Responsabilité du Notaire : 1 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08854

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Responsabilité du Notaire : 1 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08854
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRET DU 01 FEVRIER 2023

(n° 49 , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08854 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB73F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2020 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CRETEIL – RG n° 17/08485

APPELANTS

Madame [A] [D], ancienne notaire associée de la SCP GPN OFFICE NOTARIAL [Localité 5], venant aux droits de [F] [M], décédé, et de Monsieur [G] [Y], notaire retiré de charges

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

Ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALEZ RIOS, avocat au barreau de Paris

Madame [U] [K], notaire associée de la SCP GPN OFFICE NOTARIAL DU [Localité 5], venant aux droits de [F] [M], décédé, et de Monsieur [G] [Y], notaire retiré de charges

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

Ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALEZ RIOS, avocat au barreau de Paris

Monsieur [P] [N], notaire associé de la SCP GPN OFFICE NOTARIAL DU [Localité 5], venant aux droits de [F] [M], décédé, et de Monsieur [G] [Y], notaire retiré de charges

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

Ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALEZ RIOS, avocat au barreau de Paris

S.C.P. G.P.N. OFFICE NOTARIAL [Localité 5] – Société civile professionnelle titulaire de l’office notarial

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

Ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALEZ RIOS, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

S.A.R.L. ZENITH agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Ayant pour avocat plaidant Me Nathalie ATIAS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 1er février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Mme Justine FOURNIER Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

La Sarl Zénith, dont le siège social est sis [Adresse 3] à [Localité 4], exploite plusieurs fonds de commerce de vente de prêt-à-porter et principalement de chaussures sous l’enseigne ‘La Scarpa’.

Par acte notarié du 23 juillet 1993 établi par M. [G] [Y], notaire, membre associé de la Scp [M] [Y] au [Localité 5], M. et Mme [E] ont donné à bail à la société Zénith un local commercial dépendant d’un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 4], destiné à l’exploitation d’un fonds de commerce de vente de vêtements, chaussures, accessoires et lingerie, pour une durée de neuf années entières et consécutives. Ce local a été consacré à la vente au détail de chaussures sous l’enseigne susvisée.

Ce bail a fait l’objet d’un renouvellement par acte notarié du 17 février 2005 établi par M. [F] [M], membre associé de la même scp notariale, à compter du 1er juillet 2002 pour se terminer le 30 juin 2011.

Par acte notarié du 29 septembre 2006, M. et Mme [E] ont vendu à la Sci Brenor l’immeuble sis [Adresse 1], incluant les locaux commerciaux loués à la société Zénith.

Le 18 mai 2009, la Sci Brenor a fait délivrer à celle-ci un congé avec refus de renouvellement et sans offre d’indemnité d’éviction, avec effet au 30 juin 2011, pour défaut d’immatriculation de ce fonds de commerce au registre du commerce et des sociétés, puis l’a assignée les 22 octobre 2012 et 28 mars 2013 devant le tribunal de grande instance de Créteil qui, par jugement du 3 février 2014, signifié le 12 février suivant et devenu irrévocable, a validé ce congé par application des articles L.145-1 et L.145-17 du code de commerce, pour le motif allégué par la bailleresse.

Se prévalant de divers manquements de MM. [Y] et [M] à leur devoir d’information et de conseil, la société Zénith les a assignés ainsi que la Scp [M] et [Y], par acte du 3 juillet 2017, devant le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Créteil.

Par jugement en date du 9 juin 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a :

– déclaré la Sarl Zénith recevable en son action,

– condamné in solidum M. [F] [M], M. [G] [Y] et la Scp [D], [K] et [N] (GPN) office notarial [Localité 5], venant aux droits de la Scp [M] et [Y], à payer à la Sarl Zénith une somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

– condamné in solidum M. [M], M. [Y] et la Scp GPN office notarial [Localité 5] à payer à la Sarl Zénith une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné in solidum M. [M], M. [Y] et la Scp GPN office notarial [Localité 5] aux entiers dépens de l’instance,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 8 juillet 2020, Mme [A] [D], Mme [U] [K] et M. [P] [N], venant aux droits de [F] [M] décédé et de M. [G] [Y], notaire retiré de charge, et la Scp GPN office notarial [Localité 5] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 24 novembre 2022, Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN office notarial [Localité 5] (la Scp GPN) demandent à la cour de :

– les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

– infirmer le jugement,

en conséquence,

– dire et juger que l’action de la société Zénith est prescrite par application de l’article 2224 du code civil,

– la déclarer irrecevable en toutes ses demandes,

sur le fond,

– dire et juger que la société Zénith ne rapporte pas la preuve d’une faute imputable à M. [M] en lien direct avec un préjudice actuel, certain et direct,

– la débouter de ses demandes,

– condamner la société Zénith à leur payer une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 10 novembre 2022, la Sarl Zénith demande à la cour de :

– la recevoir en ses écritures et la dire bien fondée,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

jugé son action recevable en l’absence de prescription acquise à la date de l’acte introductif d’instance le 3 juillet 2017,

débouté Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN venant aux droits de [F] [M] et M. [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

statuant à nouveau,

– condamner Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN à lui payer la somme de 275 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, assortie du taux d’intérêt légal à compter de l’acte introductif d’instance,

– condamner Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN à lui payer la somme de 6 986,24 euros au titre des frais de recouvrement des huissiers,

– condamner Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 29 novembre 2022.

SUR CE,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action

Le tribunal a jugé que :

– s’agissant d’une action en responsabilité professionnelle engagée à l’encontre de notaires, le délai de prescription quinquennale de l’action prévu à l’article 2224 du code civil commence à courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance,

– la société Zénith ignorait à la date de signature des baux que le notaire n’avait pas accompli les diligences légales d’immatriculation et par conséquent, le point de départ de cette prescription ne saurait courir à compter de la signature des actes notariés mais seulement à compter de la validation du congé sans indemnité d’éviction ni renouvellement avec expulsion du locataire devenu sans droit ni titre, date à laquelle le dommage s’est réalisé et qu’il a été porté à la connaissance de la demanderesse, soit le 12 février 2014,

– en conséquence, l’acte introductif d’instance ayant été délivré le 3 juillet 2017, l’action de la société Zénith est recevable.

Les appelants soutiennent que l’action de la société Zénith est prescrite puisque le point de départ du délai de prescription quinquennal prévu à l’article 2224 du code civil, lequel est d’interprétation littérale et stricte, court à compter du 18 mai 2009, date de délivrance régulière du congé à laquelle elle a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir de sorte que la prescription était acquise depuis le 18 mai 2014.

L’intimée soutient que la prescription n’est pas acquise en ce que :

– les appelants se fondent sur une pièce qui n’est pas versée aux débats, à savoir le congé avec refus de renouvellement en date du 18 mai 2009 qu’elle n’a jamais reçu,

– la prescription court à compter de la date de la réalisation concrète du dommage ou de celle à laquelle les faits dommageables se sont révélés à la victime,

– son dommage est constitué par son expulsion et la perte de l’indemnisation d’éviction à laquelle elle avait légitimement droit,

– ce dommage causé par la faute du notaire n’est devenu certain qu’à compter du jour où la décision de justice prononçant son expulsion sans indemnité d’éviction est devenue définitive, soit le 3 février 2014,

– le délai de prescription ne saurait courir à compter ni de la date de rédaction des baux ni de celle de la délivrance du congé, car le bailleur peut exercer son droit de repentir jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision le condamnant au paiement d’une indemnité d’éviction est passée en force de chose jugée,

– il ne peut qu’être fixé à la date du jugement définitif qui consacre la perte de la propriété commerciale et par voie de conséquence du droit du preneur à percevoir l’indemnité d’éviction,

– elle ne pouvait contester la validité du congé du 18 mai 2009 dont elle n’a pas eu connaissance,

– elle n’était pas partie à l’instance dirigée contre elle puisqu’elle n’a pas été touchée par les actes d’huissier.

L’engagement de la responsabilité des notaires relève de la prescription prévue à l’article 2224 du code civil selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En application de cet article et comme l’ont jugé à bon droit les premiers juges, l’action en responsabilité des notaires court à compter de la date de la réalisation du dommage ou de celle à laquelle les faits dommageables se sont révélés au demandeur à l’action.

Le dommage subi par la société Zénith ne s’est réalisé qu’à compter du jugement passé en force de chose jugée du 3 février 2014 prononçant son expulsion sans indemnité d’éviction de sorte que l’action introduite par acte du 3 juillet 2017 est recevable, en confirmation du jugement.

Sur la responsabilité des notaires

– sur la faute

Le tribunal a jugé que :

– M. [Y] et [F] [M] n’ont pas procédé à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de l’établissement situé [Adresse 1], objet des baux notariés des 23 juillet 1993 et 17 février 2005, alors que cette formalité leur incombait personnellement, en application de l’article R.123-89 du code de commerce,

– ils n’ont pas davantage attiré l’attention de la société Zénith sur la nécessité impérative de cette immatriculation et sur les conséquences du défaut d’immatriculation,

– ils ont ainsi manqué par deux fois à leur obligation d’accomplissement des formalités requises pour l’efficacité de l’acte et à leur obligation d’information et de conseil.

Les appelants ne concluent pas sur les fautes qui leur sont reprochées.

La société Zénith fait valoir que les notaires ont manqué à leur obligation de diligence et de conseil en ce que :

– les notaires ont manqué à leur obligation d’effectuer les formalités nécessaires à l’efficacité de l’acte puisqu’ils se sont abstenus par deux fois d’immatriculer le local commercial secondaire au registre du commerce et des sociétés comme le prescrit la loi,

– de même, ils ne l’ont pas informée, par deux fois, de l’obligation d’immatriculer le fonds de commerce qu’elle exploitait.

La responsabilité du notaire en sa qualité de rédacteur d’acte peut être engagée sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, à charge pour celui qui l’invoque d’établir une faute, un préjudice et un lien de causalité.

Le notaire est tenu d’assurer l’efficacité de l’acte qu’il instrumente et d’un devoir d’information et de conseil à l’égard de toutes les parties à l’acte pour lequel il prête son concours.

L’article 20 du décret 84-406 du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés, dans sa version applicable aux baux des 23 juillet 1993 et 7 février 2005, prévoyait que :

‘Toute personne morale immatriculée qui ouvre un établissement secondaire doit, selon le cas, demander son immatriculation secondaire ou une inscription complémentaire dans les conditions prévues à l’article 9.’

Cet article 9 mentionnait que :

‘Tout commerçant immatriculé qui ouvre un établissement secondaire doit, dans le délai d’un mois avant ou après ouverture, demander au greffe du tribunal dans le ressort duquel est situé l’établissement :

1° Une immatriculation secondaire, s’il n’est pas déjà immatriculé dans le ressort de ce tribunal;

2° Une inscription complémentaire dans le cas contraire.

Est un établissement secondaire au sens du présent décret tout établissement permanent, distinct du siège social ou de l’établissement principal et dirigé par l’assujetti, un préposé ou une personne ayant le pouvoir de lier des rapports juridiques avec les tiers.’

L’article 27 2° du même décret devenu l’article R 123-89 du code de commerce disposait que :

‘Le notaire qui rédige un acte comportant, pour les parties intéressées, une incidence quelconque en matière de registre est tenu de procéder aux formalités correspondantes à peine d’une amende civile de 100 à 5000 F prononcée par le tribunal de grande instance sans préjudice de l’application de sanctions disciplinaires et de leur responsabilité, garantie dans les conditions prévues au chapitre III du décret n° 55-604 du 20 mai 1955.’

M. [Y] et [F] [M], respectivement rédacteurs du bail initial de 1993 et du bail renouvelé de 2005, qui n’ont pas procédé à l’inscription complémentaire de l’établissement secondaire au registre du commerce et des sociétés, ont commis un manquement à leur obligation de diligence en n’accomplissant pas les formalités requises pour l’efficacité des actes qu’ils ont instrumentés tour à tour. Ils ont de même chacun manqué vis à vis de la société Zénith à leur obligation d’information et de conseil quant à la nécessité d’effectuer cette formalité obligatoire et aux risques encourus à défaut.

Le jugement est également confirmé sur ce point.

– sur le préjudice et le lien de causalité

Le tribunal a jugé que :

– le local situé au numéro 167 n’était pas susceptible d’être qualifié d’établissement secondaire (sic) de celui situé au numéro 90 de la même rue, ce qui lui aurait permis d’échapper à l’obligation d’immatriculation et tout recours, appel ou opposition, contre le jugement de validation du congé aurait été inopérant, dès lors qu’au jour dudit congé, l’établissement situé [Adresse 1] n’était pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés,

– l’ensemble des défaillances fautives des notaires est en relation directe avec la perte des avantages du statut des baux commerciaux.

– le préjudice de la société Zénith est indiscutablement constitué par la perte de la propriété commerciale et son départ des lieux sans indemnité d’éviction et est la conséquence directe des manquements des notaires à leurs obligations professionnelles,

– les notaires et la société notariale s’opposant à la désignation d’un expert judiciaire, il doit être statué en fonction des pièces versées aux débats par la société Zénith,

– la fixation de l’indemnité d’éviction était nécessairement soumise à l’évaluation du tribunal et par conséquent à un aléa et son montant doit être évalué à un pourcentage de 60 % de l’indemnité à laquelle la société Zénith aurait pu prétendre,

– la société Zénith n’a pu se réimplanter sur la commune de [Localité 4] et a perdu son fonds de commerce de sorte que l’indemnité d’éviction doit être appréciée par référence à la valeur du fonds de commerce constitutive de l’indemnité principale soit 265 000 euros, à laquelle il convient d’ajouter la seule somme de 2 000 euros au titre des indemnités accessoires,

– l’indemnité au titre de la perte de chance s’élève donc à la somme de 160 000 euros.

Les appelants estiment que :

– la situation dans laquelle s’est trouvée la société Zénith, au regard des locaux donnés à bail, est exclusivement due à sa propre inertie et à sa propre carence laquelle faute les exonère totalement ou au moins partiellement de leur responsabilité,

– elle n’a pas pris le soin de contester le congé ni de constituer avocat dans le cadre de la procédure ayant donné lieu au jugement du 3 février 2014 validant le congé alors qu’elle aurait pu opposer un motif légitime à l’absence d’immatriculation de nature à tempérer la sévérité de la sanction prévue à l’article L.145-1 du code de commerce, à savoir que le local objet du bail ne constituait pas un établissement secondaire, distinct de l’établissement principal, mais un établissement accessoire (ou complémentaire) de l’établissement principal, qui à la différence d’un établissement secondaire, n’est pas tenu à l’immatriculation puisque son établissement principal était situé dans la même rue et qu’elle ne contestait pas que le même personnel était réparti dans les mêmes locaux,

– de même, elle a laissé expirer le délai pour faire appel ou opposition,

– elle aurait également pu soutenir qu’en dépit du congé délivré le 18 mai 2009 à effet au 30 juin 2011, un nouveau bail avait été créé, issu de son maintien en sa qualité de locataire dans les lieux puisqu’elle a versé un loyer, pendant plus d’un an, postérieurement à la date d’effet du congé,

– le préjudice invoqué, à savoir la perte de la propriété commerciale et la perte de chance de bénéficier d’une indemnité d’éviction est sans lien de causalité directe avec la faute invoquée à l’encontre du notaire.

– il ne peut être constitué que d’une perte de chance d’obtenir une indemnité d’éviction laquelle est nulle et ne pourrait, en toute hypothèse, faire l’objet que d’une réparation partielle,

– en tout état de cause, la bailleresse qui est un promoteur aurait refusé le renouvellement du bail comme elle l’a fait pour les voisins de la société Zénith car elle souhaitait mettre en oeuvre un programme immobilier,

– la société Zénith possédait à 500 mètres dans la même rue son magasin historique et siège social vers lequel les clients se seraient reportés et le quantum de son préjudice n’est pas valablement démontré, l’attestation de son expert-comptable sur ses bilans étant une preuve à soi-même et le rapport d’expertise chiffrant l’indemnité d’éviction établi de manière non contradictoire étant hautement contestable alors que l’activité exploitée n’était pas rentable et que seule une indemnité de déplacement pouvait être réclamée.

L’intimée répond que :

– l’absence de voie de recours diligentée à la suite du jugement du 3 février 2014 n’est pas de nature à constituer une carence de sa part puisque les dispositions légales en matière d’immatriculation des locaux commerciaux au registre du commerce et des sociétés sont d’ordre public et la cour d’appel aurait inéluctablement confirmé le jugement dont appel,

– elle ne pouvait invoquer la jurisprudence de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 novembre 1988 (n°87-13487) qui a tempéré l’exigence d’une immatriculation secondaire pour deux fonds voisins car dans son cas, l’immatriculation secondaire s’imposait, s’agissant de fonds distants de 500 mètres, et qui de surcroît n’étaient pas situés du même côté de la rue,

– la faute des notaires tenus d’une obligation de résultat quant à la rédaction efficace de leurs actes est en lien de causalité directe avec la perte du fonds de commerce qu’elle exploitait depuis 24 années sans indemnité d’éviction,

– la perte du versement de l’indemnité d’éviction à laquelle elle aurait pu prétendre constitue un préjudice certain et quantifiable, en lien direct avec la faute commise par le notaire car si l’établissement secondaire avait été immatriculé, elle aurait été indemnisée de la perte de la propriété commerciale,

– les appelants invoquent inutilement la notion de perte de chance et elle a droit à la réparation intégrale de son préjudice,

– les appelants allèguent sans preuve que son activité n’était pas rentable et critiquent sans fondement les chiffres de son expert-comptable et le calcul de l’indemnité d’éviction par l’expert qu’elle a mandaté, ayant après son éviction souscrit un nouveau bail commercial situé [Adresse 8] à [Localité 7] de sorte qu’aucun report de clientèle n’a pu se faire.

Afin d’être exonérés totalement ou partiellement de leur responsabilité, les notaires et la société notariale invoquent la faute de la victime qui si elle avait exercé un recours à l’encontre du jugement du 3 février 2014 alors qu’elle n’a même pas constitué avocat, aurait pu contester la validité du congé délivré en opposant un motif légitime à l’absence d’immatriculation ou en soutenant l’existence d’un nouveau bail.

Ils lui reprochent de ne pas avoir invoqué le fait que le local situé [Adresse 1] était un établissement non pas secondaire mais accessoire du [Adresse 3] qui constituait le siège social de la société Zénith.

Mais l’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 30 novembre 1988 dont ils se prévalent à ce titre est inopérant car non transposable au cas litigieux dans la mesure où dans l’espèce qui lui était soumise, la Cour de cassation a retenu que les locaux étaient situés aux 4 et 6 de la même rue et que le même personnel y travaillait pour en déduire que les locaux litigieux constituaient pour la société un ensemble ne nécessitant pas plusieurs immatriculations au registre du commerce alors que locaux litigieux étaient situés à une distance de 500 mètres et à des cotés opposés de la rue sans qu’il soit établi que les mêmes salariés y travaillaient indifféremment.

Les appelants soutiennent tout aussi vainement que puisque la société Zénith s’était maintenue dans les lieux et avait continué à régler les loyers pendant plus d’un an postérieurement au 30 juin 2011, date d’effet du congé, elle aurait pu soutenir l’existence d’un nouveau bail alors que ce moyen est erroné en droit, le congé ayant produit son effet et la locataire se maintenant dans les lieux jusqu’à son expulsion étant tenue d’une indemnité d’occupation.

Dès lors, il importe peu que la société Zénith n’ait pas constitué avocat devant le tribunal saisi d’une demande d’expulsion ni même qu’elle n’ait pas fait appel du jugement rendu, l’opposition n’étant pas ouverte à l’égard d’un jugement réputé contradictoire, puisqu’en raison du défaut d’immatriculation complémentaire du local donné à bail, la société bailleresse justifiait d’un motif grave et légitime à l’encontre de sa locataire lui permettant de délivrer un congé sans renouvellement du bail ni droit à indemnité d’éviction, conformément à l’article L.145-17 du code commerce.

Le manquement de chacun des deux notaires à son obligation de diligence quant à l’immatriculation complémentaire de l’établissement secondaire est en lien de causalité directe avec le préjudice direct et certain subi par la société Zénith lié à la perte des avantages du statut des baux commerciaux à savoir la perte du bénéfice d’une indemnité d’éviction en cas de congé sans renouvellement du bail à laquelle elle aurait nécessairement eu droit, les appelants affirmant eux-mêmes que la Sci bailleresse, promoteur immobilier, n’aurait jamais renoncé au congé et n’aurait donc pas fait valoir son droit de rétractation une fois l’indemnité d’éviction judiciairement fixée.

Ce préjudice est actuel, certain et entièrement consommé puisque seul le manque de diligence des notaires est à l’origine de la perte du bénéfice d’une indemnité d’éviction née de la délivrance d’un congé sans renouvellement du bail et en l’absence de motif grave et légitime.

Aux termes du deuxième alinéa de l’article L.145-14 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Les appelants confirment en appel s’être opposés à la désignation d’un expert judiciaire aux fins de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction. Dès lors, la cour, comme les premiers juges, retient le rapport de l’expertise diligentée à la demande de la société Zénith établi au vu des livres journaux propres au point de vente du n°167 portant sur les années 2014 à 2016, lequel a été soumis à la discussion des appelants qui produisent une ‘ note technique financière établie dans l’intérêt de MMA’ critiquant ledit rapport et est complété des bilans annuels et liasses fiscales de la société pour les années 2014, 2015, 2016 et 2017, tous établissements confondus, et de l’attestation de l’expert-comptable de la société Zénith qui a individualisé et certifié le chiffre d’affaires de l’établissement concerné pour les années 2014 à 2016. Cette attestation ne saurait être écartée des débats au seul motif qu’elle émane de l’expert-comptable de la société intimée alors que cette individualisation était nécessaire puisque la société ne dispose d’aucune comptabilité analytique.

Les appelants critiquent la position de l’expert selon laquelle le refus de renouvellement du bail a entraîné la perte du fonds de commerce, estimant que la société Zénith possédant deux magasins dans la même rue commerçante de [Localité 4], la clientèle après la fermeture du magasin situé au n° 167 était susceptible de se ‘rabattre’ sur le premier magasin resté ouvert au n°90 qu’ils qualifient d’historique de sorte que la société Zénith ne peut se prévaloir que d’une indemnité de déplacement.

Cependant, ils ne rapportent aucun élément de preuve de cette allégation, alors qu’il ressort du rapport de Mme [W] [J], expert immobilier spécialiste de la propriété commerciale, chargée d’enseignement à l’université [6] et expert près la cour d’appel de Paris, que le magasin secondaire que la société Zénith avait décidé d’ouvrir très rapidement après l’implantation du premier se situait à 500 mètres de distance, dans la section la plus animée et recherchée commercialement de l’artère commerçante de la ville et que le local choisi était particulièrement bien placé en raison notamment de la proximité du cinéma mitoyen, de la mairie et du magasin Monoprix situé en face, doublée de l’excellente desserte du site par les transports en commun dont la gare RER très proche.

La société Zénith ne s’est pas réimplantée sur la commune de Nogent- sur-Marne et est fondée à solliciter l’indemnisation de la perte de son fonds de commerce, aucun report de clientèle n’étant établi.

L’expert a apprécié la valeur du fonds de commerce en fonction du chiffre d’affaires réalisé auquel elle a appliqué un pourcentage, selon une méthode fréquemment utilisée par les professionnels, et a retenu les barèmes mentionnés dans les traités les plus connus ([Z] [O], [H] et [C]), à savoir entre 45 et 120 %, 50 et 150 % et 40 et 80 %.

Les appelants critiquent à juste titre la première fourchette indiquée sachant que le barème [Z] [O] 2016 consultable sur internet mentionne 40 à 90 % et non 45 à 120 %.

L’expert a retenu une légère baisse du chiffre d’affaires sur les deux derniers exercices retenus (2015 et 2016) par rapport au premier (2014).

Les notaires relèvent justement que la société Zénith, présentant un résultat bénéficiaire jusqu’en 2015, a connu un déficit de 20 183 euros en 2016 et de 11 599 euros en 2017, ceux-ci étant cependant particulièrement modestes relativement à son chiffre d’affaires global de plus de 4 500 000 euros.

En revanche, ils ne peuvent tirer aucun argument relativement à l’augmentation du chiffre d’affaires global de la société en 2017, date à laquelle la société Zénith a quitté les locaux litigieux alors qu’elle justifie avoir ouvert le mois suivant un nouveau magasin [Adresse 8] à [Localité 7].

Au vu de ces éléments, la cour calcule l’indemnité principale à la somme de 237 699,80 euros arrondie à 237 700 euros en appliquant au chiffre d’affaires moyen des trois années 2013, 2015, 2016 soit 365 692 euros un pourcentage de 65 % et non 70 % tel que retenu par Mme [J].

Comme l’ont justement décidé les premiers juges, la cour retient également, au titre des indemnités accessoires, la somme de 10 000 euros au titre du trouble commercial telle que fixée par l’expert et écarte la somme de 5 000 euros retenue par l’expert au titre de la perte de stock, non justifiée dès lors que Mme [J] relève que l’essentiel du stock a été écoulé dans les autres points de vente, et la somme de 2 000 euros relative au frais de changement de siège social qui n’a pas eu lieu.

En infirmation du jugement, elle écarte également la somme de 2 000 euros au titre des frais de modification d’imprimés liés au changement de siège social pour la même raison que précédemment.

En conséquence, le préjudice lié à la perte du bénéfice de l’indemnité d’éviction s’élève à la somme de 247 700 euros et les appelants sont condamnés à payer cette somme en infirmation du jugement.

Sur le remboursement des frais d’exécution

La société Zénith demande le remboursement des frais de la saisie-attribution restés à sa charge pour un montant de 6 986,24 euros générés par la résistance abusive de la Scp notariale à exécuter la condamnation prononcée en première instance avec exécution provisoire.

Cette demande relève des frais irrépétibles et sera prise en compte à ce titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.

Les dépens d’appel doivent incomber in solidum à Mmes [D] et [K], M. [N] et la Scp GPN, partie perdante.

Ils sont également condamnés in solidum à payer à la société Zénith la somme de 12 000 euros, prenant en compte les frais de la saisie-attribution restés à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné in solidum M. [F] [M], M. [G] [Y] et la Scp [D], [K] et [N] office notarial [Localité 5], venant aux droits de la Scp [M] et [Y], à payer à la Sarl Zénith une somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

Statuant à nouveau, dans cette limite,

Condamne in solidum Mme [A] [D], Mme [U] [K] et M. [P] [N], venant aux droits de [F] [M] décédé et de M. [G] [Y], notaire retiré de charge, solidairement avec la Scp [D], [K] et [N] office notarial [Localité 5] à payer à la Sarl Zénith la somme de 247 700 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence de la somme allouée par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Condamne in solidum Mme [A] [D], Mme [U] [K] et M. [P] [N] et la Scp [D], [K] et [N] office notarial [Localité 5] aux dépens,

Condamne in solidum Mme [A] [D], Mme [U] [K] et M. [P] [N] et la Scp [D], [K] et [N] office notarial [Localité 5] à payer à la Sarl Zénith la somme de 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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