Responsabilité du dirigeant face à la gestion déficitaire et aux irrégularités comptables : enjeux et conséquences.

·

·

Responsabilité du dirigeant face à la gestion déficitaire et aux irrégularités comptables : enjeux et conséquences.

M. [S] [K], dirigeant de la SARL Cogem Industrie, a demandé la liquidation judiciaire de la société Sogem Industrie, ce qui a été accepté par le tribunal de commerce de Douai le 22 décembre 2020. Le tribunal a fixé la date de cessation de paiement au 30 juin 2020 et a nommé un mandataire liquidateur. Le 11 septembre 2024, le tribunal a jugé que M. [S] [K] avait omis de déclarer la cessation de paiement dans le délai imparti et avait commis des fautes de gestion, le rendant responsable d’une comptabilité irrégulière. En conséquence, il a été condamné à une faillite personnelle de trois ans, à une incapacité d’exercer une fonction publique, et à verser des sommes au mandataire liquidateur. M. [S] [K] a interjeté appel et a demandé l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement, arguant qu’il n’était pas responsable des fraudes fiscales découvertes. La SCP Alpha MJ, en réponse, a contesté cette demande, soulignant l’insuffisance d’actif et les fautes graves de M. [K]. Le procureur général a également exprimé son opposition à l’arrêt de l’exécution provisoire. Finalement, le tribunal a débouté M. [S] [K] de sa demande et l’a condamné à verser des frais au mandataire liquidateur.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 octobre 2024
Cour d’appel de Douai
RG
24/00161
République Française

Au nom du Peuple Français

C O U R D ‘ A P P E L D E D O U A I

RÉFÉRÉ DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 18 OCTOBRE 2024

N° de Minute : 156/24

N° RG 24/00161 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VZU5

DEMANDEUR :

Monsieur [S] [K]

né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 4]

comparant en personne et assisté de Me Hubert SOLAND, avocat au barreau de Lille

DÉFENDEUR :

S.C.P. ALPHA MANDATAIRES JUDICIAIRES, prise en la personne de Me [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL SOGEM INDUSTRIE

dont le siège est situé [Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY de la SCP PROCESSUEL, avocate au barreau de Douai

M. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE DOUAI

représenté par M. Christophe DELATTRE, substitut général

PRÉSIDENTE : Michèle Lefeuvre, première présidente de chambre désignée par ordonnance du 19 juillet 2024 pour remplacer le premier président empêché

GREFFIER : Christian Berquet

DÉBATS : à l’audience publique du 07 octobre 2024

Les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’ordonnance serait prononcée par sa mise à disposition au greffe

ORDONNANCE : contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le dix huit octobre deux mille vingt quatre, date indiquée à l’issue des débats, par Michèle Lefeuvre, présidente, ayant signé la minute avec Christian Berquet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

161/24 – 2ème page

M. [S] [K], dirigeant de la SARL Cogem Industrie ayant une activité de chaudronnerie, a, par déclaration datée du 18 décembre 2020, saisi le tribunal de commerce de Douai d’une demande de liquidation judiciaire de la société.

Par jugement du 22 décembre 2020, le tribunal de commerce de Douai a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la SARL Sogem Industrie, fixé la date de cessation de paiement au 30 juin 2020 et nommé Me [N] [R] en qualité de mandataire liquidateur.

Saisi par la SCP Alpha MJ prise en la personne de Me [R], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Sogem Industrie, le tribunal de commerce de Douai a, par jugement contradictoire du 11 septembre 2024′, retenu d’une part que M. [S] [K] a volontairement omis d’effectuer dans le délai de 45 jours la déclaration de cessation de paiement et poursuivi une exploitation déficitaire et d’autre part a commis une faute de gestion par manque de contrôle interne le rendant responsable d’une comptabilité incomplète et irrégulière.Le tribunal a en conséquence, avec exécution provisoire au regard de la gravité des faits:

– prononcé une mesure de faillite personnelle d’une durée de trois ans à l’encontre de M. [S] [K],

– prononcé son incapacité d’exercer une fonction publique élective pendant trois ans en application de l’article L653-10 du code de commerce,

– ordonné la publication du jugement conformément aux dispositions de l’article 768 du code de procédure pénale et R 653 du code de commerce ainsi que son inscription au fichier national des interdits de gérer,

– condamné M. [S] [K] à payer à la SCP Alpha MJ, es qualités de liquidateur judiciaire de la société Sogem Industrie’:

– la somme de 300.000 euros,

– la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ainsi qu’aux dépens.

M. [S] [K] a interjeté appel de ce jugement le 21 septembre 2024.

Par acte de commissaire de justice en date du 3 octobre 2024, M. [S] [K], autorisé par ordonnance du même jour, a fait assigner en référé d’heure à heure la SCP Alpha Mandataires judiciaires en la personne de Me [N] [R], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Sogem Industrie, à comparaitre le 7 octobre 2024 devant le premier président aux fins de voir, sur le fondement de l’article 514-3 du code de procédure civile, ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire assortissant le jugement du tribunal de commerce de Douai du 11 septembre 2024.

Il fait valoir qu’il dispose de moyens sérieux de réformation, en ce qu’il ne peut lui être reproché d’avoir masqué délibérément la réalité des comptes de la société et retardé la déclaration de cessation de paiement, les fraudes fiscales découvertes ayant été accomplies à son insu par son directeur financier qui bénéficiait d’une délégation de pouvoir pour la gestion de la société, ce qui ne suffit pas à caractériser sa responsabilité personnelle pour absence de contrôle en raison de ces circonstances. Il affirme que la comptabilité était publiée chaque année, qu’il dirigeait les autres sociétés du groupe qui sont in bonis, que l’administration fiscale l’a laissé sans nouvelles, que l’URSSAF avait autorisé des reports en raison de la crise sanitaire, qu’il n’y a eu aucun enrichissement personnel et qu’aucune assignation en paiement n’était en cours.

Il rappelle être à la tête de toutes les sociétés du groupe réparties sur plusieurs sites ayant pour activité la métallurgie ferroviaire, les services industriels, la construction ou la dentelle et que le maintien de la sanction de faillite personnelle risque de mettre en péril ces sociétés qui représentent 400 salariés, leur gestion complexe ne pouvant être confiée à un administrateur ad’hoc. Il souligne que la suppression de ses accès bancaires risque de créer des difficultés de versement des paies du mois de septembre 2024, ce qui caractérise des conséquences manifestement excessives du jugement nécessitant en urgence l’arrêt de l’exécution provisoire.

Par conclusions en réponse, la SCP Alpha MJ prise en la personne de Me [R], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Sogem Industrie, demande au premier président de débouter M. [S] [K] de sa demande et de le condamner à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

161/24 – 3ème page

Me [R] affirme que M. [K] ne démontre pas de moyens sérieux de réformation et relève que l’insuffisance d’actif s’élève à 2.495.492,31 euros, incluant 1.297.999,22 euros de dettes fiscales, que la déclaration de cessation de paiement a été faite le 18 décembre 2020 alors qu’elle a été fixée définitivement au 30 juin 2020, soit cinq mois en amont et au-delà du délai légal de 45 jours. Il rappelle que M. [K] avait connaissance des dettes fiscales et impayés de l’URSSAF et en tant que dirigeant, était tenu de contrôler son directeur financier qui effectuait des décalages de TVA afin de maintenir la trésorerie de manière frauduleuse.

Subsidiairement, il indique que des administrateurs ad’hoc peuvent être désignés dans les entreprises afin de pallier la suspension des fonctions de M. [K] et qu’il ne démontre pas la bonne santé financière des autres sociétés du groupe, dont certaines, dont la société Caddie, bénéficient d’une procédure collective.

Par avis du 4 octobre 2024 soutenu oralement à l’audience, le procureur général s’est montré défavorable à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement frappé d’appel.

Il rappelle que les dispositions de l’article R661-1 du code de commerce sont applicables et considère que M. [K] ne démontre aucun moyen sérieux de réformation en raison des fautes graves qui lui sont reprochées. Il indique que l’administration fiscale a constaté l’irrégularité des écritures comptables résultant d’un procédé frauduleux et que M. [K] a été, par arrêt du 30 mars 2023 de la cour d’appel, condamné personnellement en solidarité avec la société Cogem Industrie, à verser à l’administration fiscale la somme de 1.282.689 euros.

Il ajoute que la déclaration de cessation de paiement a été réalisée tardivement, au-delà du délai légal de 45 jours qui suit cette cessation de paiement fixée au 30 juin 2020, sans demande de conciliation, et que M. [K] connait parfaitement ses obligations en qualité de dirigeant puisqu’il dirige plusieurs entreprises dont certaines ont bénéficié de procédures collectives.

Enfin en ce qui concerne les conséquences manifestement excessives, il constate que M. [K] ne justifie pas de la situation des autres sociétés qui peuvent solliciter la nomination d’un administrateur ad’hoc dans l’attente d’un nouveau dirigeant.

SUR CE

Aux termes de l’article R 661-1 du code de commerce alinéa 2, ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire les jugements et ordonnances rendus en application notamment de l’article L651-2 et les jugements qui prononcent la faillite personnelle ou l’interdiction prévue à l’article L653-8.

L’alinéa 3 de cette disposition prévoit toutefois que par dérogation aux dispositions de l’article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux. L’exécution provisoire des décisions prises sur le fondement de l’article L663-1-1 peut être arrêtée en outre lorsque l’exécution risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives. Dès le prononcé de la décision du premier président arrêtant l’exécution provisoire, le greffier de la cour d’appel en informe le greffier du tribunal.

Il résulte des pièces produites aux débats que le tribunal de commerce a par jugement du 22 décembre 2020 devenu définitif fixé la date de cessation de paiement de la société Sogem Industrie au 30 juin 2020 après réception de la demande de placement en liquidation judiciaire établie par M. [K] le 18 décembre 2020 prévoyant une date de cessation de paiement au 8 décembre 2020.

Cependant, alors qu’il avait connaissance des résultats déficitaires en décembre 2029 et des propositions de redressement de l’administration fiscale, il ne peut être sérieusement soutenu par M. [K] qu’il ignorait l’état déficitaire des comptes ayant amené le tribunal de commerce à fixer dès sa saisine la date de cessation de paiement au 30 juin 2020, entrainant par voie de conséquence le constat de la tardivité de sa déclaration.

Il ne peut davantage être sérieusement soutenu que M. [K], dirigeant de droit, n’était pas responsable des irrégularités de la comptabilité au titre de la TVA relevées par l’administration fiscale dans le cadre de ses vérifications pour les exercices 2016 et suivants et qualifiées d’intentionnelles aux fins de bénéficier d’une trésorerie au détriment de l’Etat, alors qu’il a été par arrêt confirmatif de la cour d’appel

161/24 – 4ème page

du 30 mars 2023 déclaré personnellement responsable de ces manquements en application de l’article L267 du livre des procédures fiscales. Il est observé que les moyens tenant à une délégation accordée au directeur financier, également associé minoritaire, ainsi qu’à l’absence de suivi personnel de la comptabilité alors qu’il signait les documents et présidait les assemblées générales votant l’approbation des comptes, ont été écartés par cette décision. Il s’ensuit que ces mêmes moyens ne sont pas susceptibles d’entrainer la réformation du jugement du tribunal de commerce déféré.

La condition tenant aux risques d’entrainer des conséquences manifestement excessives en cas d’exécution provisoire ne s’appliquant qu’aux décisions prises sur le fondement de l’article L663-1-1 du code du commerce, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, il ne peut qu’être constaté que M. [K] ne répond pas aux conditions exigées pour obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire assortissant le jugement frappé d’appel, de sorte qu’il sera débouté de sa demande.

Il parait inéquitable de laisser à la charge du mandataire liquidateur les frais irrépétibles de la procédure. Il lui sera en conséquence alloué la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par ordonnance contradictoire, rendue après débats en audience publique,

Déboute M. [S] [K] de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire assortissant le jugement du tribunal de commerce de Douai du 11 septembre 2024,

Condamne M. [S] [K] à verser à la SCP Alpha MJ prise en la personne de Me [R], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Sogem Industrie, la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] [K] aux dépens de la présente instance

Ainsi jugé et prononcé le 18 octobre 2024 par mise à disposition au greffe

Le greffier La présidente

C. BERQUET M. LEFEUVRE


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x