Responsabilité du Notaire : 10 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12349

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Responsabilité du Notaire : 10 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12349
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 1

ARRÊT DU 10 MARS 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/12349 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD7B7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Tribunal judiciaire de Paris

– RG n° 18/13851

APPELANTES

Madame [K] [M] née le 10 Janvier 1989 à [Localité 10] (Chine)

[Adresse 2]

[Localité 7]

S.C.I. MONTONE immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 830 972 329, agissant poursuites et diligences prise en la personne de son représentant légal domiciliè en cette qualitè audit siège, [Adresse 1],

[Localité 8]

Tous deux représentés et assistés de Me Matthieu HUE de la SELEURL AUGURE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : G746

INTIMÉS

Monsieur [N] [G] né le 14 novembre 1946 à [Localité 9] (92),

[Adresse 3]

[Localité 6]

S.C.P. [G] & DE LA HAYE SAINT HILAIRE immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 307 113 207, représentée par son liquidateur amiable, Maître [N] [G],SCP en liquidation amiable, dont le siège

[Adresse 3]

[Localité 6]

Tous deux représentés et assistés de Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499 substituée par Me Stéphanie BACH de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

S.A.S. NATHALIE GARCIN immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 377 941 935, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP NABOUDET – HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046 assistée de Me Michèle BECIRSPAHIC, avocat au barreau de PARIS, toque : C1377

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Janvier 2023 , en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Claude CRETON, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Claude CRETON, président de chambre

Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère

Mme Catherine GIRARD-ALEXANDRE, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Marylène BOGAERS.

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Claude CRETON , Président de chambre et par Madame Marylène BOGAERS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

Par acte reçu le 24 juillet 2017 par M. [G], notaire associé de la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire (la SCP), Mme [P], par l’entremise de la société Nathalie Garcin (la société Garcin), agent immobilier, a consenti à Mme [M] une promesse de vente d’un bien immobilier au prix de 2 800 000 euros. L’indemnité d’immobilisation due par Mme [M] a été fixée à 280 000 euros. Mme [M] a versé d’abord une somme de 240 000 euros placée sous le séquestre du notaire.

Mme [M] n’ayant pas levé l’option, Mme [P] l’a assignée avec la SCI Montone, qui s’était substituée à Mme [M], en paiement de la somme de 280 000 euros au titre de l’indemnité d’immobilisation.

Mme [M], soutenant qu’elle avait souhaité que figure dans la promesse la condition de la possibilité du transfert des fonds qu’elle détient en Chine et qu’en l’absence d’une telle clause son consentement a été vicié par une erreur entraînant la nullité de la promesse, a conclu au rejet de la demande de Mme [P]. A titre subsidiaire, Mme [M] et la SCI Montone ont sollicité la condamnation de M. [G] et de la SCP ainsi que de la société Garcin, sur le fondement de la responsabilité civile, à les garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elles.

Par jugement du 19 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– condamné solidairement Mme [M] et la société Montone à payer à Mme [P] la somme de 280 000 euros au titre de l’indemnité d’immobilisation, outre les intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2019 ;

– autorisé Mme [E], notaire, à remettre à Mme [P] la somme de 280 000 euros séquestrée entre ses mains ;

– débouté Mme [P] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive 

– débouté Mme [M] et la société Montone de leurs demandes ;

– condamné Mme [M] et la société Montone sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à payer à la SCP de notaires et à M. [G] d’une part et à la société Garcin la somme de 4 000 euros d’autre part la somme de 4 000 euros.

Le tribunal a d’abord retenu que le moyen invoqué à l’appui de la demande de nullité de la promesse ne s’analyse pas en un vice du consentement mais en une absence de consentement et que Mme [M] ayant déclaré devant le notaire comprendre et lire le français a renoncé en connaissance de cause à la stipulation d’une condition qu’elle avait souhaité voir figurer dans la promesse.

Pour écarter la responsabilité du notaire, le tribunal a retenu que Mme [M] était consciente du risque qu’elle prenait en contractant une promesse sans avoir la disposition en France des fonds qu’elle détenait en Chine puisqu’elle s’était ouverte de cette question devant le notaire qui n’avait pas attiré son attention sur un risque dont elle avait connaissance.

Enfin, pour écarter la responsabilité de la société Garcin, le tribunal a rappelé qu’en l’absence de relation contractuelle avec Mme [M], sa responsabilité ne peut être engagée.

Mme [M] et la SCI Montone ont interjeté appel de ce jugement à l’encontre de M. [G], de la SCP et de la société Garcin et sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il les a déboutées de leur appel en garantie contre M. [G] et la SCP de notaire et contre la société Garcin.

Elles reprochent au notaire, qui savait que Mme [M] ne disposait pas en France des fonds lui permettant de payer le prix, de ne pas avoir attiré son attention sur la portée, les effets et les risques de l’acte et de n’avoir pris aucune disposition permettant de la protéger du risque de ne pouvoir transférer les fonds qu’elle détenait en Chine et d’être tenu au paiement de l’indemnité d’immobilisation.

Elles font valoir à la société Garcin, tenue d’un devoir de conseil envers les parties à la vente, informée de la situation de Mme [M] qui ne maîtrisait pas la langue française et du fait qu’elle devait rapatrier des fonds qu’elle détenait en Chine, aurait dû attirer son attention sur la nécessité de prévoir la stipulation d’une condition suspensive portant sur le rapatriement fonds et, à défaut, de la conseiller de renoncer à l’acquisition du bien.

Mme [M] et la SCI Montone réclament en conséquence la condamnation de M. [G], de la SCP et de la société Garcin à leur payer la somme de 280 000 euros, outre 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [G] et la SCP contestent la faute qui leur est reprochée. Ils font valoir que les conditions de la vente avaient été négociées entre Mme [M] et les vendeurs, que la question de l’insertion dans l’acte d’une condition portant sur le rapatriement des fonds avait été évoquée mais qu’en l’absence d’accord du vendeur cette condition n’a pu être stipulée, qu’il lui avait été alors conseillé de renoncer à l’acquisition du bien ou de recourir à un prêt et que, Mme [M], souhaitant poursuivre son projet, M. [G] a obtenu du vendeur que le délai de réalisation de la promesse soit porté à sept mois. Ils ajoutent que Mme [M] maîtrise la langue française et n’a pas souhaité se faire assister par un interprète lors de la conclusion de la promesse.

Ils font également valoir que le préjudice dont il est demandé réparation n’est pas indemnisable, la somme étant due en application de la promesse qui prévoit le paiement d’une indemnité d’immobilisation à défaut de réalisation de la vente.

Ils soutiennent enfin qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute qui leur est reprochée et le préjudice subie par Mme [M] dès lors que la condition suspensive ne pouvait être insérée dans l’acte en raison du refus du vendeur.

La société Garcin conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Mme [M] et de la société Montone à lui payer la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

A la demande de la cour, les parties ont déposé une note en délibéré sur la question de l’éventuelle perte de chance que pourraient avoir subie Mme [M] et la SCI Montone dans le cas où serait engagée la responsabilité de M. [G], de la SCP et de la société Garcin.

M. [G] et la SCP font valoir que la perte de chance n’est pas réelle, sérieuse et raisonnable.

Mme [M] et la SCI Montone soutiennent au contraire que cette perte de chance est proche de 100%.

SUR CE :

1 – Sur la responsabilité de la société Garcin

Attendu que la société Garcin a mis en relation le vendeur et Mme [M] mais n’a pas participé à la rédaction de la promesse de vente qui a été établie par le notaire ; qu’il ne peut donc lui être reprochée un manquement à son obligation de conseil portant sur les conditions qui ont été arrêtées lors de la conclusion de la promesse devant le notaire ; que la responsabilité de la société Garcin n’est donc pas engagée ;

2 – Sur la responsabilité de M. [G] et de la SCP

Attendu que le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’attirer leur attention, de manière complète, sur la portée, les effets et les risques de l’acte qu’il établit ; qu’en l’espèce, informé de la situation de Mme [M] qui, était tenu de rapatrier les fonds qu’elle détenait en Chine pour payer le prix lors de la réitération de la vente, M.[G] devait attirer son attention sur les risques qu’elle encourait en s’engageant au paiement d’une indemnité d’immobilisation dans le cas où, en l’absence de stipulation d’une condition suspensive portant sur le rapatriement des fonds à la date prévue pour la conclusion de l’acte de vente, elle n’aurait pu disposer de ces fonds ; que M. [G] ne justifiant pas avoir attiré l’attention de Mme [M] sur le risque qu’elle encourait, a manqué à ses obligations ; que la responsabilité de M. [G] et de la SCP étant ainsi engagée, ils doivent être condamnés à indemniser Mme [M] et la SCI Montone du préjudice que celles-ci ont subi, ce préjudice étant constitué par la perte de chance de renoncer à l’opération ; que compte tenu du risque encouru, il convient d’évaluer cette perte de chance à 50 % et, par conséquent, de condamner M. [G] et la SCP à payer à relever Mme [M] et à la SCI Montone dans la proportion de 50 % de ces condamnations ;

PAR CES MOTIFS : statuant publiquement

Infirme le jugement mais seulement en ce qu’il :

– déboute Mme [M] et le SCI Montone de leurs demandes de condamnation solidaire de M. [G] et de la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire à les relever de toute condamnation et de condamnation de la partie succombante à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamne M. [G] et la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire aux dépens et accorde à Maître [F] le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Condamne M. [G] et la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire à payer à Mme [M] et la SCI Montone la somme de 140 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Garcin et la demande de M. [G] et de la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire et condamne M. [G] et la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire à payer à Mme [M] et la SCI Montone la somme de 4 000 euros ;

Condamne M. [G] et la SCP [N] [G] et Éric de la Haye Saint-Hilaire aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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