Responsabilité de l’État face aux délais excessifs dans le traitement des litiges prud’homaux

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Responsabilité de l’État face aux délais excessifs dans le traitement des litiges prud’homaux

Contexte de l’affaire

Le 18 juin 2015, Madame [C] [K] [T] a saisi le conseil des prud’hommes de Bobigny. L’affaire a été plaidée le 21 septembre 2015 et mise en délibéré. Le jugement a été rendu le 20 juin 2016 et notifié le 22 juin 2016. L’employeur de Madame [C] [K] [T] a été placé en liquidation judiciaire le 27 octobre 2016.

Opposition et audiences

Le 22 mai 2017, l’AGS a formé opposition au jugement du 20 juin 2016. Plusieurs audiences ont eu lieu, notamment le 28 mars 2018 et le 18 décembre 2018. Le 14 mai 2019, le conseil des prud’hommes s’est déclaré en partage de voix, entraînant un renvoi à l’audience de départage du 17 janvier 2020, suivi de deux autres renvois en raison d’une grève des avocats et du contexte sanitaire. Le jugement de départage a été rendu le 7 mai 2021.

Nouvelle assignation

Le 24 août 2023, Madame [C] [K] [T] a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant des dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral, ainsi qu’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle a invoqué une durée excessive de la procédure, causant un préjudice moral et financier.

Réactions du ministère public et clôture de la mise en état

Le 8 décembre 2023, le ministère public a indiqué ne pas conclure. La mise en état a été clôturée le 1er juillet 2024 par ordonnance du juge de la mise en état. L’agent judiciaire de l’État a demandé la révocation de cette ordonnance et a contesté la responsabilité de l’État, ainsi que le montant des demandes de Madame [C] [K] [T].

Audiences et décisions

Lors de l’audience du 16 octobre 2024, la demanderesse a accepté la révocation de l’ordonnance de clôture, mais a demandé un renvoi pour conclusions en réponse. L’affaire a été mise en délibéré pour un jugement le 13 novembre 2024.

Révocation de l’ordonnance de clôture

L’agent judiciaire de l’État a déposé ses conclusions après l’ordonnance de clôture, mais cela n’a pas constitué une cause grave justifiant la révocation. La demande de révocation a donc été rejetée, et les conclusions notifiées le 9 octobre 2024 ont été déclarées irrecevables.

Demande principale et responsabilité de l’État

L’État est tenu de réparer les dommages causés par un fonctionnement défectueux du service public de la justice, notamment en cas de déni de justice. L’appréciation d’un délai excessif se fait au cas par cas, en tenant compte des circonstances de chaque procédure. Le tribunal a constaté un délai excessif global de 17 mois.

Préjudices et indemnisation

Le préjudice moral de Madame [C] [K] [T] a été reconnu, mais l’indemnité a été fixée à 2.550,00 €. Pour le préjudice matériel, l’agent judiciaire de l’État a été condamné à verser 10,00 €. Les demandes excédant ces montants ont été rejetées.

Demandes accessoires et exécution provisoire

L’agent judiciaire de l’État a été condamné aux dépens, et Maître Tamara Lowy peut recouvrer directement les dépens avancés. L’exécution provisoire de la décision a été confirmée, et les parties ont été déboutées de leurs demandes supplémentaires.

Quelle est la procédure applicable pour la révocation d’une ordonnance de clôture ?

La révocation d’une ordonnance de clôture est régie par les articles 802 et 803 du code de procédure civile.

L’article 802 stipule que :

« Après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.

Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture. »

L’article 803 précise que :

« L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal. »

Dans le cas présent, l’agent judiciaire de l’État a demandé la révocation de l’ordonnance de clôture, mais le tribunal a jugé que le dépôt de conclusions postérieurement à l’ordonnance ne constituait pas une cause grave justifiant cette révocation.

Quelles sont les conditions pour engager la responsabilité de l’État en matière de déni de justice ?

La responsabilité de l’État pour déni de justice est régie par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, qui stipule que :

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. »

Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Un déni de justice se définit comme un refus d’une juridiction de statuer sur un litige ou le fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.

Il constitue une atteinte à un droit fondamental, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger, s’effectue de manière concrète, en tenant compte des circonstances propres à chaque procédure, de la nature de l’affaire, et du comportement des parties.

Le seul non-respect d’un délai légal n’est pas suffisant pour caractériser un déni de justice.

Comment évaluer le préjudice moral dans le cadre d’un déni de justice ?

Le préjudice moral dans le cadre d’un déni de justice est évalué en tenant compte de l’inquiétude et de l’attente prolongée que subit le justiciable.

Il est reconnu que :

« Un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire. »

Cependant, la demande d’indemnisation doit être justifiée en son principe, mais le montant doit être proportionné au préjudice réellement subi.

Dans le cas de Madame [C] [K] [T], le tribunal a estimé que son préjudice moral était justifié, mais a limité l’indemnisation à 2.550,00 €, considérant que cette somme réparait adéquatement le préjudice causé par le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement.

Quelles sont les conséquences de la responsabilité de l’État sur le préjudice financier ?

La responsabilité de l’État peut également être engagée pour le préjudice financier résultant d’un déni de justice.

Dans ce cas, le tribunal a constaté que la condamnation de l’employeur de Madame [C] [K] [T] était intervenue tardivement, en raison d’un délai excessif de 17 mois.

La demande de réparation du préjudice financier doit être justifiée et caractérisée.

Le tribunal a retenu que seule la condamnation au paiement de 800,00 € ordonnée par jugement du 20 juin 2016 portait le caractère de créance indemnitaire.

Ainsi, l’agent judiciaire de l’État a été condamné à verser 10,00 € en réparation du préjudice financier, en tenant compte de l’aléa lié aux délais et conditions d’exécution du jugement.

Quelles sont les dispositions concernant les dépens et les frais d’avocat dans ce type de litige ?

Les dépens et les frais d’avocat sont régis par les articles 696 et 700 du code de procédure civile.

L’article 696 stipule que :

« Les dépens comprennent les frais de justice exposés par les parties pour la conduite de l’instance. »

L’agent judiciaire de l’État, en tant que partie perdante, a été condamné aux dépens.

L’article 700 précise que :

« Le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. »

Dans ce cas, le tribunal a condamné l’agent judiciaire de l’État à verser 900,00 € à Madame [C] [K] [T] sur le fondement de l’article 700, en tenant compte des situations économiques respectives des parties et de la durée de l’instance.

Ces sommes sont également exécutoires de droit à titre provisoire, conformément à l’article 514 du code de procédure civile.


 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
23/12622
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 23/12622 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2MUL

N° MINUTE :

Assignation du :
24 Août 2023

JUGEMENT
rendu le 13 Novembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [C] [K] épouse [T]
[Adresse 4]
[Localité 2]

Représentée par Me Tamara LOWY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire #PB141

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représenté par Me Cyril FERGON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0135

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

Décision du 13 Novembre 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/12622 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2MUL

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistées de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors des débats et de Madame Marion CHARRIER, Greffier lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience du 16 Octobre 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le 18 juin 2015, Madame [C] [K] [T] a saisi le conseil des prud’hommes de Bobigny, lequel a convoqué les parties à l’audience devant le bureau de jugement du 21 septembre 2015, date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré.

Après plusieurs prorogés, le jugement réputé contradictoire a été rendu le 20 juin 2016, puis notifié aux parties le 22 juin 2016.

Parallèlement, par jugement du 27 octobre 2016, l’employeur de Madame [C] [K] [T] a été placé en liquidation judiciaire.

Par requête enregistrée le 22 mai 2017, l’AGS a formé opposition au jugement rendu le 20 juin 2016.

Les parties ont été convoquées à l’audience de jugement du 28 mars 2018, puis à l’audience de plaidoirie du 18 décembre 2018.

Le 14 mai 2019, le conseil des prud’hommes s’est déclaré en partage de voix, et l’affaire a été renvoyée à l’audience de départage du 17 janvier 2020, avant de faire l’objet de deux renvois aux audiences des 3 juillet 2020 et 9 mars 2021, en raison, d’une grève des avocats s’agissant du premier renvoi, et du contexte sanitaire s’agissant du second.

Le jugement de départage a été rendu le 7 mai 2021, puis notifié aux parties le 27 mai 2021.

C’est dans ce contexte que, par acte du 24 août 2023, Madame [C] [K] [T] a fait assigner l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Aux termes de cette assignation, Madame [C] [K] [T] demande la condamnation de l’agent judiciaire de l’État à lui payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la somme de 12.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral ;
– la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Tamara Lowy.

Madame [C] [K] [T] estime que la durée de la procédure est excessive et engage la responsabilité de l’État pour déni de justice. Elle soutient que ce retard lui a causé un préjudice moral certain constitué par la tension et la souffrance psychologique générées par l’attente et l’incertitude d’une décision très importante pour elle. Elle affirme avoir également subi un préjudice financier correspondant aux intérêts assortissant les condamnations de son ancien employeur.

Le 8 décembre 2023, le ministère public près le tribunal judiciaire de Paris a indiqué ne pas conclure.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 1er juillet 2024 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

Aux termes de ses premières conclusions notifiées le 9 octobre 2010, l’agent judiciaire de l’État sollicite :
– la révocation de l’ordonnance de clôture prononcée le 1er juillet 2024;
– qu’il soit jugé que la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée qu’à hauteur de 15 mois ;
– la réduction de la demande indemnitaire en réparation du préjudice moral à une somme qui ne saurait être supérieure à 2.250,00€ ;
– le débouté de la demande formée au titre du préjudice matériel ;
– la réduction de la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.

A titre liminaire, sur la révocation de l’ordonnance de clôture, il soutient que des pourparlers étaient en cours avec la demanderesse, lesquels n’ont pas abouti, et qu’il n’a pas pu déposer ses conclusions à temps.

Il estime que la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire qu’à hauteur de 15 mois, soit :
– 7 mois entre l’audience de jugement du 21 septembre 2015 et le délibéré du 20 juin 2016 ;
– 5 mois entre la saisine du conseil de prud’hommes du 22 mai 2017 et l’audience devant le bureau de jugement du 28 mars 2018 ;
– 3 mois entre l’audience de jugement du 18 décembre 2018 et le procès-verbal de partage de voix du 14 mai 2019.

Il soutient que la demanderesse ne justifie pas d’un préjudice à hauteur de la somme demandée, s’agissant du préjudice moral invoqué, et que son préjudice financier est insuffisamment caractérisé.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

A l’audience du 16 octobre 2024, la demanderesse indique ne pas s’opposer à la révocation de l’ordonnance de clôture, mais sollicite le renvoi de l’affaire pour conclusions en réponse.

L’affaire a été mise en délibéré au 13 novembre 2024, date du présent jugement.

SUR CE

Sur la révocation de l’ordonnance de clôture

Aux termes de l’article 802 du code de procédure civile :  » Après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.
Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture. […] »

Aux termes de l’article 803 du même code :  » l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. […]
L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.  »

En l’espèce, l’agent judiciaire de l’Etat a fait déposer ses premières conclusions le 9 octobre 2024, postérieurement à l’ordonnance de clôture prononcée le 1er juillet 2024.

Lors de l’audience, la demanderesse a indiqué ne pas s’opposer à la révocation de l’ordonnance de clôture, mais sollicitait le renvoi de l’affaire pour conclusions en réponse.

Le dépôt de conclusions postérieurement à l’ordonnance de clôture ne constitue cependant pas une cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture, étant au surplus relevé que rien ne s’opposait à ce que défendeur conclue dans les délais, et ce même si des pourparlers étaient cours.

En conséquence, il convient de rejeter la demande de révocation de l’ordonnance de clôture, et déclarer irrecevables les conclusions notifiées par l’agent judiciaire le 9 octobre 2024.

Sur la demande principale

Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Un déni de justice correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.

Il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.

Le seul non-respect d’un délai légal n’est pas suffisant pour caractériser un déni de justice mettant en jeu la responsabilité de l’État.

Par ailleurs, en l’absence de preuve que les renvois critiqués ont été ordonnés exclusivement pour répondre à des contraintes d’organisation de la juridiction, extérieures aux parties, il n’appartient pas au présent tribunal d’apprécier l’opportunité des renvois accordés par le conseil de prud’hommes, ou celle d’un incident soulevé d’office par le juge de la mise en état, s’agissant de décisions juridictionnelles qui ne peuvent être remises en question dans le cadre d’une action fondée sur l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire. En effet, hors le cas de dommages causés aux particuliers du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, l’action en responsabilité de l’État ne saurait avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, en dehors de l’exercice des voies de recours (Civ. 1ère, 18 novembre 2020, pourvoi n° 19-19.517).

Enfin, la suspension de la majeure partie des activités juridictionnelles du 16 mars 2020 au 11 mai 2020, en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19, n’est pas imputable à l’Etat, dès lors qu’elle résulte des circonstances insurmontables inhérentes à la situation générale de confinement du pays et du déclenchement des plans de continuité d’activités des juridictions. Il en résulte que les délais supplémentaires résultant de cette période spécifique ne sont pas imputables au service public de la justice et ne peuvent contribuer à un déni de justice.

Les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide (CEDH Frydlender c. France [GC], 2000, § 45 ; Vocaturo c. Italie, 1991, § 17 ; Ruoto-lo c. Italie, 1992, § 17).

En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la procédure prud’homale litigieuse en considération, non de sa durée globale, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.

Ainsi, à l’aune de ces critères, il convient de relever que :
– le délai de 3 mois entre la saisine du conseil de prud’hommes et l’audience de jugement du 21 septembre 2015 n’est pas excessif;
– le délai de 8 mois entre le bureau de jugement et le prononcé de la décision est excessif à hauteur de 4 mois ;
– le délai de moins de 1 mois séparant la date de la décision de sa notification n’est pas excessif ;
– le délai de 10 mois entre la requête en tierce-opposition de l’AGS et l’audience devant le bureau de jugement du 28 mars 2018 est excessif et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 7 mois ;
– le délai de 8 mois entre la première audience de jugement du 28 mars 2018 et la deuxième audience de jugement du 18 décembre 2018 est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 2 mois ;
– le délai de 4 mois entre la deuxième audience de jugement du 18 décembre 2018 et le procès-verbal de partage de voix du 14 mai 2019 n’est pas excessif ;
– le délai de 8 mois entre le procès-verbal de partage de voix et le premier renvoi à l’audience de départage du 17 janvier 2020 est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 2 mois ;
– le délai de 5 mois entre le premier et le deuxième renvoi à l’audience de départage, en raison d’une grève des avocats, n’est pas imputable au service public de la justice, et n’est en tout état de cause pas excessif ;
– le délai de 8 mois entre le deuxième et le troisième renvoi à l’audience de départage, en raison du contexte sanitaire, est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 2 mois ;
– le délai de 1 mois entre l’audience de plaidoirie et le jugement de départage n’est pas excessif ;
– le délai de moins de 1 mois séparant la date de la décision de sa notification n’est pas excessif.

La responsabilité de l’État est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 17 mois.

S’agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.

Madame [C] [K] [T] ne justifie cependant pas d’un préjudice à hauteur de la somme demandée.

Il s’ensuit que l’indemnité allouée en réparation de son préjudice moral ne saurait excéder l’indemnisation du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement cause nécessairement.

Le préjudice moral de Madame [C] [K] [T] est en conséquence entièrement réparé par l’allocation de la somme de 2.550,00 €.
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.

S’agissant du préjudice financier, la condamnation de l’employeur étant intervenue tardivement, puisqu’il a été retenu 17 mois de délai excessif, la demanderesse peut donc prétendre à la réparation du préjudice lié au défaut de disposition des sommes, durant cette période.

A cet égard, seule la condamnation au paiement de la somme de 800,00 € ordonnée par jugement du 20 juin 2016 porte le caractère de créance indemnitaire.

Par conséquent, eu égard à l’aléa tenant aux délais et conditions d’exécution du jugement si la décision avait été rendue plus tôt, compte tenu du taux d’intérêt légal courant sur la période, l’agent judiciaire de l’État est condamné à ce titre au paiement de la somme de 10,00 €.

En l’absence de justification d’un préjudice financier excédant ce montant, le surplus de la demande formée à ce titre est rejeté.

En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.

Sur les demandes accessoires

L’agent judiciaire de l’État, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Tamara Lowy peut recouvrer directement contre l’agent judiciaire de l’Etat les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l’instance et des démarches judiciaires qu’a dû accomplir la partie demanderesse, l’agent judiciaire de l’État est condamné à verser à Madame [C] [K] [T] la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, contradictoirement et en premier ressort,

REJETTE la demande de révocation de l’ordonnance de clôture ;

DÉCLARE irrecevables les conclusions notifiées par l’agent judiciaire le 9 octobre 2024 ;

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État à payer à Madame [C] [K] [T] :
– la somme de 2.550,00 €.à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
– la somme de 10,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel ;
– la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement;
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État aux dépens ;

DIT que Maître Tamara Lowy peut recouvrer directement contre l’agent judiciaire de l’Etat les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 13 Novembre 2024

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON


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