Responsabilité du Notaire : 12 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/06031

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Responsabilité du Notaire : 12 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/06031
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1ère Chambre

ARRÊT N°110/2023

N° RG 20/06031 – N° Portalis DBVL-V-B7E-REVI

Mme [M] [V]

C/

Mme [U] [J] [W] [A]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 AVRIL 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 février 2023 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 12 avril 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 04 avril 2023 à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [M] [R] épouse [V]

née le 26 Mai 1945 à [Localité 11] (35)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Pierre-Guillaume KERJEAN de la SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-BARON-NEYROUD, avocat au barreau de SAINT-MALO

INTIMÉE :

Madame [U] [J] [W] [R] épouse [A]

née le 24 Juillet 1967 à [Localité 10] (35)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Christine JARNIGON-GRETEAU de la SELARL JARNIGON-GRETEAU CHRISTINE, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

De l’union de Mme [R], née le 20 juin 1915 en Espagne, et de M. [R] sont nées Mme [W] [A] en 1938 et Mme [M] [V] en1945.

M. [R] est décédé le 21 juin 1974.

Le 22 janvier 1996, à l’âge de 80 ans, Mme [R] a rédigé un testament olographe répartissant ses biens entre ses deux filles, à savoir :

-à [W] [A] les deux appartements de la résidence [Adresse 7] [Adresse 7] et de la résidence [Adresse 7] à [Localité 5], [Adresse 8],

-à [M] [V] la maison de [Adresse 13] à [Localité 5] et l’appartement du [Adresse 6] à [Localité 11].

Le 8 juillet 1998, elle a révoqué ce testament et modifié la répartition de ses biens en léguant :

-à [W] [A] l’appartement de la résidence [Adresse 7] à [Localité 5] et l’appartement du [Adresse 6] à [Localité 11],

-à [M] [V] la maison de [Adresse 13] à [Localité 5], occupée par Mme [V], et l’appartement de la résidence [Adresse 7],

le surplus étant partagé entre ses deux filles par moitié.

Elle a également exprimé par écrit manuscrit du même jour le souhait que sa fille [M] s’occupe d’elle en cas d’invalidité physique et morale.

Le 21 janvier 2010, elle a souscrit un second contrat d’assurance vie dans lequel elle a institué comme bénéficiaires à égalité ses deux filles.

En octobre 2011, alors qu’elle vivait à son domicile au [Adresse 3] à [Localité 5], elle a été hospitalisée à la suite d’une hémorragie digestive puis admise le 2 décembre 2011 à l’Ehpad ‘[12]’ à [Localité 5].

Le 9 février 2012, Mme [R] a dicté devant Me [H], notaire à [Localité 9], en présence de deux témoins M. [P] et M. [S], un testament authentique aux termes duquel elle a révoqué toutes ses dispositions testamentaires antérieures et a déclaré d’une part ‘priver’ Mme [V] de tout droit dans sa succession sauf la réserve héréditaire et, d’autre part, léguer la quotité disponible à Mme [A] en lui attribuant la maison de la [Adresse 13] et a ajouté que ‘l’exhérédation’ serait maintenue si le legs ne pouvait être mis en ‘uvre.

Etait annexé au testament un certificat médical du 17 janvier 2012 établi par le Dr [N] qui, après avoir examiné Mme [R] à la demande de Me [H], certifiait qu’il n’existait pas de désorientation temporo-spatiale et que la capacité de jugement n’était pas altérée.

Le même jour en la même étude notariale, Mme [R] a signé un acte de donation à sa petite-fille [U] [A] de la nue-propriété de l’appartement de la résidence [Adresse 7] à [Localité 5].

Par ordonnance du 28 février 2013, Mme [R] a été placée sous le régime de la sauvegarde de justice avec mandat spécial confié à l’Apase, association tutélaire ayant son siège à [Localité 11], et par jugement du 11 juin 2013, elle a été placée sous curatelle renforcée confiée à la même association.

Mme [R] est décédée le 10 juillet 2014 à l’âge de 99 ans.

Le 26 février 2015, Mme [V] a fait assigner sa soeur Mme [A] devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo (devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020) en annulation du testament authentique du 9 février 2012. Elle a été déboutée de sa demande par jugement du 20 février 2017. Sur appel interjeté le 27 mars 2017, la cour d’appel de Rennes a, par arrêt du 19 février 2019, retenu l’altération des facultés de Mme [R] et infirmé le jugement et prononcé la nullité du testament authentique du 9 février 2012. Il n’a pas été formé de pourvoi.

Parallèlement, par acte du 31 octobre 2018, Mme [V] a assigné sa nièce Mme [U] [A] en nullité de l’acte de donation du 9 février 2012, outre des demandes accessoires.

Par jugement du 5 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a notamment considéré que le Dr [L], médecin traitant, avait pour la période postérieure à la donation, fait état d’un bon état général de sa patiente, d’une bonne récupération après ses hospitalisations, d’un discours cohérent et de l’absence de troubles cognitifs majeurs avec la capacité à exprimer sa volonté, et a :

-débouté Mme [V] de ses demandes,

-condamné Mme [V] à payer à Mme [U] [A] la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamne Mme [V] aux entiers dépens,

-rappelé que la décision était assortie de l’exécution provisoire.

Mme [V] a interjeté appel par déclaration du 9 décembre 2020.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Mme [V] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 8 mars 2021 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de :

-prononcer la nullité de la donation notariée du 9 février 2012,

-condamner Mme [U] [A] à restituer à la succession de Mme [R] les fruits perçus avec intérêts au taux légal à compter du décès de Mme [R] le 10 juin 2014,

-condamner Mme [U] [A] à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

-la condamner à lui payer une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles,

-outre la charge des dépens.

Elle soutient que tous les éléments médicaux ont été soumis au premier juge, que la motivation retenue par l’arrêt du 19 février 2019 pour annuler le testament vaut nécessairement pour la donation du même jour objet du présent litige, que l’altération significative du discernement de sa mère, associée à une surdité et à des difficultés de compréhension du langage, caractérisent l’insanité d’esprit étayée par l’ensemble du dossier médical, que la donation doit de ce fait être annulée entraînant la restitution des fruits perçus de l’immeuble depuis la date du décès, outre des dommages et intérêts de 20.000 € en réparation du préjudice né de la faute civile commise par [U] [A], tiers à la succession, et à laquelle Mme [V] reproche une fraude à ses droits d’héritière.

Mme [A] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 30 décembre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure  civile.

Elle demande à la cour de :

-débouter l’appelante de ses demandes,

-confirmer le jugement du 5 octobre 2020 en toutes ses dispositions,

-condamner l’appelante au paiement d’une somme de 5.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner la même aux entiers dépens.

Elle soutient que l’arrêt rendu le 19 février 2019 ne peut étendre le moindre effet au-delà de la sphère des parties puisque la chose jugée ne peut ni nuire au tiers, ni produire des droits à leur profit, que la surdité de Mme [R] et ses difficultés de maîtrise du français ne faisaient pas obstacle à sa parfaite compréhension de l’engagement pris au gré de sa seule volonté libre de toute entrave, que le certificat médical établi par le Dr [C] le 20 décembre 2011 n’est pas exempt de doute dès lors qu’il a été requis par Mme [V] qui en a réglé le coût, pendant qu’elle effectuait des démarches pour placer sa mère sous tutelle, cherchera ensuite à la changer contre son gré d’établissement de retraite pour une structure moins chère, multipliera les dépôts de plaintes pénales (contre elle-même, sa s’ur Mme [A], M. [Y], les notaires…) entraînant des auditions de notaires et une perquisition de l’étude, le tout en vain, que le Dr [C] n’était pas au fait de la singularité de la situation de Mme [R] qui, ancienne commerçante, s’est toujours faite aider, soit par M. [D] ou par M. [Y], responsable de l’agence du Crédit agricole de Saint-Servan, depuis le décès de son époux pour gérer son patrimoine qui a bien fructifié pendant son existence, que le Dr [C] ne conclura du reste pas à l’insanité totale mais seulement à une incapacité partielle s’en remettant à l’audition par le juge des tutelles pour évaluer in fine la capacité de Mme [R], qu’enfin, c’est un contexte de difficulté relationnelle massive entre Mme [V] et sa mère qui a conduit cette dernière à signer les actes du 9 février 2012 tandis que Mme [V] continuait à occuper la maison de la [Adresse 13] après que sa mère, qui la lui avait donnée, la lui avait rachetée pour la renflouer financièrement après ses mauvaises affaires professionnelles.

MOTIFS DE L’ARRÊT

1) Sur la demande de nullité de la donation du 9 février 2012

En droit, l’article 414-1 du code civil dispose que ‘pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte’.

Et l’article 901 du code civil précise que ‘Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence’.

Le trouble mental dont la preuve doit être rapportée doit exister au moment précis où l’acte attaqué a été fait.

Si l’état d’insanité d’esprit existait à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux, il revient alors au défendeur d’établir en pareil cas l’existence d’un intervalle lucide au moment où l’acte a été passé.

L’annulation est encourue dès que le trouble des facultés intellectuelles est suffisamment grave pour priver l’acte juridique de l’un de ses éléments constitutifs, à savoir une volonté saine, libre et éclairée. L’auteur de l’acte doit être hors d’état de vouloir et de comprendre la portée exacte de son engagement.

L’affaiblissement intellectuel causé par une maladie ou par la vieillesse ne peut être par lui-même une cause d’incapacité de disposer de ses biens à titre gratuit lorsque le donateur conserve une lucidité suffisante pour comprendre la portée de son acte. Pour faire annuler la libéralité consentie par un donateur très âgé, il est indispensable de démontrer la sénilité de la personne concernée.

L’ouverture d’une sauvegarde de justice puis d’une curatelle ne fait pas à elle seule présumer le trouble mental, a fortiori lorsque ces mesures interviennent à une date largement postérieure à l’acte critiqué.

Le trouble mental étant un simple fait, son existence peut être prouvée par tous moyens, notamment, par des écrits émanant du disposant et dénotant une altération des facultés intellectuelles, des certificats médicaux et, plus ordinairement, par témoins.

Enfin, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation tant de la gravité du trouble allégué que de l’époque à laquelle il est susceptible d’être survenu.

En l’espèce, il résulte des pièces du dossier que la situation générale de Mme [R] se présentait comme suit :

-Mme [R] était atteinte d’une importante déficience auditive depuis 2002, évaluée le 10 avril 2012 par un test d’audition à hauteur de 83 % à l’oreille droite et de 71 % à l’oreille gauche et seule cette seconde oreille était appareillée au jour des actes litigieux de testament et de donation du 9 février 2012,

-à la suite d’une chute et d’une hémorragie digestive en octobre et novembre 2011, pour lesquelles elle était hospitalisée, elle était admise en EHPAD à compter de décembre 2011. Elle avait 96 ans ¿ à cette date,

-Mme [R] était d’origine espagnole et n’a jamais bien maîtrisé l’écriture et la lecture en français. Ayant néanmoins exercé le métier de commerçante, elle s’est toujours faite aider pour la gestion de ses affaires, soit par M. [D], un ami, soit par M. [Y], un responsable au Crédit agricole de Saint-Servan, qui, devenu son ami, a maintenu son aide alors qu’il était retraité, son patrimoine immobilier ayant ainsi bien fructifié sa vie durant (trois appartements et une maison, ainsi que cela ressort des actes testamentaires et de donation).

Au titre des éléments médicaux antérieurs à la donation litigieuse, il est ainsi produit :

-un premier certificat du Dr [B] du 24 novembre 2011 qui a déclaré que Mme [R] lui paraissait devoir être protégée dans les actes de la vie civile et être placée sous sauvegarde de justice,

-un second certificat du 23 décembre 2011 du Dr [B] qui notait une aggravation de la perte d’autonomie et des troubles cognitifs, avec une désorientation plus temporelle que spatiale, des difficultés à maîtriser la lecture et à comprendre ‘ce qu’elle a à déchiffrer’ avec d’importants troubles du calcul, la patiente ayant retrouvé une relative autonomie à la marche,

-un test du 29 novembre 2011 effectué par le Dr [B] débouchant sur une note de 13/30 au ‘mini mental state examination’, des difficultés pour se repérer dans le temps (0/5) et pour calculer (0/5) et des notes supérieures à la moyenne dans les exercices de mémoire, d’orientation spatiale ou de dessin,

-l’observation effectuée le 3 décembre 2011 par l’aide-soignante au lendemain de son arrivée dans l’établissement notait sur le cahier de transmission une ‘très bonne communication,’

-le 8 décembre suivant, sur le même cahier de transmission, la psychologue notait l’observation suivante : ‘avenante et réactive malgré une surdité importante,’

-un certificat du 20 décembre 2011 du Dr [C] spécialisé en gérontologie, inscrit sur la liste établie par le procureur de la République, établi à la demande de la fille de Mme [V] dans l’objectif d’une mesure de protection, qui concluait à un empêchement partiel de l’expression de la volonté de Mme [R] et préconisait une mesure de curatelle renforcée confiée à un représentant légal extérieur à la famille.

Ce dernier examen médical n’était pas transmis par Mme [V] au juge des tutelles immédiatement. Dans sa relance au procureur de la République du 19 novembre 2012, soit presqu’un an plus tard, Mme [V] n’en faisait pas non plus état et n’invoquait que le certificat médical du Dr [B]. Il n’était donc finalement transmis au service des tutelles que fin novembre 2012 parce que le greffe le lui réclamait.

Ce certificat du Dr [C] n’était pas non plus produit en première instance dans le litige en annulation du testament intenté par assignation du 26 février 2015 mais seulement en cause d’appel.

De fait, le Dr [C] n’a pas conclu à la sénilité de Mme [R], ayant retenu que Mme [R] était ‘au moins partiellement en état d’exprimer sa volonté’.

Le 23 décembre 2011, le Dr [B] a écrit au Dr [L], médecin traitant de Mme [R], que sa patiente avait été prise en charge dans le service gériatrique du centre hospitalier de [Localité 5] et qu’elle avait relevé, lors de son admission, une ‘aggravation d’une perte d’autonomie, des troubles cognitifs’ et ‘une désorientation plus temporelle que spatiale’.

Ni le Dr [B] ni le Dr [C] ne concluaient à la sénilité ou à la démence de Mme [R].

Au titre des éléments médicaux postérieurs à la donation litigieuse, il a été produit les éléments médicaux suivants :

-une hospitalisation de Mme [R] du 12 au 20 mars 2012 pour une bradycardie avec un tableau de récupération ‘excellente’, ‘discussions cohérentes, pas de troubles comportementaux…’, ‘très cohérente’,

-un courrier du Dr [F] [E] à destination du Dr [L] du 20 mars 2012 relatant une désorientation de la patiente à sa prise en charge mais un examen neurologique ‘dans les limites de la normale’, ainsi qu’un ‘interrogatoire bien difficile’,

-un courrier du Dr [T] qui précisait que l’interrogatoire avait été ‘un peu difficile en raison de sa surdité’ mais que les réponses étaient ‘tout à fait adaptées’.

Il n’était pas là non plus diagnostiqué de démence ou de sénilité.

L’ordonnance de placement de Mme [R] sous le régime de la sauvegarde de justice n’interviendra que le 28 février 2013 et le jugement du tribunal d’instance de Saint-Malo plaçant Mme [R] sous le régime de la curatelle renforcée que le 11 juin 2013 aux fins de son placement sous curatelle renforcée.

Enfin, dans une période proche de la donation du 9 février 2012, le notaire Me [H] avait requis le Dr [N] aux fins d’examen de Mme [R] dans la perspective des actes de disposition qu’elle s’apprêtait à signer.

Dans son certificat médical du 17 janvier 2012, soit moins d’un mois avant l’acte litigieux, annexé au testament, le Dr [N] relevait que ‘la capacité de jugement [de Mme [R]] ne lui [paraissait] pas altérée. Cette dame paraît cohérente dans sa façon de s’exprimer et d’expliquer sa situation sociale, familiale, médicale, sans confusion mentale. Elle paraît tout à fait apte à exprimer clairement ses désirs, ses envies ainsi que ce qu’elle ne désire pas. Au total, cette dame paraît tout à fait capable de juger avec discernement toute situation ou décision la concernant’.

Pour sa part, le Dr [L], médecin traitant de Mme [R], indiquait le 29 octobre 2012 que sa patiente n’avait pas revu sa fille Mme [V] depuis son entrée en maison de retraite, qu’elle ne présentait pas de troubles du comportement ni du raisonnement, ce qui validait ses propos selon lesquels elle ne voulait pas changer d’établissement, ce qui aurait du reste été contrindiqué.

Aucune altération des facultés mentales de Mme [R] n’était relevée qui aurait été suffisamment grave pour priver la donation de l’un de ses éléments constitutifs, à savoir la volonté saine, libre et éclairée de Mme [R] qui n’en aurait pas compris la portée exacte de son engagement.

En dernier lieu, le contexte de la donation, qui était aussi celui du testament exhérédant Mme [V], était celui d’une dissension irréversible entre elle et sa mère :

-Mme [V] détenait les clés du domicile de sa mère au [Adresse 3] à [Localité 5] et refusait, malgré sa réclamation à l’occasion des fêtes de Noël 2011, de les lui restituer, provoquant la colère de sa mère,

-elle relevait le courrier de sa mère sans le lui retransmettre,

-dans son audition du 18 novembre 2011, faisant suite à son courrier au procureur de la République du 26 juillet 2011, Mme [V] déclarait que sa mère possédait des biens immobiliers et des revenus fonciers et qu’elle aurait du payer l’impôt sur la fortune, ce qu’elle ne faisait pourtant pas, ajoutant que M. [Y] devait faire des faux pour que sa mère ne paie pas l’ISF,

-elle ne rendait pas visite à sa mère, ainsi qu’en atteste le Dr [L], qui notait dans son certificat médical établi à propos du changement d’établissement que sa patiente n’avait pas revu sa fille Mme [V] depuis son entrée en maison de retraite en décembre 2011,

-le conflit était déjà présent au moment de l’examen par le Dr [C] le 20 décembre 2011 qui souligne que ‘le contexte concernant l’entourage de la patiente [rendait] souhaitable le choix d’un représentant légal extérieur’.

-le 12 septembre 2012, le rapport du médecin notait les difficultés relationnelles avec sa fille,

-Mme [V] demeurait injoignable lorsqu’il s’est agi à l’été 2013 pour la curatrice renforcée de recueillir son avis pour la vente de l’un des biens immobiliers de Mme [R] afin de financer les dettes,

-Mme [V] n’a eu de cesse d’obtenir de sa mère son accord pour intégrer une maison de retraite moins chère, parvenant à lui faire signer sur papier libre le 12 janvier 2014 un texte de consentement qu’elle avait préalablement rédigé à son attention,

-le jugement de curatelle renforcée relevait que Mme [R] souhaitait que sa petite-fille continue de s’occuper de ses affaires.

Mme [V] est parfaitement taisante sur toutes ces dissensions qui sont pourtant déterminantes du changement des dernières volontés de Mme [R] le 9 février 2012 par devant notaire quant à la répartition de ses biens après sa mort.

Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, qui illustrent la singularité de la situation de Mme [R], certes âgée, sourde et maîtrisant mal le français, mais en capacité d’exprimer une volonté claire et déterminée quant à la répartition de ses biens en considération du conflit familial généré par sa fille Mme [V] dont elle décidait de la déshériter, c’est à juste titre que le premier juge a considéré que l’état d’insanité de la donatrice n’était pas établi ni que son consentement aurait été altéré.

La cour relève en tout dernier lieu que ni la responsabilité du notaire ayant reçu les deux actes du testament et de la donation, ni celle des deux témoins ayant assisté à la réception dudit testament, soit le même jour que la donation, n’ont été mises en cause par Mme [V].

Le jugement qui a débouté Mme [V] de sa demande de nullité de la donation du 9 février 2012 sera confirmé sur ce point.

2) Sur la restitution des fruits et les dommages et intérêts pour préjudice moral

Compte tenu de ce qui précède, d’où il résulte qu’aucune nullité de la donation n’est prononcée ni qu’aucune faute n’a été commise par Mme [U] [A], Mme [V] sera déboutée de sa demande de restitution des fruits et de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie succombante, Mme [V] sera condamnée aux dépens d’appel, le jugement étant confirmé s’agissant des dépens de première instance.

Mme [V] sera enfin condamnée à payer à Mme [A] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sa demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Malo du 5 octobre 2020,

Condamne Mme [M] [V] aux dépens d’appel,

Condamne Mme [M] [V] à payer à Mme [U] [A] la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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