Monsieur [Z] [W] a engagé Monsieur [E] [P] pour des travaux de terrassement, incluant un revêtement en moquette de pierre, pour un montant de 21 900,00 euros, travaux réalisés entre mai et juillet 2019. Après paiement intégral, des désordres ont été constatés, notamment un détachement du gravier. Malgré une intervention de Monsieur [E] [P] en septembre 2019, les problèmes ont persisté. Monsieur [Z] [W] a alors contacté l’assureur de Monsieur [E] [P], qui a refusé la garantie après expertise, concluant à un défaut de dosage ou d’application. Un constat d’huissier a révélé une dégradation généralisée du revêtement, et Monsieur [Z] [W] a demandé 18 000,00 euros pour des réparations. Après des échanges infructueux, il a assigné Monsieur [E] [P] en justice, invoquant la responsabilité décennale et contractuelle. Le juge a rejeté la fin de non-recevoir pour prescription, condamnant Monsieur [E] [P] à verser 1 000,00 euros à Monsieur [Z] [W] et a renvoyé l’affaire pour des conclusions au fond. Monsieur [E] [P] a interjeté appel, contestant la décision et demandant le rejet des demandes de Monsieur [Z] [W]. Ce dernier a également déposé ses conclusions en appel, demandant la confirmation de la décision initiale et une expertise. L’affaire est prévue pour plaidoirie en avril 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Numéro 24/02754
COUR D’APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 17/09/2024
Dossier : N° RG 23/03060 – N° Portalis DBVV-V-B7H-IWDK
Nature affaire :
Demande d’exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l’ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d’un élément de construction
Affaire :
[E] [P]
C/
[Z] [W]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 17 Septembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 09 Avril 2024, devant :
Madame FAURE, Présidente
Madame BLANCHARD, Conseillère
Madame REHM, Magistrate honoraire, magistrate chargée du rapport conformément à l’article 785 du Code de procédure civile
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l’appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [E] [P]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté et assisté de Maître GACHIE de la SELARL THOMAS GACHIE, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
INTIME :
Monsieur [Z] [W]
né le 20 Février 1958 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté et assisté de Maître DARZACQ de la SELARL LAURE DARZACQ, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 05 OCTOBRE 2023
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 22/01426
Suivant devis accepté en date du 9 février 2019 d’un montant de 21 900,00 euros, Monsieur [Z] [W] a confié à Monsieur [E] [P] des travaux de terrassement consistant en la réalisation d’un revêtement en moquette de pierre avec résine de sol sur les allées et la terrasse de l’immeuble dont il est propriétaire à [Localité 4] (40) au [Adresse 3].
Les travaux ont été réalisés entre le mois de mai et le mois de juillet 2019 et ont donné lieu à une facture en date du 25 juillet 2019 d’un montant de 21 900,00 euros TTC, intégralement acquittée.
Il n’y a pas eu de procès-verbal de réception.
Monsieur [Z] [W] ayant constaté que le gravier se détachait du support, Monsieur [E] [P] est intervenu pour poser une couche de vernis au mois de septembre 2019.
Par courrier recommandé du 03 août 2020, Monsieur [Z] [W] a informé Monsieur [E] [P] que les désordres persistaient malgré son intervention, et lui a demandé de lui communiquer les coordonnées de son assureur.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 août 2020, Monsieur [Z] [W] a déclaré ce sinistre à l’assureur de Monsieur [E] [P], la SAS ENTORIA, qui a chargé le cabinet EURISK en la personne de Madame [T] [C] de procéder à une expertise, laquelle, après une réunion d’expertise organisée le 05 janvier 2021 a déposé son rapport.
A la lecture de ce rapport, l’assureur de Monsieur [E] [P], par mail en date du 03 mars 2021, a opposé un refus de garantie aux motifs qu’il résultait du rapport d’expertise que :
– le cabinet EURISK avait constaté :
* une désagrégation ponctuelle du revêtement en résine et granulats jusqu’au support de la dalle béton, sur des surfaces pluri-décimétriques, de l’allée située devant le garage ;
* des décollements superficiels des gravillons en périphérie de la terrasse de la piscine ;
* aucun désordre n’a été constaté sur les dalles béton, support de ce revêtement ;
– le cabinet EURISK avait conclu que cette dégradation du revêtement était probablement consécutive à un défaut de dosage du mélange des produits ou de serrage lors de l’application ;
– le procédé de moquette de pierre n’était pas une technique courante mais nécessitait un agrément spécifique pour son application, et que le contrat souscrit par Monsieur [E] [P] n’avait pas vocation à couvrir des travaux relevant de technique non courante.
Après un échange de mails entre les parties, dont un mail de Monsieur [E] [P] en date du 09 juin 2021 faisant état d’une intervention dans un délai de 12 à 18 mois, délai refusé par Monsieur [Z] [W], ce dernier a fait constater par huissier le 19 juillet 2021 que le revêtement se désagrégeait sur la quasi-totalité de la surface.
Par acte d’huissier de justice du 18 août 2021, Monsieur [Z] [W] a dénoncé ce constat à Monsieur [E] [P] en lui faisant sommation de lui payer la somme de 18 000,00 euros afin de lui permettre de faire reprendre l’ensemble de la moquette de pierre par une entreprise spécialisée ; Monsieur [E] [P] a répondu à cette sommation interpellative en indiquant ‘ Il y a des accords confirmés par mail du 09 juin 2021 qui accordent un délai de 12 à 18 mois pour réaliser les travaux de réfection et nous ne sommes pas au terme des délais contractuels.’
Aucune solution amiable n’ayant pu être donnée au litige, par exploit du 26 octobre 2022, Monsieur [Z] [W] a fait assigner Monsieur [E] [P] devant le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan aux fins de :
Au principal :
– dire Monsieur [E] [P] responsable du préjudice subi par Monsieur [Z] [W] sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs,
Subsidiairement :
– dire Monsieur [E] [P] responsable du préjudice subi par Monsieur [Z] [W] sur le fondement de la responsabilité contractuelle,
En tout cas :
– condamner Monsieur [E] [P] à payer à Monsieur [Z] [W] au titre des travaux préparatoires, la somme de 34 771,00 euros TTC qui devra être réévaluée en fonction des variations de l’indice INSEE BT 01 entre le 18 septembre 2022, date du devis et celle de la décision à intervenir,
– condamner M. [E] [P] à M. [W] en réparation du préjudice de jouissance la somme de 5 000 €,
– condamner Monsieur [E] [P] aux dépens et au paiement de 4 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par conclusions d’incident devant le juge de la mise en état, Monsieur [E] [P] a soulevé l’irrecevabilité de l’action de Monsieur [Z] [W] à son encontre, pour cause de prescription de la garantie biennale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du code civil, en soutenant que cette garantie était la seule applicable au cas d’espèce.
Par ordonnance contradictoire en date du 05 octobre 2023, le juge de la mise en état a :
– rejeté la fin de non recevoir pour prescription soulevée par Monsieur [E] [P],
– condamné Monsieur [E] [P] à payer à Monsieur [Z] [W] la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Monsieur [Z] [W] du surplus de ses demandes,
– débouté Monsieur [E] [P] de ses demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [E] [P] aux dépens de l’instance d’incident,
– rappelé que la décision est de droit assortie de l’exécution provisoire,
– renvoyé le dossier à l’audience de mise en état du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan du 12 décembre 2023 pour le dépôt des conclusions au fond de Monsieur [P].
La motivation du juge de la mise en état est la suivante :
Après avoir rappelé les dispositions des articles 1792 et 1792-3 du code civil et le fait que selon les dispositions de l’article 1792-3 sus-visé, la garantie de bon fonctionnement s’appliquait exclusivement aux éléments dits d’équipement dissociables du gros oeuvre présentant un défaut de fonctionnement, le juge de la mise en état a considéré qu’il résultait notamment du dossier technique RESINEO que la moquette de pierre installée ne serait pas un élément dissociable de son support puisqu’elle adhère à la dalle béton sur laquelle elle est installée de sorte que sa dépose ne peut se faire sans détérioration de la matière et que Monsieur [Z] [W] invoquant dans son argumentation au fond des éléments destinés à démontrer que le bien litigieux était impropre à sa destination, il s’avérait indéniablement que son action reposait à titre principal sur la garantie décennale et à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle du prestataire, de sorte qu’aucune prescription ne pouvait lui être opposée au jour du prononcé de l’ordonnance.
Le juge de la mise en état a par ailleurs débouté Monsieur [Z] [W] de sa demande d’expertise présentée à titre subsidiaire, la considérant comme étant sans objet.
Par déclaration du 22 novembre 2023 Monsieur [E] [P] a relevé appel, critiquant l’ordonnance en ce qu’elle a :
– rejeté la fin de non recevoir pour prescription soulevée par Monsieur [E] [P],
– condamné Monsieur [E] [P] à payer à Monsieur [Z] [W] la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Monsieur [E] [P] de ses demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [E] [P] aux dépens de l’instance d’incident.
Aux termes de ses écritures signifiées par exploit du 12 décembre 2023 avec avis d’audience à bref délai, Monsieur [E] [P] demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan du 05 octobre 2023 en toutes ses dispositions,
Jugeant à nouveau :
– juger que l’action de Monsieur [Z] [W] contre Monsieur [E] [P] est irrecevable pour cause de prescription de la garantie biennale de bon fonctionnement,
– débouter Monsieur [Z] [W] de sa demande subsidiaire de voir ordonner une mesure d’expertise judiciaire,
– débouter en conséquence Monsieur [Z] [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Monsieur [Z] [W] à payer à Monsieur [E] [P] la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,
– condamner Monsieur [Z] [W] aux dépens de première instance,
Ajoutant à l’ordonnance du 05 octobre 2023 dont appel :
– condamner Monsieur [Z] [W] à payer à Monsieur [E] [P] la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner Monsieur [Z] [W] aux dépens d’appel.
Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 05 janvier 2024, Monsieur [Z] [W] demande à la cour, sur le fondement des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil de :
Au principal :
– confirmer la décision dont appel,
– débouter Monsieur [E] [P] de ses demandes,
– condamner Monsieur [E] [P] aux dépens et au paiement de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
– ordonner une mesure d’instruction et désigner pour y procéder tel expert qu’il plaira avec notamment pour mission de :
* dire si la moquette de pierre installée par Monsieur [E] [P] est un élément indissociable de l’ouvrage et si elle est destinée à fonctionner,
* déterminer les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres affectant la moquette de pierre et en chiffrer le coût,
* rechercher et décrire les désordres consécutifs au délitement de la moquette de pierre, les travaux de nature à y remédier et leur coût,
* évaluer le délai d’exécution des travaux réparatoires,
* donner son avis sur les préjudices subis par Monsieur [Z] [W],
* réserver en ce cas les dépens.
L’affaire a été fixée pour plaidoirie à l’audience de la première chambre de la cour d’appel du 09 avril 2024 avec clôture à la même date avant les débats.
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfixe, la chose jugée.
L’article 123 prévoit que les fonds de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, ce qui est également le cas de la prescription, comme le précise l’article 2248 du code civil.
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2020, ‘ Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6°Statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s’y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s’il l’estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d’administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l’ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n’estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l’affaire devant le juge de la mise en état.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.’
La compétence du juge de la mise en état n’est pas contestée pour statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [E] [P].
En l’espèce, les travaux réalisés par Monsieur [E] [P] ont consisté notamment en la démolition et le terrassement des surfaces à traiter, la pose de caniveaux et de pavés, l’application d’une dalle de béton sur une surface de 170 m², l’application du primaire d’accroche et l’élaboration de la moquette de pierre avec de la résine de sol sur cette même surface de 170 m², dont une partie destinée à la circulation de véhicules légers et aux piétons et une autre partie entourant la piscine.
Il n’est pas contesté par les parties que le contrat conclu entre Monsieur [Z] [W] et Monsieur [E] [P] est un contrat de louage d’ouvrage et que les travaux réalisés par Monsieur [E] [P] ont consisté en la réalisation d’un ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du code civil.
Les constructeurs d’un ouvrage auxquels les désordres sont imputables peuvent engager leurs responsabilités spécifiques, décennale, biennale ou de parfait achèvement, en vertu des articles 1792 et suivants du code civil, de même que leur responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l’article 1231-1 du code civil, pour les désordres réservés à la réception, voire pour les dommages dits intermédiaires, à condition que ces derniers aient été cachés au moment de la réception.
Selon les dispositions de l’article 1792 du code civil : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropres à sa destination.
Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère. »
Selon l’article 1792-2, ‘la présomption de responsabilité instaurée par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.
Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.’
Selon l’article 1792-3 du code civil’Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.’
Il est de principe que les désordres relevant d’une garantie légale ne peuvent relever de la responsabilité contractuelle de droit commun (3e Civ.10 janvier 1996, pourvoi n° 94- 13.157).
L’article 1792-4-3 du code civil prévoit qu’à l’exception des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 du code civil se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.
Monsieur [Z] [W] fonde ses demandes, à titre principal sur les dispositions de l’article 1792 du code civil et à titre subsidiaire sur celles de la responsabilité contractuelle de l’article 1231-1 du code civil.
Monsieur [E] [P] soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée que sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement prévue par l’article 1792-3 du code civil susvisé, de sorte que la réception tacite datant du 25 juillet 2019, le délai biennal de bon fonctionnement expirait le 25 juillet 2021 et que l’action de Monsieur [Z] [W] ayant été engagée par exploit du 26 octobre 2022, il soutient que cette action est irrecevable pour être prescrite.
Il soutient que contrairement à ce qu’affirme Monsieur [Z] [W] et à ce qui a été retenu par le juge de la mise en état, il a utilisé le produit de moquette de pierre de l’entreprise HOME-PRO et non de la société RESINEO, et qu’il a réalisé les travaux conformément aux règles de l’art, en faisant valoir que les désordres dénoncés par Monsieur [Z] [W] portent exclusivement sur une moquette de pierre avec de la résine sol constitutive d’un simple revêtement de la chape béton, élément d’équipement dissociable de l’ouvrage, un simple grattage de la moquette de pierre suffisant à l’enlever complètement, en soulignant que l’expertise de son assureur et le constat d’huissier du 19 juillet 2021 évoquent une simple désagrégation ponctuelle du revêtement et une absence de désordre sur la chape en béton.
Monsieur [Z] [W] réplique que la garantie de bon fonctionnement est inapplicable pour les raisons suivantes :
– la moquette installée n’est pas un élément dissociable de son support puisqu’elle adhère à la dalle béton sur laquelle elle est installée, et que sa dépose ne peut se faire sans détérioration ou enlèvement de matière,
– la moquette de pierre n’est pas un élément destiné à fonctionner.
La réception constitue le point de départ des garanties légales décennale, biennale et de parfait achèvement ; les dommages apparents à la réception et donc antérieurs à la réception, relèvent de la responsabilité contractuelle à condition d’avoir fait l’objet de réserves expresses dans le procès-verbal de réception ; ces réserves peuvent être levées dans le délai d’un an prévu par la garantie de parfait achèvement, mais si elles n’ont pas été levées dans le délai d’un an prévu par cette garantie, elles continuent de relever de la responsabilité contractuelle de droit commun.
En application de l’article 1792-6 du code civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. Est par ailleurs admise une réception tacite des ouvrages en présence d’une volonté dépourvue d’équivoque du maître de l’ouvrage de les accepter, laquelle est présumée en cas de prise de possession accompagnée du paiement des travaux.
Au cas d’espèce, les parties s’accordent pour considérer qu’en l’absence de procès-verbal de réception, les travaux litigieux ont fait l’objet d’une réception tacite fixée au 25 juillet 2019, cette date correspondant au règlement intégral de la facture établie à cette date; cette date doit donc constituer le point de départ du délai de prescription applicable.
L’examen de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du maître de l’ouvrage nécessite, au préalable, de déterminer si la garantie de bon fonctionnement est applicable au cas d’espèce ; la cour constate que contrairement à ce qui est prescrit par l’article 789 du code de procédure civile sus-visé, le premier juge n’a pas statué par des dispositions distinctes dans le dispositif de l’ordonnance, ayant seulement rejeté la fin de non-recevoir pour prescription ; il convient dès lors de compléter l’ordonnance entreprise en statuant par une disposition distincte sur le problème de fond concernant l’application au cas d’espèce de la garantie biennale de bon fonctionnement, après avoir déclaré qu’une réception tacite est intervenue le 25 juillet 2019, servant de point de départ à la garantie légale.
1°) Sur l’application de la garantie biennale de bon fonctionnement prévue par l’article 1792-3 du code civil
La garantie de bon fonctionnement ne concerne que les éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage. (Civ., 3 ème , 10 décembre 2003, pourvoi n° 02-12.215, Bull. 2003, III, n° 224) qui sont définis comme des éléments que l’on peut déposer, démonter ou remplacer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.
En l’espèce, le fait que, comme l’affirme Monsieur [E] [P], il aurait utilisé le procédé de moquette de pierre de HOME-PRO et non de RESINEO, est sans conséquence en l’absence de démonstration par Monsieur [E] [P] que la mise en oeuvre et l’adhésion à son support de ce produit seraient différentes et que le produit de HOME-PRO pourrait être décollé sans difficulté contrairement au produit de RESINEO.
Contrairement à ce que soutient Monsieur [E] [P], le revêtement consistant en une moquette de pierre litigieux n’est pas une simple adjonction à un ouvrage existant pouvant être facilement décollé de son support, les photographies produites concernant les conditions dans lesquelles peut être décollée une résine, n’ayant aucun caractère probant sur ce point puisque n’étant manifestement pas relatives à une moquette de pierre.
Il ressort des pièces versées aux débats et notamment du mail de Monsieur [D] [B] [I] de la société MSB AMENAGEMENT, que la mise en oeuvre d’une moquette de pierre doit être précédée de l’installation d’une dalle en béton qui lui sert de support avant la pose du primaire d’accrochage permettant l’adhésion de la moquette de pierre au support en béton, de sorte que la pose du revêtement sur la dalle de béton et la dalle de béton constituent un seul ensemble indissociable, la dépose de la moquette de pierre ne pouvant être effectuée sans la détérioration du support en béton.
Par ailleurs, la garantie de bon fonctionnement ne concerne que les éléments dont le « bon fonctionnement » est en cause, c’est-à-dire que l’élément d’équipement doit être destiné à fonctionner, la garantie de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du code civil ne pouvant s’appliquer à des éléments d’équipement dissociables dépourvus de tout mécanisme propre ; sur ce point il a été jugé que la garantie de bon fonctionnement édictée par l’article 1792-3 du code civil ne s’applique pas à des éléments d’équipements inertes, tels que les carrelages, les moquettes ou les tissus tendus, ce qui s’applique par voie de conséquence à une moquette de pierre non susceptible d’avoir un dynamisme propre et donc de fonctionner.
Dès lors, les désordres litigieux affectant la moquette de pierre mise en oeuvre par Monsieur [E] [P] relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, sauf s’ils compromettent aussi la destination de l’ouvrage, auquel cas la responsabilité décennale pourra être engagée, mais, ainsi que l’a justement considéré le premier juge, ils ne peuvent en aucun cas relever de la garantie biennale de bon fonctionnement.
L’ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.
2°) Sur la fin de non-recevoir
Comme cela a été indiqué, l’article 1792-4-3 du code civil prévoit qu’à l’exception des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 du code civil se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ce délai de prescription s’appliquant tant à la responsabilité décennale qu’à la responsabilité contractuelle du constructeur.
Dans ces conditions, l’action engagée par exploit du 26 octobre 2022 par Monsieur [Z] [W] n’est pas forclose pour avoir été engagée plus de deux ans après la réception tacite du 25 juillet 2019 puisqu’elle s’inscrit à l’égard de Monsieur [E] [P] selon les garanties, dans le cadre des autres régimes de responsabilité qui lui sont applicables et dont les délais d’action sont régis par les articles 1792-4-1, 1792-4-2 et 1792-4-3 du code civil, soit un délai de dix ans à compter de la réception.
Il s’ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [E] [P] au motif de la forclusion de l’action formée par Monsieur [Z] [W] doit être rejetée.
L’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée de ce chef .
Dès lors que la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [E] [P] a été rejetée, il n’y pas lieu d’examiner la demande d’expertise judiciaire formée à titre subsidiaire par Monsieur [Z] [W].
3°) Sur les demandes accessoires
L’ordonnance entreprise sera confirmée concernant les dispositions relatives aux condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
L’équité commandera par ailleurs d’allouer à Monsieur [Z] [W], en cause d’appel, une indemnité de 2 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; Monsieur [E] [P] sera débouté de ce chef de demande.
Les entiers dépens d’appel seront mis à la charge de Monsieur [E] [P], qui succombe en ses demandes.
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Complète le dispositif de l’ordonnance entreprise en ce qu’il convient de dire que :
– les travaux réalisés par Monsieur [E] [P] ont fait l’objet d’une réception tacite le 25 juillet 2019,
– les désordres dont se plaint Monsieur [Z] [W] concernant les travaux réalisés par Monsieur [E] [P] ne relèvent pas de la garantie de bon fonctionnement,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour l’ordonnance déférée ainsi complétée,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [E] [P] à payer en cause d’appel à Monsieur [Z] [W] la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Monsieur [E] [P] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [E] [P] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE