoir la somme de 70 000 euros qui aurait dû être versé par M. [J] ;
– qu’elle n’est pas responsable de la défaillance de l’acquéreur avec lequel la SCI a contracté ;
– qu’elle n’avait nullement à ‘faire diligence’ comme le soutient l’appelante afin que M. [J] honore son engagement ;
– qu’elle n’avait aucun moyen de contraindre M. [J] à tenir ses engagements, seul celui-ci devant répondre de leur inexécution ;
-que ce n’est aucunement en raison d’une information tardive que la SCI a été privée de la possibilité de remettre plus tôt en vente son immeuble puisque elle a elle-même choisi d’attendre 4 mois à compter du jour où elle était informée de la situation pour invoquer la caducité de la vente ;
– qu’il n’est pas démontré, en tout état de cause, que le retard à remettre le bien en vente est susceptible d’avoir occasionné un préjudice à hauteur de 70 000 euros, l’appelante se contentant d’évaluer forfaitairement le préjudice à hauteur du montant du dépôt de garantie alors qu’il n’existe aucun lien entre l’un et l’autre ;
– que la venderesse tente manifestement de pallier la défaillance et l’insolvabilité de son cocontractant en voulant les lui faire supporter.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2023.
MOTIVATION
Sur la responsabilité de la SCP notariale
En droit, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, par application de l’article 1240 du code civil.
La responsabilité du notaire est engagée en cas de non-respect des obligations personnelles et formelles qui lui incombent aux fins de conférer l’authenticité aux actes qu’il dresse.
En sa qualité d’officier public ministériel, il engage sa responsabilité civile extra contractuelle pour les actes qu’il rédige étant redevable d’un devoir d’information et de conseil et d’une obligation d’efficacité de ses actes.
Si, de manière générale, le notaire instrumentaire n’est tenu que d’une obligation de moyen, obligeant le demandeur à rapporter la preuve d’un manquement à son obligation, s’agissant cependant du devoir de conseil, il lui incombe d’établir qu’il a rempli son obligation.
A ce titre, il appartient au notaire d’éclairer et d’attirer l’attention des parties sur la portée de leurs engagements ainsi que sur les effets et les risques des actes auxquels ils prêtent leur concours et de mettre tout en oeuvre pour assurer l’efficacité de ses actes.
Sur le retard dans la transmission d’informations
La SCP notariale admet ne pas avoir averti avec diligence la SCI de l’absence de versement par l’acquéreur du montant du dépôt de garantie.
En tant que destinataire dans sa comptabilité de la somme qui devait être versée par M. [J], elle était donc la mieux informée pour alerter la SCI dès le 06 avril 2018 afin que celle-ci constate la caducité de l’acte comme le lui permettait la clause stipulée en page 8 de la promesse.
Ce n’est que le 20 juillet 2018, soit cinq jours avant la date butoir prévue pour la réitération de la vente, que la venderesse a eu connaissance que l’acquéreur n’était ‘plus disposé à acquérir l’immeuble’.
Ainsi, le retard d’information de la société venderesse imputable à l’officier ministériel peut donc être évalué à une période de deux mois et demi.
En outre, ce n’est que le 23 juillet 2018 que le notaire a répondu à la seconde demande du vendeur, après un premier courrier du 02 juillet demeuré sans réponse, tendant à délivrer une sommation de comparaître à l’acquéreur.
Pour autant, l’appelante soutient de manière inexacte :
– que le notaire s’est montré négligent en ne sollicitant pas en amont M. [J] pour que celui-ci effectue le versement du montant du dépôt de garantie car la réalisation de ces démarches n’entre pas dans ses attributions et sa mission :
– que l’attitude du notaire a privé l’acte de toute efficacité car seule la carence de M. [J] est à l’origine de la caducité du compromis et donc de l’échec de la vente.
En conséquence, une information plus rapide de la part de la SCP notariale sur l’absence de versement par l’acquéreur du dépôt de garantie aurait en tout état de cause été sans incidence sur l’absence de perception du dépôt de garantie par la SCI.
Il est également inexact de prétendre que la négligence de l’officier ministériel a empêché l’appelante de remettre rapidement en vente le bien immobilier dans la mesure où celle-ci a, dés la connaissance de la carence de l’acquéreur, initialement recherché à obtenir la vente forcée et non à s’emparer de ce motif pour constater la caducité de la transaction comme le lui permettait la clause figurant en page 8 du compromis.
Dès lors, le lien de causalité entre le retard d’information imputable à la SCP notariale et le préjudice financier réclamé par la SCI n’est pas établi.
Sur le manquement au devoir de conseil
La SCI reproche également à la SCP notariale de lui avoir indiqué de manière erronée que l’immeuble ne pourrait être remis en vente dans l’attente du résultat d’une procédure qu’elle envisageait d’intenter à l’encontre de M. [J].
Dans ses dernières conclusions, l’intimée répond à raison qu’elle a été bien fondée à informer la venderesse qu’une procédure de vente forcée dirigée contre l’acquéreur bloquerait toute possibilité de remise du bien sur le marché immobilier.
Il doit être constaté que la SCI a d’ailleurs tenu compte de l’information reçue de la part de la SCP notariale :
– en notifiant d’une part à l’acquéreur la caducité de la vente ;
– et d’autre part en ne réclamant à l’encontre de M. [J] que le versement du montant de la clause pénale et non en lui délivrant une assignation afin d’obtenir la vente forcée du bien immobilier.
Dès lors, aucun manquement au devoir de conseil et d’information de la SCP notariale n’est établi.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris ayant rejeté les demandes indemnitaires de la SCI.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
La décision de première instance doit être confirmée. Il n’y a également pas lieu en cause d’appel de mettre à la charge de l’une ou de l’autre des parties le versement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
– Confirme, dans les limites de l’appel, le jugement rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux ;
Y ajoutant ;
– Rejette les demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la société civile immobilière du [Adresse 2] au paiement des dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par M. Alain DESALBRES, conseiller en remplacement de Mme Paule POIREL, président légitimement empêché et par Mme Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,