Responsabilité du Notaire : 14 mars 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/02770

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Responsabilité du Notaire : 14 mars 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/02770
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 21/02770 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FT3V

Minute n° 23/00065

[F]

C/

[L] DIVORCÉE [G]

Tribunal de Grande Instance de NANCY

Jugement du 28 Mai 2018,

Cour d’Appel de Nancy

Arrêt du 30 Septembre 2019

Cour de Cassation

Arrêt du 6 Octobre 2021

COUR D’APPEL DE METZ

1ère CHAMBRE CIVILE

RENVOI APRES CASSATION

ARRÊT DU 14 MARS 2023

APPELANT :

Monsieur [X] [F]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté par Me Laurent ZACHAYUS, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Michel RONZEAU, avocat plaidat au barreau de PONTOISE

INTIMÉE :

Madame [V] [L] DIVORCÉE [G] constitution pour l’intimée au lieu et place de Maître SALANAVE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Thomas ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/005780 du 09/02/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de METZ)

DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 08 Décembre 2022 , l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 14 Mars 2023.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR:

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère

Mme BIRONNEAU, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte authentique du 1er avril 2005 reçu par M. [X] [F], notaire à [Adresse 5], M. [P] [G] et Mme [V] [L] épouse [G] ont régularisé un état liquidatif de communauté sous condition suspensive.

Par jugement du 21 juin 2005, le tribunal de grande instance de Nancy a prononcé la séparation de corps de M. [G] et de Mme [L] et homologué la convention présentée le 12 mai 2005 conclue par les époux et portant règlement des effets de la séparation de corps.

Le divorce a été prononcé par jugement du 26 février 2016.

Soutenant que Maître [F] avait commis une faute professionnelle, car l’état liquidatif aurait été incomplet et aurait sous-évalué les actifs devant revenir à M. [G], Mme [L] a fait assigner M. [F] devant le tribunal de grande instance de Nancy, par acte d’huissier du 27 février 2015, aux fins notamment de le faire condamner à lui payer les sommes de 188 687 euros à titre principal à titre de réparation du préjudice subi, 177 750 euros à titre subsidiaire au titre du préjudice financier subi, 153 600 euros à titre infiniment subsidiaire en réparation du préjudice financier subi, 25 000 euros au titre du préjudice matériel complémentaire subi, 10 000 euros en tout état de cause au titre du préjudice moral subi, 5 000 euros pour les préjudices financier et moral découlant de l’action judiciaire qu’elle a été contrainte d’engager contre la SARL Créatis, 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et 1 400 euros d’indemnité complémentaire au titre des frais d’expertise en évaluation immobilière.

Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de grande instance de Nancy a :

débouté Mme [L] de sa demande de paiement de la soulte tirée de la réévaluation de l’état liquidatif de la communauté des époux [G] du 1er avril 2005,

condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G],

débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre des préjudices accessoires,

débouté Mme [L] de sa demande de remboursement des frais de l’expertise immobilière,

débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts du fait de la procéde à l’encontre de la SARL Créatis,

condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

condamné M. [F] aux entiers dépens de l’instance,

ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.

Pour se déterminer ainsi le tribunal, se fondant sur le régime de la responsabilité délictuelle, a rappelé qu’en matière de liquidation du régime matrimonial, la faute du notaire est constituée lorsqu’il est prouvé que ce dernier dispose d’éléments suffisants pour le faire douter de la véracité des déclarations des époux.

En l’espèce, il a considéré qu’il était établi que M. [F] avait omis d’inscrire dans l’actif de la communauté trois SCI et une EURL ainsi que la renonciation par l’épouse au paiement d’une soulte de 63 650 euros en contrepartie du droit d’usage et d’habitation d’une maison située à [Localité 7], alors que le notaire avait connaissance de cet actif. Il a également considéré que le notaire avait sous-évalué la valeur des immeubles de la communauté, de sorte que sa responsabilité devait être retenue de ce chef.

Sur le paiement de la soulte, le tribunal a débouté Mme [L] aux motifs qu’il n’était pas établi qu’elle aurait renoncé au droit d’habitation en présence d’une soulte plus conséquente et que l’état liquidatif ne mentionnait pas cette décision. Il a précisé que Mme [L] jouissait toujours à titre gratuit de la maison de [Localité 7], de sorte qu’elle ne démontrait l’existence d’aucun préjudice.

Sur les demandes subsidiaires, le tribunal a relevé que Mme [L] avait déjà été indemnisée pour la sous-évaluation de l’immeuble situé [Adresse 1]. Toutefois, il a considéré qu’à la suite de leur vente, deux immeubles attribués à M. [G] avaient été sous-évalués, de sorte que Mme [L], qui avait dû renoncer au principe de la soulte pour ces derniers, a subi un préjudice né, réel et actuel de 32 708,24 euros à ce titre.

Mme [L] a par ailleurs été déboutée de sa demande portant sur le préjudice matériel complémentaire, faute de prouver le préjudice financier qu’elle prétendait avoir subi du fait de l’absence de prise en compte de certains revenus, épargnes et loyers perçus par la SCI.

Le tribunal a néanmoins indemnisé à hauteur de 5 000 euros le préjudice moral de Mme [L] constitué par l’occupation de son logement sans droit ni titre compte-tenu de la délivrance par son ex-mari et son fils d’un commandement de quitter les lieux, M. [F] n’ayant pas mentionné son droit d’occupation dans l’acte d’état liquidatif de la communauté (toutefois cette condamnation ne figure pas dans le dispositif de la décision).

En revanche, le tribunal a débouté Mme [L] de sa demande relative au versement de dommages et intérêts au titre de l’action engagée contre la SARL Créatis, car il a estimé que le lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute tirée des erreurs commises par le notaire lors de la liquidation n’était pas établi.

Enfin, il a rejeté les demandes de remboursement des frais d’expertise au motif que les opérations n’avaient pas d’intérêt, la valeur de l’immeuble situé [Adresse 1] ayant déjà été déterminée par un arrêt de la cour d’appel de Nancy du 18 janvier 2016 et l’immeuble situé [Adresse 2] n’appartenant pas à la communauté.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Nancy du 8 juin 2018, M. [F] a interjeté appel de ce jugement. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 18/01376.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Nancy du 20 juillet 2018, Mme [L] a également interjeté appel de ce jugement. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 18/01795.

Par ordonnance du 28 mai 2019, les deux recours ont été joints et regroupés sous le seul numéro RG 18/01376.

Par ordonnance de référé du 16 août 2018, le premier président de la cour d’appel de Nancy a prononcé l’arrêt de l’exécution provisoire.

Par arrêt du 30 septembre 2019, la cour d’appel de Nancy a :

infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy du 28 mai 2018 sauf en ce qu’il a condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués à M. [G] et a condamné M. [F] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs de décision infirmés et y ajoutant,

déclaré irrecevables les demandes de Mme [L],

condamné Mme [L] à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté Mme [L] de sa demande d’indemnisation au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et d’indemnisation complémentaire au titre des frais d’expertise en évaluation immobilière,

condamné Mme [L] aux dépens d’appel.

Pour se déterminer ainsi, la cour d’appel de Nancy a considéré que l’action en justice intentée par Mme [L] le 27 février 2015 était prescrite concernant les points évoqués dans le courrier du 5 août 2008 en application des articles 2222 et 2224 du code civil.

Elle a toutefois considéré que la question de la sous-évaluation des immeubles communs n’était pas prescrite, Mme [L] ayant eu connaissance de cette problématique le 31 août 2012. Elle a également relevé que les stipulations de l’acte de partage du 1er avril 2005 prévoyaient la rectification des droits des parties en cas de « découverte d’un élément actif ou passif », de sorte que la demande de Mme [L] était bien recevable sur ce point.

La cour d’appel a ensuite relevé que Mme [L] avait déjà obtenu l’indemnisation de son préjudice résultant de la sous-évaluation de l’immeuble situé [Adresse 1]. Elle a néanmoins remarqué que les biens immobiliers attribués à M. [G] avaient fait l’objet d’une sous-évaluation, de sorte qu’il y avait lieu de condamner M. [F] à indemniser le préjudice subi par Mme [L] d’un montant de 32 708,24 euros.

Par ailleurs, la cour n’a pas statué sur l’omission de la condamnation au paiement d’une indemnité au titre du préjudice moral de Mme [L], au motif que l’action sur laquelle elle a fondé sa demande indemnitaire était irrecevable comme étant prescrite.

Mme [L] et M. [F] ont tous deux formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.

Les deux pourvois ont été joints.

Par arrêt du 6 octobre 2021, la cour de cassation a :

cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués à M. [G], l’arrêt rendu le 30 septembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy,

remis, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz,

condamné Mme [L] aux dépens,

en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes,

dit que sur les diligences du procureur général près la cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé.

Pour se déterminer ainsi, la cour de cassation a relevé que la cour d’appel de Nancy n’avait pas constaté que M. [F] disposait effectivement d’éléments lui permettant de déceler ou de suspecter une sous-évaluation manifeste des biens attribués à M. [G], de sorte qu’elle n’avait finalement pas caractérisé la faute délictuelle de ce dernier.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 18 novembre 2021, M. [F] a saisi la cour de céans d’une reprise d’instance après cassation.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées le 12 mai 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [F] demande à la cour de :

le déclarer recevable et bien-fondé en son appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy du 28 mai 2018,

En conséquence,

infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy en date du 28 mai 2018 en ce qu’il l’a condamné à payer à Mme [L] les sommes de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G], 1 500 euros au titre des réparations de son prétendu préjudice moral, 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

rejeter toutes les demandes de Mme [L],

condamner Mme [L] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [F] expose qu’il n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité.

Il admet son obligation d’interroger les parties sur l’état de l’actif et du passif de leur patrimoine à l’occasion de la liquidation de leur communauté, mais il rappelle qu’il n’est pas tenu pour autant d’évaluer de manière approfondie leurs biens immobiliers.

Il soutient en outre qu’il n’est responsable en tant que notaire que des aspects juridiques et non économiques des opérations entreprises, de sorte qu’il ne peut être tenu responsable de l’évaluation des biens réalisée par les parties, sauf s’il a connaissance d’une erreur d’évaluation manifeste. À ce titre, il explique que les deux actes de vente des 24 et 26 octobre 2005 ne lui permettaient pas de suspecter une éventuelle sous-évaluation des biens composant l’état liquidatif du patrimoine établi quelques mois auparavant.

Sur les conclusions adverses, M. [F] soutient que Mme [L] ne démontre l’existence d’aucun élément prouvant le caractère manifeste de la sous-évaluation et susceptible d’engager sa responsabilité, d’autant plus qu’elle ne lui avait jamais confié de mandat en vue d’évaluer les biens en cause.

M. [F] soutient aussi que Mme [L] ne démontre ni l’existence d’un préjudice actuel, certain et direct, ni l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué.

Il rappelle enfin que Mme [L] a déjà obtenu une indemnisation pour son préjudice relatif à la sous-évaluation de l’immeuble situé [Adresse 1] et qu’elle conserve la possibilité d’agir en justice contre son ancien époux pour obtenir une indemnisation.

Par conclusions déposées le 9 novembre 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [L] demande à la cour, au visa de l’article 1240, anciennement 1382 du code civil et de l’article 9 du code de procédure civile, de :

rejeter l’appel de M. [F] et le dire mal fondé,

confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy en date du 30 mars 2018 en ce qu’il a condamné M. [F] à lui payer les sommes de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G], 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

En tout état de cause,

condamner M. [F] à lui payer une indemnité de 6 000 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [F] à supporter les entiers frais et dépens d’appel y compris ceux afférents à la procédure de reprise d’instance après cassation.

Au soutien de ses prétentions, Mme [L] expose que M. [F] a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité, car il n’a pas correctement évalué les immeubles composant l’actif de la communauté.

Elle rappelle que le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l’acte auquel il prête son concours.

Elle souligne que les immeubles en cause, évalués respectivement à 183 000 euros et 122 000 euros dans le cadre de l’état liquidatif du 1er avril 2005, ont finalement été revendus dès le mois d’octobre 2005 au prix de 228 673 et 158 000 euros.

Elle considère qu’en tant que notaire, M. [F] avait pourtant connaissance des prix du marché et de la sous-évaluation des immeubles litigieux. Elle soutient que son préjudice s’élève à la somme de 32 708,24 euros, correspondant à la moitié des montants sous-évalués.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la portée du renvoi de cassation

L’article 638 du code de procédure civile dispose que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Il s’en déduit que la cour d’appel de renvoi ne peut statuer sur les chefs non atteints par la cassation qui bénéficient de l’autorité de la chose jugée.

Par arrêt du 6 octobre 2021, la cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués à M. [G], l’arrêt rendu le 30 septembre 2019 entre les parties par la cour d’appel de Nancy et a remis, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz.

La cour de renvoi est donc seulement saisie de la prétention concernant la faute alléguée de Maître [F] s’agissant des deux immeubles attribués à M. [G] et situés [Adresse 3] et [Adresse 5], ainsi que des demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance.

Il sera relevé que contrairement à ce qu’indique Maître [F] dans le dispositif de ses écritures, le dispositif du jugement ne comprend aucune condamnation au titre du préjudice moral, le paragraphe motivant sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral de Mme [L] n’ayant pas été repris dans le dispositif. Ultérieurement la cour d’appel de Nancy n’a pas statué sur l’omission de la condamnation au paiement d’une indemnité au titre du préjudice moral de Mme [L], au motif que l’action sur laquelle elle a fondé cette demande indemnitaire était irrecevable comme étant prescrite.

Ce chef de la décision n’a pas été cassé et Mme [L] ne présente plus aucune demande au titre de son préjudice moral.

II- Sur la responsabilité du notaire

Il résulte de l’ancien article 1382 du code civil dans sa version applicable au présent litige qu’en tant que professionnel du droit, le notaire est débiteur, à l’égard des parties à l’acte qu’il instrumente, d’une obligation d’information et de conseil. Le notaire doit fournir une information complète et circonstanciée sur l’incidence patrimoniale des actes conclus et les risques qu’ils comportent. Tout manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle.

Ainsi, dans le cadre de la liquidation d’une communauté, le notaire est tenu de vérifier si l’évaluation du bien vendu ou attribué à un époux lors de la liquidation de la communauté présente ou non un caractère dérisoire (sur ce point, voir par exemple Cass. 1re Civ., 20 mars 2014, pourvoi n° 13-15.085).

Le caractère dérisoire ou non de la valeur du bien est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Par ailleurs, commet une faute le notaire, chargé d’établir un état liquidatif de communauté, qui n’alerte pas les parties lorsqu’il dispose d’éléments lui permettant de déceler ou de suspecter que les biens en cause ont été manifestement sous-évalués (voir l’arrêt de cassation ayant donné lieu au présent arrêt de renvoi).

En l’espèce, Mme [L] fait valoir que :

L’immeuble de la [Adresse 6], évalué au prix de 183 000 euros dans l’état liquidatif du 1er avril 2005, a été vendu pour 228 673 euros le 26 octobre 2005, de sorte que sa valeur réelle se serait située à la somme de 219 059,12 euros à la date du 1er avril 2005, compte tenu de l’évolution de l’indice du coût de la construction ;

L’immeuble de la [Adresse 5], évalué au prix de 122 000 euros dans l’état liquidatif du 1er avril 2005, a été vendu pour 158 000 euros le 24 octobre 2005, de sorte que sa valeur réelle se serait située à la somme de 151 357,36 euros à la date du 1er avril 2005, compte tenu de l’évolution de l’indice du coût de la construction.

Néanmoins, il se déduit des chiffres ainsi avancés par Mme [L] que la valeur de l’immeuble de la [Adresse 6] aurait été minorée de 16% environ dans l’état liquidatif et celle de l’immeuble de la [Adresse 5] de 19% environ.

Il ne peut être considéré que la sous-évaluation était manifeste et les prix retenus dans l’état liquidatif dérisoires, les prix de l’immobilier pouvant diverger sur une large fourchette d’un bien à l’autre en fonction de multiples facteurs, dont la localisation exacte de l’immeuble et son état de vétusté.

A titre de comparaison, il sera appelé que s’agissant de l’immeuble situé à [Localité 7], la sous-évaluation manifeste et la faute du notaire en résultant ont été retenues par la cour d’appel de Nancy selon arrêt du 18 janvier 2016 car le prix du bien avait été fixé dans l’état liquidatif presque à la moitié de sa valeur réelle.

Par ailleurs, il est constant que Maître [F] n’avait pas été chargé d’une évaluation approfondie des immeubles de la [Adresse 3] et de la [Adresse 5] et Mme [L] ne rapporte pas la preuve de ce que ce notaire aurait disposé lors de la préparation de l’état liquidatif d’éléments lui permettant de déceler ou de suspecter une sous-évaluation manifeste de ces biens.

Par voie de conséquence, la faute délictuelle de Maître [F] n’est pas établie.

Dans ces conditions, la cour infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G] et statuant à nouveau, rejette cette demande en paiement de Mme [L].

III- Sur les dépens et les frais irrépétibles

La cour infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a condamné M. [F] aux entiers dépens de l’instance et statuant à nouveau, condamne Mme [L] aux dépens de première instance et rejette sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [L] qui succombe sera condamnée aux dépens de l’appel et à ceux engagés devant la cour d’appel de Nancy.

Pour des considérations d’équité, elle sera aussi condamnée à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 26 mai 2018 par le tribunal de grande instance de Nancy en ce qu’il a condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G], en ce qu’il a condamné M. [F] à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a condamné M. [F] aux entiers dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau dans la limite de l’arrêt de renvoi de la cour de cassation,

Rejette la demande de Mme [V] [L] en paiement de la somme de 32 708,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la sous-évaluation des immeubles de la communauté attribués en propre à M. [G] ;

Condamne Mme [V] [L] aux dépens de l’instance ;

Rejette la demande de Mme [V] [L] formée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [V] [L] aux dépens de l’appel et à ceux engagés devant la cour d’appel de Nancy ;

Condamne Mme [V] [L] à payer à M. [X] [F] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente de chambre

 


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