Responsabilité du liquidateur : 2 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13927

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Responsabilité du liquidateur : 2 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13927
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 10

ARRÊT DU 02 OCTOBRE 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/13927 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEA2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2018/006445

APPELANTE

S.A.S. BUSTES ET MANNEQUINS DE FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés

en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

N° SIRET : 380 097 170

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMEES

S.A.R.L. KRN FINANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 507 422 731

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

S.A. COMPAGNIE FRANCAISE D’AGENCEMENT ET DE DECORATION agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 317 563 625

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signée par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Président pour Edouard LOOS, Président empêché , et par Sylvie MOLLE, Greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

 

La société SA Compagnie Française d’Agencement et de Décoration (ci-après dénommée Cofrad), contrôlée par sa holding Financière Cofrad, est spécialisée dans la fabrication et le négoce de mannequins de vitrine.

Par contrat du 1er mars 2017 la société Cofrad a confié à la société KRN Finance (ci-après dénommée KRN) un contrat de mission d’assistance à la levée de fonds et à la recherche d’un nouvel actionnaire.

Par jugement du 11 avril 2017 du tribunal de commerce de Paris, la holding Financière Cofrad a été placée en liquidation judiciaire.

Par ordonnance du 19 mai 2017, le juge commissaire de la liquidation judiciaire de la société Financière Cofrad, a autorisé la cession des actions de Cofrad au profit de la société Bustes et Mannequins de France  (ci-après dénommée BMF).

En contrepartie de son intervention, KRN Finance a facturé le 2 mars 2017 la somme de 36 000 euros TTC et le 19 mai 2017 la somme de 120 000 euros TTC à la société Cofrad et postérieurement à l’acquisition du contrôle, un échéancier a été conclu entre KRN Finance et BMF. Les sommes correspondant à cet échéancier ont été payées par BMF à l’exception d’une somme de 30 000 euros. De nombreuses relances ont été infructueuses.

Une procédure de sauvegarde a été ouverte à l’égard de la société Cofrad par jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 novembre 2017. Par jugement du 16 avril 2019, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de sauvegarde de la société Cofrad.

La société BMF étant domiciliée à Marseille, KRN Finance a déposé au tribunal de commerce de Marseille, le 29 novembre 2017, une requête tendant au paiement par BMF de la somme de 30 000 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 16/10/2017.

Sur opposition de la société BMF à une injonction de payer rendue le 5 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris, s’est, par jugement du 28 novembre 2018 déclaré compétent. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 6 mai 2019 de la cour d’appel| de Paris.

 

Par jugement rendu le 19 mai 2021 le tribunal de commerce de Paris a statué comme suit:

 

Prend acte de l’intervention volontaire de la SA Compagnie Francaise d’Agencement et de Décoration (COFRAD) ;

– Dit la société Bustes et Mannequins de France (BMF) mal fondée en son opposition ;

– Condamne la société BMF à payer à la société KRN Finance le solde de sa facture du 19 mal 2017 soit 30 000 euros TTC majorée des intérêts légaux ;

– Déboute les sociétés BMF et COFRAD de leurs demandes reconventionnelles ;

– Déboute BMF de sa demande de délais de paiement ;

– Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

– Condamne la société BMF à payer à la société KRN Finance la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– Condamne la société KRN Finance aux dépens de la présente instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 94,11 euros dont 15,47 euros de TVA.

– Ordonne l’exécution provisoire, sans constitution de garantie.

 

La société Bustes et Mannequins de France a interjeté appel du jugement le 16 juillet 2021.

 

 

Par dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2021, la société Bustes et Mannequins de France demande à la cour, au visa des articles 1199, 1240 , 1329, 1330, 1331, 1333 et 1244-1 du code civil, L642-19 du code de commerce, L533-12, L546-1 L 546-3 L546-4 du code monétaire et financier et du rapport de Monsieur [B] [S], expert comptable, de la déclarer recevable et bien fondé en son appel et, y faisant droit, infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Dit la société Bustes et Mannequins de France mal fondée en son opposition.;

– Condamne la société Bustes et Mannequins de France à payer à la société KRN Finance le solde de sa facture du 19 mai 2017 soit 30 000 TTC majorée des intérêts légaux ;

– Déboute les sociétés Bustes et Mannequins de France et Cofrad de leurs demandes reconventionnelles ;

– Déboute Bustes et Mannequins de France de sa demande de délais de paiement ;

– Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires (mais uniquement lorsqu’elle déboute les sociétés Bustes et Mannequins de France et Cofrad de leurs demandes) ;

– Condamne la société Bustes et Mannequins de France à payer à la société KRN Finance la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société KRN Finance aux dépens de la présente instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 94,11 euros dont 15,47 de TVA.

– Ordonne l’exécution provisoire, sans constitution de garantie

 

Statuant nouveau, déclarer l’opposition formée par Bustes et Mannequins de France recevable et bien fondée et rejeter la demande de condamnation, fins et conclusions de la société KRN

 

Sur les demandes présentées à titre reconventionnel

 

Condamner la société KRN au titre de la responsabilité délictuelle à payer à la société BMF la somme de 379 800 euros au titre de l’acquisition des actions dont la valeur est désormais nulle ainsi que du coût direct des frais financier,

 

Condamner la société KRN à payer à la société BMF la somme de 1 040 000 euros au titre des avances de trésorerie que la société BMF a réalisées au profit de Cofrad et des sommes mobilisées au cours de la période d’observation de la procédure de sauvegarde de Cofrad

 

A titre subsidiaire, si la cour venait à considérer que la société BMF était débitrice de la société KRN, octroyer un délai de règlement des condamnations du jugement à intervenir de deux années courant à compter de sa signification,

 

En tout état de cause, condamner la société KRN à régler à la société BMF la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens

 

Par dernières conclusions signifiées le 18 janvier 2022 la société COFRAD (Compagnie Française d’Agencement et de Décoration) demande à la cour de, au visa des articles 1199, 1240 , 1329, 1330, 1331, 1333 et 1244-1 du code civil, L642-19 du code de commerce, L533-12, L546-1 L 546-3 L546-4 du Code Monétaire et financier et du rapport de Monsieur [B] [S], expert comptable de :

 

– Déclarer recevables et bien fondés l’appel formé par la société BMF et l’appel incident par la société Cofrad

 

– Y faisant droit, infirmer le jugement en ce qu’il :

« déboute les sociétés Bustes et Mannequins de France et Cofrad de leurs demandes reconventionnelles;

« déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires »

Et statuant nouveau,

Rejeter la demande de condamnation, fins et conclusions de la société KRN

Juger que la société KRN a manqué à ses obligations contractuelles,

Juger que le préjudice sera évalué aux sommes suivantes :

– 126 000 euros à titre de dommages et intérêt consécutif au règlement des honoraires perçus,

– 637 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas supporter les coûts de restructuration,

– 116 838 euros au titre du coût de la procédure collective,

– 40 000 euros au titre du préjudice d’image de marque et de renommée de la société Cofrad vis-à-vis de sa clientèle,

– 40 000 euros au titre du préjudice de confiance vis-à-vis des fournisseurs et des banques.

Juger que le préjudice est imputable au comportement fautif de KRN

 

En conséquence,

– Condamner la société KRN à payer à la société Cofrad la somme de 126 000 euros à titre de dommages et intérêt consécutif au règlement des honoraires perçus,

– Condamner la société KRN à payer à la société Cofrad la somme de 637 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas supporter les coûts de restructuration

– Condamner la société KRN à payer à la société Cofrad la somme de 116 838 euros au titre du coût de la procédure collective,

– Condamner la société KRN à payer à la société Cofrad la somme de 40 000 euros au titre du préjudice d’image de marque et de renommée de la société Cofrad vis-à-vis de sa clientèle,

– Condamner la société KRN à payer à la société Cofrad la somme de 40 000 euros au titre du préjudice de confiance vis-à-vis des fournisseurs et des banques,

 

En tout état de cause, condamner la société KRN à régler à la société Cofrad la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens et dire que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Matthieu Boccon Gibod, SELARL Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

 

 

Par dernières conclusions signifiées le 11 avril 2022, la société KRN Finance, demande à la cour de :

 

Vu l’Ordonnance du tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2017

Vu l’Ordonnance du tribunal de commerce de Marseille du 5 décembre 2017

Vu les articles 1217 et 1240 du code civil ;

 

– Juger l’appel interjeté par BMF à l’encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2021 mal fondé ;

– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2021 en toutes ses dispositions

– Débouter la société Cofrad de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner les sociétés BMF et Cofrad à payer chacune à la société KRN Finance une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

SUR CE,

 

Sur la créance de la société KRN Finance

La société BMF s’oppose à la demande en paiement au motif qu’elle n’était pas partie au contrat conclu entre KRN et Cofrad et qu’elle n’a signé aucun contrat avec KRN. Elle invoque l’effet relatif des contrats à l’égard des tiers. Elle soutient que c’est à tort que le tribunal a estimé que les sociétés BMF et KRF s’étaient comportés en véritables parties au contrat et avait eu la volonté d’en assumer touts les engagements et d’en respecter les clauses.

Elle ajoute que les factures sont libellées à l’ordre de Cofrad, que le comportement de BMF ne peut en aucun cas s’analyser en une novation du contrat, les dispositions relatives à la novation exigeant la réunion de conditions, lesquelles ne sont pas remplies en l’espèce, l’avance de trésorerie au bénéfice de Cofrad ne pouvant en aucun cas s’analyser en une novation des obligations contractuelles

Elle fait valoir qu’elle a uniquement racheté les titres de la SA Cofrad en exécution d’une décision du tribunal en date du 19 mai 2017, sans pour autant reprendre à sa charge personnelle les engagements de Cofrad ; que le contrat de mission d’assistance stipule en son article 3.3 que seule la société Cofrad sera redevable des honoraires dus à KRN.

Si, par ordonnance en date du 19 mai 2017, le juge commissaire du tribunal de commerce de Paris a autorisé la cession des titres de l’actionnaire et que l’ordonnance porte la mention suivante : « L’acquéreur fera son affaire personnelle de tout passif et ou insuffisance d’actif de la société Cofrad, sans pouvoir exercer un quelconque recours à l’encontre de la SELAFA MJA ès qualités », il s’agit d’une décharge de responsabilité au simple bénéfice de la SELAFA MJA ; que faire son affaire affaire personnelle de tout passif et ou insuffisance d’actif de la société Cofrad sans pouvoir exercer un quelconque recours contre la SELAFA MJA ne peut signifier explicitement que BMF prendra en charge le passif et/ou l’insuffisance d’actif de la société Cofrad.

Elle fait valoir que la déclaration de créance de la société KRN à hauteur de 30 000 euros au passif de la société Cofrad qui bénéficie d’une procédure de sauvegarde depuis le 7 novembre 2027, la créance ayant été admise le 9 octobre 2018 exclut que KRN soit débiteur de la dette. Elle ajoute que KRN a déjà été remboursée au titre du plan d’une partie de sa créance.

Elle fait valoir que l’avance en trésorerie était justifiée par le fait que Cofrad n’avait pas les fonds nécessaires et que la nouvelle direction était privée de la signature sur le compte bancaire de Cofrad et ne peut pas être assimilée à un acte d’immixtion. Elle ajoute que KRN savait parfaitement que la société Cofrad était exsangue lors de la cession le 19 mai 2017 et a d’ailleurs masqué cette situation à la concluante ce que les échanges d’e-mails entre Me [E], KRN et l’ancienne direction établissent. KRN savait que seule la société BMF pouvait procéder à une avance de trésorerie à la société Cofrad tel que cela résulte de l’attestation de l’expert comptable de la société Cofrad).

Elle ajoute que le fait que Cofrad bénéficie d’une convention de trésorerie avec BMF ne rend pas pour autant la société mère garante de sa filiale.

La société KRN expose que BMF a spontanément et librement versé les sommes de 44 000 € par chèque le 26 juin 2017, 30 000 € par virement le 2 août 2017 et 30 000 € par virement le 7 septembre 2017 constituaient des avances de trésorerie au profit de sa filiale Cofrad mais n’emportaient aucune novation des obligations contractuelles et conteste sa qualité de garante des engagements de Cofrad.

Elle soutient que, bien qu’ayant la qualité de tiers au contrat, BMF s’est comportée comme une partie au contrat et a manifesté la volonté d’en assumer personnellement les engagements ; que lorsque le 19 mai 2017, elle a acquis les titres de Cofrad, elle s’est trouvée actionnaire de référence et a pris la direction de Cofrad et souscrit l’engagement de prendre en charge le passif et/ou l’insuffisance d’actif de Cofrad ; son engagement ne se limitant pas à consentir à la SELAFA MJA une décharge de responsabilité. BMF est devenue garante de Cofrad et donc co-débitrice de KRN Finance à la date de l’ordonnance du 19 mai 2017. La déclaration de créance est sans incidence sur ce point.

Elle invoque l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris du 6 mai 2019.

Ceci étant exposé, par ordonnance du 19 mai 2017, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société SAS Financière Cofrad a autorisé la SELAFA MJA ès qualités de liquidateur de la société Financière Cofrad à céder à la société BMF les titres de participations qu’elle détient dans le capital de la société Cofrad SA et précisé que « la société BFM fera son affaire personnelle de tout passif ou insuffisance d’actif de la société Cofrad sans pouvoir exercer un quelconque recours à l’encontre de la SELAF MJA ès qualités. »

Aux termes de l’acte de cession intervenu le 20 juin 2017, en application de l’article L 642-19 du code de commerce, la société BMF a pris l’engagement de faire « son affaire personnelle de tout passif ou insuffisance d’actif de la société de la société Cofrad, sans pouvoir exercer un quelconque recours à l’encontre de la SELA MJA ès qualités. »

Elle a en outre, sollicité un échéancier de paiement, indiquant par mail du 19 juin 2017 : « qu’il y a un peu plus de passif que celui auquel nous nous attendions » et procédé à trois règlements d’un montant respectif de 44 000 euros par chèque du 26 juin 2017 et de deux fois 30 000 euros par virements en date des 2 août et 7 septembre 2017.

Ainsi, la société BMF a montré la volonté d’assumer personnellement tous les engagements découlant du contrat conclu entre KRN et Cofrad et d’en respecter les clauses.

La créance de la société KRN a été admise au passif de la procédure de sauvegarde de la société Cofrad à hauteur de 30 000 euros, à titre chirographaire, par ordonnance du juge commissaire du 9 octobre 2018. La société BMF ne justifie pas que la créance aurait été payée en application du plan de sauvegarde.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu’il a condamné la société BMF à payer à la société KRN la somme de 30 000 euros.

Sur les demandes en paiement de la société BMF

La société BMF invoque la responsabilité délictuelle de la société KRN. Elle fait valoir que la société KRN l’a déterminée à acquérir les titres de la société Cofrad afin d’encaisser 156 000 euros en n’hésitant pas à lui transmettre des informations mensongères et à masquer des éléments qui, s’ils avaient été connus, auraient conduit BMF à ne pas acheter les titres ou à les acquérir à des conditions différentes en prévoyant un plan de financement adapté.

Elle soutient que KRN a communiqué intentionnellement des données économiques erronées, et a dissimulé la connaissance du quasi état de cessation des paiements de Cofrad, un détournement massif de la trésorerie de Cofrad par l’ancienne direction, une procédure judiciaire devant être engagée pour récupérer 849 000 euros, la perte du CIL (ligne de crédit fournisseurs) pour 92 KE en avril 2017 empêchant de financer les achats, l’effondrement du chiffre d’affaire de Cofrad, l’existence d’une précédente procédure de conciliation.

Elle soutient que ces informations ont été cachées à BMF qui a acheté le 19 mai 2017 les titres de Cofrad à la barre du tribunal sur une présentation tronquée et la rétention d’informations par la société KRN, BMF ayant été contrainte de mobiliser entre 2017 et 2018 1 415 080 euros de trésorerie en plus de l’acquisition des titres au lieu des 600 000 euros prévus.

Elle ajoute que KRN a manqué à son obligation contractuelle à l’égard de la société Cofrad en ce qu’elle a volontairement omis d’informer le futur acquéreur de sa réelle situation financière, cette faute conduisant à une sous-évaluation du besoin de financement qui a entraîné une procédure de sauvegarde de justice 4 mois seulement après la cession; procédure qui a duré près de 2 ans. Elle ajoute que KRN a manqué à son obligation de conseil à l’égard de la société Cofrad en s’abstenant de lui conseiller qu’il était nécessaire d’informer le futur acquéreur (BMF) de sa situation financière réelle afin que ce dernier puisse établir une proposition de rachat incluant un plan de financement correspondant à ses besoins.

Elle soutient que KRN est, en outre, intervenue en qualité de conseiller en investissements financiers dans le cadre de la levée de fonds réalisée par la société Cofrad et l’entrée au capital consécutive de la société BMF et que cette qualité imposait à KRN une immatriculation au répertoire ORIAS mais aussi une obligation d’information renforcée à l’égard de l’acheteur des titres.

Elle sollicite l’indemnisation de son préjudice à hauteur de la somme de 358 000 € au titre de l’acquisition proprement dite (actions et frais d’acquisition des actions) qui ont désormais une valeur nulle et celle de 21 800 euros au titre du coût direct en frais financier en raison des deux emprunts bancaires qu’elle a dû souscrire pour l’acquisition des titres, soit un total de 379 800 euros.

Elle sollicite également, sur la base des conclusions de l’expert comptable l’indemnisation de son préjudice indirect constitué par  des avances de trésorerie qu’elle a réalisées au profit de Cofrad des sommes qu’elle a dû mobilisées au cours de la période d’observation de la procédure de sauvegarde pour éviter que cette dernière, dans le cadre de sa réorganisation ne doive supporter un passif et un litige excessif, qu’elle évalue à la somme de 1 040 000 €.

La société KRN Finance soutient qu’elle n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil ou sa responsabilité contractuelle à l’égard du cessionnaire des titres de Cofrad, l’argumentaire de BMF reposant sur le postulat erroné de ce que la concluante serait soumise au statut « d’intermédiaire financier » tenue à ce titre au respect de certaines conditions d’exercice de la profession et d’une obligation d’information renforcée alors qu’elle n’est pas un intermédiaire financier ou un conseiller en investissement financier mais exerce une activité de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion auprès des entreprises et de leurs dirigeants comme en atteste son code APE.

Elle expose qu’aux termes de l’article 1.4 du contrat de mission, elle est intervenue dans la cession pour conseiller Cofrad et l’aider à trouver un repreneur mais qu’elle n’était pas le conseil des candidats à la reprise et en particulier de BMF. Elle ajoute que le mandat liant KRN à Cofrad stipule à l’article 2.2 que si Cofrad s’engage pour la bonne réalisation de la mission à fournir toute coopération et à l’informer de l’origine et du degré de fiabilité des éléments d’information et documents transmis, « il n’entre pas dans la mission de KRN Finance de vérifier qu’ils sont sincères, exacts et non de nature à fausser le jugement d’un tiers. »

Elle souligne que lorsque la société Manex France, présidée par Monsieur [D] [O], a fait part de son intérêt à l’acquisition de Cofrad pour sa filiale BMF, il a, comme il est d’usage, signé le 22 mars 2017 un accord de confidentialité stipulant clairement une clause exonératoire de garantie rédigée comme suit :

« L’information Confidentielle est délivrée « telle que » et la Partie Emettrice ne s’engage pas, ni ne garantit, au titre du présent Accord de confidentialité, de façon implicite ou expresse, que les Informations Confidentielles divulguées sont sans erreur, suffisamment précises ou fiables pour toute tâche ou projet et qu’elles ne violent aucun droit qui pourrait être tenu par un tiers. »

Elle fait valoir que le préjudice invoqué par BMF est éminemment critiquable.

Ceci étant exposé, la société BMF recherche la responsabilité délictuelle de la société KRN, d’une part en raison d’un comportement délictueux à son égard mais aussi en raison de manquements contractuels commis par KRN à l’égard de sa cocontractante, la société Cofrad.

Les obligations mises à la charge de KRN au titre du contrat de mission, article 1.4, , sont les suivantes :

« Assistance de la société à la définition et à la formalisation des informations et documents de présentation nécessaire ;

Assistance à la sélection des repreneurs ou investisseurs potentiels, ceux-ci étant toujours validés avec La Société ;

Assistance à l’organisation des contacts,

Assistance à l’évaluation des offres reçues,

Assistance à la préparation, à la négociation et à la mise en ‘uvre des termes et conditions de l’opération à intervenir (structuration financière, protocole général, garantie d’actif et e passif, pacte d’actionnaires’) ;

Assistance à la coordination de l’intervention des conseils externes auxquels la société aurait éventuellement recours (avocat, auditeurs, conseillers fiscaux, et experts techniques’) »

La société KRN n’est pas intervenue en qualité de conseiller de gestion de patrimoine ni de conseiller en investissements financiers mais en qualité de conseiller en gestion tel que cela résulte du contrat de mission dont l’objet était l’assistance de la société Cofrad ret la recherche de repreneurs éventuels ou investisseurs ainsi que la mise en ‘uvre de l’opération à intervenir.

Aux termes de l’article 2.2 du contrat, la société Cofrad s’est engagée à « informer KRN du degré de fiabilité des éléments d’informations et documents transmis, étant précisé qu’il n’entre pas dans la mission de KRN Finances de vérifier qu’ils sont sincères, exact et non de nature à fausser le jugement d’une tiers. »

Il n’appartenait donc par à KRN de vérifier l’exactitude et/ou la sincérité des informations et documents que lui transmettait la société Cofrad. La société BMF ne saurait dès lors reprocher à la société KRN de lui avoir transmis des documents inexacts ou insincères dont la seule responsabilité incombait à la société Cofrad.

La société BMF est également mal fondée à reprocher à KRN d’avoir manqué à son obligation contractuelle d’informer le futur acquéreur de la situation de Cofrad puisqu’il appartenait à cette dernière de vérifier la sincérité et l’exactitude des éléments et documents fournis à la société KRN. Elle est également mal fondée à reprocher à KRN d’avoir omis de signaler à la société Cofrad un risque d’ouverture d’une procédure de sauvegarde de justice, voire de redressement judiciaire que cette dernière ne pouvait ignorer puisque la signature du contrat était justement destinée à éviter ce risque et qu’en outre, l’obligation incombant à KRN de trouver un repreneur a finalement été remplie par la reprise de la société par BMF.

Il convient d’ajouter que la société BMF, professionnel du même secteur auquel appartient la société Cofrad a disposé d’informations dans le data room du liquidateur de la société Cofrad et notamment pris connaissance du rapport du 25 novembre 2017 du Cabient Exelmans sur les difficultés de la société Cofrad. L’ordonnance du juge commissaire du 19 mai 2017 souligne que BMF a indiqué « avoir pris connaissance des documents comptables et juridiques et avoir elle-même réalisé les audits et comptables nécessaires pour la rédaction de son offre d’acquisition, d’avoir disposé d’informations lui permettant de procéder à l’acquisition des titres de la société Cofrad, en renonçant expressément à tout recours contre la SELAF MJA ès qualités de liquidateur au titre de cette acquisition ».

En l’absence de faute prouvée à l’encontre de la société KRN, le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté la société BFM de ses demandes de dommages et intérêts.

Sur les demandes en paiement de la société Cofrad

La société Cofrad soutient que la société KRN a manqué à ses obligations de bonne foi et d’information et sollicite la condamnation de KRN à l’indemniser à hauteur sommes suivantes :

. 126 000 euros à titre de dommages et intérêt consécutif au règlement des honoraires perçus,

. 637 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas supporter les coûts de restructuration,

. 116 838 euros au titre du coût de la procédure collective,

. 40 000 euros au titre du préjudice d’image de marque et de renommée de la société Cofrad vis-à-vis de sa clientèle,

. 40 000 euros au titre du préjudice de confiance vis-à-vis des fournisseurs et des banques.

Elle soutient que la présentation de la situation de la société Cofrad élaborée par KRN dans le cadre de sa mission n’était ni loyale ni sincère et a été élaborée dans le seul et unique but d’encaisser la commission de 156 000 € ; qu’elle a échangé à de nombreuses reprises avec l’ancienne direction Financière Cofrad et Cofrad en vue de la cession des titres de cette dernière et que, parfaitement informée du risque inévitable de sauvegarde judiciaire de la société Cofrad, voire de redressement judiciaire, elle n’en a jamais informé la société BMF et son dirigeant M. [O]. Cette rétention d’information essentielle à l’égard du repreneur s’est avérée décisive et a conduit la société BMF à envisager une reprise et un plan de financement de Cofrad sur la base d’éléments erronés. Les nombreux échanges entre la société KRN et l’ancienne direction de la concluante démontrent que KRN n’a pas tout mis en ‘uvre pour empêcher à la société Cofrad l’ouverture d’une procédure de sauvegarde judiciaire.

Ceci étant exposé, il résulte du contrat de mission qu’il incombait à la société Cofrad de vérifier la sincérité et l’exactitude des éléments et documents fournis à la société KRN  La société Cofrad est particulièrement mal fondée à reprocher à KRN d’avoir omis de signaler un risque d’ouverture d’une procédure de sauvegarde de justice, voire de redressement judiciaire risque dont elle était forcément consciente et alors que l’obligation incombant à KRN de trouver un repreneur a finalement été remplie par la reprise de la société par BMF. Enfin, la société Cofrad ne démontrent pas en quoi la société KRN n’aurait pas tous mis en ‘uvre pour empêcher l’ouverture de la procédure de sauvegarde judiciaire, sa seule mission étant d’organiser la reprise de la société.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Cofrad de ses demandes de dommages et intérêts.

Les sociétés BMF et Cofrad succombant en leurs demandes, seront condamnées solidairement aux dépens d’appel et déboutées de leur demande d’indemnité de procédure. Elle seront condamnées in solidum à payer à la société KRN, sur ce même fondement, la somme de 8 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE solidairement les sociétés Bustes et Mannequins de France et Compagnie Française d’Agencement et de Décoration aux dépens d’appel ;

DÉBOUTE les sociétés Bustes et Mannequins de France et Compagnie Française d’Agencement et de Décoration de leur demande d’indemnité de procédure ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Bustes et Mannequins de France et Compagnie Française d’Agencement et de Décoration à payer à la société KRN Finance la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL

 


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