Responsabilité de l’employeur face aux maladies professionnelles : enjeux de la faute inexcusable et de l’indemnisation des victimes

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Responsabilité de l’employeur face aux maladies professionnelles : enjeux de la faute inexcusable et de l’indemnisation des victimes

Contexte de l’affaire

Monsieur [X] [I] a été employé par la SA [13] en tant qu’OPI et tuyauteur entre 1969 et 1988. En septembre 2019, il a déclaré une maladie professionnelle liée à des plaques pleurales, diagnostiquées par un médecin. La Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône a reconnu la maladie comme étant en lien avec son activité professionnelle, en rapport avec l’inhalation de poussières d’amiante.

Reconnaissance de la maladie professionnelle

Le 27 janvier 2020, la CPCAM a confirmé que la maladie de Monsieur [X] [I] était liée à son travail, lui attribuant un taux d’incapacité permanente de 5 %. En novembre 2020, Monsieur [X] [I] a demandé une conciliation pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, mais a été informé que l’employeur n’existait plus juridiquement en raison de sa liquidation judiciaire.

Procédure judiciaire

Monsieur [X] [I] a saisi le tribunal judiciaire de Marseille en avril 2021 pour faire reconnaître la faute inexcusable de la SA [13]. L’affaire a été mise en délibéré pour une audience de plaidoirie prévue en septembre 2024. Son avocat a demandé la majoration de l’indemnité en capital, ainsi que des réparations pour divers préjudices.

Arguments de Monsieur [X] [I]

Monsieur [X] [I] soutient que son employeur était conscient des dangers liés à l’inhalation de poussières d’amiante et n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger ses employés. Des témoignages d’anciens collègues corroborent son exposition à l’amiante sans protection adéquate.

Position de la CPCAM

La CPCAM a demandé au tribunal de se prononcer sur la faute inexcusable de l’employeur, tout en précisant qu’elle ne pouvait pas exercer d’action récursoire en raison de la liquidation de la société [13]. Elle a également contesté certaines demandes d’indemnisation.

Éléments de la décision

Le tribunal a rappelé que l’employeur a une obligation de sécurité envers ses employés. La reconnaissance de la faute inexcusable repose sur la conscience du danger par l’employeur et l’absence de mesures de protection. Les témoignages et les éléments historiques sur les risques de l’amiante ont été pris en compte.

Indemnisation et expertise

Le tribunal a ordonné une expertise pour évaluer les préjudices subis par Monsieur [X] [I], notamment en ce qui concerne son déficit fonctionnel permanent et ses souffrances. La CPCAM avancera les frais d’expertise.

Provision et décisions finales

Monsieur [X] [I] a demandé une provision de 12.000 €, mais le tribunal a décidé d’allouer une provision de 1.500 € en raison des éléments fournis. La CPCAM a été reconnue comme n’ayant pas d’action récursoire contre l’employeur. L’exécution provisoire de la décision a été ordonnée, et les dépens seront à la charge de l’État.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG
21/01052
REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 4]

JUGEMENT N°24/04353 du 05 Novembre 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01052 – N° Portalis DBW3-W-B7F-YVO2

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [X] [I]
né le 01 Février 1951
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par
Me Jean-Eudes MESLAND-ALTHOFFER, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.E.L.A.F.A. [12], représentée par Me [P] [E], mandataire de la société [13]
[Adresse 2]
[Localité 8]
non comparante, ni représentée

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 5]
dispensée de comparaître

DÉBATS : À l’audience publique du 04 Septembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : PAULHIAC Olivier
DICHRI Rendi

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 05 Novembre 2024

NATURE DU JUGEMENT

réputé contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [X] [I] a travaillé au sein de la SA [13] en qualité d’OPI du 26 août 1969 au 29 novembre 1971 et en qualité de tuyauteur du 2 janvier 1973 au 4 février 1974, puis du 12 mai 1975 au 31 décembre 1988.

Le 26 septembre 2019, Monsieur [X] [I] a effectué auprès de la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône (ci-après CPCAM des Bouches-du-Rhône) une déclaration de maladie professionnelle en joignant un certificat médical initial établi le 3 septembre 2019 au titre duquel des plaques pleurales lui ont été diagnostiquées.

Après une procédure d’instruction du dossier, le 27 janvier 2020, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a reconnu que la maladie dont souffrait Monsieur [X] [I] était en relation avec son activité professionnelle au titre du tableau n° 30  » affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante « .

Par courriers des 6 et 26 février 2020, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a déclaré l’état de santé de l’assuré consolidé à la date du 3 février 2020, puis a notifié à Monsieur [X] [I] un taux d’incapacité permanente de 5 %.

Selon un courrier du 9 novembre 2020, l’assuré a sollicité auprès de la CPCAM des Bouches-du-Rhône la mise en œuvre de la procédure de conciliation prévue dans le cadre d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et a été informé par l’organisme, le 13 novembre 2020, qu’une conciliation ne pouvait aboutir, l’employeur n’ayant plus d’existence juridique du fait de sa liquidation judiciaire.

C’est dans ce contexte que, par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 12 avril 2021, Monsieur [X] [I] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de voir reconnaître que sa maladie professionnelle est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la SA [13].

Après une phase de mise en état, l’affaire a été appelée et retenue à l’audience de plaidoirie du 4 septembre 2024.

Reprenant oralement ses dernières conclusions, le conseil de Monsieur [X] [I] demande au tribunal de :
Dire que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [I] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la SA [13];En conséquence :
À titre principal :
Ordonner la majoration à son montant maximun de l’indemnité en capital perçue par Monsieur [X] [I] ;Dire que la majoration suivra l’augmentation du taux d’IPP en cas d’aggravation ultérieure de l’état de santé de Monsieur [I] en lien avec sa maladie professionnelle ;Fixer la réparation des préjudices subis par Monsieur [I] de la façon suivante :En réparation du préjudice de la souffrance physique : 16.000 € ;En réparation du préjudice de la souffrance morale : 30.000 € ;En réparation du préjudice d’agrément : 16.000 € ;À titre subsidiaire :
Ordonner une expertise aux fins de déterminer l’évaluation des préjudices de Monsieur [I] ;Dire que l’expert désigné devra notamment statuer sur les préjudices suivants :Son déficit fonctionnel permanent à compter de la date de consolidation ;Son préjudice d’agrément ;Dire que les frais d’expertise seront pris en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ;Allouer à Monsieur [I] une provision de 12.000 € à valoir sur les indemnités définitives dont la Caisse Primaire d’Assurance Maladie fera l’avance ;Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Au soutien de son recours, Monsieur [X] [I] expose que son employeur devait nécessairement avoir conscience du danger auquel l’inhalation des poussières d’amiante l’exposait, et qu’il n’a pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour le préserver des risques liés à cette inhalation.

La SELAFA [12], en la personne de Maître [P] [E], a été désignée comme mandataire judiciaire de la SA [13] par ordonnance du Président du tribunal de commerce de Paris du 4 juin 2024. Bien que régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 25 juillet 2024, le mandataire judiciaire de la SA [13] n’a pas comparu.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaitre, demande au tribunal de :
Constater que la caisse s’en remet à la sagesse du Tribunal sur l’existence de la faute inexcusable de l’employeur société, la société [13] ;Dans l’affirmative, reconnaître et fixer les indemnisations conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale et à la décision 2010-8 QPC du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et prendre acte que compte-tenu de la disparition de l’employeur, la caisse ne dispose pas d’une action récursoire ;Ecarter la demande d’indemnisation sollicitée au titre du préjudice d’agrément ;Ecarter toute demande d’indemnisation de l’article 700 du code de procédure civile à la charge de la CPCAM des Bouches du Rhône, qui n’est que mise en cause.
Il convient de se rapporter aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé du litige en application de l’article 455 du Code de procédure civile.

L’affaire a été mise en délibéré au 5 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation légale de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie du salarié. Il suffit qu’elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

Quand bien même la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie, il incombe au salarié ou à ses ayants droit de démontrer qu’il a été habituellement et de manière certaine exposé à l’inhalation des poussières d’amiante, que son employeur avait conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu’il n’a pas pris de mesures de protection.

S’agissant de l’exposition au risque

La Cour de cassation, après avoir décidé que seules la fabrication et l’utilisation de l’amiante comme matière première étaient susceptibles d’engager la faute inexcusable de l’employeur, a considéré que l’exposition au risque pouvait résulter de l’utilisation de matériels fabriqués avec de l’amiante ou de la simple inhalation de poussières dans les locaux de l’entreprise.

La Cour de cassation a, par ailleurs, posé le principe selon lequel l’exposition doit être habituelle et non pas permanente et continue.

En l’espèce, Monsieur [X] [I] a travaillé au sein de la société [13] en qualité d’OPI du 26 août 1969 au 29 novembre 1971 et en qualité de tuyauteur du 2 janvier 1973 au 4 février 1974, puis du 12 mai 1975 au 31 décembre 1988.

Il verse au débat une attestation de Monsieur [L] [K] lequel rapporte :
 » J’ai travaillé dans la même entreprise (CNC) et dans le même atelier de tuyautage (section 632) que M. [I] [X]. Notre travail était la fabrication de tuyauterie. Certains tuyaux étaient cintrés à chaud, on les remplissait de sable puis on les mettait dans un four, ils ressortaient rouge vif et la chaleur était intenable, pour éviter les brulures, on portait des protections en amiante.
Souvent, on recevait des tuyaux à réparer, ils étaient recouverts d’un isolant d’amiante seul isolant utilisé à l’époque, à aucun moment on nous a parlé de la nocivité de ce produit et on travaillait sans masque ni aucune autre protection quand on balayait l’atelier toute cette poussière, on la respirait et elle nous empoisonnait « .

Il produit également une attestation de Monsieur [F] [T] lequel relate :  » J’ai travaillé avec Monsieur [I] aux chantiers navals de [Localité 11] de mars 1976 au mois de novembre 1988.
Pour la construction neuve, notre travail se passait dans un atelier : on devait confectionner des tuyaux de tous diamètres, HP ou BP, d’après gabarits. La plupart du temps, le cintrage se faisait à chaud, à l’aide d’un four qui portait des tuyaux au rouge. Celui-ci était bien isolé avec des briques réfractaires, de la toile d’amiante, de la tresse.
Quant à la réparation navale, nous allions à bord pour démonter les tuyaux endommagés. Nous les amenions à l’atelier pour les réparer ou en fabriquer des nouveaux. Là, nous procédions au déshabillage des pièces de tout son isolant, toile, tresse, bourre d’amiante. Tous ces résidus allaient sur le sol et celui-ci était tout simplement balayé en fin de journée.
(…)
Nous étions donc toute la journée au contact avec la poussière d’amiante en suspension dans l’air.
(…)
Notre employeur ne nous a jamais dit que notre travail était dangereux. Jamais on ne nous a dit de prendre des précautions et jamais on nous a donné les moyens de nous protéger « .

Ces témoignages précis et concordants confirment la réalité de l’exposition à l’amiante par inhalation de poussières d’amiante subie par Monsieur [X] [I] dans l’exercice de son travail habituel.

S’agissant de la conscience du danger par l’employeur

Les premières prescriptions de sécurité prévenant l’inhalation des poussières par évacuation des poussières et renouvellement de l’air des ateliers ont été prises par la loi du 12 juin 1893 relative à l’hygiène et sécurité des travailleurs dans les établissements industriels et son décret d’application des 10 et 11 mars 1894.

Concernant spécifiquement l’amiante, le risque sanitaire provoqué par ce matériau a été reconnu par l’ordonnance du 3 août 1945 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières enfermant de la silice ou de l’amiante. Cette reconnaissance a été confirmée par le décret du 31 août 1950, puis par celui du 3 octobre 1951 créant le tableau n° 30 propre à l’asbestose, fibrose pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante.

Les décrets des 5 janvier 1976 et 17 août 1977 ont réglementé spécifiquement les travaux portant sur les produits à base d’amiante en les mentionnant au tableau n° 30 des maladies professionnelles et ont imposé des règles de protection particulière préservant des poussières d’amiante.

Enfin, il est à noter que de nombreux travaux scientifiques ont été publiés dès le début du XXe siècle sur les conséquences de l’inhalation des poussières d’amiante.

La société [13], si elle ne fabriquait ni ne transformait de l’amiante, en utilisait couramment dans les chantiers navals. Elle disposait d’une compétence technique suffisamment importante pour avoir accès à l’information sur les risques de l’inhalation de poussières d’amiante au moment où elle a fait travailler Monsieur [X] [I].

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société [13], compte-tenu de son activité, de son importance et de son organisation, avait ou aurait dû avoir conscience du danger représenté par l’emploi de l’amiante.

S’agissant des mesures prises pour protéger les salariés des risques liés à l’amiante

Les attestations de Messieurs [L] [K] et [F] [T] versés aux débats concordent sur l’absence de mesures de protection contre l’inhalation de poussières d’amiante.

Elles confirment donc l’absence de mesures de prévention efficaces.

En conséquence, la maladie professionnelle dont souffre Monsieur [X] [I] sera jugée imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [13].

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Sur la majoration de l’indemnité en capital

En vertu des dispositions de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, lorsqu’une une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte qu’il ne puisse dépasser le montant de ladite indemnité.

Seule la faute inexcusable de la victime – entendue comme une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience – est susceptible d’entraîner une diminution de la majoration du capital.

La faute inexcusable de l’employeur étant reconnue à l’exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d’ordonner la majoration au taux maximal légal du capital servi en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

En l’espèce, par courrier du 26 février 2020, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a informé Monsieur [X] [I] que son taux d’incapacité permanente partielle était fixé à 5 %, et qu’une indemnité en capital lui était attribuée à la date du 1er aout 2019.

En vertu des dispositions précitées, il y a lieu d’ordonner sur le principe la majoration de l’indemnité en capital perçue par Monsieur [X] [I] à son taux maximum et de dire qu’elle devra suivre l’évolution du taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation.

Sur la demande d’expertise

Conformément à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,  » indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle « .

En l’espèce, Monsieur [X] [I] demande à être indemnisé des préjudices qu’il a subis sur les bases suivantes :
16.000 € au titre des souffrances physiques ;30.000 € au titre des souffrances morales ;16.000 € au titre du préjudice d’agrément.
Le tribunal ne saurait faire droit à une telle demande puisqu’il ne dispose pas des éléments médicaux suffisants pour évaluer les différents postes de préjudice. L’évaluation des préjudices nécessite donc une expertise médicale laquelle sera ordonnée en application de l’article R. 142-16 du code de la sécurité sociale, selon les modalités précisées dans le dispositif du présent jugement.

Selon la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En outre, par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, la Cour de cassation a précisé l’étendue de la réparation des préjudices due à la victime d’un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur.

Il en résultait que la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :
le déficit fonctionnel permanent (couvert par L. 431-1, L. 434-1 et L. 452-2);les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431 1 et suivants, et L.434-2 et suivants) ;l’incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l’allocation d’un capital ou d’une rente d’accident du travail (L. 431-1 et L. 434-1) et par sa majoration (L. 452-2) ;l’assistance d’une tierce personne après consolidation (couverte par l’article L. 434 2 alinéa 3) ;les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.
En revanche, la victime peut notamment prétendre à l’indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire ;des dépenses liées à la réduction de l’autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l’assistance d’une tierce personne avant consolidation ;du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d’agrément.
Jusqu’en 2023, la Cour de cassation jugeait de manière constante que la rente prévue par le code de la sécurité sociale versée aux victimes de maladie professionnelle ou d’accident du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur, indemnisait tout à la fois la perte de gain professionnel, l’incapacité professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (le handicap dont vont souffrir les victimes dans le déroulement de leur vie quotidienne). Pour obtenir de façon distincte une réparation de leurs souffrances physiques et morales, ces victimes devaient rapporter la preuve que leur préjudice n’était pas déjà indemnisé au titre de ce déficit fonctionnel permanent.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a opéré un revirement de jurisprudence en décidant non seulement que les souffrances physiques et morales endurées après consolidation pourront dorénavant faire l’objet d’une réparation complémentaire, mais également que la rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle n’indemnise pas leur déficit fonctionnel permanent.

Dès lors que le déficit fonctionnel permanent n’est plus susceptible d’être couvert en tout ou partie par la rente et donc par le livre IV du code de sécurité sociale, il peut faire l’objet d’une indemnisation, compte-tenu de la réserve d’interprétation posée par le conseil constitutionnel et rappelée ci-dessus, selon les conditions de droit commun.

Eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime, le taux d’incapacité permanente défini à l’article L. 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, et non le poste de préjudice personnel.

Par conséquent, le taux d’IPP qui pourrait éventuellement être fixé par la caisse après décision de la commission médicale de recours amiable ou décision judiciaire, sert pour la majoration de la rente en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et le déficit fonctionnel permanent ainsi que le taux retenu pour l’évaluer relèvent désormais de l’application du droit commun, étant rappelé que ce poste de préjudice répare les incidences du dommage qui touchent exclusivement la sphère personnelle de la victime.

Ainsi, Monsieur [X] [I] est bien-fondé à solliciter l’indemnisation de son déficit fonctionnel permanent.

Ce poste de préjudice permet d’indemniser non seulement le déficit fonctionnel au sens strict c’est-à-dire la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel définitive, après consolidation, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence.

Il convient donc de compléter la mission d’expertise aux fins de faire évaluer par l’expert le déficit fonctionnel permanent en tenant compte de la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel définitive, après consolidation, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence.

Il convient de rappeler, s’agissant du préjudice d’agrément, que l’expert pourra caractériser l’impossibilité de pratiquer de manière régulière une activité sportive ou de loisir du fait de l’accident, et il appartiendra le cas échéant à Monsieur [X] [I] de rapporter la preuve de la pratique régulière de cette activité avant la survenance de son accident.

Par ailleurs, la preuve d’un préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle et aux frais divers ne relève pas quant à elle d’investigation médicale.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône fera l’avance des frais d’expertise, en application des dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur la demande de provision

Monsieur [X] [I] demande à ce que lui soit allouée la somme de 12.000€ à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices mais ne produit pas d’éléments médicaux au soutien de sa demande de provision.

Il ressort cependant du dossier que le certificat médical initial désignant la pathologie a été établi le 3 septembre 2019 et que l’état de santé de l’assuré a été considéré comme consolidé à la date du 3 février 2020. La caisse a notifié à Monsieur [X] [I] un taux d’incapacité permanente de 5 % et lui a attribué une indemnité en capital à la date du 1er août 2019 d’un montant de 1.983,69 €.

Ces éléments justifient d’allouer à Monsieur [X] [I] une provision d’un montant de 1.500 € dont la CPCAM des Bouches-du-Rhône assurera l’avance en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur l’action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône

Il conviendra de donner acte à la CPCAM des Bouches du Rhône de l’impossibilité pour celle-ci de procéder par voie d’action récursoire à l’égard de l’employeur compte-tenu de la dissolution de la société [13].

Sur les demandes accessoires

S’agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l’exécution provisoire est facultative, en application de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

Compte-tenu des circonstances de l’espèce et de l’ancienneté de l’accident, le tribunal ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.

Les dépens seront laissés à la charge de l’Etat.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, statuant après débats publics, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort :

DIT que la maladie professionnelle déclarée par Monsieur [X] [I] le 26 septembre 2019 est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société [13] ayant pour mandataire ad hoc la SELAFA [12] ;

ORDONNE en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale la majoration à son taux maximum de l’indemnité en capital notifiée à Monsieur [X] [I] par la CPCAM des Bouches-du-Rhône le 26 février 2020 ;

DIT que la majoration du capital servi en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité attribué ;

AVANT-DIRE DROIT sur la liquidation des préjudices subis par Monsieur [X] [I] :

ORDONNE une expertise judiciaire aux frais avancés de la CPCAM Bouches-du-Rhône et commet pour y procéder le Docteur [N] [G] ([Adresse 7] – Tél : [XXXXXXXX01] – Mèl : [Courriel 9]), Expert judiciaire inscrit sur la liste établie près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui pourra s’adjoindre tout sapiteur de son choix, avec mission de :

Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;
Se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs aux lésions subies, en particulier le certificat médical initial ;
Fournir le maximum de renseignements sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d’études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l’accident ;
Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé de Monsieur [X] [I] en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime en décrivant un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;
Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l’accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles ; si l’incapacité fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux ;
Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation), du fait des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles ; les évaluer selon l’échelle de sept degrés ;
Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique temporaire (avant consolidation), le décrire précisément et l’évaluer selon l’échelle habituelle de sept degrés ;
Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire avant consolidation est alléguée, indiquer si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire en décrivant avec précision les besoins (nature de l’aide apportée, niveau de compétence technique, durée d’intervention quotidienne ou hebdomadaire) ;
Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent :dans l’affirmative chiffrer, par référence au  » Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun  » le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à l’accident ou la maladie, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu’elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après consolidation ;dans l’hypothèse d’un état antérieur, préciser en quoi l’accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation ;dire si des douleurs permanentes existent et comment elles ont été prises en compte dans le taux retenu ;décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime ;
Lorsque la victime allègue un préjudice d’agrément, à savoir l’impossibilité de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, ou une limitation de la pratique de ces activités, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation et son caractère définitif, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;
Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique permanent ; le décrire précisément et l’évaluer selon l’échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l’éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit ;
Dire s’il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l’acte sexuel proprement dit (difficultés, perte de libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;
Lorsque la victime allègue une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser ; Étant rappelé que pour obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, la victime devra rapporter la preuve que de telles possibilités préexistaient ;
Lorsque la victime allègue une impossibilité de réaliser un projet de vie familiale  » normale  » en raison de la gravité du handicap permanent dont elle reste atteinte après sa consolidation, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;
Établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ;
Rappelle que la consolidation de l’état de santé de Monsieur [X] [I] résultant de la maladie professionnelle du 26 septembre 2019 a été fixée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à la date du 3 février 2020 et qu’il n’appartient pas à l’expert de se prononcer sur ce point ;

Rappelle que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra faire l’avance des frais d’expertise ;

Dit que l’expert fera connaître sans délai son acceptation, qu’en cas de refus ou d’empêchement légitime il sera pourvu aussitôt à son remplacement ;

Dit que l’expert pourra s’entourer de tous renseignements utiles auprès notamment de tout établissement hospitalier où la victime a été traitée sans que le secret médical ne puisse lui être opposé ;

Dit que l’expert rédigera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu’il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d’un mois ;

Dit qu’après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l’expert devra déposer au greffe du pôle social du tribunal judiciaire un rapport définitif en double exemplaire dans le délai de huit mois à compter de sa saisine ;

Dit que l’expert en adressera directement copie aux parties ou à leurs conseils ;

FIXE à la somme de 1.500 € la provision qui sera versée à Monsieur [X] [I] par la CPCAM des Bouches-du-Rhône ;

DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône versera directement à Monsieur [X] [I] les sommes dues au titre de la majoration du capital, de la provision et de l’indemnisation complémentaire ;

DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne dispose pas d’une action récursoire à l’encontre de la société [13] ayant pour mandataire ad hoc la SELAFA [12] ;

DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes ;

ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;

LAISSE les dépens à la charge de l’Etat.

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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