La Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine ont soulevé une fin de non-recevoir contre la S.C.I. Kyriana, arguant que le litige concernant une installation de chauffage-climatisation était prescrit et ne relevait pas de la garantie décennale. Le juge de la mise en état a rejeté cette fin de non-recevoir, a condamné les défendeurs à verser 3.000 euros à la S.C.I. Kyriana, et a renvoyé l’affaire à une audience ultérieure. Les défendeurs ont interjeté appel de cette décision. La S.A. Maaf assurances et la S.A.S. Clim pro ont demandé à la cour de déclarer l’appel recevable mais infondé, tout en confirmant la décision initiale. La S.C.I. Kyriana a soutenu que l’installation défectueuse relevait de la garantie décennale et que son action était dans les délais. Les défendeurs ont ensuite demandé l’infirmation de l’ordonnance, arguant que la garantie biennale avait expiré. La procédure a été clôturée et fixée à plaider pour le 23 mai 2024, avec une décision attendue le 18 septembre 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Section 2
ARRÊT N°
du 18 SEPTEMBRE 2024
N° RG 23/574
N° Portalis DBVE-V-
B7H-CHD3 JJG-J
Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Ajaccio, décision attaquée du 13 Juillet 2023, enregistrée sous le n° 22/900
Société GIUSTI Éric VERSINI Antoine
MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS
C/
S.C.I. KYRIANA
S.A.S. CLIM PRO
S.A. MAAF ASSURANCES
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU
DIX-HUIT SEPTEMBRE DEUX-MILLE-VINGT-QUATRE
APPELANTES :
Société GIUSTI Éric VERSINI Antoine
société créée de fait
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]
Représentée par Me Stéphane RECCHI de la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AJACCIO
MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Stéphane RECCHI de la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AJACCIO
INTIMÉES :
S.C.I. KYRIANA
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Alexandra BALESI-ROMANACCE de la SCP CABINET RETALI & ASSOCIES, avocate au barreau de BASTIA
S.A.S. CLIM PRO
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 10]
[Localité 3]
Représentée par Me Pascale GIORDANI, avocate au barreau d’AJACCIO
S.A. MAAF ASSURANCES
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentée par Me Pascale GIORDANI, avocate au barreau d’AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 23 mai 2024, devant Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Thierry BRUNET, président de chambre
Guillaume DESGENS, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Vykhanda CHENG
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2024
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Cécile BORCKHOLZ, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par conclusions d’incident non produites au débat la Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine ont soulevé une fin de non-recevoir à l’encontre de la demande présentée par la S.C.I. Kyriana, en ce que le litige portant sur une installation de chauffage-climatisation, l’action engagée est prescrite, ne portant pas sur un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil sur la garantie décennale du constructeur, mais sur un élément d’équipement dissociable.
Par ordonnance du 13 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Ajaccio a :
Vu l’article 789 et 795 du code de procédure civile,
Retenant que la prescription applicable est celle de dix années ;
Rejeté la fin de non recevoir ;
Condamnons in solidum la société d’architectes GIUSTI VERSINI et la MAF à payer à la S.C.I. KYRIANA la somme de trois Mille euros (3.000) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Renvoyé à l’audience de la mise en état du 06 décembre 2023 pour les conclusions de la société d’architectes GIUSTI VERSINI et la MAF ;
Laissé les dépens de l’incident à la charge de la société d’architectes GIUSTI VERSINI et la MAF.
Par déclaration du 21 août 2023, la Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine ont interjeté appel de l’ordonnance prononcée par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Ajaccio en ce qu’ elle a :
Retenant que la prescription applicable est celle de dix années ;
Rejeté la fin de non recevoir ;
Condamnons in solidum la société d’architectes GIUSTI VERSINI et la MAF à payer à la S.C.I. KYRIANA la somme de trois Mille euros (3.000) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Par conclusions déposées au greffe le 3 octobre 2023, la S.A. Maaf assurances et la S.A.S. Clim pro ont demandé à la cour de :
«Déclarer recevable mais infondé l’appel interjeté par la Mutuelle des architectes de France et la société GIUSTI VERSINI,
CONFIRMER la décision entreprise en toutes ses dispositions.
CONDAMNER la Mutuelle des architectes de France et la société GIUSTI VERSINI à porter et payer aux concluants la somme de 1 500,00 € chacun, soit 3 000,00 € au total par application de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNER les appelants en tous les dépens.
SOUS TOUTES RÉSERVES».
Par conclusions déposées au greffe le 16 janvier 2024, la S.C.I. Kyriana a demandé à la cour de :
«Vu l’article 789 du code de procédure civile ;
Vu l’article 804 du code de procédure civile ;
Vu les demandes formées par la MAF et le Cabinet d’architecte GIUSTI-VERSINI ;
JUGER l’appel formé par la société d’architectes GIUSTI ERIC VERSINI ANTOINE et la MAF infondé ;
JUGER que l’installation de chauffage en cause, affectée de multiples malfaçons rend
l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble ;
En conséquence,
JUGER que l’ouvrage dont s’agit relève de la garantie décennale conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation ;
Par conséquent,
JUGER que l’action diligentée par la S.C.I. KYRIANA n’est pas tardive et a été effectuée dans le délai décennal soit dans le délai de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage ;
En conséquence,
CONFIRMER purement et simplement l’ordonnance appelée en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
DÉBOUTER intégralement la MAF et le Cabinet d’architectes GIUSTI-VERSINI de leurs demandes ;
CONDAMNER la MAF et le Cabinet d’architectes GIUSTI-VERSINI à payer à la S.C.I. KYRIANA la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
SOUS TOUTES RÉSERVES».
Par conclusions déposées au greffe le 15 février 2024, la Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine ont demandé à la cour de :
«Vu les articles 1792-3 et 1792-6 du code civil
INFIRMER de toutes ses dispositions l’ordonnance du 13 juillet 2023.
Statuant à nouveau,
DÉBOUTER la S.C.I. KYRIANA de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions en ce que la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage a expiré et aucune demande ne peut être formée à ce titre.
En toute état de cause,
CONDAMNER in solidum la société CLIM PRO, la MAAF et la S.C.I. KYRIANA à payer la somme de 4.000 € à la SDF GIUSTI et VERSINI et à la MAF en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
SOUS TOUTES RÉSERVES».
Par ordonnance du 24 avril 2024, la procédure a été clôturée et fixée à plaider au 23 mai 2024.
Le 23 mai 2024, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2024.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l’article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu’aux dernières conclusions notifiées par les parties.
Pour statuer comme il l’a fait le premier juge a considéré que le défaut dont souffre l’installation de chauffage-climatisation de la construction opérée par la S.C.I. Kyriana en qualité de maîtresse d’ouvrage fait partie des éléments d’équipement indissociables de l’ouvrage, dont le dysfonctionnement attesté rend ce dernier impropre à sa destination et ressort de la garantie décennale pour laquelle ne peut être opposée une fin de non-recevoir fondée sur la prescription biennale de bon fonctionnement.
*Sur la garantie décennale et la prescription invoquée
Au stade de l’appel de l’ordonnance du juge de la mise en état la cour n’est saisie que de la fin de non-recevoir rejetée par le premier juge relativement à la nature des désordres invoquées et non des responsabilités dans la survenance de ces derniers qui sont de la compétence du juge du fond.
L’article 1792 du code de procédure civile dispose que «Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère» et l’article 1792-2 du même code de préciser «La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert. Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage».
En l’espèce, les appelants font valoir que l’installation de chauffage-climatisation ne peut être assimilée à un ouvrage au sens de l’article 1792 et que, de plus, il s’agit d’un élément d’équipement totalement dissociable de l’ouvrage s’agissant de la rénovation d’un bâti existant, ce que réfutent les intimés dans leur ensemble.
L’expert judiciaire, dans son rapport, en ce qui concerne l’installation de chauffage- climatisation, relève, en page n°10, que «l’installation n’est pas conforme aux préconisation du constructeur» et qu’elle «ne peut fonctionner en l’état» -page n°15 du rapport. Il en conclut que l’installation est à reprendre «Pour partie dans la zone sous-sol ; en totalité pour la zone RDC».
Ces constatations démontrent amplement, sans nécessité d’un débat plus long, que l’installation de chauffage-climatisation est dysfonctionnante et est impropre à sa destination à savoir le chauffage de l’habitation l’hiver et son rafraîchissement l’été, quoique puissent écrire à ce sujet les appelantes qui se raccrochent à certains éléments de l’expertise nuançant les problèmes de chauffage ou de climatisation dans certaines pièces, tout en occultant la conclusion globale de l’expert judiciaire pour l’installation dans sa globalité à savoir qu’elle ne fonctionne pas en l’état et donc n’assure pas la destination qui lui était attribuée.
Cette atteinte à la destination de l’équipement est acquise.
L’expert judiciaire indique, page 15 de son rapport, les travaux nécessaires à savoir :
«Au RDJ
Les réseaux frigorifiques principaux seront intégralement démontés et remplacés par un réseau calculé par le constructeur.
Pour ce faire il sera nécessaire de déposer une partie les faux plafonds
Les raccordements des unités intérieures sur les grilles de soufflages seront repris.
Pour ce faire une partie des soffites seront reconstitués. Des trappes d’accès seront mises en oeuvre.
Au RDC
Les unités terminales seront intégralement déposées et remplacées par des unités avec de la pression disponible.
La puissance des appareils sera augmentée dans les zones où il a été identifié des manques de puissance installée (pièce principale par exemple) et les grilles de diffusions adaptées aux nouveaux débits mis en jeux
Elles seront isolées thermiquement par une gangue d’isolant venant les encoffrer type Fib Air comprenant un compartiment démontable pour la maintenance.
Les réseaux frigorifiques seront intégralement démontés et remplacés par un réseau calculé par le constructeur.
Les réseaux de soufflage seront intégralement repris et effectués pour la partie principale par des gaines rectangulaires en Fib Air et en gaines souples isolées de 50 mm pour les raccordements sur les bouches de diffusion.
Les réseaux de reprise seront intégralement repris et effectués pour la partie principale par des gaines rectangulaires en Fib Air et en gaines souples isolées de 50 mm pour les raccordements sur les grilles de reprise d’air.
Une mise en route globale sera effectuée par le constructeur.
L’isolation au niveau des traversés de plancher sera entièrement reconstituée.
Il sera nécessaire avant toute intervention de mandater un maître d’oeuvre spécialisé.»
La simple description des travaux, leur délai d’exécution -trois mois- et leur coût -61 375 euros toutes taxes comprises-, page n°16 du rapport, démontrent amplement le caractère indissociable de cet équipement, et ce, d’autant plus, qu’en page n°17 de son rapport, l’expert judiciaire, précise que «Tous ces travaux impliquent un démontage partiel et une reconstitution des éléments de finition décoratif (plafond, soffites, peintures, etc…)».
En conséquence, il n’est pas contestable que les désordres affectant l’équipement de chauffage-climatisation rendent celui-ci impropre à sa destination et qu’en tant qu’élément d’équipement faisant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peuvent s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage réalisé, répondant ainsi aux critères légaux de l’article 1792-2 relatifs à la garantie décennale applicable aux éléments d’équipement.
Il convient donc de confirmer l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
*Sur les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
S’il est équitable de laisser à la charge des appelantes les frais irrépétibles qu’elles ont engagés il n’en va pas de même pour les intimés ; en conséquence, il convient de débouter la Mutuelle des architectes français et de la société de fait Giusti Éric Versini Antoine de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et d’allouer, à ce titre, à la S.C.I. Kyriana la somme de 2 000 euros, à la S.A. Maaf assurances la somme de 1 000 euros et à la S.A.S. Clim pro la somme de 1 000 euros.
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance querellée,
Y ajoutant,
Condamne solidairement la Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine au paiement des entiers dépens,
Condamne solidairement la Mutuelle des architectes français et la société de fait Giusti Éric Versini Antoine à payer à la S.C.I. Kyriana la somme de 2 000 euros, à la S.A.S. Clim pro la somme de 1 000 euros et à la S.A. Maaf assurances la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT