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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 13 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 18/04179 – N° Portalis DBVK-V-B7C-NY7L
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 14 juin 2018
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
N° RG 15/01266
APPELANT :
Maître [L] [H], succédant à Me [I] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL PRESSON
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Pascal OUDIN, avocat au barreau de NARBONNE substitué par Me Françoise ROBAGLIA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Maître [V] [C]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Séverine VALLET de la SCP D’AVOCATS COSTE, DAUDE, VALLET, LAMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER substituée par Me Amandine FONTAINE , avocat au barreau de MONTPELLIER
SELARL MVB
prise en la personne de son représentant légal en exercice domiscilié ès qualités au siège social
RCS de Carcassonne n° 507 555 688
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assisté à l’instance par Me Guy LAICK de la SCP LAICK-ISENBERG-JULLIEN-SAUNIER, avocat au barreau de NIMES
SCP [Y]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D’AVOCATS BRUGUES – LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 18 janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 février 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
M. Fabrice DURAND, conseiller
qui en ont délibéré.
En présence de Mme Stéphanie JEAN-PHILIPPE , avocate stagiaire (PPI)
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 7 décembre 2010, la SARL Russo Aménagement Foncier (ci-après dénommée « SARL Russo ») a vendu en l’état futur d’achèvement à l’office public de l’habitat (OPH) de l’Aude un ensemble immobilier constitué de 23 pavillons situé à [Localité 8] (11).
La SARL Russo a conclu avec la SARL Presson un marché de travaux portant sur trois (lots menuiseries extérieures, menuiseries intérieures et aménagements extérieurs) pour un montant total de 229 751,60 euros TTC.
Placée en redressement judiciaire le 4 novembre 2008, la SARL Presson exerçait alors son activité sous le régime d’un plan de continuation arrêté par jugement du 22 septembre 2009 du tribunal de commerce de Narbonne.
L’ouvrage a été réceptionné par le maître de l’ouvrage le 30 mai 2012 avec réserves et livré le même jour par la SARL Russo à l’OPH de l’Aude.
La SARL Presson a adressé le 29 juin 2011 à la SARL Russo la facture du solde de ses marchés d’un montant de 103 705,16 euros TTC demeurée impayée par le maître de l’ouvrage.
Par ordonnance du 13 septembre 2012, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Montpellier a autorisé la SARL Presson à pratiquer une saisie conservatoire d’un montant de 152 302,31 euros entre les mains de l’OPH de l’Aude.
Cette saisie réalisée le 20 septembre par la SELARL MVB Huissiers de justice s’est révélée infructueuse.
Par ordonnance du 21 septembre 2012, le juge de l’exécution a autorisé la SARL Presson à pratiquer une nouvelle saisie conservatoire du même montant de 152 302,31 euros entre les mains de la SCP de notaires [Y] ayant reçu l’acte de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre la SARL Russo et l’OPH de l’Aude.
Par application de l’article R.261-14 du code de la construction et de l’habitation, l’OPH de l’Aude a consigné le 16 octobre 2012 entre les mains du notaire la somme de 153 253,98 euros représentant le solde du prix de vente jusqu’à la levée des réserves.
Par acte du même jour 16 octobre 2012, la SELARL MVB exécutait la nouvelle saisie conservatoire autorisée le 21 septembre 2012 à hauteur de 152 302,31 euros.
La SCP de notaires indiquait alors dans le procès-verbal de saisie conservatoire du 16 octobre 2016 : « Nous détenons la somme de cent cinquante trois mille deux cent cinquante trois euros et 98 cts. Cependant nous avons ordre de consigner cette somme jusqu’à la levée des réserves. »
Par ordonnance du 17 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Carcassonne a ordonné une expertise des désordres et des causes du retard affectant les ouvrages réalisés pour le compte de la SARL Russo.
Par ordonnance du 7 février 2013, le même juge des référés a condamné la SARL Russo à payer à la SARL Presson une provision de 114 226,73 euros à valoir sur le solde des marchés de travaux.
Par acte du 13 février 2013, la SELARL MVB a procédé à la saisie attribution, au titre de la créance de 115 661,72 euros de la SARL Presson sur la SARL Russo, des sommes détenues par la SCP de notaires [Y] pour le compte de la SARL Russo.
La SCP de notaires [Y] déclarait alors ne pas détenir de fonds pour le compte de la SARL Russo.
Par actes d’huissier des 23, 28 et 29 septembre 2015, Me [I] [E] agissant ès qualités de liquidateur de la SARL Presson a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Narbonne son ancien avocat Me [C], la SELARL MVB et la SCP [Y] aux fins de voir engager leur responsabilité professionnelle et l’indemniser du préjudice subi.
Par jugement contradictoire du 14 juin 2018, le tribunal a :
‘ condamné in solidum la SELARL MVB et Me [C] à payer à Me [L] [H] ès qualités de liquidateur de la SARL Presson la somme de 11 566,17 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 10 août 2015 ;
‘ rejeté toutes demandes contraires ou plus amples des parties ;
‘ condamné in solidum la SELARL MVB et Me [C] aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Me Pascal Oudin ;
‘ condamné in solidum la SELARL MVB et Me [C] à payer à Me [H] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe du 8 août 2018, Me [H] a relevé appel de ce jugement à l’encontre de la SELARL MVB, de Me [C] et de la SCP [Y].
Vu les dernières conclusions de Me [L] [H] agissant ès qualités de liquidateur de la SARL Presson remises au greffe le 5 novembre 2018 ;
Vu les dernières conclusions de Me [V] [C] remises au greffe le 27 décembre 2018 ;
Vu les dernières conclusions de la SELARL MVB remises au greffe le 15 janvier 2019 ;
Vu les dernières conclusions de la SCP [Y] remises au greffe le 17 décembre 2018 ;
La clôture de la procédure a été prononcée au 18 janvier 2023.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la responsabilité du notaire tiers saisi,
L’article L.523-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose :
« Lorsque la saisie porte sur une créance ayant pour objet une somme d’argent, l’acte de saisie la rend indisponible à concurrence du montant autorisé par le juge ou, lorsque cette autorisation n’est pas nécessaire, à concurrence du montant pour lequel la saisie est pratiquée. La saisie produit les effets d’une consignation prévus par l’article 2350 du code civil ».
L’article R.522-5 du même code dispose que si la saisie conservatoire est pratiquée entre les mains d’un tiers, l’acte de saisie doit être signifié au débiteur dans un délai de huit jours, à peine de caducité de la saisie.
Il n’est contesté par aucune des parties que la saisie conservatoire exécutée le 16 octobre 2012 à la requête de la SARL Presson a été frappée de caducité à défaut d’avoir été dénoncée au débiteur par acte d’huissier de justice dans un délai de huit jours, ainsi que l’exige l’article R.522-5 du code des procédures civiles d’exécution.
La caducité de la saisie prive celle-ci de tous ses effets et rend impossible la condamnation du tiers saisi pour négligence fautive lorsqu’il n’a fait que disposer des sommes que la saisie devenue caduque prétendait immobiliser.
Cette caducité empêche donc la SARL Presson de rechercher la responsabilité de la SCP [Y] pour avoir disposé de la somme de 152 302,31 euros que la saisie conservatoire prétendait rendre indisponible.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes formées par la SARL Presson contre la SCP [Y].
Sur la responsabilité contractuelle de l’avocat et de l’huissier de justice,
L’avocat est personnellement responsable des négligences et fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions tant de représentation que d’assistance envers son client.
L’huissier engage également sa responsabilité contractuelle dans le cadre du mandat qui le lie à son client.
L’intervention de l’un de ces professionnels n’est pas de nature à exonérer le second de sa responsabilité propre et l’existence d’échanges directs entre l’avocat mandataire de son client et l’huissier ne change pas la nature des devoirs et obligations de ces professionnels qui étaient tous deux liés à la SARL Presson par un contrat de mandat.
La responsabilité contractuelle de l’avocat et de l’huissier de justice ne peut être engagée que par la démonstration par le demandeur d’une faute commise par le professionnel et d’un préjudice en lien de causalité directe avec cette faute.
Sur la faute de l’huissier de justice,
L’huissier de justice commet notamment une faute en cas de retard d’exécution ou en cas d’omission d’un acte de procédure requis par la loi pour assurer l’efficacité juridique du mandat qui lui a été confié.
En l’espèce, la SELARL MVB reconnaît avoir sciemment refusé de procéder à la dénonciation au débiteur saisi de la saisie conservatoire pratiquée le 16 octobre 2012 en raison du non paiement par la SARL Presson de sa facture d’honoraires dont il a demandé règlement aux termes de quatre courriels adressés à Me [C] les 16, 18, 23 et 24 octobre 2012.
L’huissier justifie son comportement par le droit de rétention institué par l’article 22 du décret du 12 décembre 1996 qui l’autorisait à retenir le procès-verbal de saisie conservatoire nécessaire à l’accomplissement de la formalité prescrite par l’article R.522-5 du code des procédures civiles d’exécution.
Ainsi que l’a exactement relevé le jugement déféré, la SELARL MVB n’a pas exercé son droit de rétention avec le discernement qui s’imposait au regard notamment :
‘ du très bref délai de huit jours imparti en l’espèce par l’article R.522-5 du code des procédures civiles d’exécution pour dénoncer l’acte au débiteur ;
‘ de l’absence d’échange direct entre l’huissier et son client qui ne lui permettait pas de savoir si celui-ci était bien destinataire de ses relances et s’il était le cas échéant confronté à des difficultés susceptibles d’expliquer son retard de paiement.
En exposant ainsi son client la SARL Presson, en faisant de manière délibérée un usage abusif de son droit de rétention, à un risque majeur de caducité de la saisie conservatoire qu’elle avait pratiquée le 16 octobre 2012, la SELARL MVB a manifestement manqué à son obligation de diligence et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de son mandant.
Sur la faute de l’avocat,
Me [C] a reçu mandat de la SARL Presson de l’assister et de la représenter dans ses démarches amiables et judiciaires destinées à lui permettre de recouvrer sa créance contre la SARL Russo.
Il appartient à l’avocat chargée d’un tel mandat de prodiguer tous les conseils nécessaires et d’alerter son client sur les obligations et les formalités qui sont à sa charge pour sauvegarder ses droits.
C’est dans le cadre de ce mandat que l’avocat a saisi le juge de l’exécution de deux requêtes aux fins de saisie conservatoire et confié à la SELARL MVB la mission d’exécuter ces deux saisies conservatoires ainsi qu’une saisie attribution.
Après avoir reçu quatre courriels de l’huissier les 16, 18, 23 et 24 octobre 2012, Me [C] n’apporte pas la preuve qu’elle a effectivement informé sa cliente des difficultés rencontrées et de la nécessité de payer sans délai la facture de l’huissier de justice.
C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu que Me [C] avait commis une faute en n’avertissant pas sa cliente des difficultés rencontrées et en ne la mettant pas en mesure de payer sans délai la facture de l’huissier qui opposait son droit de rétention et mettait gravement en danger la saisie conservatoire engagée le 16 octobre 2012.
Sur le préjudice et le lien de causalité,
La somme de 153 253,98 euros détenue par la SCP [Y] et visée par la saisie conservatoire du 16 octobre 2012 a été versée à la comptabilité du notaire par l’OPH de l’Aude, acquéreur de l’immeuble vendu en état d’achèvement, au titre du solde du prix destiné à être consigné en application de l’article R.261-14 du code de la construction et de l’habitation.
Il ressort des pièces versées au dossier que les réserves n’ont pas été levées et que le solde du prix a été conservé par l’OPH de l’Aude pour exécuter les travaux nécessaires dont le coût a été supérieur à la somme consignée par l’acquéreur de l’immeuble.
La somme de 152 302,31 euros n’était donc pas détenue par la SCP [Y] pour le compte de la SARL Russo mais pour le compte de l’OPH de l’Aude qui l’a seulement consignée entre ses mains à titre de retenue de garantie.
Il en résulte que cette somme demeurée propriété de l’OPH de l’Aude ne pouvait pas être saisie à titre conservatoire par la SARL Presson.
L’OPH de l’Aude est restée propriétaire de cette somme et en a légitimement obtenu restitution par le notaire au regard du coût des travaux restant à réaliser et à financer suite à la défaillance de la SARL Russo. Cette somme de 152 302,31 euros ne pouvait donc pas être saisie par la SARL Presson.
Il résulte de ces développements que les fautes commises par la SELARL MVB et par Me [C] ayant entraîné la caducité de la saisie conservatoire ne sont pas en lien de causalité avec l’échec de cette saisie conservatoire qui était de toute manière vouée à l’échec, s’agissant d’une somme saisie de 152 302,31 euros que leur cliente n’était pas autorisée à appréhender en paiement de sa créance.
C’est donc par une appréciation erronée des faits de la cause que le jugement déféré a retenu l’existence d’un préjudice de perte de chance évaluée à 10% « eu égard aux chances minimes que la SARL Presson avait de pouvoir recouvrer sa créance » sans préciser la nature précise et les critères d’appréciation de ces chances minimes.
Il résulte des précédents développements que ces chances pour la SARL Presson de pouvoir recouvrer sa créance n’étaient pas seulement minimes, mais véritablement inexistantes au regard de la nature de la somme saisie.
Les fautes reprochées aux deux intimées ne constituent pas davantage la cause de l’impossibilité de recouvrer le solde de la créance ni la cause du placement en liquidation judiciaire de la SARL Presson.
En conséquence, la SARL Presson sera déboutée de toutes ses demandes formées contre la SELARL MVB et contre Me [C] à hauteur de :
‘ 109 878,64 euros de perte de chance ;
‘ 36 770,30 euros de perte de chance ;
‘ 120 000 euros de dommages-intérêts pour avoir provoqué la liquidation judiciaire de la SARL Presson.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ses dispositions ayant condamné Me [T] [C] et la SELARL MVB à payer à Me [H] la somme de 11 566,17 euros de dommages-intérêts.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement déféré sera également infirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL Presson succombe intégralement en appel et devra donc supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
L’équité commande d’allouer à la SCP [Y] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel.
Les autres demandes de ce chef formées par Me [T] [C] et par la SELARL MVB contre la SARL Presson seront rejetées en raison des circonstances particulières de survenue du litige.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celle ayant débouté Me [L] [H] ès qualités de liquidateur de la SARL Presson de ses demandes formées contre la SCP [Y] ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute Me [L] [H] ès qualités de liquidateur de la SARL Presson de ses demandes formées contre Me [T] [C] et contre la SELARL MVB ;
Condamne Me [L] [H] ès qualités de liquidateur de la SARL Presson à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel ;
Condamne Me [L] [H] ès qualités de liquidateur de la SARL Presson à payer à la SCP [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La greffière, Le président,