Responsabilité du Notaire : 1 août 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00381

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Responsabilité du Notaire : 1 août 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00381
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S.A.R.L. AGENOR CONSTRUCTIONS

C/

[N] [D]

MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

S.A. MMA IARD

[K] [D]

[U] [D]

[W] [D]

[B] [R] épouse [D]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

1re chambre civile

ARRÊT DU 1er AOUT 2023

N° RG 21/00381 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FU4I

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : jugement du 1er mars 2021,

rendu par le tribunal judiciaire de Dijon – RG : 17/01606

APPELANTE :

S.A.R.L. AGENOR CONSTRUCTIONS

[Adresse 4]

[Localité 14]

Assistée de Me Bertrand CHAPY, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, plaidant, et représentée par Me Florence LHERITIER, avocat au barreau de DIJON, postulant, vestiaire : 22

INTIMÉS :

Maître [N] [D], décédé le [Date décès 7] 2021

MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES Société d’assurances mutuelles prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 15]

S.A. MMA IARD prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 15]

Assistés de Me Thierry CHIRON, substitué à l’audience par Me Thibaut NEVERS, tous deux membres de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocats au barreau de DIJON, plaidant, et représentées par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, postulant, vestiaire : 126

PARTIES INTERVENANTES :

Monsieur [K] [D]

né le [Date naissance 10] 1997 à [Localité 17] (21000)

[Adresse 12]

[Localité 5]

Madame [U] [D]

née le [Date naissance 6] 1990 à [Localité 18]

[Adresse 13]

[Localité 16]

Monsieur [W] [D]

né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 17]

[Adresse 8]

[Localité 11]

Madame [B] [R] épouse [D]

née le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 17]

[Adresse 12]

[Localité 5]

es qualités d’héritiers de Maître [N] [D], décédé le [Date décès 7] 2021, notaire associé de la SCP CHEVILLON ‘ [D] ‘ ANDRÉ ‘ CHEVILLON, société civile professionnelle titulaire d’un Office notarial situé [Adresse 9]

Assistés de Me Thierry CHIRON, substitué à l’audience par Me Thibaut NEVERS, tous deux membres de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocats au barreau de DIJON, plaidant, et représentés par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, postulant, vestiaire : 126

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 02 mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Sophie BAILLY, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2023 pour être prorogée au 1er août 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Par acte authentique du 26 mars 2012, établi par Maître [N] [D], la SARL Agenor Constructions a vendu à ses deux associées, Mme [T] [A], sa gérante, et Mme [E] [A], une des six villas qu’elle avait fait construire dans un lotissement situé à [Localité 19] (11), ce pour un prix de 270 000 euros, payé par compensation avec les créances détenues par Mmes [A] au titre de leurs comptes courants ouverts dans les livres de la société venderesse.

Il est indiqué dans l’acte que cette vente entre dans le champ d’application de la TVA et que le prix de vente HT est de 225 752,51 euros.

Toutefois, lors de sa déclaration du 14 novembre 2012, relative à l’année écoulée entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2012, la SARL Agenor Constructions a mentionné cette vente dans les opérations non soumises à TVA.

La société Agenor Constructions a fait l’objet d’une vérification de comptabilité du 19 mars au 30 avril 2015 portant sur l’ensemble de ses déclarations fiscales ou opérations susceptibles d’être examinées en matière de TVA.

Le 6 mai 2015, elle s’est vu notifier une proposition de rectification à hauteur d’une somme globale de 49 734 euros, dont 44 247 euros de principal au titre de la TVA sur la vente immobilière du 26 mars 2012.

Par acte du 22 mai 2017, la SARL Agenor Constructions a assigné Maître [D] devant le tribunal de grande instance de Dijon, au visa de l’article 1231-1 du code civil aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer essentiellement la somme de 49 734 euros.

Les MMA Iard Assurances Mutuelles et les MMA Iard sont intervenues volontairement à l’instance aux côtés de Maître [D], leur assuré. Ils ont conclu au débouté de la société Agenor Constructions dont ils ont soutenu que l’action était abusive et justifiait la condamnation de cette société au paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 1er mars 2021, le tribunal judiciaire de Dijon a :

– débouté la SARL Agenor Constructions de ses demandes,

– débouté Maître [D], les MMA Iard Assurances Mutuelles et les MMA IARD de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– condamné la SARL Agenor Constructions à verser à Maître [D], aux MMA Iard Assurances Mutuelles et aux MMA Iard la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamne la SARL Agenor Constructions aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELAS Legi Conseils Bourgogne en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La SARL Agenor Constructions a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 19 mars 2021.

Maître [N] [D] est décédé le [Date décès 7] 2021. Son épouse, Mme [B] [D] née [R], et leurs trois enfants, Mme [U] [D] et MM. [W] et [K] [D], ont été appelés en la cause.

Au terme de ses conclusions d’appelant n°3, notifiées le 31 mars 2023, la société Agenor Constructions demande à la cour, au visa de l’article 1240 (anciennement 1382) du code civil, de :

condamner in solidum les héritiers de Maître [D], notaire, et les MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard, en leur qualité d’assureur de responsabilité civile de celui-ci, à lui payer et porter la somme de 49 734 euros, outre intérêts au taux légal à compter de sa mise en demeure, soit le 10 avril 2017,

débouter les héritiers de Me [D], notaire, et les MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard de toutes demandes reconventionnelles à son encontre comme infondées,

condamner in solidum les héritiers de Me [D], notaire, et les MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard :

. aux entiers dépens de procédure au titre des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, mais également aux frais et honoraires d’huissier pour l’exécution et le recouvrement dont elle devrait faire l’avance auprès de l’huissier,

. à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au terme de leurs conclusions d’intimés n°4, notifiées le 7 avril 2023, les héritiers de Maître [D] et les MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard demandent à la cour, au visa des articles 256 et 257 du code général des impôts, des articles 1240 et 1353 du code civil et des articles 9 et 32-1 du code de procédure civile, de :

confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il les a déboutés de leur demande visant à voir condamner la société Agenor Constructions à payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

le réformer de ce chef,

Statuant à nouveau,

condamner la société Agenor Constructions à payer aux héritiers de Maître [D] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Y ajoutant,

débouter la société Agenor Constructions de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

la condamner :

. aux entiers dépens, que Maître [P] [S] pourra faire recouvrer conformément aux dispositions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,

. à leur payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour l’exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il est expressément renvoyé à leurs conclusions.

La clôture a été prononcée le 13 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité du notaire

Elle ne peut être engagée que s’il est établi qu’il a commis une faute à l’origine d’un préjudice subi par la société Agenor Constructions.

Il appartient au notaire d’appliquer à l’acte qu’il dresse le régime fiscal dont il relève.

Il est en l’espèce certain que le motif du redressement fiscal tient au seul fait que dans l’acte du 26 mars 2012, il a été expressément mentionné que la vente était assujettie à la TVA, ce au visa de l’article 283-3 du code général des impôts selon lequel Toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation.

Il n’en demeure pas moins qu’une faute ne peut être imputée au notaire que si la vente du 26 mars 2012 ne devait pas être soumise à la TVA.

Cette question ne relève pas de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Toutefois, selon l’article 49 alinéa 2 du code de procédure civile, ce n’est que si la solution du litige dépend de cette question et qu’elle soulève une difficulté sérieuse qu’il convient de la transmettre à la juridiction administrative compétente.

L’appelante soutient que les ventes immobilières sont soumises à droit de mutation et elle reproche au notaire d’avoir soumis la vente du 26 mars 2012 à un régime fiscal dérogatoire sans s’être assuré auprès d’elle que les conditions d’application de ce régime étaient remplies.

Or, dès lors que la société venderesse était une personne assujettie à la TVA et que le bien vendu était achevé depuis juin 2007, soit depuis moins de cinq ans, ainsi que cela est indiqué en page 15 de l’acte, il convenait de soumettre la vente du 26 mars 2012 à la TVA.

Ce n’est donc qu’à titre dérogatoire, et en raison de circonstances particulières, que cette vente aurait pu échapper à la TVA.

L’appelante affirme que tel est le cas dans la mesure où le bien vendu était, depuis 2007, affecté à l’usage personnel de Mmes [A], ses associées, ce qui l’avait d’ailleurs conduit à acquitter une première fois la TVA lors de la construction de la maison.

Force est de constater que Mme [T] [A], ayant la double qualité de représentante légale de l’appelante et d’acquéreur, n’a, contrairement à ce qu’elle soutient jamais spontanément informé le notaire de ces deux faits, alors pourtant que dans son courrier du 14 mars 2012, elle lui a fait part de plusieurs remarques sur le projet d’acte qu’elle avait reçu. Elle n’a notamment pas fait d’observations sur le paragraphe intitulé “déclarations fiscales” tel qu’il figure en page 5 de l’acte, ce alors que seulement moins de 8 mois après la vente, elle déclarait que celle-ci n’était pas soumise à TVA.

Par ailleurs, à aucun moment, Mmes [A] ne sont apparues comme résidant dans la maison objet de la vente, si bien qu’aucun élément ne pouvait laisser penser au notaire que cette maison était affectée à leur usage personnel. La cour observe d’ailleurs que l’affirmation de cet usage personnel n’est corroborée par aucun élément.

En outre, si l’appelante affirme avoir déjà acquitté la TVA lors de la construction de la maison, elle n’en justifie pas.

Il est même écrit dans la proposition de rectification du 6 mai 2015 que “la construction de la villa sur le lot n°6 entrait dans le champ d’application de la livraison à soi-même au titre de l’article 257-8 du CGI dès lors qu’elle était dispensée de TVA par application de l’article 257-7° du CGI. / En vertu de l’article 257-8-1-a du CGI le prélèvement par un assujetti d’un bien de son entreprise pour ses besoins privés est assimilé à une livraison à soi-même de bien à titre onéreux et est donc soumise à TVA.” Il peut être déduit de ces mentions que contrairement à ce que soutient l’appelante, elle a été dispensée de TVA lors de la construction de la maison et que lors de la vente de cette maison à Mmes [A], elle devait acquitter la TVA, si bien que le régime fiscal appliqué à la vente du 26 mars 2012 ne serait pas erroné.

Ainsi, la cour retient que la démonstration d’une faute commise par le notaire n’est pas rapportée.

En toute hypothèse, le préjudice de l’appelante consiste, ainsi qu’elle l’écrit en pages 10 et 11 de ses conclusions, à avoir acquitté deux fois la TVA sur la maison objet de la vente : une première fois lors de sa construction en raison de son affectation à l’usage personnel de Mmes [A] et une seconde fois lors de sa vente à Mmes [A].

La preuve de l’existence de ce préjudice passe nécessairement par la preuve de ce que la TVA a été acquittée une première fois lors de la construction de la maison. Or, alors pourtant que les premiers juges avaient relevé que cette preuve n’était pas rapportée, l’appelante ne justifie pas davantage en cause d’appel, du paiement effectif de la TVA une première fois lors de la construction de la maison.

Ainsi, elle ne démontre pas avoir subi un préjudice.

En conséquence, sans qu’il soit besoin de poser une question préjudicielle à la juridiction administrative, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la SARL Agenor Constructions de sa demande indemnitaire d’un montant de 49 734 euros outre intérêts.

Sur la demande indemnitaire des intimés pour procédure abusive

L’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne peut dégénérer en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière.

Le seul fait que la SARL Agenor Constructions succombe en ses prétentions ne suffit pas à établir qu’elle a commis un abus de droit.

Les intimés lui imputent une légéreté blâmable compte tenu du caractère manifestement infondé de son action. Or, dans la mesure où c’est notamment en raison d’une insuffisance de preuve que sa demande a été rejetée, aucun entêtement procédural ne peut lui être reproché.

En conséquence, le jugement déféré doit également être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire du notaire et de son assureur.

Sur les frais de procès

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, il convient de confirmer la disposition du jugement déféré ayant statué sur les dépens de première instance et de mettre les dépens d’appel à la charge de la SARL Agenor Constructions, avec application de l’article 699 du même code au profit du conseil des intimés.

Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur des intimés.

Il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SARL Agenor Constructions à leur payer une indemnité procédurale de 2 000 euros et de leur allouer, au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d’appel, une nouvelle indemnité de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SARL Agenor Constructions

aux dépens d’appel, Maître [P] [S] étant autorisée à recouvrer directement à son encontre ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision,

à payer aux consorts [D] et aux MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Le greffier Le président

 


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