Responsabilité du Notaire : 13 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02435

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Responsabilité du Notaire : 13 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02435
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N° RG 21/02435 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K4Y6

C2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SELARL FAYOL ET ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 13 JUIN 2023

Appel d’un jugement (N° R.G. 19/01019)

rendu par le Tribunal judiciaire de Valence

en date du 27 avril 2021

suivant déclaration d’appel du 31 mai 2021

APPELANTE :

Mme [F] [S]

née le 12 septembre 1933 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. IMMO DE FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Elodie BORONAD de la SELARL FAYOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Joëlle Blatry, conseiller faisant fonction de président

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

Mme Anne – Laure Pliskine conseiller

DÉBATS :

A l’audience publique du 2 mai 2023 Mme Blatry, conseiller chargé du rapport en présence de Mme Lamoine conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Mme [F] [S] est propriétaire, sur la commune de [Localité 1], d’un local commercial à usage de tabac-presse donné à bail commercial pour un montant annuel en 2012 de 2.906,08€.

Selon mandat du 1er février 1984, Mme [S] a confié au cabinet Aulagnier un mandat de gestion de ses biens immobiliers sur [Localité 1].

Le mandat a été repris à une date non précisée par la société Immo de France Valrim (Valrim).

En 2012, suite à la demande par le preneur de renouvellement du bail commercial, Mme [S] a demandé de voir porter le loyer annuel à la somme de 6.000€.

Alléguant des manquements de la part de l’agence immobilière, notamment, sur l’absence de démarche concernant l’augmentation de loyer du bien donné à bail à M. [J] [M], Mme [S] a, suivant exploit d’huissier du 22 mars 2019, fait citer la société Valrim à l’effet d’obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes.

Par jugement du 27 avril 2021, le tribunal judiciaire de Valence a débouté Mme [S] de l’ensemble de ses prétentions, dit n’y avoir lieu à indemnité de procédure ni à exécution provisoire et condamné Mme [S] aux dépens de l’instance.

Suivant déclaration en date du 31 mai 2021, Mme [S] a relevé appel de cette décision.

Au dernier état de ses écritures en date du 19 avril 2023, Mme [S] demande à la cour de réformer le jugement déféré et de condamner la société Valrim à lui payer les sommes de :

41.621,52€ au titre de son préjudice financier,

26.127,20€ au titre des dégradations du local,

8.964,89€ au titre des sommes jamais recouvrées auprès de Mme [U],

3.000€ en réparation de son préjudice moral,

5.000€ d’indemnité de procédure, outre les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

la société Valrim n’a fait aucun suivi de la demande d’augmentation de loyer et ne l’a pas informée des démarches à entreprendre pour assurer le succès de sa demande devant le juge des loyers commerciaux,

âgée de 79 ans en 2012, elle avait entièrement délégué la gestion de ses biens à la société Valrim,

la société Valrim était pourtant bien consciente qu’elle louait son local deux fois moins cher que la valeur réelle du bien, ce qu’elle reconnaît dans son courrier du 25 avril 2012,

la société Valrim s’est encore montrée défaillante dans la gestion de la cession du bail commercial et du fonds de commerce à Mme [U] pour laquelle elle n’avait donné aucun accord, contrairement à ce qui est indiqué dans l’acte de cession du 15 avril 2021,

Mme [U] a quitté le local le 31 aout 2021 sans que la société Valrim ne l’en informe,

il ne lui a pas été indiqué les démarches à mettre en ‘uvre dans une telle situation,

le local a été laissé dans un piteux état, complètement saccagé, des éléments ayant été arrachés et emportés,

la société Valrim a laissé s’accumuler un impayé conséquent et n’a mis en place aucune action de recouvrement,

la société Valrim n’ayant pas procédé à l’établissement correct des états des lieux d’entrée et de sortie, il est impossible d’imputer les dégradations à l’un ou l’autre des locataires,

elle subit de nombreux préjudices en lien de causalité avec les fautes de la société Valrim.

Par conclusions récapitulatives du 30 mars 2023, la société Immo de France Valrim sollicite l’irrecevabilité des prétentions indemnitaires nouvelles en cause d’appel, la confirmation du jugement déféré, le rejet de l’ensemble des demandes de Mme [S] et sa condamnation à lui payer une indemnité de procédure de 3.000,00€ ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Elle expose que :

Mme [S] demande l’indemnisation de nouveaux chefs de préjudices qui doivent être déclarés irrecevables,

en aucun cas, le mandat ne prévoyait qu’il appartenait à l’agent immobilier de se prononcer sur une demande de renouvellement ni d’exiger une augmentation de loyer,

ce mandat spécial est distinct et elle l’a parfaitement respecté en faisant connaître au locataire, dans le délai de trois mois de la demande de renouvellement, l’acceptation de la bailleresse sur ce point et la demande d’augmentation de loyer,

il ne peut lui être reproché de ne pas avoir donné suite à cette demande puisque le preneur n’a pas accepté la demande d’augmentation,

il incombait donc au bailleur d’intenter une action judiciaire pour faire fixer le montant du loyer commercial,

Mme [S] ne lui a jamais demandé d’engager une action en justice et le délai de prescription de l’action en fixation du loyer a expiré 2 ans plus tard,

elle a pu légitimement penser que Mme [S] avait renoncé à la demande d’augmentation,

pour demander le déplafonnement du loyer d’un bail commercial d’une durée ne dépassant pas 9 ans, le bailleur doit justifier d’une modification notable d’un des éléments visés à l’article L145-34 du code de commerce,

Mme [S] ne justifie d’aucune modification d’un de ses éléments et le preneur était fondé à refuser le déplafonnement,

il ne peut lui être reproché de ne pas avoir introduit d’action en justice alors que les éléments requis pour un déplafonnement n’étaient pas réunis,

elle n’a pas davantage commis de faute sur la cession du fonds de commerce par M. [M],

il appartenait à Mme [S] de donner ses instructions à l’agence immobilière qui ne peut agir de son propre chef,

elle n’était pas mandatée pour trouver un repreneur au fonds de commerce,

les fautes que Mme [S] tente de lui faire supporter relèvent de compétences qui ne sont pas celles du mandataire,

Mme [S] a confié la gestion de ses biens immobiliers à son gendre, M. [L] [G],

celui-ci est intervenu dans la sphère juridique suivant mandat du 5 janvier 2013,

alors qu’une instance en justice pouvait être introduite jusqu’au 25 avril 2014, M. [G] n’a jamais pris contact avec elle pour engager une action aux fins de fixation judiciaire du loyer renouvelé,

les inexactitudes dans la rédaction de l’acte de cession du fonds de commerce relèvent de la responsabilité du notaire,

elle ne saurait pas davantage être tenue de l’arriéré locatif ou des dégradations du local,

elle a fait réaliser un constat d’huissier et a envoyé une mise en demeure pour obtenir le recouvrement des sommes impayées,

elle a également commandé des travaux de remise en état et ne s’est pas désintéressée du bien.

La clôture de la procédure est intervenue le 25 avril 2023.

MOTIFS

1/ sur les demandes de Mme [S]

Mme [S] poursuit la responsabilité de la société Valrim dans la gestion de son local commercial sis sur la commune de [Localité 1], gestion qui s’est poursuivie après le jugement du 27 avril 2021 et à l’occasion de laquelle elle forme des demandes sur les faits survenus postérieurement à cette décision.

Au regard de l’évolution du litige et de la dénonciation de nouveaux faits, Mme [S] est parfaitement recevable en ces demandes au titre de la dégradation de son bien immobilier et des problèmes de paiement de Mme [U], cessionnaire du fonds de commerce ayant repris le bail commercial de M. [M].

Par application des articles 1991 et 1992 du code civil, le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion.

L’agent immobilier auquel est confié la gestion d’un immeuble, doit également engager les démarches nécessaires dans l’hypothèse du défaut de règlement des loyers.

sur la revalorisation des loyers

Il est établi que la société Valrim a bien transmis au locataire la demande de Mme [S] en revalorisation du montant du loyer annuel de la somme de 2.906,08€ à celle de 6.000€ pour un local de 50m2 plus les annexes.

Néanmoins, la société Valrim n’a assuré aucun suivi de cette demande de revalorisation, n’a pas avisé Mme [S] de l’absence de réponse du preneur ni des démarches à entreprendre auprès du juge des loyers commerciaux et n’a sollicité de sa part aucune instruction sur ce point.

Ainsi que l’a justement retenu le tribunal, la société Valrim a commis diverses fautes pouvant engager sa responsabilité sous réserve que ces fautes soient en lien de causalité avec le préjudice financier de Mme [S] relatif à la différence des montants des loyers.

La demande de déplafonnement de loyer devant le juge des loyers commerciaux est

soumise aux dispositions de l’article L 145-34 du code de commerce subordonnant le dit déplafonnement à la démonstration d’une modification notable des éléments mentionnés aux alinéas 1 à 4 de l’article L 145-33 du même code.

Il ressort du certificat d’expertise réalisé par Mme [V] [Z] à la demande de Mme [S] que le local litigieux se situe dans un quartier où les commerces de proximité sont en fragilisation avec la fermeture de plusieurs enseignes voisines.

L’environnement du local litigieux est constitué de nombreux commerces vacants.

Ainsi, en l’absence de démonstration de l’évolution dans un sens favorable des facteurs de commercialité, Mme [S] ne rapporte pas la preuve qu’elle a perdu la chance de faire revaloriser le montant du loyer de son local et que les fautes pouvant être reprochées à la société Valrim soient en lien de causalité certain et direct avec son préjudice financier.

Par ailleurs, alors que Mme [S] a donné, le 5 janvier 2013, mandat à son gendre, M. [G], de superviser le travail de la société Valrim, celui-ci ne lui a pas conseillé d’entreprendre une action en déplafonnement des loyers laquelle pouvait être introduite jusqu’au 25 avril 2014.

Dès lors, c’est à bon droit que Mme [S] a été déboutée de ce chef de demande.

sur les dégradations du local et les impayés

Suivant acte authentique du 15 avril 2021, la cession du fonds de commerce par M. [M] a été réalisée au profit de Mme [N] [U].

Aucun nouveau bail au nom de Mme [U] ni aucun état des lieux d’entrée n’ont été établis par la société Valrim.

Mme [U] a quitté les lieux le 31 août 2021, laissant le local en mauvais état ainsi qu’il ressort de l’état des lieux réalisé le 1er septembre 2021 par voie d’huissier.

En outre, au 28 mars 2022, le compte [U] présentait un solde non recouvré de 8.964,89€ alors que les lieux ont été libérés au 31 août 2021 sans aucune action de recouvrement mise en ‘uvre par la société Valrim, seule une mise en demeure ayant été délivrée en mars 2022.

Ainsi, il résulte de ces éléments que la société Valrim a manqué à ses obligations de gestion du bien (signer tous baux, accepter tous congés, faire dresser tous états des lieux) et suivi judiciaire (à défaut de paiement par les débiteurs et en cas de difficultés quelconques, exercer toutes poursuites judiciaires, faire tous commandements, sommations, assignations devant tous tribunaux).

La société Valrim a également été défaillante à son obligation de rendre des comptes et a fait preuve, d’une manière générale, de légèreté et négligences fautives dans l’exécution de son mandat de gestion immobilière en lien de causalité avec les préjudices financiers résultant des dégradations du bien et des impayés locatifs.

Les devis versés aux débats portent sur une rénovation totale du local qui ne saurait être supportée par la société Valrim.

Mme [S], en l’absence d’état des lieux d’entrée caractérisant une carence de la société Valrim, a perdu une chance de pouvoir poursuivre Mme [U] sur la base d’éléments certains.

De même, la société Valrim n’a été ni vigilante ni réactive devant le défaut de paiement immédiat de Mme [U] au regard de sa seule mise en demeure tardive non suivie d’autre action.

Il convient en conséquence de condamner la société Valrim à payer à Mme [S] la somme de 5.000€ en réparation du préjudice financier de Mme [S] résultant de sa perte de chance de recouvrer une indemnisation sur les dégradations du local et les loyers impayés.

au titre du préjudice moral

Mme [S], personne âgée ne résidant pas sur place, a subi du stress caractérisant un préjudice moral du fait de l’inertie de la société Valrim et des tracasserie s’ensuivant.

Il convient en conséquence de condamner la société Valrim à lui payer la somme de 2.000€ en réparation de ce préjudice.

Par voie de conséquence, le jugement déféré sera confirmé sur le rejet de la demande de Mme [S] au titre du préjudice résultant de l’absence de revalorisation du loyer, infirmé pour le surplus et complété par la condamnation de la société Valrim à lui payer des dommages-intérêts pour son préjudice financier concernant le bail avec Mme [U] et son préjudice moral.

2/ sur les mesures accessoires

L’équité justifie de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de Mme [S].

Enfin, les dépens de la procédure d’appel seront supportés par la société Valrim.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Déclare recevables les demandes de Mme [F] [S] au titre de son préjudice financier du fait des dégradations du local commercial et des impayés locatifs ainsi qu’en réparation de son préjudice moral,

Confirme le jugement déféré uniquement sur le rejet de la demande de Mme [F] [S] au titre du défaut de revalorisation du loyer,

Statuant à nouveau pour le surplus et y ajoutant,

Condamne la société Immo de France Valrim à payer à Mme [F] [S] les sommes de:

5.000€ en réparation du préjudice financier du fait des dégradations du local et des impayés locatifs,

2.000€ en réparation du préjudice moral,

Condamne la société Immo de France Valrim à payer à Mme [F] [S] la somme de 3.000€ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Immo de France Valrim aux dépens de la procédure tant de première instance qu’en cause d’appel.

PRONONCE par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

SIGNE par Madame Blatry, faisant fonction de président et par Madame Burel greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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