Responsabilité décennale et préjudice lié à des travaux non conformes : enjeux et conséquences pour le constructeur

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Responsabilité décennale et préjudice lié à des travaux non conformes : enjeux et conséquences pour le constructeur

Monsieur [L] [D] a engagé l’entreprise BRIMAUD pour des travaux de douche dans son logement, facturés 2 194,50 euros. La SCI CBE INVEST 1 a acquis le bien en avril 2022 et l’a loué à Madame [R], qui a signalé un dégât des eaux en septembre 2022. La SCI a fait appel à l’entreprise BRUN pour réparer la fuite, entraînant des frais de 1 254 euros. En raison de l’absence d’eau et d’électricité, la SCI a indemnisé sa locataire de 495 euros. La SCI a mis en demeure BRIMAUD de l’indemniser pour un total de 2 249 euros, sans succès. Elle a ensuite saisi le tribunal pour obtenir 2 356,05 euros, plus des intérêts et des frais. La SCI accuse BRIMAUD de responsabilité pour le dégât des eaux, invoquant des manquements aux normes de construction. BRIMAUD conteste toute responsabilité, arguant qu’il n’y avait pas de lien contractuel direct avec la SCI et que la réception des travaux n’avait pas eu lieu. Le tribunal a condamné BRIMAUD à verser 2 249 euros à la SCI, ainsi que 1 000 euros pour les frais de justice, tout en rejetant les autres demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

4 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Poitiers
RG
22/02882
MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 04 OCTOBRE 2024
DOSSIER : N° RG 22/02882 – N° Portalis DB3J-W-B7G-F3LL

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE POITIERS

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Selon la procédure orale, sans représentation obligatoire

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT :
Madame BILLAULT Caroline, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER :
Madame PALEZIS Marie,

PARTIES :

DEMANDERESSE

S.C.I. CBE INVEST 1
dont le siège social est sis [Adresse 3]

Représentée par Maître Philippe BROTTIER, avocat au barreau de POITIERS

DEFENDERESSE

Copie exécutoire délivrée
Le
à Me BROTTIER

Copie certifiée conforme
délivrée le
à Me BROTTIER
à Me RENNER

S.A.R.L. BRIMAUD
dont le siège social est sis [Adresse 1]

Représentée par Me Jessy RENNER, avocat au barreau de POITIERS

DÉBATS TENUS À L’AUDIENCE DU : 06 SEPTEMBRE 2024

JUGEMENT RENDU PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE LE QUATRE OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE
DOSSIER N° : N° RG 22/02882 – N° Portalis DB3J-W-B7G-F3LL Page

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [L] [D] a confié des travaux de fourniture et pose d’une douche à l’entreprise BRIMAUD dans son logement sis [Adresse 2] à [Localité 4].

Les travaux ont été facturés un montant de 2 194,50 euros le 1er décembre 2021.

Selon acte authentique du 13 avril 2022, la SCI CBE INVEST 1 a acquis le bien précité et l’a donné à bail à Madame [V] [R] le 29 juin 2022.

Par courriel du 3 septembre 2022, Madame [R] déplorait un important dégât des eaux.

La SCI CBE INVEST 1 a missionné l’entreprise BRUN pour la recherche et la réparation de la fuite. Les travaux de modification de la vidange et l’évacuation PVC de la douche ont nécessité la dépose et la repose intégrale de la douche et ont été facturés pour la somme de 1 254 euros le 14 septembre 2022.

Le logement étant dépourvu d’eau et d’électricité, la SCI CBE INVEST 1 a indemnisé sa locataire à hauteur de 495 euros à titre forfaitaire et définitif soit le montant hors charge du loyer du mois de septembre 2022.

Par courrier recommandé réceptionné le 27 septembre 2022 la SCI CBE INVEST 1 a mis en demeure la société BRIMAUD de l’indemniser à hauteur de 2 249 euros en réparation du préjudice subi, en vain.

Par requête du 16 novembre 2022, la SCI CBE INVEST 1 a saisi le Tribunal judiciaire de Poitiers aux fins d’obtenir la condamnation de la Sarl BRIMAUD à lui verser la somme de 2 356,05 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 27 septembre 2022 ainsi que la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Après plusieurs renvois à la demande des parties, l’affaire a été retenue à l’audience du 6 septembre 2024.

La SCI CBE INVEST 1 représentée par son conseil invoque au soutien de ses prétentions un dégât des eaux dont elle impute la responsabilité à la Sarl BRIMAUD sur le fondement des articles 1792, 1231-6 et 1240 du code civil.
Elle sollicite la condamnation de la Sarl BRIMAUD sous le bénéfice de l’exécution provisoire à lui payer :
La somme de 2 756,05 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2022,La somme de 3 000 euros pour résistance abusive,La somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,Les entiers dépens.
Elle soutient à titre principal que le raccordement effectué par la Sarl BRIMAUD n’était pas conforme aux règles de l’art, que la nature et l’ampleur des dégâts ont rendu l’ouvrage impropre à sa destination et qu’en l’absence de preuve d’une cause étrangère, la responsabilité décennale de la SARL BRIMAUD est engagée.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que la Sarl BRIMAUD qui a manqué à son obligation de résultat quant aux travaux de plomberie effectués par ses soins a engagé sa responsabilité contractuelle de droit commun.
A titre infiniment subsidiaire, elle soutient que la Sarl BRIMAUD a commis une faute dans l’installation défectueuse de la douche et a engagé sa responsabilité délictuelle.
Elle justifie son préjudice par la production de la facture de réparation effectuée par l’entreprise BRUN pour la somme de 1 254 euros, l’indemnisation de sa locataire pour 495 euros, les frais de gestion du sinistre pour 500 euros, des frais de mise en demeure pour 7,05 euros ainsi qu’un préjudice moral pour 500 euros.
Elle précise que la stratégie de silence à toute réclamation amiable et de nier l’évidence malgré la démonstration de sa responsabilité est abusive.

En défense, la Sarl BRIMAUD représentée par son conseil conclut au débouté des demandes formulées et à la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, elle indique, à titre principal, qu’il n’existe aucun lien contractuel entre la SCI CBE INVEST 1 et la Sarl BRIMAUD de sorte que sa responsabilité contractuelle ne saurait être engagée et explique avoir été mandatée par Monsieur [D] propriétaire de l’appartement au moment de l’intervention via l’agence immobilière BLOSSAC SAINT HILAIRE.
Elle soutient qu’aucune réception n’étant intervenue entre la Sarl BRIMAUD et Monsieur [D] le régime de la garantie décennale est inapplicable. Elle indique qu’en l’absence de réception expresse, le paiement du montant des travaux est insuffisant pour démontrer une volonté non équivoque du maitre de l’ouvrage de le réceptionner.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que la demanderesse ne rapporte pas la preuve de ce que son intervention serait la cause du dégât des eaux et qu’en l’absence d’expertise il est impossible d’exclure une autre cause.
Enfin, concernant le préjudice allégué, elle indique que la demanderesse ne démontre pas ne pas avoir été indemnisée par sa propre compagnie d’assurance, que l’indemnisation de la locataire d’un mois complet n’est pas justifiée dans la mesure où le problème a été réglé en deux semaines et qu’aucun abus n’est démontré dans son positionnement.

L’affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 4 octobre 2024.

MOTIFS :

Sur l’existence des désordres et les responsabilités encourues :
Aux termes des dispositions de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

Cette responsabilité décennale n’a vocation à s’appliquer que postérieurement à la réception des travaux, aux termes des dispositions de l’article 1792–4–1 du code civil.

La construction d’une douche constitue bien un ouvrage au sens des dispositions légales susvisées.

Les travaux effectués par la Sarl BRIMAUD dans le logement sis [Adresse 2] à [Localité 4] ont donné lieu à l’établissement d’une facture le 1er décembre 2021 d’un montant de 2 195,50 euros qui a fait l’objet d’un règlement, ce qui caractérise la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage sans réserve, au sens des dispositions de l’article 1792–6 et équivaut à une réception tacite.

Il en résulte que la responsabilité de la Sarl BRIMAUD est susceptible d’être engagée.

Il est constant que le 1er septembre 2022, un dégât des eaux est survenu dans le logement sis [Adresse 2] à [Localité 4]. Les conséquences du sinistre ont eu pour effet de dégrader le logement de la voisine du dessous ainsi que la cage d’escalier.

Madame [R], locataire du logement atteste avoir emménagé le jour même et explique qu’après la première utilisation de la douche elle a été alertée par ses voisins dès le lendemain matin de la présence d’une tache au plafond. Elle précise avoir constaté par la trappe de la douche que l’évacuation d’eau n’était pas raccordée.
L’entreprise BRUN dépêchée en vue de la recherche de fuite justifie dans sa facture du 14 septembre 2022 être intervenue pour une modification de la vidange et de l’évacuation PVC de la douche après dépose complète de celle-ci.

Enfin, l’assureur de la copropriété confirme la prise en charge du sinistre au titre des parties communes pour un sinistre consécutif à une fuite sur l’évacuation de la douche de l’appartement loué à Madame [R] locataire de la SCI CBE INVEST 1.
Le syndic atteste n’avoir réglé aucune facture relative à des travaux de plomberie sur colonne commune sur la période.
En outre, l’intervention de l’entreprise BRUN sur la douche a mis fin au sinistre.

Les désordres constatés sont en conséquence sans conteste imputables aux travaux que la Sarl BRIMAUD a exécuté.

Il est en outre établi que les pompiers ont dû intervenir afin de couper l’eau et l’électricité dans tout l’immeuble et que le logement de la SCI CBE INVEST 1 dépourvu d’eau, d’électricité et de douche du 1er au 14 septembre 2022 n’a pas pu être occupé sur la période. Les photographies produites démontrent l’ampleur des dégâts et leurs conséquences.

Il résulte de ces constatations que les désordres compromettent l’utilisation normale de la douche installée dans le logement loué et rendent en conséquence l’ouvrage impropre à sa destination, la responsabilité décennale de la Sarl BRIMAUD devant être retenue dès lors que les désordres sont imputables aux travaux qu’elle a réalisés et ne proviennent pas d’une cause étrangère, celle-ci restant à démontrer.

Il est constant que les acquéreurs successifs d’un immeuble sont recevables à agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale qui accompagne l’immeuble en tant qu’accessoire.

La Sarl BRIMAUD sera en conséquence condamnée à réparer le préjudice consécutif à ces désordres.

Sur le préjudice subi par la demanderesse :
La facture de réparation :
La SCI CBE INVEST 1 justifie avoir réglé la facture de l’entreprise BRUN pour un montant de 1 254 euros. L’assureur de la SCI atteste ne pas être intervenu pour une quelconque indemnisation concernant la réfection de la douche de la salle de bain.
Dès lors, cette somme sera retenue au titre des travaux nécessaires à la remise en état et sera mise à la charge de la Sarl BRIMAUD.

L’indemnisation de la locataire :
Il est établi que la SCI CBE INVEST 1 a indemnisé sa locataire à hauteur de la somme de 495 euros correspondant à un mois de loyer entier. Si le logement a été privé de douche sur une période de deux semaines, il est manifeste que la locataire a subi d’autres contraintes liées aux désordres et a dû effectuer de nombreuses diligences, renoncer à son droit au relogement et subir les tracas liés au sinistre de sorte que l’indemnisation versée par la SCI CBE INVEST 1 s’entend pour tous les postes de préjudice.
L’indemnisation transactionnelle versé par la SCI CBE INVEST 1 à sa locataire est raisonnable et justifiée et sera mise à la charge de la Sarl BRIMAUD.

La gestion du sinistre :
Il est incontestable que la SCI CBE INVEST 1 a dû gérer le sinistre à distance et dans l’urgence de la situation. L’indemnisation à hauteur de 500 euros est justifiée.

Le préjudice moral :
S’agissant du préjudice moral invoqué la demanderesse ne justifiant d’aucun préjudice spécifique, la demande formulée de ce chef sera rejetée.

Les frais de mise en demeure :
La SCI CBE INVEST 1 justifie l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception sans en justifier le montant, la demande formulée de ce chef sera rejetée.

La SARL BRIMAUD sera condamnée à verser à la SCI CBE INVEST 1 la somme de 2 249 euros à titre de dommages et intérêts sans qu’il y ait lieu d’assortir cette somme des intérêts légaux à compter du 27 septembre 2022, la présente décision étant créatrice de droits.

Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive :
La demanderesse sollicite également l’allocation d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

La résistance la SARL BRIMAUD, qui procède du droit d’ester en justice, ne présente pas de caractère abusif, la demande formulée de ce chef devant être rejetée.

Sur les demandes accessoires :
Sur les dépens :
Il résulte de l’article 696 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Compte tenu de la solution apportée au présent litige les dépens resteront à la charge la SARL BRIMAUD.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile :
La SARL BRIMAUD condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à la SCI CBE INVEST 1 la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire :
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, les décisions de première instance sont de droit exécutoire à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En l’espèce, compte tenu de l’absence de motif dérogatoire, il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal statuant par mise à disposition au greffe par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONDAMNE la SARL BRIMAUD à verser à la SCI CBE INVEST 1 la somme de 2 249 euros à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNE la SARL BRIMAUD à verser à la SCI CBE INVEST 1 la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes,

CONDAMNE la SARL BRIMAUD aux entiers dépens,

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

Le Greffier, La Présidente,


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