Responsabilité des Intervenants dans la Construction : Analyse des Obligations et des Garanties en Cas de Malfaçons

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Responsabilité des Intervenants dans la Construction : Analyse des Obligations et des Garanties en Cas de Malfaçons

La Sccv l’Indigo a construit un ensemble immobilier et a souscrit un contrat d’assurance dommages-ouvrage auprès de CBL Insurance. Plusieurs intervenants ont participé à la construction, dont des architectes, un bureau d’études et un contrôleur technique. Après l’ouverture du chantier en janvier 2017, des défauts de construction ont été signalés, entraînant une déclaration de sinistre en novembre 2017. CBL Insurance a versé une indemnité de 92 703,16 euros à la Sccv l’Indigo pour préfinancer les travaux de reprise.

Suite à des démarches amiables infructueuses, les co-liquidateurs de CBL ont assigné la Sarl CD Architectes et la Maf en décembre 2021 pour obtenir le remboursement de l’indemnité versée. La procédure a été élargie pour inclure MDS Constructions et son assureur. Les parties ont formulé diverses demandes, notamment en matière de responsabilité et de garantie d’assurance, ainsi que des demandes de condamnation aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les conclusions des parties ont été notifiées entre janvier et décembre 2023, chacune cherchant à se dégager de responsabilités ou à obtenir des compensations financières.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Toulouse
RG
21/05705
MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 07 Octobre 2024
DOSSIER : N° RG 21/05705 – N° Portalis DBX4-W-B7F-QQBT
NAC : 58E

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOULOUSE
POLE CIVIL – Fil 1

JUGEMENT DU 07 Octobre 2024

PRESIDENT

Madame KINOO, Vice-Présidente
Statuant à juge unique conformément aux dispositions des
articles R 212-9 et 213-7 du Code de l’Organisation judiciaire

GREFFIER lors du prononcé

Madame CHAOUCH, Greffier

DEBATS

à l’audience publique du 03 Juin 2024, les débats étant clos, le jugement a été mis en délibéré à l’audience de ce jour.

JUGEMENT

Contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe.
Copie revêtue de la formule
exécutoire délivrée
le
à
DEMANDEURS

M. [L] [G] de la société KPMG és qualités de co-liquidateur de la société CBL INSURANCE EUROPE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY
demeurant [Adresse 8] – IRLANDE

M. [P] [N] de la société KPMG és qualités de co-liquidateur de la société CBL INSURANCE EUROPE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY, demeurant [Adresse 8] / IRLANDE

représentés par Me Delphine CHANUT, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat postulant, vestiaire : 242, et par Maître Clément RAIMBAULT de la SCP DELAVALLADE-RAIMBAULT, avocats au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DEFENDEURS

S.A.R.L. CD ARCHITECTES, RCS Toulouse 800 536 245, dont le siège social est sis [Adresse 1]

Compagnie d’assurance MUTUELLE ARCHITECTES FRANCAIS, en qualité d’assureur de M. [H] et de la Sarl CD Architectes, dont le siège social est sis [Adresse 2] / FRANCE

représentées par Maître Sylvie ATTAL de la SELAS D’AVOCATS ATCM, avocats au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant/postulant, vestiaire : 86

Compagnie d’assurance ALLIANZ IARD, és qualités d’assureur d la Société MDS Constructions, RCS Nanterre 542 110 291, dont le siège social est sis [Adresse 7]
représentée par Maître Corine CABALET de la SELARL SELARL TERRACOL-CABALET AVOCATS, avocats au barreau de TOULOUSE, avocats plaidant/postulant, vestiaire : 257

S.A.R.L. MDS CONSTRUCTIONS, RCS Toulouse 418 435 947, dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Maître Olivier BECHET de la SELARL JTBB AVOCATS, avocats au barreau d’ALBI, avocats plaidant/postulant, vestiaire :

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EXPOSE DU LITIGE

Faits

La Sccv l’Indigo a fait construire un ensemble immobilier au [Adresse 5] à [Localité 6]. Elle a souscrit un contrat d’assurance dommages-ouvrage auprès de la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company.

Sont notamment intervenus à l’acte de construire :
– M. [D] [H] et la Sarl CD Architectes, architectes investis d’une mission complète de maîtrise d’œuvre, tous deux assurés auprès de la Maf ;
– la société MDS Constructions, titulaire du lot gros œuvre et assurée auprès de la Sa Allianz Iard,
– la société ICP, bureau d’étude béton investi d’une mission d’exécution,
– la société Qualiconsult, contrôleur technique chargé d’une mission LP SH PHH TH et HAND.

La déclaration d’ouverture de chantier a été effectuée le 16 janvier 2017.

Lors d’une visite sur site, la société ICP a signalé des défauts de positionnement de ferraillage et un manque de ferraillage sur les poutres, le plancher haut du sous-sol ainsi que sur la dalle de transfert.

La Sccv l’Indigo a déclaré le sinistre le 17 novembre 2017 à la société CBL, laquelle lui a réglé, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, une indemnité d’un montant de 92 703,16 euros visant à préfinancer les travaux de reprise.

Procédure

Après l’échec de démarches amiables auprès de la Maf, M. [L] [G] et M. [P] [N], de KPMG, en qualité de co-liquidateurs de la société CBL ont, par actes du 15 décembre 2021, fait assigner la Sarl CD Architectes et la Maf devant le tribunal judiciaire de Toulouse, exerçant son recours subrogatoire, aux fins d’obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 92 703,16 euros qu’elle a versée au maître de l’ouvrage aux fins de préfinancement des travaux de reprise.

L’assignation n’a pas été délivrée à M. [D] [H], décédé le [Date décès 3] 2021, de sorte que l’intéressé n’est pas partie à la procédure.

Par actes des 8 et 17 mars 2022, la Sarl CD Architectes et la Maf ont appelé en cause la Sarl MDS Constructions et son assureur la Sa Allianz Iard France.

Jonction entre ces procédures a été ordonnée le 19 mai 2022 par le juge de la mise en état.

L’ordonnance de clôture de la mise en état, avec fixation de l’affaire à l’audience du 3 juin 2024 tenue à juge unique, est intervenue le 21 mars 2024.

Prétentions des parties

En l’état de leurs dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2024, MM. [G] et [N] agissant ès qualités de co-liquidateurs de la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company demandent au tribunal de :
Vu l’article L.121-12 du code des assurances,
Vu l’article L.641-9-I du code de commerce,
Vu l’article 1343-2 du code civil,
– juger que la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company prise en la personne de ses co-liquidateurs, M. [L] [G] et M. [P] [N], en sa qualité d’assureur Dommages-ouvrages, est bien fondée, en vertu des dispositions de l’article L.121-12 du code des assurances et dans le cadre de son recours subrogatoire, à mettre en cause :
* la responsabilité de la société MDS Constructions à raison de l’exécution défectueuse du marché privé de travaux qu’elle avait conclu avec la Sccv L’Indigo le 23 mai 2017, et à solliciter la garantie de son assureur Allianz Iard,
* la responsabilité de la société CD Architectes à raison de l’exécution défectueuse du contrat de maîtrise d’œuvre qu’elle avait conclu avec la Sccv L’Indigo le 1er décembre 2015 et à solliciter la garantie de la Maf en sa qualité d’assureur de la société CD Architectes et de feu M. [D] [H],
– condamner in solidum la Maf en sa qualité d’assureur de feu M. [D] [H] et de la société CDArchitectes, la société CD Architectes, la société MDS Constructions et son assureur la société Allianz Iard, à payer à MM. [L] [G] et [P] [N], de KPMG, en qualité de co-liquidateurs de la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company :
* la somme de 92 703,16 euros correspondant à l’indemnité que la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company a payée à la Sccv L’Indigo en sa qualité d’assureur Dommages-ouvrage pour le préfinancement des travaux de reprise et au titre de laquelle elle dispose d’un recours subrogatoire,
* les intérêts au taux légal sur cette somme, à compter de la lettre recommandée de mise en demeure de la société CELLINKS du 17 septembre 2019, et capitalisation des intérêts, et subsidiairement à compter de celle du Conseil de la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company en liquidation judiciaire du 23 juillet 2021, et capitalisation des intérêts,
* la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter l’ensemble des parties de toutes demandes qui seraient dirigées contre MM. [L] [G] et [P] [N], de KPMG, en qualité de co-liquidateurs de la société CBL Insurance Europe Designated Activity Company.
– condamner in solidum la Maf en sa qualité d’assureur de feu M. [D] [H] et de la société CD Architectes, la société CD Architectes, la société MDS Constructions et son assureur la société Allianz Iard aux dépens,
– dire qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

En réponse, par conclusions notifiées le 17 octobre 2023, la Sarl CD Architectes et la Maf demandent au tribunal de :
– condamner in solidum la société MDS avec son assureur Allianz à relever et garantir les concluants de toutes condamnations susceptibles d’être prononcées à leur encontre au regard
des fautes incontestables de l’entreprise en charge du lot gros œuvre et subsidiairement dans
une proportion de 85%,
– prendre acte de ce que la Mutuelle des Architectes Français intervient aux présentes en sa
qualité d’assureur de M. [H] prématurément décédé et de la société CD Architectes dans les conditions et limites de sa police, la franchise contractuelle étant opposable à ses assurés,
– condamner tout succombant à régler aux concluants une somme de 3 000 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance,
– dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour sa part, suivant conclusions notifiées le 24 octobre 2023, la Sarl MDS Constructions demande au tribunal de :
– débouter les sociétés CD Architectes et Maf de leur appel en garantie dirigé contre la société MDS Constructions ;
A titre subsidiaire :
– condamner la compagnie Allianz France à relever et garantir la société MDS Constructions de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre en principal, intérêts frais et accessoires
– condamner les sociétés CD Architectes et Maf à payer à la société MDS Constructions une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les sociétés CD Architectes et Maf aux dépens dont distraction au profit de la Selarl JTBB AVOCATS, avocat aux offres de droit en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, dans ses conclusions notifiées le 19 décembre 2023, la Sa Allianz Iard ès qualités d’assureur de la société MDS Constructions demande au tribunal de :
A titre principal :
– débouter l’ensemble des parties de leurs demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à l’encontre de la compagnie Allianz,
– prononcer sa mise hors de cause, pure et simple,
– condamner tout succombant aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire :
– condamner, in solidum la société CD Architectes et la Maf, en sa double qualité d’assureur de CD Architectes et de M. [H], décédé, à relever et garantir la compagnie Allianz dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 50 %
– dire et juger que les franchises, telles que prévues au contrat d’assurance, seront opposables à tous.
– condamner tout succombant aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

À titre liminaire, le tribunal, tenu par le seul dispositif des conclusions, rappelle qu’il ne sera statué sur les demandes des parties tendant à ‘dire et juger’, que dans la mesure où elles constitueront des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

1. Sur la responsabilité des intervenants à l’acte de construire

1.1 Sur la description du désordre

A titre préliminaire, il convient de préciser, en lecture des pièces versées au dossier que le désordre concerne un défaut de ferraillage du plancher haut du sous-sol, constaté en cours de chantier.

Il a été constaté pour la première fois lors de visites sur site les 14 juin 2017 et 22 juin 2017 par le BET ICP, qui a pointé des défauts de positionnement de ferraillage, un manque de ferraillage respectivement sur les poutres, plancher haut du sous sol ainsi que sur la dalle de transfert. La société ICP justifie de l’envoi d’un courriel le 22 juin 2017 au maître d’oeuvre M. [H] dans les termes suivants : ‘suite à mon passage ce matin sur le chantier, je vous informe que le ferraillage mise en oeuvre par le maçon n’est en aucun réceptionné et validé. Effectivement, j’ai détecté d’importants problèmes de mise en oeuvre vis à vis des plans de ferraille, absence de chapeau sur la dalle de transfert, important décalage des barres inférieures vis à vis de la sous – face de la dalle (enrobage des barres inférieures > 16 cm), barres mal découpées, aucune base de renfort vis à vis de l’effort axial (HA 12/10 sur plan). Nous demandons à la maîtrise d’oeuvre de se rendre sur place soit pour arrêter le chantier dès que possible ou constater les problèmes. Le maçon à notre demande n’a pas souhaité arrêter le coulage. Le coulage avait débuté (environ 30 % de la dalle)’.

Le bureau de contrôle Qualiconsult avait, pour sa part, émis le 21 juin 2017 un avis suspendu au titre du ferraillage du plancher haut du sous-sol dans les termes suivants ‘avis suspendu en attente de réalisation des éléments suivants :
– chevêtre 2 entre files E et F non posé,
– nappe supérieure non posée,
– absence des U en HA10 repère 5 dans les chevêtres de type 2
– tenir compte du renfort de ferraillage en HA163 ajouté sur l’indice D du plan GO 02-3.
Nous fournir une attestation de reprise de ces points’.
Le compte rendu du bureau de contrôle du 23 novembre 2017 précise que cet avis suspendu n’a pas été levé.

Entre temps, informé de la difficulté courant octobre 2017, le maître de l’ouvrage a mandaté la société Sixense Concrete aux fins de procéder à une détection d’armatures. Le rapport établi le 26 octobre 2017 par ce cabinet signale les non conformités suivantes :
– l’absence d’armature en nappe inférieure au droit d’une dalle de transfert
– la non conformité des armatures en chapeau à la jonction entre dalles de transfert,
– l’absence de chapeau sur poutre au droit de deux zones situées à l’aplomb des appartements 1 et 5.

Le 24 novembre 2017, le maître de l’ouvrage a résilié le marché de la Sarl MDS Constructions, au motif notamment de malfaçons.

Lors de la visite des lieux réalisée le 11 décembre 2017 en présence des intervenants à l’acte de construire et notamment de M. [H], de M. [S] et Mme [Y] de la Sarl CD Architectes, et de M. [U] pour la société MDS Constructions, le cabinet Saretec, expert mandaté par l’assureur DO a constaté :
– la présence d’un fléchissement d’ensemble de la dalle de transfert,
– de multiples microfissures observées en sous face de la dalle de transfert et au droit de certaines poutres.

Selon l’expert DO, ‘le dommage trouvait son siège ‘dans les carences graves de l’entreprise de maçonnerie, qui a négligé :
– la réalisation d’un ferraillage d’une dalle de transfert, élément structurel particulièrement sensible et qui reprend toutes les charges du bâtiment (plancher d’étage et refend des circulations intérieures),
– la mise en oeuvre de ferraillage en chapeau pour reprise de l’effort tranchant’.

1.2 Sur la responsabilité des maîtres d’oeuvre

L’article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

S’agissant d’un désordre survenu avant réception, la responsabilité du maître d’oeuvre doit être recherchée sur le terrain contractuel, ce qui suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.

Au cas présent, ni la Sarl CD Architectes ni la Maf en qualité d’assureur de cette dernière et de M. [H] ne contestent la faute des maîtres d’oeuvre qui, bien qu’investis d’une mission complète, ont failli dans la direction des travaux en ne surveillant pas la conformité du ferraillage au moment du coulage de la dalle, étape essentielle de la vie du chantier en considération de l’importance de la dalle de transfert. Il est encore établi que, bien que destinataire d’un courriel d’alerte du BET Béton le 22 juin 2017, lui demandant d’arrêter le chantier ou de se rendre sur place en raison d’importants défauts affectant le ferraillage, la maîtrise d’oeuvre ne justifie d’aucune diligence particulière. Elle ne démontre pas plus avoir informé la Sccv l’Indigo de cette difficulté survenue pendant l’exécution des travaux, manquant ainsi à son obligation d’information et de conseil.

Il s’ensuit que les maîtres d’oeuvre ont engagé leur responsabilité contractuelle à l’égard du maître d’ouvrage.

1.3 Sur la responsabilité de la Sarl MDS Constructions

Tel que justement rappelé par les demandeurs, avant réception, le constructeur est tenu à l’égard du maître de l’ouvrage d’une obligation de résultat de réaliser un ouvrage exempt de vice et de non conformité.

La Sarl MDS Constructions conteste la réalité du défaut de ferraillage allégué au motif de l’absence de caractère contradictoire du repérage effectué par la société Sixense, des réserves exprimées par celle-ci sur la pertinence de ses propres conclusions, et par l’absence d’investigation supplémentaire confiée à un expert indépendant.

Il doit toutefois être rappelé qu’en application de l’article 1353 du code civil, il appartient en premier lieu à la Sarl MDS Constructions d’apporter la preuve de ce qu’elle a satisfait à ses obligations.

S’agissant du rapport du cabinet Sixense : ce cabinet mentionne dans son rapport d’investigation ‘on précisera notamment que les auscultations radar permettent de déterminer la position des armatures, mais ne permettent pas de préciser leur diamètre et leur nuance.
Nous précisons également que le repérage des aciers est limité par :
– la densité du maillage des armatures en surface des parements,
– l’encombrement du patin (de l’ordre de 10 cm)’.
Contrairement à ce que fait plaider la Sarl MDS, cette précaution littérale ne constitue pas une réserve du cabinet Sixense sur la pertinence même de ses conclusions, mais une information objective sur les limites de la technique utilisée.

Sur la valeur probante de ce rapport, il doit ici être rappelé que tout rapport d’expertise non judiciaire peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties. Le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport d’expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci. Il appartient alors à la partie qui s’en prévaut de corroborer ce rapport par d’autres éléments de preuve admissible.

Au cas présent, s’il est exact que les investigations de la société Sixense n’ont pas été suivies des sondages destructifs qu’elle envisageait, ses conclusions sont corroborées :
– d’une part par les photographies prises sur site par le BET ICP le 21 juin 2017, sur lesquelles apparaissent les malfaçons et non conformités affectant le ferraillage alors que la dalle était en train d’être coulée,
– d’autre part, par l’avis suspendu du 21 juin 2017 émis par Qualiconsult, contrôleur technique (dont la Sarl MDS fait en revanche valoir à juste titre que l’avis défavorable du 21 juillet 2017 concerne le ferraillage du plancher haut RDC et non du plancher haut du sous-sol),
– enfin par les investigations et constats de l’expert DO, qui a constaté un fléchissement de la dalle ainsi que des micro-fissures.

En conséquence, l’ensemble de ces éléments conduit à retenir que le ferraillage du plancher haut du sous-sol réalisé par la Sarl MDS était affecté de vices et non conformités. Affectant un élément structurel qu’elle a construit, ces derniers engagent incontestablement la responsabilité contractuelle de la Sarl MDS à l’égard du maître de l’ouvrage.

2. Sur la garantie des assureurs

Aux termes de l’article L. 124-3 du code des assurances, relatif aux assurances de responsabilité, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

* Au cas présent, la Maf ne conteste pas devoir sa garantie à ses assurés M. [H] et la Sarl CD Architectes, dans les conditions et limites des polices souscrites.

* Sur la garantie de la Sa Allianz Iard

Etant observé d’une part qu’en l’absence de réception, ni la garantie décennale (volet D de la police) ni la garantie complémentaire à la responsabilité décennale (volet E de la police) ne peuvent être mobilisées, et d’autre part que la clause classique d’exclusion des travaux réalisés par l’assurée ne permet pas plus d’engager la garantie ‘responsabilité civile de l’entreprise’ (volet B), la condamnation de cet assureur n’est susceptible de prospérer que sur le volet A : dommages matériels à l’ouvrage et aux biens sur chantiers avant réception.

La Sa Allianz Iard argue d’une absence de garantie au motif que le sinistre n’est pas couvert par la police.

S’agissant d’une garantie facultative, le contrat applicable est le contrat modifié tel que résultant des conditions particulières signées le 5 mai 2017, à effet au 1er mai 2017. La réclamation est, en effet, survenue ultérieurement.

Les conditions générales COM17341, parfaitement opposables au cas présent dès lors que la Sarl MDS Constructions a reconnu en avoir pris connaissance avant la signature du contrat, de sorte qu’elles les a acceptées avant le sinistre, prévoient à l’article 2, paragraphe 2.1 ‘Ce que nous garantissons’ :
‘ Dès lors que les dommages résultent d’un événement fortuit et soudain, nous garantissons :
a/ le remboursement du coût des réparations affectant les travaux que vous avez réalisés, ou confiés en sous-traitance, en cas de dommages matériels : à l’ouvrage objet de votre marché et non réceptionné par le maître d’ouvrage à l’ouvrage provisoire prévu à ce marché ou nécessaire à son exécution.
Il est précisé que la garantie s’applique également en cas de menace grave et imminente d’effondrement, c’est-à-dire d’écroulement total ou partiel des ouvrages de fondation, d’ossature, de clos (à l’exception de leurs parties mobiles) et de couvert’.

C’est à juste titre que les demandeurs font valoir que la garantie en cas de menace grave et imminente d’effondrement est distincte de la garantie des dommages survenus de façon fortuite et soudaine et qu’elle se rajoute à elle, comme vient le spécifier l’adverbe également, qui doit s’entendre comme ajoutant une autre garantie à celle précédemment énoncée.

Les demandeurs, à qui incombe la charge de la preuve, soutiennent que la menace grave et imminente d’effondrement existe au regard des désordres constatés par le cabinet Saretec dans son rapport préliminaire Dommages- ouvrage du 14 décembre 2017, lequel mentionne ‘ la présence d’un fléchissement d’ensemble de la dalle de transfert’ ainsi que ‘de multiples microfissures observées en sous face de dalle transfert, mais également au droit de certaines poutres ’, avant de rappeler dans ses conclusions que les désordres affectant le ferraillage de la dalle de transfert touche un ‘élément structurel particulièrement sensible et qui reprend toutes les charges centrales du bâtiment (plancher d’étage et refend des circulations intérieures)’. C’est toutefois à juste titre que la Sa Allianz Iard fait valoir que ces éléments sont insuffisants à caractériser la ‘menace grave et imminente d’effondrement’ visée à la police, laquelle menace ne peut se déduire de l’existence de désordres affectant un élément de la structure de l’immeuble.

En conséquence et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, la Sa Allianz est bien fondée à soutenir que sa garantie n’est pas mobilisable. Toutes demandes et tous recours contre cette partie seront donc rejetés.

3. Sur l’action subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage

L’article L. 121-12 du code des assurances dispose que l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.

Au cas présent et au vu notamment de la quittance subrogatoire établie le 12 avril 2018 par Mme [J] [W], gérante de la Scci l’Indigo, il est justifié par les liquidateurs de la société CBL que cet assureur a versé au maître de l’ouvrage la somme de 92 703,16 euros pour le règlement total et définitif du défaut de ferraillage affectant le plancher haut du sous-sol.

En conséquence de ce qui précède, la Sarl CD Architectes et la Sarl MDS Constructions ainsi que la Maf ès qualités d’assureur de M. [H] et de la Sarl CD Architectes, doivent être condamnées à verser aux liquidateurs de la société CBL la somme de 92 703,16 euros au titre de la reprise matérielle du désordre. Elles y seront tenues in solidum, la Sarl CD Architectes et la Sarl MDS Constructions ayant toutes deux contribué audit désordre, sans que le titulaire du lot GO ne puisse opposer à l’assureur DO le montant des factures impayées qu’il attribue au maître de l’ouvrage.

S’agissant d’une indemnité, les intérêts au taux légal courent à compter du présent jugement, sans qu’il soit besoin de le préciser au dispositif qui suit. L’article 1231-6 du code civil n’est, en effet, applicable que dans l’hypothèse où le principe et le montant de la créance résultent de la loi ou du contrat.

Conformément à la demande des liquidateurs de la société CBL et en application de l’article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année, sera ordonnée.

4. Sur les recours entre co-obligés

Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable. Une telle action, qui ne peut être fondée sur la garantie décennale, est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s’ils ne le sont pas (3e Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23).

Au cas présent, il est incontestable que la pluralité de fautes d’exécution de la Sarl MDS Constructions a joué un rôle causal majeur dans la survenance du désordre sans, pour autant, que les fautes des maîtres d’oeuvre n’apparaissent minimes.

En conséquence, s’agissant des rapports entre co-obligés, il convient de fixer les responsabilités comme suit :
– Sarl MDS Constructions : 70 %
– Sarl CD Architectes et Maf ès qualités d’assureur de M. [H] et de CD Architectes : 30%,
proportions dans lesquelles il sera fait droit aux recours, incluant ceux au titre des dépens et frais irrépétibles.

5. Sur les frais du procès

La Sarl CD Architectes, la Maf ès qualités d’assureur de M. [H] et de la Sarl CD Architectes, et la Sarl MDS Constructions, seront condamnées in solidum aux dépens.

Il n’apparaît pas équitable de laisser à la société CBL prise en la personne de ses co-liquidateurs la charge des frais irrépétibles engagés pour assurer sa défense. En conséquence, la Sarl CD Architectes, la Maf ès qualités d’assureur de M. [H] et de la Sarl CD Architectes, et la Sarl MDS Constructions, seront condamnées in solidum à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Toutes autres demandes sur ce fondement seront rejetées.

L’exécution provisoire est de droit aux termes de l’article 514 du code de procédure civile modifié par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, sans qu’il y ait lieu de l’ordonner. Il n’est pas sollicité de l’écarter.

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