Responsabilité décennale et indemnisation des préjudices liés aux désordres de construction

·

·

Responsabilité décennale et indemnisation des préjudices liés aux désordres de construction

Mme [Z] [E] a engagé M. [L] [W] pour la construction d’un immeuble à [Localité 4], avec des travaux réalisés entre mars 2017 et octobre 2018. En mars 2021, des fissures et décollements de crépi ont été constatés, entraînant une déclaration de sinistre à la MAAF, l’assureur de M. [L] [W], qui a refusé la garantie en raison de l’absence de couverture pour l’activité de couvreur. En février 2022, Mme [Z] [E] a saisi le juge des référés, entraînant une expertise. Le rapport d’expertise a été déposé en avril 2023. En mars 2024, Mme [Z] [E] a assigné M. [L] [W] pour obtenir des réparations financières pour divers préjudices. M. [L] [W] n’a pas constitué avocat. Le tribunal a rendu son jugement le 16 septembre 2024, déclarant M. [L] [W] responsable des désordres et le condamnant à verser des sommes à Mme [Z] [E], tout en déboutant certaines de ses demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Nancy
RG
24/00647
MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 16 Septembre 2024
DOSSIER N° : N° RG 24/00647 – N° Portalis DBZE-W-B7I-I66P
AFFAIRE : Madame [Z] [E] C/ Monsieur [L] [W]

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANCY
POLE CIVIL section 6
JUGEMENT

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRESIDENT : Madame Sandrine ERHARDT, Vice-Présidente
Statuant par application des articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.

GREFFIER : Madame Emilie MARC

PARTIES :

DEMANDERESSE :

Madame [Z] [E], née le 19 Octobre 1972 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2] – [Localité 4]
représentée par Me Marie-Aline LARERE, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 040

DEFENDEUR :

Monsieur [L] [W], demeurant [Adresse 3] – [Localité 4], et actuellement au [Adresse 1] – [Localité 4]
défaillant

Clôture prononcée le : 14 mai 2024
Débats tenus à l’audience du : 05 Juin 2024
Date de délibéré indiquée par le Président : 16 Septembre 2024
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 16 Septembre 2024

le
Copie+grosse+retour dossier : Maître Marie-Aline LARERE

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Z] [E] a fait procéder, en qualité de maître de l’ouvrage, à la construction d’un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 4].

Elle en a confié les travaux à M. [L] [W] exerçant à titre individuel suivants plusieurs devis établis par lot pour un montant total de 110.593,10 euros HT, signés en 2016.

Les travaux se sont déroulés du 1er mars 2017 au 25 octobre 2018 et ont été tacitement réceptionnés.

En mars 2021, Mme [Z] [E] a constaté des fissures et décollement du crépi en partie haute de certaines façades à proximité des couvertines d’acrotères de la toiture plate de l’immeuble et plus précisément à l’aplomb des jonctions desdites couvertines et a déclaré le sinistre à la MAAF, assureur responsabilité civile et décennale de M. [L] [W].

A la suite d’une expertise amiable, la MAAF a décliné sa garantie, au motif que l’activité de couvreur qui est à l’origine des désordres n’a pas été souscrite par M. [L] [W].

Par acte du 04 février 2022, Mme [Z] [E] a saisi le juge des référés du présent tribunal, lequel a ordonné, le 15 mars 2022, une expertise qu’il a confié à M. [U] remplacé, le 12 juillet 2022, par M. [R].

Par ordonnance du 07 février 2023, les opérations d’expertise ont été étendues à la MAAF.

L’expert a déposé son rapport le 28 avril 2023.

Par acte d’huissier de justice du 07 mars 2024, Mme [Z] [E] a fait assigner M. [L] [W], afin d’obtenir sa condamnation à lui payer les sommes suivantes:
– 10.845,55 euros au titre des travaux de réfection de la couverture
– 3.501 euros au titre de la double facturation de la pose des menuiseries
– 3.000 euros au titre du trouble de jouissance pendant la réalisation des travaux
– 6.000 euros au titre du préjudice moral
indexées sur l’indice BT01 de la construction à compter du 28 avril 2023 jusqu’au prononcé du jugement, avec intérêt au taux légal ensuite
– 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive
– 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens comprenant ceux de la procédure de référé, à l’exclusion des frais et honoraires de l’expert judiciaire remboursés par la société MAAF Assurances.

M. [L] [W], bien que régulièrement convoqué par remise de l’assignation à l’étude de l’huissier de justice chargé de sa délivrance, n’a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 14 mai 2024. L’affaire a été appelée à l’audience du 05 juin 2024. Après dépôt du dossier de plaidoirie, la décision a été mise en délibéré pour être rendue le 16 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’indemnisation des préjudices consécutifs aux désordres affectant les plafonds

Sur la nature, l’origine et la qualification des désordres

Suivant les dispositions de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
Ainsi, pour qu’un dommage relève de la garantie décennale, il doit affecter la solidité de l’ouvrage, le rendre impropre à sa destination ou affecter la solidité d’un élément d’équipement indissociable. Il doit en outre être non apparent et ne pas avoir fait l’objet de réserve à la réception.
Il ne saurait être contesté que les désordres constitués par des décollements d’enduit sur les façades de l’immeuble avec chute en pied de façade sont apparus après la réception tacite de l’ouvrage.

L’expert judiciaire observe en page 13 de son rapport que les façades ne sont pas protégées des chutes d’eaux pluviales et que l’eau s’infiltre sous les enduits depuis la zone sous toiture et conclut que des désordres d’infiltration d’eau pluviale par les têtes de murs et les façades peuvent à moyen terme entraîner la dégradation des enduits de façades, lesquels ne pourront plus assurer la protection des ouvrages structurels de façades.

Les désordres d’infiltration affectant le clos et couvert de l’habitation sont de nature à la rendre impropre à sa destination.

Ces désordres relèvent en conséquence de la garantie décennale.

Sur la responsabilité de M. [L] [W]

Chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les divers responsables, qui n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers. La responsabilité des intervenants ne peut cependant être recherchée que pour des dommages à la réalisation desquels ils ont concouru pour des travaux qu’ils ont contribuer à réaliser.

S’agissant d’une responsabilité de plein droit, la mise en œuvre de la responsabilité décennale des constructeurs ou réputés tels suppose l’existence d’un lien d’imputabilité entre le dommage constaté et l’activité des constructeurs ou réputés tels.

Le désordre dont il s’agit est directement en lien avec l’activité de M. [L] [W], intervenu dans la mise en œuvre de la maçonnerie et des couvertines sur acrotères à l’origine des désordres.

Ce désordre est imputable à M. [L] [W], qui engage en conséquence sa responsabilité décennale en sa qualité de constructeur.

Sur le coût des reprises

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit.

M. [L] [W] était assuré auprès de la SA MAAF Assurances qui a participé aux opérations d’expertise et qui a conclu un accord transactionnel avec Mme [Z] [E], le 18 décembre 2023, par lequel la SA MAAF Assurances a accepté de verser à cette dernière la somme de 20.229 euros à titre d’indemnisation au titre du coût de la reprise des désordres, outre les frais d’expertise judiciaire.

Cette somme correspond à celle retenue par l’expert au titre de la dépose des enduits et leur évacuation et la réfection des enduits de façades selon le devis de l’entreprise Nouvelles Façades (page 21 de son rapport).

Mme [Z] [E] sollicite, à présent, l’indemnisation de ses autres préjudices.

L’expert judiciaire, qui a mis en exergue l’absence de compatibilité du support maçonné à la pose de couvertines métalliques et la non fixation sur éclisses de ces couvertines comme origine des désordres, insiste sur le fait que la réfection des façades doit être précédée de travaux de remise en conformité des acrotères et de leur étanchéité.

Or la SA MAAF Assurances n’a pas pris à sa charge le coût de la réfection des couvertines, dont le montant a été retenu par l’expert judiciaire à 10.845,55 euros TTC, selon le devis de l’entreprise Ciblez.

Dans ces conditions, M. [L] [W] doit être condamné à payer à Mme [Z] [E] cette somme au titre de la réfection des couvertines.

Cette somme sera indexée selon l’indice BT01 de la construction à compter du 28 avril 2023 jusqu’à ce jour et portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Mme [Z] [E] réclame le remboursement de la pose des menuiseries facturées deux fois, soit lors de la facture n°00098 émise le 21 août 2017 et lors de la facture n°00120 émise le 10 juin 2018.

Cependant, d’une part, Mme [Z] [E] ne produit aucun devis concernant la pose des menuiseries, fenêtres et portes, d’autre part, elle ne justifie pas avoir réglé les sommes réclamées et enfin, elle n’a pas soumis à l’analyse de l’expert ce point.

En conséquence, Mme [Z] [E], qui ne rapporte pas la preuve d’un double paiement, doit être déboutée de sa demande de remboursement.

L’expert n’a pas contesté le trouble de jouissance évoqué par Mme [Z] [E] pendant la réalisation des travaux sur les façades de son habitation sur une durée estimée à 2 mois.

Ce trouble effectif qui est plus de l’ordre du dérangement très ponctuel que d’un trouble de jouissance sera indemnisé à hauteur de 500 euros.

Mme [Z] [E] a indéniablement subi un préjudice moral en raison de l’absence de réaction de M. [L] [W] qui n’a participé ni à l’expertise amiable ni à l’expertise judiciaire et n’a pas souhaité intervenir dans le cadre de la présente procédure, préjudice qui sera indemnisé à hauteur de 1.000 euros.

Enfin, il n’existe pas de préjudice résultant d’une résistance abusive et injustifiée distinct du préjudice moral ainsi caractérisé, de sorte que Mme [Z] [E] sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, partie perdante, M. [L] [W] supportera la charge des entiers dépens de l’instance de référé et de l’instance au fond, à l’exception des frais d’expertise judiciaire pris en charge par l’assurance.

Aux termes de l’article 700 du Code de procédure civile, dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Il est équitable que M. [L] [W] soit condamné à payer à Mme [Z] [E] une indemnité de 4.000 euros en compensation des frais, non compris dans les dépens, qu’elle a du exposer pour sa défense, comprenant l’assistance de son conseil aux opérations d’expertise judiciaire.

L’article 514 du code de procédure civile applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Il n’existe pas d’éléments de nature à écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et susceptible d’appel :

Déclare M. [L] [W] responsable des désordres de façade et de couverture affectant le bien immobilier de Mme [Z] [E], sur le fondement de l’article 1792 du code civil ;

Condamne M. [L] [W] à payer à Mme [Z] [E] la somme de 10.845,55 euros TTC au titre des travaux de réfection des couvertines ;

Dit que cette somme sera indexée selon l’indice BT01 de la construction à compter
du 28 avril 2023 jusqu’à ce jour et portera intérêt au taux légal à compter de la
présente décision ;

Condamne M. [L] [W] à payer à Mme [Z] [E] les sommes suivantes :
– 500 euros au titre du trouble de jouissance
– 1.000 euros au titre du préjudice moral ;

Déboute Mme [Z] [E] de sa demande de remboursement du coût de la pose des menuiseries et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne M. [L] [W] à payer à Mme [Z] [E] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [L] [W] aux entiers dépens de l’instance de référé et de l’instance au fond, à l’exclusion des frais d’expertise ;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit attachée à la présente décision.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2024, le présent jugement étant signé par la présidente et la greffière.

LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x