La société Concerto, dirigée par Mme [F] [B], a agi en tant que conseiller en investissements financiers et était assurée par AIG Europe. Le 29 février 2016, Mme [M] [G] a signé une lettre de mission avec Concerto et a investi 150 000 euros dans un produit immobilier, Altipierre Synergie Constructive, en décembre 2016. En mars 2017, elle a été informée de la souscription de parts dans la société Altipierre Distribution. Cette dernière a été placée en liquidation judiciaire en mars 2022.
En décembre 2021, Mme [G] a assigné Concerto et AIG Europe pour obtenir des réparations financières et morales. Elle a demandé 154 500 euros pour son préjudice financier et 3 000 euros pour son préjudice moral, ainsi que la garantie d’AIG pour Concerto. Concerto a contesté toute faute et a demandé le rejet des demandes de Mme [G], arguant qu’elle était une investisseuse avertie. AIG Europe a également demandé le rejet des demandes, affirmant qu’il n’y avait pas de fondement à l’action de Mme [G]. L’instruction a été close le 11 mai 2023, et l’affaire a été renvoyée pour plaidoiries le 22 avril 2024, avec une mise en délibéré prévue pour le 21 juin 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
6ème Chambre
JUGEMENT RENDU LE
30 Août 2024
N° RG 21/09943 – N° Portalis DB3R-W-B7F-XDL5
N° Minute : 24/
AFFAIRE
[M] [G]
C/
Société CONCERTO, Société AIG EUROPE SA (anciennement société AIG Europe Limited)
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
Madame [M] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0326
DEFENDERESSES
Société CONCERTO
[Adresse 2] à [Localité 5]
[Localité 5]
représentée par Me Léa GABOURY, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 86
et par Me Gauthier LECOCQ du Cabinet BARISEEL-LECOCQ & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de VERSAILLES
Société AIG EUROPE SA
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Anne-Sophie PIA de la SELEURL AWKIS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : E0964
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Avril 2024 en audience publique devant :
Anne LECLERC, Juge, magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :
François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint
Anne LECLERC, Juge
Quentin SIEGRIST, Vice-président
qui en ont délibéré.
Greffier lors du prononcé : Sylvie CHARRON, Greffier.
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats au 21 juin 2024 prorogé au 30 août 2024.
La société Concerto, enregistrée à l’ORIAS et dirigée par Mme [F] [B], a exercé une activité de conseiller en investissements financiers et était assurée pour sa responsabilité civile professionnelle auprès de la société AIG Europe.
Le 29 février 2016, Mme [M] [G] a signé une lettre de mission avec la société Concerto.
Le 6 décembre 2016, Mme [G] a investi, par l’intermédiaire de la société Concerto, dans un produit « Altipierre Synergie Constructive » consistant à souscrire des parts d’une société en commandite par actions dont le but était d’acquérir des biens immobiliers et de pratiquer des opérations de marchands de biens avec un rendement annoncé de 6% à 7% annuel et moyennant une durée de détention de cinq ans. Mme [G] a signé un bulletin de souscription, de 1 500 actions nouvelles dans la société Altipierre Distribution, pour la somme de 150 000 euros.
Le 15 mars 2017, la société Altipierre Distribution a informé Mme [G] de la souscription de 396 parts de la société à effet du 6 décembre 2016.
Par jugement du 8 mars 2022, la société Altipierre Distribution a été placée en liquidation judiciaire et Maître [U] [V] désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Par actes d’huissier du 6 décembre 2021, Mme [G] a fait assigner la société Concerto et la société AIG Europe devant ce tribunal afin d’obtenir la condamnation de la société Concerto à lui verser la somme de 142 500 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral et de la société AIG Europe à garantir la société Concerto des condamnations prononcées à son encontre, outre la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 février 2023, Mme [G] demande au tribunal de :
« – Condamner la société Concerto à verser à Mme [G], en réparation de son préjudice financier :
– A titre principal, la somme de 154 500 euros répartie comme suit :
*144 000 euros au titre de la perte intégrale des sommes investies,
*10 500 euros au titre de la réparation de son préjudice lié à l’immobilisation de la somme investie,
– A titre subsidiaire, la somme de 128 500 euros répartie comme suit :
*118 000 euros au titre de la perte de chance d’investir dans un produit moins hasardeux,
*10 500 euros au titre de la réparation de son préjudice lié à l’immobilisation de la somme investie,
– Condamner la société Concerto à verser à Mme [G] la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– Condamner la société AIG Europe à garantir la société Concerto de ces condamnations au bénéfice de Mme [G] dans les conditions de la police d’assurance applicable,
– Débouter les sociétés Concerto et AIG Europe de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– Condamner in solidum la société Concerto et la société AIG Europe à verser à Mme [G] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner in solidum la société Concerto et la société AIG Europe aux entiers dépens. »
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mai 2023, la société Concerto demande au tribunal de :
« Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées au débat,
– Déclarer la société Concerto recevable et bien fondée dans l’ensemble de ses demandes,
À titre principal :
– Dire que la société Concerto n’a commis aucune faute et violation de ses obligations à l’égard de Mme [G] laquelle est intervenue en qualité d’investisseur averti – client professionnel,
– Dire que Mme [G] n’a pas subi de préjudices financiers et moraux,
– Dire qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les supposées fautes de la société Concerto et les prétendus dommages subis par Mme [G],
À titre subsidiaire :
– Réduire le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice financier subi par Mme [G] à de plus justes proportions,
– Débouter Mme [G] de sa demande de réparation au titre de son préjudice moral,
– Condamner la société AIG Europe à garantir la société Concerto de ses condamnations dans les conditions de la police d’assurance applicable,
En tout état de cause :
– Débouter Mme [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Dire n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire,
– Condamner Mme [G] à verser à la société Concerto la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2023, la société AIG Europe demande au tribunal de :
« Vu les articles 6, 9, 15 et 56 du code de procédure civile,
Vu l’ancien article 1353 du code civil,
Vu la police d’assurance,
A titre principal,
– Constater que l’action de Mme [G] est dénuée de tout fondement,
En conséquence,
– Débouter Mme [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Concerto, et partant de la société AIG Europe,
A titre subsidiaire,
– Débouter Mme [G] de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Concerto et partant de la société AIG Europe dans la mesure où :
*la société Concerto n’a commis aucune faute,
*le préjudice allégué par Mme [G] n’est pas établi,
*il n’y a pas de lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué,
A titre encore plus subsidiaire,
– Réduire le montant des préjudices résultant de la perte de chance de ne pas contracter à de plus justes proportions, notamment au regard des différentes actions entreprises par Mme [G],
A toutes fins,
– Faire application des limites de garanties de la société AIG Europe à savoir un plafond de garantie subséquente de 150 000 euros (applicable à toutes les réclamations introduites au cours de la période subséquente), d’une franchise contractuelle de 1 500 euros,
– Rejeter toute demande de condamnation solidaire entre la société AIG Europe et la société Concerto au-delà des limites contractuelles de garantie, et notamment sur le montant de la franchise contractuelle,
En tout état de cause,
– Dire n’y avoir lieu à exécution provisoire, ou à tout le moins, subordonner l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle suffisante pour répondre de toutes restitution ou réparation,
– Condamner Mme [G] à verser à la société AIG Europe la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction a été close par ordonnance en date du 11 mai 2023 et l’affaire renvoyée pour plaidoiries le 22 avril 2024. A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2024 prorogé à ce jour.
Sur les demandes de « déclarer », « constater » et « dire »
Il est rappelé que ces demandes formulées au dispositif des conclusions ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code procédure civile et que le tribunal n’y répondra que s’il s’agit de moyens développés dans les écritures et venant au soutien des autres demandes exprimées au dispositif.
Sur l’absence de fondement des demandes de Mme [G] soulevée par la société AIG Europe
La société AIG Europe, contestant l’application des dispositions de l’article L.533-12 du code monétaire et financier concernant les prestataires de services d’investissements, fait valoir à titre principal que les demandes de Mme [G] sont dépourvues de fondement et sollicite qu’elle en soit déboutée.
Elle ajoute que Mme [G] a finalement conclu à la responsabilité de la société Concerto en qualité de conseiller en investissements financiers, exerçant une activité de conseil en gestion de patrimoine.
* * *
L’article 768 du code de procédure civile dispose que « les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »
En l’espèce, la société AIG Europe maintient, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2023 sa demande de débouter Mme [G] au moyen que sa demande est dénuée de fondement.
Pourtant, si la société AIG Europe maintien dans le dispositif de ses dernières conclusions que l’action de Mme [G] est dépourvue de fondement, elle conclut, dans le corps de ses écritures, qu’il soit « pris acte » que la responsabilité de la société Concerto est recherchée en qualité de conseiller en investissements financiers, exerçant une activité de conseil en gestion de patrimoine.
Dès lors, la société AIG Europe ne maintenant pas de moyen à l’appui de l’absence de fondement de l’action de Mme [G], le tribunal n’a pas à l’examiner.
Sur la responsabilité de la société Concerto
Mme [G] fait valoir en substance que la société Concerto est intervenue en qualité de conseil en investissements financiers au moment de la souscription de son investissement. Elle expose que le conseiller en investissements financiers est tenu à des obligations d’information et de conseil en application des dispositions de l’article L.541-8-1 du code monétaire et financier et de l’article 325-7 du règlement général de l’autorité des marchés financiers.
Elle estime que les informations fournies par la société Concerto, se limitant notamment à remettre un dépliant d’ordre général, sur l’investissement sont insuffisantes et permettent de caractériser le manquement à ses obligations.
La demanderesse définit le schéma d’investissement mis en place comme complexe, reposant sur une société mère dénommée Stonehedge ainsi que six filiales exerçant sous la forme de sociétés en commandite simple avec chacune des règles différentes. Elle indique que les versements qu’elle a perçus correspondent à un remboursement fractionné d’une avance en compte courant qui n’avait pas été expliquée par la société Concerto.
Elle indique que les contradictions des documents contractuels remis par la société Concerto auraient dû attirer son attention en sa qualité de conseiller en investissements financiers. Elle relève que la rémunération de la société Concerto par le concepteur de l’investissement démontre sa déloyauté.
Mme [G] rappelle qu’elle exerce la profession de chirurgien et qu’elle a fait savoir qu’elle n’avait jamais réalisé d’investissement sans l’aide d’un conseiller financier. Elle affirme qu’elle ne peut revêtir un profil d’investisseur professionnel, agissant en qualité de particulier, et que la société Concerto n’a pas établi elle-même d’évaluation de compétence, d’expérience et de connaissance pour apprécier son profil et ses objectifs.
Elle considère donc que le placement n’était pas en adéquation avec son profil d’investisseur.
La demanderesse conclut que la société Concerto a manqué à ses obligations d’information et de conseil, engageant sa responsabilité.
En défense, la société Concerto fait valoir en substance que, préalablement à l’investissement litigieux, Mme [G] a conclu une lettre de mission avec la société Concerto qui a réalisé une étude patrimoniale remise le 13 mars 2016.
La société Concerto estime que le produit d’investissement proposé était en adéquation avec sa qualité d’investisseur averti – client professionnel. Elle précise que Mme [G] était âgée de 63 ans et exerçait la profession de chirurgien. Au regard de l’étude de son patrimoine, la société Concerto rappelle qu’elle disposait d’un patrimoine net de 4 656 993 euros, que l’investissement « Altipierre » représentait 3,22 % du montant total de son patrimoine actif et que son profil d’investisseur était défini comme « élevé » par la Société Générale le 25 septembre 2020. Elle estime pouvoir ainsi définir Mme [G] comme un investisseur averti – client professionnel.
Elle explique que la personnalité des animateurs de la société Stonehedge, concepteurs de l’investissement « Altipierre », n’avait pas lieu d’alerter sur le produit d’investissement proposé.
La société Concerto considère qu’elle ne peut se voir reprocher de manquement à son obligation de conseil et d’information, en l’état de ses connaissances au jour de l’opération de souscription. Elle souligne qu’elle avait proposé à Mme [G] d’investir la somme de 100 000 euros dans le produit « Altipierre » et que c’est la demanderesse qui a décidé d’investir 150 000 euros.
Elle insiste sur le fait que son obligation d’information et de conseil, en sa qualité de conseiller en investissements financiers, est une obligation de moyens. Elle explique que Mme [G] a signé l’ensemble des documents d’information produits et avait donc connaissance des risques potentiels y afférents. La société Concerto indique elle-même qu’elle n’avait pas connaissance de l’affectation des fonds mis à disposition par le concepteur de l’investissement. Elle se prévaut des sommes versées au titre de son investissement à Mme [G] du 4 octobre 2017 au 7 septembre 2019, soit 20 250 euros.
La société AIG Europe fait valoir, à titre subsidiaire, qu’aucune faute ne peut être reprochée à la société Concerto, faisant siens les moyens soulevés par son assurée. Elle insiste ainsi sur l’obligation de moyens du conseiller en investissements financiers dont l’obligation d’information et de conseil doit s’apprécier au regard des informations disponibles au jour de l’investissement. Elle relève que Mme [G] a bénéficié des rendements annoncés jusqu’en septembre 2019 et considère que la responsabilité des pertes est imputable au concepteur et gestionnaire du montage « Altipierre ».
L’assureur souligne que Mme [G] avait connaissance de la répartition des sommes versées ainsi qu’il ressort du bulletin de souscription et qu’elle a été suffisamment alertée sur les risques associés au produit « Altipierre ».
Elle reprend les développements de la société Concerto sur le fait que Mme [G] s’est définie elle-même comme « client professionnel » et la qualifie d’investisseur « professionnel » ou à tout le moins « bien informée ». Elle expose qu’elle a par ailleurs souscrit aux investissements « Maranatha » et « Mozaik » qui présume de sa connaissance de ce type de produits et expose qu’elle a même investi 150 000 euros dans le produit « Altipierre » au lieu des 100 000 euros conseillés par la société Concerto.
* * *
L’article 541-8-1 du code monétaire et financier dans sa version applicable à l’espèce dispose que :
« Les conseillers en investissements financiers doivent :
1° Se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients ;
2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de services adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs ;
3° Etre dotés des ressources et procédures nécessaires pour mener à bien leurs activités et mettre en œuvre ces ressources et procédures avec un souci d’efficacité ;
4° S’enquérir auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil mentionné au I de l’article L. 541-1, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation. Lorsque les clients ou les clients potentiels ne communiquent pas les informations requises, les conseillers en investissements financiers s’abstiennent de leur recommander les opérations, instruments et services en question ;
5° Communiquer aux clients d’une manière appropriée, la nature juridique et l’étendue des éventuelles relations entretenues avec les établissements promoteurs de produits mentionnés au 1° de l’article L. 341-3, les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations.
Ces règles de bonne conduite sont précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.
Les codes de bonne conduite mentionnés à l’article L. 541-4 doivent respecter ces prescriptions qu’ils peuvent préciser et compléter. »
L’article 325-5 du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »), dans sa version en vigueur entre le 31 décembre 2007 et le 7 juin 2018, énonce que « toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissements financiers, présentent un caractère exact, clair et non trompeur ».
D’une manière générale, l’obligation d’information consiste pour un conseiller en investissements financiers à informer son client sur les divers aspects économiques, financiers, et juridiques de l’opération envisagée, de lui décrire les avantages et les inconvénients eu égard à sa situation patrimoniale et au but poursuivi et de lui donner un avis complet et documenté, lui permettant de prendre, en toute connaissance de cause, une décision de gestion conforme à ses intérêts.
L’article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Il incombe à celui qui est tenu d’une obligation de conseil de rapporter la preuve de son exécution.
Il résulte de ces textes que, avant de formuler un conseil, le conseiller en investissements financiers doit s’enquérir auprès de son client de ses connaissances et de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière et de ses objectifs d’investissement, de manière à pouvoir lui recommander les opérations, instruments et services adaptés à sa situation. Lorsque le client ne communique pas les informations requises, le conseiller en investissements financiers s’abstient de lui recommander les opérations, instruments et services en question.
Sur le profil d’investisseur de Mme [G] et l’adéquation du produit d’investissement proposé
En l’espèce, il ressort de la fiche d’information légale produite par la société Concerto en pièce n°26 qu’elle exerçait l’activité de conseiller en investissements financiers, enregistrée auprès de l’ANACOFI-CIF agréé par l’AMF et d’intermédiaire en assurance.
L’attestation d’assurance délivrée par le courtier Oria conseils mentionne une couverture de responsabilité civile auprès de la société AIG Europe du 1er mars 2016 au 28 février 2017 pour une activité de conseil en investissements financiers et de conseil en gestion de patrimoine.
La société Concerto était donc tenue, conformément aux dispositions de l’article L.541-8-1 du code monétaire et financier précité de s’enquérir auprès de sa cliente de ses connaissances et de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière et de ses objectifs d’investissement, de manière à pouvoir lui recommander les opérations, instruments et services adaptés à sa situation.
La société Concerto produit une lettre de mission du 29 février 2016, signée par Mme [G], de laquelle il ressort une mission d’assistance au placement financier, d’audit patrimonial et financier, d’analyse du portefeuille et de suivi annuel du patrimoine et des produits financiers externes.
Les objectifs du client, tels que mentionnés à cette lettre de mission, sont de changer d’appartement « pas dans l’urgence », l’optimisation fiscale, voir ses nièces (donations) et les dons aux oeuvres. Dans l’encadré « typologie du client » la mention « oui » est portée dans la case « client professionnel ».
Dans le déroulement de la mission de la société Concerto, il est prévu une première étape de recueil des besoins du client, une deuxième étape d’étude et d’analyse, une troisième étape de préconisations et une quatrième étape de mise en place des solutions après validation avec le client.
La société Concerto produit en pièce n°27 un document de 29 pages intitulé « étude patrimoniale » portant la date du 11 mars 2016. Si ce document reprend très précisément le patrimoine de Mme [G], sous le chapitre « vos objectifs et nos préconisations » il est indiqué :
« optimiser votre fiscalité
Notre préconisation
IR/ISF
Préparer la transmission de votre patrimoine
Notre préconisation
Donations
Changer d’appartement et rester sur [Localité 3]
Voir mes nièces
Voyager ».
D’évidence, cette seule page de « préconisation » ne peut suffire à caractériser l’exécution de ses obligations par la société Concerto, telles que prévues à sa lettre de mission.
Les sociétés défenderesses se prévalent de la réponse positive faite par Mme [G] au titre de la lettre de mission sur sa qualité de « client professionnel ». Or, celle-ci est manifestement erronée et n’est étayée par aucune question posée par la société Concerto sur le type d’investissements pratiqués par sa cliente. Cette mention s’oppose, aux termes de ce document, à celle de « non-professionnel ». Or Mme [G], qui exerce la profession de chirurgien, ne peut entrer dans la catégorie d’investisseur « professionnel ». Ainsi, si elle dispose d’un patrimoine conséquent tiré de cette activité professionnelle et de l’absence de charges, tels qu’ils ressortent de l’étude patrimoniale réalisée par la société Concerto, la possession de ce patrimoine ne peut suffire, à elle seule, à établir qu’elle agirait en qualité d’investisseur « professionnel ».
Le tribunal relève en outre qu’aux termes de ce document le patrimoine de Mme [G] est constitué pour 83,84 % d’épargne à moyen et long terme (immobilier, assurances-vie) et de liquidités, les valeurs mobilières détenues étant confiées à son établissement bancaire ou en gestion sous mandat.
Ces informations correspondant à celles figurant au questionnaire de l’investissement « Altipierre » signé le 6 décembre 2016 par Mme [G] aux termes duquel elle indique que la part de son patrimoine investie en valeurs mobilières est de 5 à 10% et que la part de titres non cotés dans ce portefeuille représente à nouveau 5 à 10%. A la question « avez-vous déjà réalisé des opérations de placement financier sans conseiller financier », Mme [G] répond par la négative.
Enfin, la société Concerto se prévaut en pièce n°17 d’un « rapport d’adéquation périodique » de la Société Générale, dans les livres de laquelle Mme [G] détient certains placements, éditée le 25 septembre 2020. D’une part ce document ne peut permettre d’établir le profil d’investisseur de Mme [G] lors de l’intervention de la société Concerto, plus de quatre ans auparavant. D’autre part, si le profil de risque arrêté est « élevé », celui-ci correspond à un risque de perte à horizon de 5 ans compris entre 15 et 30 %. Ce document ne permet pas de déterminer un profil d’investisseur « professionnel » ni même « averti » de Mme [G] en 2016.
S’agissant particulièrement de l’investissement « Altipierre », le société Concerto a indiqué à Mme [G], par courriel du 19 octobre 2016, la recommandation suivante : « Veuillez trouver comme convenu les placements éligibles aux revenus annuels de 8% et 6% par an. Après vérification, OCP ne propose pas actuellement ce placement. Ma proposition est donc la suivante : 300 000 € x 8% = 24 000 € Maranatha 100 000 € x 6% = 6 000 € Altipierre distribution (sous-jacent immobilier dépliant ci-joint). Ce qui vous permettrai de récupérer 30 000 € de revenu pour régler une partie de vos impôts, en franchise de ceux-ci. Et d’optimiser ainsi vos placements existants ».
Il s’évince des termes de ce courriel qu’à aucun moment la société Concerto ne fait référence aux éventuels risques relatifs du placement « Altipierre », celui-ci étant au contraire présenté comme assurant une rentabilité de 6% par an pour permettre à Mme [G] de régler ses impôts. De surcroît, aucune réponse n’est produite par la société Concerto aux questions posées par Mme [G] notamment sur la rentabilité promise.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments d’une part que Mme [G], ne peut être qualifiée d’investisseur « professionnel » ni même « averti » et d’autre part que la société Concerto n’a pas exécuté les obligations de conseil et d’information lui incombant, en n’évaluant pas l’adéquation du produit d’investissement « Altipierre » proposé à la situation de Mme [G].
Dès lors la société Concerto a manqué à son obligation de s’assurer de l’adéquation du produit proposé au profil d’investisseur de Mme [G] et a engagé sa responsabilité.
Sur le non-respect de son obligation d’information et de conseil par la société Concerto au titre de l’investissement « Altipierre »
En l’espèce, le conseiller en investissements financiers a l’obligation de transmettre des informations au caractère exact, clair et non trompeur à ses clients, conformément aux textes précités. Pour apprécier la qualité de l’information transmise par la société Concerto, il convient d’analyser les différents supports d’information indépendamment les uns des autres, et de déterminer si elle a respecté son obligation de délivrance d’une information claire et personnalisée quant aux caractéristiques essentielles du produit proposé et des risques présentés par le produit.
Il ressort de la plaquette d’information intitulée « Altipierre Synergie constructive » « cercle privé d’investisseur » produite en pièce n°2-2-3 par Mme [G] que celle-ci ne comporte aucune mention d’un quelconque risque sur l’opération d’investissement et au contraire présente l’investissement comme « la rencontre des professionnels de l’immobilier et d’investisseurs disposant de liquidités qui – ensemble – ont créé une société dans laquelle les investisseurs sont directement associés, ils tirent profit du savoir-faire de ces professionnels, tout le monde peut constater et partager les gains. ». Ce document ne peut satisfaire l’obligation d’information vis-à-vis des investisseurs.
La société Concerto produit la fiche d’information standardisée, le questionnaire de connaissance de l’investisseur, le bulletin de souscription et la déclaration de provenance de fonds signés par Mme [G] le 6 décembre 2016.
S’agissant de la fiche d’information standardisée signée le 6 décembre 2016, il s’agit du seul document au vu duquel il est fait référence à une rentabilité de 6% annuelle présentée par la société Concerto à Mme [G] le 19 octobre 2016. Il est précisé aux termes de ce document qu’il est destiné à un seul usage professionnel, qu’il « n’a aucune valeur contractuelle », qu’il est fourni à titre d’information et qu’aucune décision d’‘investissement ne peut être prise sur cette base.
Si certains risques sont présentés aux termes de ce document, ils sont immédiatement atténués par référence aux risques de placement dans l’immobilier. Il est ainsi mentionné « comme tout investissement, l’immobilier physique (bureaux, locaux d’activités, entrepôts, commerces) présente des risques : absence de rentabilité potentielle ou perte de valeur, qui peuvent toutefois être atténuées par la diversification immobilière et locative du portefeuille de la SCS ; cet objectif n’étant pas garanti ». La rentabilité du produit est expliquée par le versement de dividendes et du montant du capital. Il n’est pas fait mention d’un investissement en compte courant. S’agissant du montant en capital il est stipulé « ce montant n’est pas garanti et dépendra de l’évolution du marché de l’immobilier sur la durée totale du placement. La SCS comporte un risque de perte en capital et le montant du capital investi n’est pas garanti ». Ainsi, le risque de perte en capital est présenté comme dépendant uniquement du marché de l’immobilier sans précision sur la manière dont les fonds sont investis et notamment sans qu’il soit fait référence au versement des sommes en compte courant d’associés.
Il est également précisé en page 3 du document, sous le titre « investisseurs qualifié ! : Altipierre est réservé aux investisseurs « bien informés » ; les investisseurs « bien informés » comprennent : les investisseurs institutionnels ; les investisseurs professionnels ; et autres investisseurs ayant confirmés par écrit qu’ils adhèrent au statuts d’investisseurs « bien informés » et qui, soit (i) investissent un minimum de 125 000 euros, soit (ii) pour les investisseurs ayant été validés par une institution de crédit, une société d’investissement ou une société de gestion ou d’un conseil en gestion de patrimoine certifié, qui par ce dernier, aura établi au préalable une étude patrimoniale, tout en s’assurant la capacité des investisseurs à comprendre les risques associés à l’investissement dans Altipierre ».
Or, la société Concerto, sur laquelle pèse la charge de la preuve du respect de son obligation d’information et de conseil, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe d’avoir prévenu Mme [G] d’un éventuel risque de perte en capital et vérifié que ce risque était en adéquation avec les besoins de Mme [G].
De manière contradictoire, la société Concerto tente d’expliquer qu’elle n’avait conseillé à Mme [G] qu’un investissement limité à 100 000 euros alors même que la notice précitée indique que l’investissement doit porter a minima sur 125 000 euros et que le profil de l’investisseur doit préalablement être validé par le conseiller en gestion de patrimoine.
S’agissant du questionnaire de connaissance de l’investisseur, Mme [G] a répondu par l’affirmative à la question « êtes-vous informée que votre investissement présente un risque de perte en capital , » et au-dessus de sa signature « je reconnais avoir obtenu les informations nécessaires pour souscrire en toute connaissance de cause des parts Altipierre avantage, Altipierre capitalisation ainsi que Altipierre Distribution, en adéquation avec mon expérience, mes besoins, mes objectifs et ma situation financière ». Toutefois, compte tenu du caractère complexe de l’opération, cette mention ne peut suffire pour affirmer, comme le font les défenderesses, que Mme [G] était informée du montage d’investissement mis en place, étant rappelé que la charge de la preuve du respect de l’obligation d’information du conseiller en investissements financiers pèse sur ce dernier.
S’il est indiqué au bulletin de souscription produit en pièce n°4 par la société Concerto, signé le 6 décembre 2016 par Mme [G], que l’investisseur souscrit à l’augmentation de capital de la société en commandite simple Altipierre Distribution pour 150 000 euros, correspondant à 1 500 actions, l’autorisation de prélèvement des fonds préalablement versés, signée par Mme [G] le 11 janvier 2017, ne mentionne plus que la souscription de 1 500 actions de la société Altipierre Distribution pour 39 600 euros et le versement de la somme de 92 400 euros en compte courant et 12 % d’honoraires versés à la société Stonehedge.
La société Concerto, en sa qualité de conseiller en investissements financiers avait pour obligation d’informer Mme [G] de la spécificité de l’investissement proposé, ce qu’elle n’a pas fait, limitant son information à lui indiquer un rendement garanti de 6% aux termes de son courriel du 19 octobre 2016
En conséquence et s’il ne peut être exigé du conseiller en investissements financiers d’être garant de la rentabilité du produit d’investissement qu’il a conseillé, la société Concerto a manqué à son obligation d’information au moment de la souscription du produit « Altipierre », se contentant de transmettre une documentation commerciale du Groupe Altipierre, laquelle présentait des informations incomplètes, inexactes et trompeuses, et sans délivrer l’information personnalisée correspondant à la situation patrimoniale et aux intérêts propres de Mme [G].
La société Concerto a en conséquence commis une faute dans l’exercice de ses fonctions de conseiller en investissements financiers et engage à ce titre sa responsabilité à l’égard de Mme [G].
Sur le préjudice et le lien de causalité
Mme [G] se prévaut du certificat d’irrécouvrabilité des créances du liquidateur de la société Stonehedge qui a perçu un honoraire de 12% à la souscription du produit « Altipierre ».
Elle souligne que la société Altipierre Distribution a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 8 mars 2022 et que le passif étant de 5 416 400 euros, le taux de récupération prévisible des fonds atteint 4%.
Elle sollicite la condamnation de la société Concerto et de son assureur à lui verser la somme de 144 000 euros sur les 150 000 euros investis compte tenu de cette récupération prévisible de 4%.
Subsidiairement, Mme [G] se fonde sur la perte de chance de ne pas avoir réalisé le placement litigieux. Elle évalue sa perte de chance à 95%, dont elle déduit le taux de récupération de 4%, soit un préjudice de 118 000 euros.
Elle ajoute que les sommes investies auraient pu produire des intérêts de 1% sur 7 années si elle avait pu les investir sur un support sans risque, soit 10 500 euros.
La société Concerto considère que Mme [G] n’apporte pas la preuve de la réalité des sommes perçues dans le cadre de son investissement, contestant qu’elles s’élèvent à la somme de 20 250 euros.
Elle ajoute que Mme [G] n’apporte pas la preuve de l’absence de bien immobilier détenu par la société Altipierre Distribution et demande en conséquence qu’elle soit déboutée de sa demande d’indemnisation au titre de la réparation de son préjudice intégral.
Subsidiairement, la société Concerto relève que le taux de 95% retenu par Mme [G] relatif à sa perte de chance n’est pas justifié et demande qu’elle soit déboutée de sa demande à ce titre.
Elle demande le rejet de la demande de Mme [G] au titre de la perte d’intérêts dans le cadre de l’immobilisation des sommes investies en expliquant que Mme [G] a recherché des investissements qui n’étaient pas dépourvus de risque, aussi minimes soient-ils.
La société AIG Europe souligne que les préjudices allégués par Mme [G] sont purement hypothétiques, estimant que celle-ci pourra de manière certaine recouvrer tout ou partie des sommes versées.
Elle conteste l’irrécouvrabilité des fonds versés par Mme [G] à la société Stonehedge.
Elle rappelle que Mme [G] a perçu la somme de 20 250 euros de la société Altipierre Distribution et qu’elle prévoit de recevoir la somme de 6 000 euros de cette dernière société dans le cadre de sa liquidation.
Elle souligne que Mme [G] ne cherchait pas un placement sécurisé mais une rentabilité de 6 à 8% par an.
La société AIG Europe sollicite donc le rejet des demandes de Mme [G].
La société AIG Europe fait encore valoir que le lien de causalité entre les fautes reprochées à la société Concerto et le préjudice allégué par Mme [G] n’est pas démontré car elle n’aurait pas pu être mieux informée de la situation lors de la souscription du contrat, au regard des informations disponibles.
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L’article 1231-1 du code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
Le préjudice né du manquement d’un conseiller en investissements financiers à l’obligation d’information et de conseil dont il est débiteur à l’égard de son client s’analyse, pour celui-ci, en la perte de la chance d’échapper, par une décision plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé.
Ce préjudice n’est pas réparable lorsqu’il est certain que, mieux informée, la victime aurait tout de même réalisé l’investissement qui s’est révélé défavorable.
En l’espèce, il n’est pas contesté qu’à l’époque de la souscription de l’investissement litigieux, Mme [G] disposait de revenus et d’un patrimoine conséquent. Toutefois les objectifs d’investissements, ainsi qu’ils ressortent de la lettre de mission et de l’étude patrimoniale réalisée par la société Concerto, sont l’optimisation de la fiscalité, l’optimisation du rendement de l’épargne et la préparation de la transmission de son patrimoine.
En outre, il ressort du courriel adressé par la société Concerto à Mme [G] le 19 octobre 2016 et de la réponse de Mme [G] le 23 octobre suivant que l’investissement « Altipierre » a été souscrit dans un objectif de défiscalisation et de rentabilité.
Dès lors, la perte de chance de ne pas souscrire l’investissement litigieux par Mme [G], si elle avait été mieux informée sur les risques de l’investissement doit être évaluée à 40% de son investissement, soit 60 000 euros.
Il est acquis au débat que Mme [G] a investi la somme de 150 000 euros et qu’elle a reçu la somme de 20 250 euros au titre du remboursement du compte courant d’associé de la société Altipierre Distribution, la société AIG Europe se contenant d’affirmer qu’elle a pu percevoir une somme supérieure sans en rapporter la preuve.
Si Mme [G] évalue elle-même à 6 000 euros le montant récupéré des sommes investies dans la liquidation judiciaire de la société Altipierre Distribution, il n’apparait pas probable qu’elle obtienne une somme supérieure à l’issue de la procédure collective de cette société, comme à l’issue de la procédure collective de la société Stonehedge.
Dès lors, la société Concerto sera condamnée à verser à Mme [G] la somme de 33 750 euros (60 000-20 250-6 000), au titre de la perte de chance.
Mme [G] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts correspondant aux intérêts qu’elle aurait perçue en l’absence d’immobilisation des sommes investies. En effet, la souscription de l’investissement litigieux et l’évolution de son patrimoine, ainsi qu’elles ressortent notamment du rapport d’adéquation périodique de la Société Générale du 25 septembre 2020, permettent d’établir qu’elle n’aurait, selon toutes probabilités, pas procédé au placement des sommes investies sur un support sans risque.
Sur le préjudice moral
Mme [G] estime que la société Concerto l’a systématiquement orientée vers des placements hasardeux et sollicite, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société Concerto s’y oppose, estimant que Mme [G] fait preuve d’acharnement procédural contre elle et son animatrice, qu’elle a fait citer devant le tribunal correctionnel de Quimper.
La société AIG Europe s’oppose à la demande formée au titre de son préjudice moral par Mme [G].
En l’espèce, Mme [G] fonde sa demande sur la rupture de la confiance qu’elle avait placée dans la société Concerto pour procéder à ses investissements. La faute ainsi dénoncée ne se distingue pas de celle constituée par l’absence de respect de ses obligations contractuelles par la société Concerto.
En outre, Mme [G] ne justifie pas d’un préjudice spécifique, lequel ne ferait pas l’objet d’une indemnisation par les dommages et intérêts alloués à Mme [G] au titre de la perte de chance.
En conséquence, elle sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur la garantie de la société AIG Europe
Mme [G] demande la garantie de la société AIG Europe, assureur de responsabilité civile contractuelle de la société Concerto, dans les conditions de la police d’assurance.
La société Concerto indique qu’elle a souscrit une police d’assurance « Finance & Patrimoine » n°2.401.395/OC100000517 couvrant sa responsabilité civile professionnelle pour la période du 1er mars 2016 au 1er janvier 2017 pour les opérations de conseil en investissements financiers auprès de la société AIG Europe. Elle mentionne un plafond de garantie de 150 000 euros et une franchise de 1 500 euros. Elle estime que si une condamnation devait être prononcée à son encontre, la garantie de la société AIG Europe devra nécessairement intervenir.
La société AIG Europe indique que la responsabilité de la société Concerto est couverte par la police d’assurance précitée, à effet du 1er février 2016 avec une franchise de 1 500 euros. Elle explique que la garantie a été résiliée le 5 juillet 2018 et que la réclamation de Mme [G] est couverte au titre de la garantie subséquente. Elle estime que la franchise contractuelle et le plafond de garantie de 150 000 euros sont opposables à Mme [G], tiers lésés, en application des dispositions de l’article L.112-1 du code des assurances et rappelle qu’aucune condamnation solidaire ne peut intervenir entre la société AIG Europe et la société Concerto au-delà des limites contractuelles.
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L’article L.112-6 du code des assurances dispose que « l’assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire ».
En l’espèce, il est constant que la société AIG Europe est l’assureur de responsabilité civile de la société Concerto. L’assureur reconnait sa garantie en application du contrat « Finance & Patrimoine » n°2.401.395/OC100000517 couvrant sa responsabilité civile professionnelle à effet du 1er mars 2016 et dont elle indique qu’il a été résilié le 5 juillet 2018. Elle explique garantir la société Concerto au titre de la garantie subséquente dans les limites du contrat.
L’assureur produit en pièce n°2-1 un document intitulé « montant des garanties – franchises » qui n’est pas contesté par Mme [G] et la société Concerto, lequel stipule au titre de l’activité de conseil en investissements financiers, y compris conseil en gestion de patrimoine, un plafond de garantie de « 150 000 euros par sinistre et 150 000 euros par période d’assurance s’il s’agit d’une personne physique ou d’une personne morale employant moins de deux salariés » et une franchise par sinistre de 1 500 euros.
En conséquence, la société AIG Europe sera condamnée, à garantir la société Concerto, à hauteur de la somme de 32 250 euros (33 750- 1 500) au titre de sa garantie.
Sur les demandes accessoires
Parties succombantes à l’instance, les sociétés Concerto et AIG Europe seront condamnées in solidum aux entiers dépens de la présente instance ainsi qu’à verser à Mme [G] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés Concerto et AIG Europe seront déboutées de leur demande au titre des frais irrépétibles.
En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Les sociétés Concerto et AIG Europe s’opposent à l’exécution provisoire de la décision, la société AIG Europe demandant la constitution d’une garantie si elle devait être ordonnée. Les sociétés défenderesses ne motivent toutefois leur demande que par la nature et les circonstances de la cause, lesquelles ne sont, au contraire, pas incompatibles avec l’exécution provisoire de la décision.
En outre, la société AIG Europe n’explique pas sa demande de constitution de garantie pour répondre de toutes restitutions ou réparations, alors que le patrimoine de Mme [G] établit au contraire sa capacité à restituer, le cas échéant, les sommes versées.
Il n’y a pas lieu dès lors d’écarter l’exécution provisoire de droit.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, et par mise à disposition au greffe,
DIT que le tribunal n’a pas à examiner le moyen soulevé par la société AIG Europe et tiré de l’absence de fondement de l’action engagée par Mme [M] [G] à son encontre,
CONDAMNE la société Concerto à verser à Mme [M] [G] la somme de de 33 750 euros au titre de la perte de chance subie,
DÉBOUTE Mme [M] [G] de sa demande au titre de l’immobilisation de la somme investie et du préjudice moral,
CONDAMNE la société AIG Europe à garantir la société Concerto des condamnations prononcées au bénéfice de Mme [M] [G] dans la limite de la somme de 32 250 euros,
CONDAMNE in solidum la société Concerto et la société AIG Europe à verser à Mme [M] [G] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les sociétés Concerto et AIG Europe de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE in solidum la société Concerto et la société AIG Europe aux entiers dépens de la présente instance,
REJETTE toute demande plus ample ou contraire,
DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit.
signé par François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint et par Sylvie CHARRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,