Responsabilité des établissements financiers face aux opérations de paiement : le démembrement de propriété.

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Responsabilité des établissements financiers face aux opérations de paiement : le démembrement de propriété.
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Contexte et souscription des contrats

[R] [T] détient un compte à vue chez BNP Paribas et a souscrit quatre contrats de capitalisation « Yearling Capitalisation » auprès d’Allianz Vie, en plaçant 75 000 euros sur chacun, tout en cédant la nue-propriété à ses enfants par acte notarié. Un paragraphe stipule que, durant le démembrement, aucune avance ne peut être exercée.

Ouverture d’un compte et demandes d’avance

En octobre 2018, [R] [T] ouvre un compte « Placement assuré » chez GBE Capital pour investir en crypto-monnaie. En février 2019, il demande quatre avances totalisant 189 800 euros sur ses contrats de capitalisation, qui sont acceptées et virées sur son compte BNP Paribas.

Virements vers des comptes étrangers

Entre novembre 2018 et avril 2019, [R] [T] effectue six virements totalisant 269 610,12 euros vers des comptes à l’étranger, incluant des montants vers des entités comme Selectiverelax Unip LDA et Ritual Utopia.

Plainte et actions judiciaires

Le 20 juin 2019, [R] [T] dépose une plainte pour escroquerie contre GBE Capital. Après avoir échoué à obtenir une indemnisation de BNP Paribas et Allianz Vie, il les assigne en justice en octobre 2020.

Jugement du tribunal judiciaire de Paris

Le 7 juillet 2022, le tribunal condamne Allianz Vie à rembourser 189 800 euros à [R] [T] et à payer des intérêts, tout en déboutant [R] [T] de ses autres demandes. Allianz Vie est également condamnée à verser 2 500 euros pour les frais de justice.

Appel de [R] [T]

Le 9 août 2022, [R] [T] interjette appel, demandant la confirmation de la condamnation d’Allianz Vie et la reconnaissance de la responsabilité de BNP Paribas pour manquement à ses obligations de vigilance.

Réponses des parties en appel

BNP Paribas demande la confirmation du jugement de première instance, tandis qu’Allianz Vie souhaite que le jugement soit confirmé en partie et infirmé pour le reste, notamment concernant les avances.

Responsabilité de BNP Paribas

[R] [T] accuse BNP Paribas de ne pas avoir alerté sur les anomalies des virements. La banque soutient que sa responsabilité ne peut être engagée car les opérations étaient autorisées. Le tribunal conclut que les virements n’étaient pas entachés d’anomalies apparentes.

Responsabilité d’Allianz Vie

Le tribunal établit qu’Allianz Vie a commis une faute en accordant les avances malgré l’interdiction stipulée dans l’acte de donation-partage. Toutefois, [R] [T] est jugé partiellement responsable pour avoir demandé ces avances.

Résistance abusive et appel en garantie

Le tribunal confirme qu’aucune résistance abusive n’est imputable aux intimées, et les motifs relatifs à l’appel en garantie de l’assureur contre BNP Paribas sont maintenus.

Dépens et frais irrépétibles

Chaque partie conserve la charge des dépens qu’elle a exposés. Le tribunal décide qu’il n’y a pas lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles.

Décision finale de la cour

La cour infirme partiellement le jugement en ce qui concerne le remboursement des frais par Allianz Vie, la condamnant à payer 80 % des frais et intérêts, tout en confirmant les autres dispositions du jugement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/14979
RÉPUBLIQUE FRAN’AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/14979 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJVF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2022 – tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section – RG n° 20/10382

APPELANT

Monsieur [R] [T]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Yves CLAISSE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0500

Ayantpour avocat plaidant Me Régine ARDITI, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉES

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 2]

[Localité 4]

N°SIRET : 662 042 449

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04, avocat plaidant

S.A. ALLIANZ VIE

[Adresse 1]

[Localité 5]

N° SIRET : 340 234 962

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Vincent NIDERPRIM de la SELARL AVOX, avocat au barreau de PARIS, toque : J109, substitué à l’audience par Me Maéva NDI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par M. Vincent BRAUD dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

[R] [T] détient un compte à vue dans les livres de la société BNP Paribas, ainsi que plusieurs plans et livrets.

Il a également souscrit le 19 janvier 2017 quatre contrats de capitalisation « Yearling Capitalisation » auprès de la société anonyme Allianz Vie sur chacun desquels il plaçait 75 000 euros, dont il cédait la nue-propriété à ses enfants, par acte notarié du 15 mai 2017. Il y est stipulé sous le paragraphe « Pendant la durée du contrat de capitalisation » : « Avances : tant que perdurera la situation de démembrement, la faculté de procéder à une opération d’avance ne pourra pas être exercée ».

Le 30 octobre 2018, [R] [T] ouvrait un compte « Placement assuré » rémunéré à 3 % le mois, sur 2 mois, auprès de la société de droit étranger GBE Capital, pour y faire un placement en crypto-monnaie.

Il sollicitait, en février 2019, auprès de la compagnie Allianz Vie quatre avances en tout de 189 800 euros, prises, à proportion, sur chacun des contrats « Yearling Capitalisation », consenties pour 3 ans renouvelables deux fois, soit au terme, au plus tard, du 21 février 2028, au taux annuel de 3,83 % en 2019, qui furent virées sur son compte de la société BNP Paribas.

Du mois de novembre 2018 au mois d’avril 2019, [R] [T] procédait à six virements d’un montant total de 269 610,12 euros, abondant plusieurs comptes tenus à l’étranger :

‘ le 2 novembre 2018 pour 4 490,12 euros au profit de Selectiverelax Unip LDA, sur un compte de la banque Banco Comercial Portugues,

‘ le 20 décembre 2018 pour 6 000 euros au profit de Ritual Utopia sur un compte de la banque Santander Bk Portugal,

‘ le 15 janvier 2019 pour 30 000 euros au profit d’Ashcroft sur un compte de la banque Barclays Bank Plc,

‘ le 25 janvier 2019 pour 7 320 euros au profit de Ritual Utopia,

‘ le 27 février 2019 pour 189 800 euros au profit de Vedette Spirit sur un compte de la banque Banco BPI SA,

‘ le 4 avril 2019 pour 32 000 euros au profit de SRT Expert sur un compte de la banque Erste Bank Hungary ZRT.

Le 20 juin 2019, il déposait une plainte contre la sociéte GBE Capital du chef d’escroquerie.

Apres avoir réclamé en vain auprès des sociétés BNP Paribas et Allianz Vie l’indemnisation de son dommage chiffré au plus à la somme de 269 610,12 euros, au motif qu’elle fut virée à leur su à une société frauduleuse sans avoir été alerté par eux, [R] [T] assignait devant le tribunal judiciaire de Paris la société BNP Paribas et la compagnie Allianz Vie, par exploits en date des 13 et 16 octobre 2020.

Par jugement contradictoire en date du 7 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

‘ Condamné la société anonyme Allianz Vie à payer à [R] [T] les frais et les intérêts perçus à l’occasion des avances faites à [R] [T] d’une somme totale de 189 800 euros répartie à égalité sur les 4 contrats de capitalisation intitulés « Yearling Capitalisation » en février 2019, dont elle établira un décompte arrêté à ce jour ;

‘ Dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal dès ce jour ;

‘ Ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

‘ Débouté [R] [T] du surplus de ses demandes ;

‘ Débouté la société anonyme Allianz Vie de sa demande en garantie ;

‘ Condamné la société anonyme Allianz Vie à payer à [R] [T] 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Dit n’y avoir lieu pour le surplus à application des dispositions de l’artic1e 700 du code de procédure civile ;

‘ Condamné la société anonyme Allianz Vie aux dépens.

Par déclaration du 9 août 2022, [R] [T] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 juin 2024, [R] [T] demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société ALLIANZ VIE à rembourser les frais et intérêts majorés des intérêts au taux légal perçus à l’occasion des avances faites à l’appelant pour la somme totale de 189 800 € en février 2019 outre le règlement de la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

INFIRMER le jugement entrepris pour le surplus et,

CONSTATER que la banque BNP Paribas et la société ALLIANZ VIE ont failli à leur obligation générale d’information, de conseil, de surveillance, de vigilance et de mise en garde,

CONSTATER que la banque BNP Paribas et la société ALLIANZ VIE ont commis des fautes professionnelles graves au préjudice de l’appelant.

EN CONSEQUENCE :

CONDAMNER la banque BNP Paribas à régler la somme de 259 310,12 € à Monsieur [R] [T] assortie des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 13/05/2020 avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

CONDAMNER la société ALLIANZ VIE à régler la somme de 189 800 € à Monsieur [R] [T] assortie des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 13/05/2020 avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

CONDAMNER solidairement la banque BNP Paribas et la société ALLIANZ VIE à régler à Monsieur [R] [T] la somme de 10 000 € pour préjudice moral outre la somme de 6 000 € pour légèreté blâmable, mauvaise foi et résistance abusive,

CONDAMNER solidairement la banque BNP Paribas et la société ALLIANZ VIE à régler à Monsieur [R] [T] la somme de 8 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER solidairement la banque BNP Paribas et la société ALLIANZ VIE aux entiers dépens de l’instance dont le timbre fiscal et les frais d’exécution de la décision à intervenir.

DEBOUTER les intimées de l’ensemble de leurs demandes infondées.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 14 juin 2024, la société BNP Paribas demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le Tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a débouté M. [R] [T] de ses demandes à l’encontre de BNP PARIBAS.

Débouter M. [R] [T] de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent.

Débouter la SA ALLIANZ VIE de ses demandes à l’égard de BNP PARIBAS à toutes fins qu’elles comportent.

Condamner M. [R] [T] au paiement, au profit de BNP PARIBAS, d’une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 23 janvier 2023, la société anonyme Allianz Vie demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire de Paris en date du 7 juillet 2022, en ce qu’il a :

Déboute monsieur [R] [T] du surplus de ses demandes ;

INFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire de Paris en date du 7 juillet 2022, en ce qu’il a :

Condamne la société anonyme Allianz Vie à payer à monsieur [R] [T] les frais et les intérêts perçus à l’occasion des avances faites à monsieur [R] [T] d’une somme totale de 189.800 euros répartie à égalité sur les 4 contrats de capitalisation intitulés « Yearling capitalisation » en février 2019, dont elle établira un décompte arrêté à ce jour ;

Dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal dès ce jour ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil;

Déboute la société anonyme Allianz Vie de sa demande en garantie ;

Condamne la société anonyme Allianz Vie à payer à monsieur [R] [T] 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu pour le surplus à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société anonyme Allianz Vie aux dépens.

Statuant de nouveau,

A titre principal

JUGER qu’aucune faute n’est imputable à la SA ALLIANZ VIE ;

En Conséquence,

DEBOUTER Monsieur [R] [T] de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la SA ALLIANZ VIE ;

A titre subsidiaire

JUGER qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les prétendus manquements de la SA ALLIANZ VIE et les préjudices dont il est sollicité réparation ;

En Conséquence,

DEBOUTER Monsieur [R] [T] de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la SA ALLIANZ VIE ;

En tout état de cause

JUGER que Monsieur [R] [T] a commis une faute qui est seule à l’origine des préjudices dont il prétend obtenir réparation ;

CONDAMNER la BANQUE BNP PARIBAS à garantir la Société ALLIANZ VIE de toute condamnation éventuelle ;

CONDAMNER Monsieur [R] [T] à verser à la Société ALLIANZ VIE une indemnité de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNER Monsieur [R] [T] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024 et l’audience fixée au 10 septembre 2024.

CELA EXPOSÉ,

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas :

Au visa de l’article 1231-1 du code civil, [R] [T] invoque un manquement de la société BNP Paribas à son obligation de vigilance, en ce que la banque avait connaissance de la destination des fonds, et en ce que, néanmoins, elle n’a pas relevé les anomalies tant matérielles qu’intellectuelles qui affectaient les virements litigieux. Il lui reproche en conséquence de ne pas l’avoir alerté en répondant à ses interrogations.

La société BNP Paribas réplique que sa responsabilité ne peut être engagée du fait des opérations de payement litigieuses que sur le fondement des articles L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier, lesquels écartent toute responsabilité du prestataire de services de payement lorsque les opérations de payement sont autorisées.

La responsabilité contractuelle de droit commun prévue résultant de l’article 1231-1 du code civil n’est pas applicable en présence d’un régime de responsabilité exclusif.

Or, dans un arrêt du 16 mars 2023 (C-351/21, Beobank), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété en ces termes les article 58, 59 et 60 de la directive no 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de payement dans le marché intérieur :

« 37[…] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu’aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l’objet d’une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d’un même fait générateur qu’un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l’utilisateur de services de paiement d’engager cette responsabilité sur le fondement d’autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, […] points 42 et 46).

« 38 En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu’à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l’effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, […] point 45). »

Il s’ensuit que, dès lors que la responsabilité d’un prestataire de services de payement est recherchée en raison d’une opération de payement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe premier, de la directive du 13 novembre 2007, à l’exclusion de tout autre régime de responsabilité résultant du droit national (Com., 27 mars 2024, no 22-21.200).

En l’espèce, il est constant que les virements litigieux ont été autorisés et correctement exécutés. Dès lors que la responsabilité de la société BNP Paribas n’est pas recherchée en raison d’une opération de payement non autorisée ou mal exécutée, [R] [T] peut l’engager sur le fondement d’un régime de responsabilité autre que celui qui est prévu par les articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, et notamment sur le fondement du régime de droit commun de la responsabilité contractuelle.

Aussi bien l’article L. 133-5 du code monétaire et financier dispose-t-il que la responsabilité prévue aux sections 2 à 9 du présent chapitre ne s’applique pas lorsque le prestataire de services de payement est lié par d’autres obligations légales prévues par des législations nationales ou communautaires.

En application de l’article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de payement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de payement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de payement, c’est, comme l’énonce le tribunal, à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.

Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, [R] [T] fait valoir que :

‘ sur une période de quelques semaines, il a clos tous ses produits d’épargne pour procéder aux virements en cause ;

‘ le montant de ces virements était exceptionnel au regard de ses revenus de retraité et de sa gestion habituelle ;

‘ les virements étaient à destination de banques étrangères.

Toutefois, ni l’ancienneté des relations entretenues par la banque avec [R] [T], ni les habitudes antérieures de celui-ci quant aux opérations qu’il pratiquait sur son compte ne devaient conduire la banque à s’interroger sur la cause ou l’opportunité des virements ordonnés et à s’immiscer dans les affaires de l’intéressé (Com., 14 juin 2000, no 97-15.132 ; 30 sept. 2008, no 07-18.988).

Au regard du fonctionnement du compte de [R] [T], le tribunal a justement estimé que les virements litigieux n’étaient entachés d’aucune anomalie apparente. En effet, ni le montant des virements ‘ qui restaient couverts par le solde créditeur alimenté par ses autres comptes ‘, ni leur nombre, ni leur destination vers des comptes détenus dans les livres de banques dûment agréées au sein de pays membres de l’Espace économique européen, qui n’attirait pas spécialement l’attention en terme de sécurité, ne constituaient des anomalies devant retenir la vigilance de la la société BNP Paribas.

Sur les anomalies intellectuelles alléguées par l’appelant, celui-ci prétend que la banque était informée qu’il avait souscrit un compte de placement rémunéré à 3 % sur Internet auprès de la société GBE Capital, que les fonds étaient destinés à ladite société afin d’investir dans une opération de service à règlement différé, et que le dernier virement de 32 000 euros représentait le payement partiel d’une taxe sur les transactions financières, si bien que l’attention de la société BNP Paribas avait été attirée sur la sécurité des opérations litigieuses.

Il ne ressort toutefois pas des éléments du dossier que la société BNP Paribas ait eu connaissance dès le mois de novembre 2018 du contrat passé entre son client et la société GBE Capital. En effet, le motif des ordres de virement, lorsqu’il est explicité, se borne à la mention « trading », et la société GBE Capital n’en est pas mentionnée comme le bénéficiaire.

Le nom de cette société n’apparaît dans les échanges électroniques entre [R] [T] et la société BNP Paribas qu’à partir du 27 février 2019 à propos d’un « transfert », sans plus de précision, au sujet duquel [R] [T] obtient un rendez-vous le jour même. Ces seules circonstances ne caractérisent cependant pas une anomalie intellectuelle apparente, car l’interlocuteur de [R] [T] usurpait la dénomination d’une société financière légale britannique portant le nom de GBE Capital ltd, et si le site gbe-capital.com ‘ GBE Capital était inscrit dans la liste noire de l’autorité belge de régulation financière depuis le 20 décembre 2018, la société GBE Capital n’était pas signalée comme suspecte par l’Autorité des marchés financiers.

Ce n’est que le 26 mars 2019 que [R] [T] évoque plus précisément avec sa banque le payement d’une taxe sur les transactions financières réclamé par la société GBE et s’enquiert en ces termes de cette société auprès de son conseil en banque privée particulier, [B] [C] (pièce no 44 de [R] [T]) : « J’espère que madame [C] aura pu avancer dans ses investigations (il y a de tout sur Internet, et du mauvais, elle aura sans doute des infos plus précises sur FCA [Financial Conduct Authority, autorité britannique de régulation du secteur financier] et GBE) » (pièce no 23 de [R] [T]).

Il se déduit de ce message que [R] [T] s’était inquiété auprès des employées de la banque du sérieux de la société GBE Capital, et que sa conseillère, [B] [C], avait accepté de se renseigner à ce sujet. Il obtient ainsi avec cette dernière un second rendez-vous le 27 mars 2019.

La teneur précise de ce rendez-vous ne ressort toutefois pas du dossier, de sorte que la société BNP Paribas n’établit pas que [B] [C] ait donné une réponse à [R] [T]. N’est pas probante à cet égard, comme émanant de la banque elle-même, la lettre d’explications de la société BNP Paribas faisant suite à la réclamation de [R] [T], d’après laquelle « lors [des] entretiens respectifs des 27 février et du 27 mars 2019, avec mesdames [G] [O] et [B] [C], […] elles ont exprimé des doutes quant à ces transactions » (pièce no 36 de [R] [T]). La réalité des « mises en garde » ainsi évoquées par la banque n’est pas démontrée.

Dès lors que le conseil en banque privée de la société BNP Paribas avait accepté de se renseigner sur la société GBE Capital, il était tenu de fournir une réponse à son client. La banque n’apporte pas la preuve de s’être exécutée, alors que [R] [T] lui reproche son défaut de réponse. Cette abstention est fautive.

Il n’est cependant pas démontré que si la banque avait procédé aux recherches sollicitées, elle aurait découvert l’escroquerie dont était victime son client, puisqu’il a été précédemment relevé que la dénomination sociale du cocontractant de [R] [T] ne suffisait pas à caractériser une anomalie apparente. La faute retenue contre la société BNP Paribas n’est donc pas en lien avec le dommage subi par [R] [T]. Le jugement critiqué sera par suite confirmé en ce qu’il écarte toute responsabilité de la banque émettrice des virements et déboute [R] [T] de ses demandes contre la société BNP Paribas.

Sur la responsabilité de la société Allianz Vie :

C’est au terme d’une exacte lecture des pièces versées aux débats, en particulier de l’avenant de novembre 2017 au contrat « Yearling Capitalisation », que les premiers juges ont tenu pour démontrée la connaissance qu’avait la société Allianz Vie de la teneur de l’acte de donation-partage en date du 15 mai 2017, notamment de sa stipulation faisant défense à [R] [T] de procéder à aucune opération d’avance sur ledit contrat de capitalisation.

La faute commise par la société Allianz Vie en accédant le 21 février 2019 à ses demandes d’avance est en conséquence caractérisée, et la cour adopte l’appréciation qu’a faite le tribunal du lien de causalité existant entre ladite faute et les dommages matériel et moral dont [R] [T] demande réparation, étant précisé que cette appréciation ne diffère pas selon qu’est demandée l’indemnisation intégrale du dommage ou la seule réparation d’une perte de chance d’éviter ce même dommage. Au demeurant, l’assureur n’était tenu d’aucune obligation de conseil ou de mise en garde portant sur les avances sollicitées, puisqu’il n’avait pas à les consentir.

L’intimée oppose toutefois à raison la faute de [R] [T], partie à l’acte du 15 mai 2017 qui lui faisait défense de procéder à aucune opération d’avance. Ayant demandé les avances en cause alors qu’il s’était engagé à s’en abstenir, il a contribué à la production de son dommage dans une proportion que la cour évalue à 20 % au regard des circonstances. Le jugement déféré sera émendé en conséquence.

Sur la résistance abusive :

Il ne peut être reproché aux intimées aucune résistance abusive dès lors que [R] [T] est débouté en tout ou en partie de ses demandes contre elles. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur l’appel en garantie :

Par suite de la confirmation des chefs du jugement relatifs à l’action en responsabilité engagée par [R] [T] contre la société BNP Paribas, les motifs par lesquels le tribunal s’est prononcé sur le recours en garantie de l’assureur contre la société BNP Paribas conservent toute leur pertinence.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. En considération des fautes respectives des parties, chacune conservera la charge des dépens par elle exposés en cause d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.

Il n’y a pas lieu à condamnation sur ce fondement.

LA COUR,

PAR CES MOTIFS,

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu’il condamne la société anonyme Allianz Vie à payer à [R] [T] les frais et les intérêts perçus à l’occasion des avances faites à [R] [T] d’une somme totale de 189 800 euros répartie à égalité sur les 4 contrats de capitalisation intitulés « Yearling Capitalisation » en février 2019, dont elle établira un décompte arrêté à ce jour ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la société anonyme Allianz Vie à payer à [R] [T] 80 % des frais et des intérêts perçus à l’occasion des avances faites à [R] [T] d’une somme totale de 189 800 euros répartie à égalité sur les quatre contrats de capitalisation intitulés « Yearling Capitalisation » en février 2019, dont elle établira un décompte arrêté à ce jour ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;

Y ajoutant,

DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles ;

LAISSE à chaque partie la charge des dépens par elle exposés.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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