Responsabilité du donneur d’ordre : 12 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00119

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12 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/00119

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 12 Janvier 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/00119 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBGQP

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 17/03814

APPELANTE

URSSAF ILE DE FRANCE

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 5]

représentée par Madame [B] [Y] en vertu d’un pouvoir général

INTIMEE

SARL [7]

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 4]

représentée par Me Julie FERRARI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190 substituée par Me Christine GENDRE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller,

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller pour Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre et Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par l’Urssaf d’Ile de France d’un jugement rendu le 29 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris dans un litige l’opposant à la société [7].

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que l’Urssaf d’Ile de France (l’Urssaf) a notifié le 18 juillet 2016 à la société [7] (la société) une lettre d’observations l’informant de la mise en oeuvre de sa solidarité financière en qualité de donneur d’ordre non-vigilant à l’égard de la société de droit roumain [8] sur la période du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2014, puis elle lui a adressé le 1er février 2017 une mise en demeure de payer la somme de 375 469 euros.

Après vaine saisine de la commission de recours amiable, la société a saisi une juridiction de sécurité sociale. Par jugement du 25 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

– dit n’y avoir lieu de déclarer nulle la procédure de mise en cause de la solidarité financière de la société [7] vis-à-vis de la société [8],

– dit que c’est à bon droit que l’Urssaf Ile de France a engagé la solidarité financière de la société [7],

– condamné la société [7] à payer à l’Urssaf Ile de France la somme de 70 000 euros,

– déboute les parties de surplus de leurs demandes,

Le jugement lui ayant été notifié le 4 décembre 2019, l’Urssaf Ile de France en a interjeté appel le 20 décembre 2019.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

– déclaré régulière la procédure de mise en cause de la solidarité financière de la société [7] vis-vis de la société [8],

– dit que c’est à bon droit que l’Urssaf Ile de France a engagé la solidarité financière de la société [7],

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société [7] à payer à l’Urssaf Ile de France la somme de 70 000 euros,

Et statuant à nouveau,

– confirmer la décision de la commission de recours amiable du 12 mars 2018,

– en conséquence, condamner la société donneur d’ordre au paiement de la somme de 375 469 euros au titre des cotisations redressées en 2013 et 2014 au titre de la mise en oeuvre de la procédure de solidarité financière,

En tout état de cause,

– condamner la société au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société de toutes ses demandes.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, la société demande à la cour de :

– infirmer le jugement de première instance

et statuant à nouveau

A titre principal,

– juger que la procédure de mise en cause de la solidarité financière de la société [7] par l’Urssaf ainsi que les actes afférents dont la mise en demeure de payer du 1er février 2017 sont nuls et de nuls effets ;

– décharger la société [7] de la somme de 375 469 euros et de tous intérêts afférents dont l’Urssaf lui réclame le paiement.

à titre subsidiaire,

– juger que l’Urssaf ne pouvait répercuter sur la société [7] la majoration légale de 40 % pour travail dissimulé au titre de la solidarité financière, faute qu’elle soit applicable aux faits de l’espèce et justifiée ;

– soustraire en conséquence du montant des sommes mises à la charge de la société [7] la majoration légale ainsi appliquée ;

– juger que les sommes mises à la charge de la société [7] sont disproportionnées ;

– réduire en conséquence les sommes mises à la charge de la société [7] à de plus justes proportions sans que le redressement ne puisse être supérieur à la somme de 118.003 euros ;

En tout état de cause,

– condamner l’Urssaf à régler à la société [7] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

En application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience pour l’exposé de leurs moyens.

SUR CE, LA COUR

1. Sur la mise en oeuvre de la solidarité financière

Selon l’article L. 8222-1 du code du travail, toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte :

‘ 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2° de l’une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants.’

L’article D.8222-5 du même code précise que la personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution :

‘1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants :

a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;

b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription ;’

L’article L. 8222-2, 1° du code du travail dispose que toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale.

La mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenue en application de ce texte, le donneur d’ordre est subordonnée à l’établissement d’un procès verbal pour délit de travail dissimulé à l’encontre du co-contractant.

Au cas présent, l’organisme de sécurité sociale a, le 18 juillet 2016, adressé à la société intimée une lettre d’observations notifiant la mise en oeuvre de la solidarité financière au motif que le délit de travail dissimulé avait été relevé à l’encontre du responsable légal de l’entreprise [8], à laquelle avait été adressé le 13 mai 2016, une lettre d’observations l’avisant d’un rappel de cotisations et contributions sociales éludées pour un montant de 502 779 euros. Le montant réclamé au titre de la solidarité financière à la société intimée s’élevait à la somme de 375 469 euros.

La lettre d’observations rappelait que l’organisme de sécurité sociale avait réclamé le 16 avril 2015 par courrier avec accusé de réception à la société intimée la preuve du rattachement des salariés intervenant sur le chantier, au régime social roumain par la fourniture des documents de détachements A1 et qu’aucun document réclamé n’avait été fourni à la suite de cette demande.

Pour contester la mise en oeuvre de la solidarité financière, l’intimée expose que le contrôle sur le chantier a eu lieu le 17 février 2015, alors que le contrat qu’elle a conclu avec la société [8] s’est achevé par la réception des travaux le 15 décembre 2014. Elle soutient donc qu’elle n’avait plus de liens contractuels avec la société redressée au moment du contrôle et qu’en conséquence, la solidarité financière ne peut être mise en oeuvre à son encontre.

Mais la société intimée ne produit aucune pièce à l’appui de ses affirmations quant à la nature et la durée de ces liens contractuels avec la société redressée. En effet, ni le contrat et/ou ses éventuels avenants conclus entre les deux sociétés s’agissant du chantier contrôlé, ni le procès-verbal de réception de travaux ne sont produits. A cet égard, à la suite des déclarations préalables de détachement adressées par la société de droit roumain à la DIRECTE, cette administration a adressé le 11 septembre 2014 un courrier à l’intimée en lui indiquant en qualité de donneur d’ordre que « Ces déclarations indiquent toutes que du personnel de [8] est détaché au bénéfice de votre entreprise pour être employé aux numéros [Adresse 2],[Adresse 1] et [Adresse 3] de la [Adresse 9] à [Localité 6], sur un chantier “La Diligence”

Malgré plusieurs visites sur place, nous n’avons pu malgré tout pu constater ni une quelconque activité ni la présence du personnel de [8].

Par ailleurs, la totalité des déclarations reçues mentionnent une prestation de 9 mois à compter du 30 octobre 2023. A la fin de juillet 2014, ces prestations auraient donc du prendre fin.

Pourtant, nous avons à nouveau reçu -les 18 et 27 août 2014- deux déclarations en date des 14 et 25 août 2014 indiquant toujours une prestation de 9 mois à compter du 31 octobre 2013… »

Il ressort de ces éléments que l’intimée se trouvait être effectivement le donneur d’ordre de la société [8] le 17 février 2015, lorsque des infractions de travail dissimulé ont été relevées à l’encontre de cette société.

Au titre d’un second moyen, l’intimée soutient que le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté et les droits de la défense auraient été violés par l’organisme de sécurité sociale dans la mise en oeuvre de la solidarité financière.

En application de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, les mentions de la lettre d’observations doivent permettre au redevable de connaître les causes, les périodes, les bases ainsi que le montant des redressements opérés.

Il ressort de la lettre d’observations du 18 juillet 2016 dont les termes ont déjà été rappelés que la société intimée a été avisée des motifs pour lesquels l’appelante avait décidé d’appliquer la solidarité financière à son encontre. S’agissant du montant de la contribution de l’intimée au titre de la solidarité financière, l’Urssaf indique :

« Compte tenu de la période pendant laquelle votre entreprise a été liée à l’entreprise [8] et du montant des factures pour les travaux de sous-traitance réalisés par cette entreprise pour votre compte soit 159 787 euros pour 2013 (factures du 30 octobre au 24 décembre 2013) et 748 411 euros pour 2014 (factures du 29 janvier au 10 décembre2014), votre solidarité financière est mise en cause pour les montants suivant (en cotisations et contributions sociales et majorations légales de 40% pour travail dissimulé) soit :

– 2013 : 65 831euros

– 2014 : 309 638 euros. »

La lettre d’observations ne contient aucune indication quant au calcul de la somme de la somme de 65 831 euros pour l’année 2013 et de la somme de 309 638 euros pour l’année 2014 par rapport aux sommes de 159 787 euros pour 2013 et 748 411 euros pour 2014, correspondant aux factures de la société sous-traitante pour le compte de la société intimée. Cette absence totale de précision sur les données du calcul de la somme réclamée au titre de la solidarité financière ne permettait à la société de connaître les bases des montants réclamés et la lettre d’observations du 18 juillet 2016 doit être annulée, ainsi que la mise en demeure subséquente.

La décision du premier juge doit être infirmée.

2. Sur l’article 700 du code de procédure civile

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société [7] les frais irrépétibles qu’elle a exposés.

3. Sur les dépens

L’Urssaf Ile de France, succombant en cette instance, devra en supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DÉCLARE recevable l’appel de l’Urssaf d’Ile de France,

INFIRME le jugement RG n°17/03817 du tribunal de grande instance de Paris du 29 novembre 2019 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

ANNULE la lettre d’observations du 18 juillet 2016 notifiée par l’Urssaf Ile de France à la société [7] pour avoir paiement de la somme de 65 831 euros pour l’année 2013 et la somme de 309 638 euros pour l’année 2014 au titre de la solidarité financière et la mise en demeure subséquente du 1er février 2017,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,

DÉBOUTE la société [7] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE l’Urssaf Ile de France aux dépens de la procédure d’appel engagés depuis le 1er janvier 2019.

La greffière Pour la présidente empêchée