L’expert-comptable est lié à son client par un contrat de louage de service dont les obligations réciproques des parties sont déclinées dans une lettre de mission. En l’absence de lettre de mission, il convient de rechercher l’étendue de la mission confiée à l’expert-comptable.
Il appartient à l’expert comptable de rappeler à son client les échéances comptables et fiscales et de lui réclamer dans des délais raisonnables les pièces nécessaires pour exécuter sa mission. Il doit en outre attirer l’attention de son client sur les conséquences fiscales d’un désordre dans sa comptabilité et de déclarations tardives. 1. Attention à bien définir et clarifier les obligations réciproques des parties dans une lettre de mission avec votre expert-comptable afin d’éviter tout litige ultérieur. 2. Il est recommandé de rappeler à votre expert-comptable les échéances comptables et fiscales, et de lui fournir les pièces nécessaires dans des délais raisonnables pour garantir l’exécution correcte de sa mission. 3. Soyez attentif aux conséquences fiscales d’un désordre dans votre comptabilité et veillez à ce que votre expert-comptable vous informe sur les conditions à remplir pour bénéficier d’exonérations fiscales, afin d’éviter tout préjudice financier. |
Sommaire → Résumé de l’affaireL’affaire concerne un litige entre la société PRESTAZUR OPTIC et ses associés d’une part, et la société ECG PROVENCE et son assureur GAN ASSURANCES d’autre part. La société PRESTAZUR OPTIC a été redressée par l’administration fiscale pour des erreurs comptables et des manquements liés à l’exonération de la zone franche urbaine. Les demandeurs accusent le cabinet d’expertise comptable ECG PROVENCE de négligence dans l’établissement des comptes annuels, ce qui a entraîné les redressements fiscaux. Ils réclament des dommages et intérêts ainsi que la prise en charge des sommes dues à l’administration fiscale. En défense, ECG PROVENCE et GAN ASSURANCES contestent la responsabilité des redressements et la légitimité des demandes de réparation. La procédure est actuellement clôturée.
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→ Les points essentielsMOTIFS DE LA DECISIONL’expert-comptable est lié à son client par un contrat de louage de service dont les obligations réciproques des parties sont déclinées dans une lettre de mission. En l’absence de lettre de mission, il convient de rechercher l’étendue de la mission confiée à l’expert-comptable. En l’espèce, la lettre de mission du 2 mai 2014 n’est pas versée aux débats mais les parties ne contestent pas que la société ECG PROVENCE était chargée d’une mission de présentation des comptes annuels de la société PRESTAZUR, d’établissement des fiches de paie et des déclarations sociales, d’établissement des déclarations fiscales et d’assistance au dépôt des comptes annuels de la société PRESTAZUR OPTIC. RESPONSABILITE DE L’EXPERT-COMPTABLEL’expert-comptable est tenu de se comporter en professionnel normalement diligent et compétent, étant rappelé que le devoir de conseil innerve l’ensemble des missions de ce professionnel. La mise en cause de sa responsabilité suppose la démonstration d’une faute ou d’une négligence fautive ayant entraîné un préjudice. DEPOT TARDIF DES BILANSLa société PRESTAZUR OPTIC reproche à la société ECG PROVENCE d’avoir adressé tardivement les bilans de la société à l’administration fiscale, entraînant des conséquences fiscales préjudiciables. EXONERATION FISCALELes demandeurs soutiennent avoir perdu le bénéfice de l’exonération fiscale au titre de la ZFU en raison des retards de dépôt des bilans. Cependant, la société PRESTAZUR OPTIC ne remplissait pas toutes les conditions pour bénéficier de cette exonération. FAUTES COMPTABLESLa société ECG PROVENCE a commis des erreurs comptables en comptabilisant des achats au titre des immobilisations au lieu des charges, entraînant des pénalités. Ces erreurs ont également entraîné des redressements fiscaux pour les associés. DOMMAGES-INTERETSLa société ECG PROVENCE et son assureur seront condamnées à verser des dommages-intérêts aux demandeurs pour les préjudices subis. FRAIS IRREPTIBLESLa SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES seront condamnées à payer les frais irréptibles exposés par les demandeurs. DECISION FINALELa SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES seront condamnées à payer des dommages-intérêts, les frais irréptibles et les dépens de l’instance aux demandeurs. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Code civil
– Code de commerce – Code général des impôts – Code de procédure civile Article du Code civil: Article du Code de commerce: Article du Code général des impôts: Article du Code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Aurélia FARINE
– Me Michèle GRUGNARDI |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°24/ DU 08 Février 2024
Enrôlement : N° RG 21/04945 – N° Portalis DBW3-W-B7F-YZVW
AFFAIRE : S.A.S. PRESTAZUR OPTIC – M. [S] [Y] – M. [C] [W] – M. [I] [B] ( la SA EXPANSI)
C/ S.A.S.U. ECG PROVENCE et GAN ASSURANCES (Me Michèle GRUGNARDI)
DÉBATS : A l’audience Publique du 23 Novembre 2023
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice présidente
Greffier lors des débats : BERARD Béatrice
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 08 Février 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEURS
S.A.S. PRESTAZUR OPTIC, immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le numéro 799 911 573, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 8]
Monsieur [I] [B]
né le [Date naissance 7] 1982 à [Localité 14]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
Monsieur [C] [W]
né le [Date naissance 5] 1980 à [Localité 14]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 12]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 11]
Tous représentés par Maître Aurélia FARINE de la SA EXPANSI, avocats au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
C O N T R E
DEFENDERESSES
S.A.S.U. ECG PROVENCE, immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le numéro 400 346 458, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 9]
Compagnie d’assurance GAN ASSURANCES, immatriculée au RCS DE Paris sous le n° B 542 063 797, représentéepar ses dirigeants sociaux dûment habilités à cet effet et domiciliés en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 10]
Toutes deux représentées par Me Michèle GRUGNARDI, avocat au barreau de MARSEILLE,
La société PRESTAZUR OPTIC a été créée le 6 janvier 2014 avec pour objet social la vente de matériel d’optique.
Elle exerce son activité au sein d’une Zone Franche Urbaine (ZFU).
La société PRESTAZUR OPTIC a conclu une lettre de mission le 2 mai 2014 avec la société ECG PROVENCE portant sur l’établissement des comptes annuels et des déclarations fiscales.
Le 17 août 2017, la société PRESTAZUR OPTIC a été destinataire d’un avis de vérification de comptabilité portant sur les périodes allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016.
Le 8 décembre 2017 l’administration fiscale a émis une proposition de rectification concernant la société PRESTAZUR, et ses associés, [I] [B], [S] [Y] et [C] [W], portant notamment sur le bénéfice de l’exonération de la zone franche.
Un avis de mise en recouvrement a été émis le 30 avril 2019 à l’encontre de la société PRESTAZUR OPTIC et de chacun des associés.
Considérant que ces redressements relevaient de la responsabilité du cabinet ECG PROVENCE, la société PRESTAZUR lui a adressé une demande de prise en charge.
La compagnie GAN ASSURANCES, assureur du cabinet EGC PROVENCE, a mandaté un cabinet d’expertise puis par courrier du 13 avril 2021, a formulé une proposition de prise en charge à hauteur de 28.062,03 euros.
Par actes en date des 30 avril et 6 mai 2021, la SAS PRESTAZUR OPTIC et ses associés [S] [Y], [C] [W], et [I] [B], ont fait assigner la société EGC PROVENCE et son assureur GAN ASSURANCES devant le Tribunal judciaire de Marseille afin d’obtenir réparation de leurs préjudices.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 juin 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, ils demandent au Tribunal de :
– dire et juger que le cabinet ECG PROVENCE est responsable des redressements et des préjudices subis par les demandeurs,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à payer à la société PRESTAZUR OPTIC la somme de 4.992 euros au titre des redressements de l’administration fiscale, outre la prise en charge des intérêts et pénalités,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à payer à Monsieur [B] la somme de 54.991 euros au titre des redressements de l’administration fiscale outre la prise en charge des intérêts et pénalités de 9 890 €,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à payer à Monsieur [W] la somme de 62.921 au titre des redressements de l’administration fiscale, outre la prise en charge des intérêts et pénalités de 11.112 €,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à payer à Monsieur [Y] la somme de 51.078 au titre des redressements de l’administration fiscale, outre la prise en charge des intérêts et pénalités de 8.147 €,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à verser à Monsieur [B], Monsieur [W] et Monsieur [Y] la somme de 20.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à verser à la société PRESTAZUR la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamner solidairement la société ECG PROVENCE et la société GAN ASSURANCE à leur verser la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– les condamner aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions, ils exposent que l’expert comptable a failli à sa principale mission dont l’obligation était de résultat en déposant les bilans de la société en retard; que la société d’expertise comptable est également fautive s’agissant des factures d’immobilisations comptabilisées en charges, ce qui a entraîné un rehaussement pour un montant de 4.554 euros; que la société PRESTAZUR OPTIC a été redressée également concernant de la TVA collectée non déclarée sur des factures à établir; que l’expert-comptable était parfaitement informé des dates de livraisons des stocks et aurait dû attirer l’attention de la société sur l’importance d’établir des factures à la date de ces livraisons; qu’elle a ainsi manqué à son devoir de conseil, ce qui a abouti à un rappel de TVA au taux de 20% sur les factures à établir; que ces montants ont donc été réintégrés dans les résultats de la société PRESTAZUR OPTIC et, corrélativement, sur les revenus des associés s’agissant d’une société imposée au régime des personnes.
Ils ajoutent que la société et ses associés répondaient à toutes les conditions pour bénéficier de l’exonération d’impôt prévue pour les activités exercées en ZFU, la société étant détenue par trois associés personnes physiques et n’étant donc pas soumise aux critères relatifs aux salariés en l’absence de salarié; qu’à aucun moment tout au long de sa mission, l’expert-comptable n’a remis en cause les conditions d’obtention de l’exonération fiscale, notamment s’agissant des conditions relatives à l’embauche, preuve qu’il savait pertinemment qu’elles étaient bien respectées et que la société était en droit de bénéficier de cette exonération; qu’il ressort de la proposition de rectification du 8 décembre 2017 que c’est bien le dépôt hors délais des déclarations qui a conduit l’administration fiscale à remettre en question le bénéfice de l’exonération.
Ils rappellent que l’assureur du cabinet avait formulé une proposition de prise en charge d’une partie des redressement, preuve que les fautes de l’expert comptable étaient établies et non contestées.
Ils sollicitent l’indemnisation de l’intégralité de leurs préjudices : perte de chance de bénéficier d’une exonération fiscale et remboursement des intérêts et pénalités.
Ils formulent enfin une demande de dommages-intérêts de 20.000 euros chacun, rappelant que le contrôle fiscal les a plongés dans une angoisse permanente et les a contraints à débourser des sommes importantes pour y répondre, ce qui a en outre fortement impacté la trésorerie et les projets de la société; que les associés sont atteints dans leur vie professionnelle et personnelle, ayant dû changer leur mode de vie; que cette situation a également mis en péril l’association des trois demandeurs, personnes physiques, qui se sont opposés sur plusieurs points.
En défense, dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES demandent au Tribunal de :
A titre principal :
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y], n’apportent pas la preuve de ce que les conditions de fond étaient remplies pour bénéficier de l’exonération ZFU et ainsi éviter le redressement fiscal,
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y], n’apportent pas la preuve d’une faute de la société ECG PROVENCE,
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y], n’apportent pas la preuve des préjudices allégués, ni de leur imputabilité à la société EGC PROVENCE,
Et en conséquence :
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire :
1 – Concernant les demandes d’indemnisation au titre du redressement fiscal lié a l’absence d’exonération ZFU
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] n’établissent pas la preuve des dommages allégués au titre du redressement fiscal lié à l’absence d’exonération ZFU,
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] n’établissent pas la preuve de l’imputabilité à la société EGC PROVENCE des dommages allégués au titre du redressement fiscal lié à l’absence d’exonération ZFU,
Et en conséquence :
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] de leurs demandes au titre du redressement fiscal et donc de leurs demandes de paiement des sommes suivantes :
– 51.078 euros a Monsieur [Y],
– 54.991 euros a Monsieur [B],
– 62.921 euros a Monsieur [W],
– 4.992 a Ia société PRESTAZUR OPTIC,
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] de leurs demandes au titre de la perte de chance,
A titre subsidiaire, si une perte de chance devait étre retenue :
– juger que l’indemnisation due à la société PRESTAZUR et à Messieurs [B], [W] et [Y], au titre de la perte de chance, sera limitée a un montant de 30.000 euros,
2 – Concernant Ies demandes d’indemnisation des intéréts et pénalités
– juger que la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] n’apportent pas la preuve de ce que les “intérêts et pénalités” ordonnés par l’administration fiscale sont constitutifs d’un préjudice réel et certain,
Et par conséquent :
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] au titre des “intérêts et pénalités”,
3 – Concernant les demandes de dommages et intérêts
– juger que les demandes de dommages et intérêts de la société PRESTAZUR et de Messieurs [B], [W] et [Y] ne sont justifiées, ni dans leur principe, ni dans leur quantum.
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] de leur demandes de dommages et intéréts,
A titre très subsidiaire :
– juger que la communication tardive des éléments comptables par la société PRESTAZUR justifie un partage de responsabilité,
– juger que la responsabilité du dépôt tardif des bilans comptables doit être partagée à hauteur de 70 % pour la société PRESTAZUR et 30% pour la société ECG PROVENCE,
– limiter à 30% des sommes allouées à la société PRESTAZUR et à Messieurs [B], [W] et [Y], la part imputable a ECG PROVENCE,
En tout état de cause :
– débouter la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] del’ensemble de leurs demandes,
– constater que la garantie de la compagnie GAN ASSURANCES ne pourra être mise en oeuvre que sous réserve des clauses, conditions et limites de garantie prévues par sa police, dont notamment une limite de garantie de 500.000 euros, diminuée de la franchise par sinistre de 10% du montant des indemnités dues allant d’un minimum de 2.000 euros et un maximum de 4.000 euros,
– condamner in solidum la société PRESTAZUR et Messieurs [B], [W] et [Y] à payer à la société EGC PROVENCE la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elles indiquent que les redressements n’ont pas pour origine la tardiveté du dépôt, et qu’en tout état de cause, il n’est pas établi que ce retard a pour seule origine une faute de l’expert-comptable; que la tardiveté du dépôt du bilan 2016 est dû au manque de diligence de la société PRESTAZUR; que la société ECG PROVENCE a relancé réguliérement ses clients concernant la communication des éléments comptables, oralement lors de ses visites ou par téléphone; que la communication tardive des éléments relève du client et la responsabilité du dépôt tardif des bilans comptables doit étre partagée a hauteur de 70% pour la société PRESTAZUR et 30% pour la société ECG PROVENCE.
Elles soutiennent qu’en toute hypothèse, cette faute n’est pas la cause des redressements opérés, puisque la société PRESTAZUR ne justifie pas qu’elle remplissait l’ensemble des conditions pour bénéficier de l’exonération relative à l’installation en Zone Franche Urbaine, et notamment la condition exigeant que l’entreprise ait bénéficié de l’exonération sociale prévue a l’article 12 de la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996; qu’en effet, pour bénéficier de cette exonération sociale, la moitié au moins des employés de la société doit résider dans la Zone ZFU concernée, or la société PRESTAZUR disposait à ce moment de deux salariés dont aucun ne résidait dans la zone ZFU.
Elles indiquent que les demandeurs n’établissent pas que quand bien même les déclarations auraient été faites dans les délais, les conditions de bénéfice de l’exonération ZFU étaient remplies; que dès lors, en subissant un rehaussement de l’impôt sur le revenu en raison du refus de l’exonération d’installation en ZFU, Ies demandeurs ont en réalité été replacés dans la situation qui devait être la leur et le dépôt hors délai des bilans comptables n’a ainsi pas été constitutif, en soit, d’une pénalité, et donc d’un préjudice; que les associés de la société PRESTAZUR OPTIC ne justifient pas non plus de l’existence d’un autre régime fiscal préférentiel dont ils auraient pu bénéficier à défaut de pouvoir bénéficier de l’exonération d’installation en ZFU.
Elles ajoutent que le défaut de conseil allégué par les demandeurs à propos de la faisabilité réelle de l’obtention de cette exonération fiscale, notamment par une lettre de réserve écrite, n’est en rien constitutive d’un préjudice, ni même d’une perte de chance.
A titre subsidiaire, ils estiment que l’indemnisation de la perte de chance alléguée doit être limitée à la somme de 30.000 euros.
S’agissant des demandes de prise en charge des intérêts et pénalités liées aux dépôts tardifs des bilans 2014 et 2016, elles affirment que les demandeurs ne justifient pas du paiement effectif des sommes mises à leur charge par l’administration fiscale au titre de “intérêts et pénalités” et n’ont donc subi aucun préjudice à ce titre.
S’agissant des demandes formulées au titre des dommages et intérêts, elles prétendent que cette demande n’est justifiée ni dans son principe, ni dans son quantum.
La procédure a été clôturée à la date du 24 octobre 2023.
L’expert-comptable est lié à son client par un contrat de louage de service dont les obligations réciproques des parties sont déclinées dans une lettre de mission. En l’absence de lettre de mission, il convient de rechercher l’étendue de la mission confiée à l’expert-comptable.
En l’espèce, la lettre de mission du 2 mai 2014 n’est pas versée aux débats mais les parties ne contestent pas que la société ECG PROVENCE était chargée d’une mission de présentation des comptes annuels de la société PRESTAZUR, d’établissement des fiches de paie et des déclarations sociales, d’établissement des déclarations fiscales et d’assistance au dépôt des comptes annuels de la société PRESTAZUR OPTIC.
L’expert-comptable est tenu de se comporter en professionnel normalement diligent et compétent, étant rappelé que le devoir de conseil innerve l’ensemble des missions de ce professionnel.
La mise en cause de sa responsabilité suppose la démonstration d’une faute ou d’une négligence fautive ayant entraîné un préjudice.
La société PRESTAZUR OPTIC reproche à la société ECG PROVENCE d’avoir adressé tardivement les bilans de la société à l’administration fiscale.
Il résulte en effet des pièces versées aux débats que le bilan de l’exercice 2014 a été déposé le 7 août 2015 alors que la date limite était fixée au 15 mai 2015, le bilan de l’exercice 2015 a été déposé le 26 septembre 2016 alors que la date limite était fixée au 15 mai 2016, et le bilan de l’exercice 2016 a été déposé le 8 septembre 2017 alors que la date limite était fixée au 15 mai 2017.
L’expert comptable prétend que ces retards résultent du manque de diligence de sa cliente qui a tardé à lui a adresser les éléments comptables.
Il ne fournit cependant aucun élément pour étayer cette prétention, alors qu’il appartient à l’expert comptable de rappeler à son client les échéances comptables et fiscales et de lui réclamer dans des délais raisonnables les pièces nécessaires pour exécuter sa mission. Il doit en outre attirer l’attention de son client sur les conséquences fiscales d’un désordre dans sa comptabilité et de déclarations tardives.
En déposant avec retard les bilans comptables de la société PRESTAZUR OPTIC, la société ECG PROVENCE a manqué à ses obligations.
Ce manquement n’est susceptible d’entraîner une condamnation qu’en cas de démonstration d’un préjudice directement causé par la faute retenue.
Les demandeurs soutiennent que ce dépôt tardif leur a fait perdre le bénéfice de l’exonération fiscale au titre de la ZFU prévue par l’article 44 octies A du Code général des impôts.
Il leur appartient de démontrer qu’en l’absence de faute de l’expert comptable, ils auraient pu bénéficier de cettte exonération.
Conformément aux dispositions de la loi du 14 novembre 1996 et du décret du 19 juin 2004, les sociétés implantées en zone franche urbaine avant le 31 décembre 2014 ont pu bénéficier d’une exonération subordonnée au respect des conditions suivantes :
– exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale ou libérale dans une zone franche urbaine,
– réaliser un chiffre d’affaires ou un total de bilan inférieur à 10 millions d’euros,
– le capital et les droits de vote ne doivent pas être détenus à plus de 25% par des entreprises dont l’effectif dépasse 250 salariés et dont le CA annuel hors taxe excède 50 millions d’euros ou le total du bilan annuel excède 43 millions d’euros,
– avoir un effectif de 50 salariés maximum,
– au moins 50% de ses salariés sont en contrat à durée indéterminée (ou à durée déterminée d’au moins 12 mois) et résident dans une zone franche urbaine ou dans un quartier prioritaire de la ville (QPV) de l’unité urbaine dans laquelle est située la zone franche urbaine,
– depuis sa création ou son implantation, au moins 50% de salariés embauchés en contrat à durée indéterminée (ou à durée déterminée d’au moins 12 mois) résident dans une zone franche urbaine ou un quartier prioritaire de la ville de l’unité urbaine dans laquelle est située la zone franche urbaine.
Il n’est pas contesté que la société PRESTAZUR OPTIC, qui exerce une activité commerciale, s’est implantée en janvier 2014 au sein d’une zone franche urbaine dans le [Localité 4], qu’elle réalise un chiffre d’affaires annuel de quelques centaines de milliers d’euros et possède un total de bilan en dessous du seuil mentionné ci-dessus, et qu’elle est détenue par trois associés personnes physiques.
S’agissant du critère relatif au lieu de résidence des salariés, les demandeurs soutiennent que la société PRESTAZUR OPTIC n’y était pas soumise en l’absence de salarié.
Cependant, la société ECG PROVENCE prétend que deux salariés étaient présents dans l’entreprise sur la période considérée et verse aux débats une liste des employés présents dans la société PRESTAZUR entre le 10 mars 2014 et le 31 décembre 2016, mentionnant le nom de [P] [B], entrée le 10 mars 2014, et de [S] [Y], entré le 1er avril 2014.
Elle affirme que [P] [B] habitait, au moment des faits au [Adresse 2] dans le quatorziéme arrondissement, et que [S] [Y] résidait [Adresse 13], soit en dehors de la ZFU, ce qui n’est pas contesté par les demandeurs.
Il est ainsi établie que la condition relative aux salariés n’était pas remplie par la société PRESTAZUR OPTIC, qui n’aurait donc pas pu bénéficier de l’exonération fiscale.
Les demandeurs affirment que l’administration fiscale a procédé aux redressement au seul motif des envois tardifs des déclarations fiscales.
Si effectivement elle motive ce redressement par l’absence de dépôt des bilans dans les délais légaux, il n’en demeure pas moins qu’en cas de déclarations effectuées dans les délais, elle aurait dû vérifier que les conditions de fond étaient remplies, ce qui n’était pas le cas.
La perte de chance de bénéficier de l’exonération fiscale est donc nulle.
Le seul préjudice en lien avec le manquement de l’expert comptable est la majoration de 10% qui a été appliquée par l’administration fiscale, et qui est exigible ainsi qu’il ressort des pièces versées aux débats.
L’impôt et les intérêts afférents ne constituent pas un préjudice indemnisable puisqu’ils étaient dûs.
Les demandeurs reprochent encore à la société ECG d’avoir comptabilisé en charges les factures suivantes : facture Masquelier du 20 février 2014 (5 panneaux INOBOX) d’un montant de 1.638,75 € au compte 60630000 fourniture entretien petit équipement, et facture EIM (Meules à main, frontofocomètre, boîte d’essai, lunette d’essai) n°2714 du 19 février 2014 d’un montant de 2.995,75 € au compte 60700000 achats de marchandises, ce qui a entraîné un rehaussement pour un montant de 4.554 euros.
La société ECG a effectivement commis une faute comptabilisant ces achats au titre des immobilisations et non des charges.
Le préjudice qui en est résulté n’est pas le paiement de la TVA qui aurait de toute façon été due, mais des pénalités afférentes.
Il en va de même du redressement concernant la TVA collectée non déclarée sur des factures à établir.
Il appartenait à l’expert comptable d’attirer l’attention de sa cliente sur l’importance d’établir des factures à la date de livraison.
Là encore, la TVA était due, et le préjudice est constitué uniquement par le montant des pénalités.
Il résulte des pièces versées aux débats qu’aucune pénalité n’a été appliquée sur ces montants pour la société PRESTAZUR OPTIC.
En réalité, ils ont été réntégrés dans les résultats de la société PRESTAZUR OPTIC et en conséquence dans les revenus des associés.
Les majorations au titre de l’IR sont les suivantes : pour Monsieur [Y], 2.082 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2014, 1.701 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2015, 1.325 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2016, soit un total de 5.108 euros, pour Monsieur [B] : 2.197 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2014, 2.007 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2015 et 1.295 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2016, soit un total de 5.499 euros, et pour Monsieur [W] : 2 .282 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2014, 2.332 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2015 et 1.679 € au titre de l’impôt sur les revenus de l’année 2016, soit un total de 6.293 euros.
La société ECG et son assureur seront donc condamnées à leur payer ces sommes.
La société PRESTAZUR OPTIC et ses associés sollicitent le versement d’une somme de 20.000 euros chacun à titre de dommages-intérêts.
La société ECG a commis un manquement à son obligation de résultat consistant à déposer les bilans dans les délais, et s’agissant du traitement des factures quant aux immobilisations et à la TVA. Elle a a par ailleurs manqué à son devoir de conseil en n’informant pas la société PRESTAZUR OPTIC qu’elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l’exonération fiscale partielle. Ce faisant, elle a causé un préjudice à la société PRESTAZUR OPTIC et à ses associés, relatif au temps passé et aux frais déboursés pour faire face au contrôle fiscal. En outre, ayant cru pouvoir bénéficier de l’exonération fiscale à tort, la société PRESTAZUR OPTIC a du nécessairement revoir ses projets et son mode de fonctionnement. Les associés ont également du faire face à un redressement au titre de leur impôt sur le revenu et à débourser des sommes non prévues, ce qui leur a causé un préjudice moral.
Ces préjudices seront réparés par l’allocation à chacun de la somme de 5.000 euros.
La SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES seront condamnées solidairement au paiement de ces sommes, sans qu’il y ait lieu d’appliquer une limitation de garantie de l’assureur.
La SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES, qui succombent, seront condamnées in solidum aux entiers dépens de l’instance.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des demandeurs l’intégralité des frais irréptibles qu’ils ont dû exposer ; la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES seront donc condamnées in solidum à leur payer, ensemble, la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.
Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
Condamne solidairement la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES à payer à la SAS PRESTAZUR OPTIC la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne solidairement la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES à payer à [S] [Y] la somme de 10.108 euros,
Condamne solidairement la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES à payer à [C] [W] la somme de 11.293 euros,
Condamne solidairement la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES à payer à [I] [B] la somme de 10.499 euros,
Déboute la SAS PRESTAZUR OPTIC, [S] [Y], [C] [W] et [I] [B] du surplus de leurs demandes;
Condamne in solidum la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,
Condamne in solidum la SAS ECG PROVENCE et la SA GAN ASSURANCES à payer à la SAS PRESTAZUR OPTIC, [S] [Y], [C] [W] et [I] [B], ensemble, la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
AINSI JUGE ET MIS A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 8 FEVRIER 2024.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT