Circonstances de l’accidentM. [L], steward de la SA [5] depuis 1989, a déclaré un accident du travail survenu entre le 29 et le 30 janvier 2017 lors d’un vol. Il a ressenti des douleurs cervicales alors qu’il se trouvait dans les couchettes réservées au personnel. Considérant que cet accident était dû à la faute inexcusable de son employeur, il a saisi le tribunal judiciaire pour faire reconnaître cette faute. Décision du tribunal judiciairePar jugement du 19 avril 2021, le tribunal a déclaré le jugement opposable à la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 3], a débouté M. [L] de toutes ses demandes, a décidé qu’il n’y avait pas lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile, et a indiqué que M. [L] devait supporter les éventuels dépens. Appel de M. [L]M. [L] a interjeté appel le 25 mai 2021, après notification de la décision le 4 mai 2021. Lors de l’audience du 11 septembre 2024, son conseil a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de reconnaître la faute inexcusable de la SA [5], tout en sollicitant diverses indemnités pour les préjudices subis. Arguments de M. [L]M. [L] a rappelé avoir été victime d’accidents du travail antérieurs et a soutenu que la SA [5] avait connaissance de sa pathologie. Il a reproché à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité, notamment en ne lui proposant pas de poste au sol et en n’installant pas de protection latérale dans les couchettes. Arguments de la SA [5]La SA [5] a défendu sa position en affirmant que M. [L] était déclaré apte à voler et qu’il n’existait pas d’avis médical interdisant son vol le jour de l’accident. Elle a également souligné que la déclaration d’accident ne mentionnait pas de choc et que les turbulences étaient un risque connu et inévitable en vol. Obligations de l’employeurL’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale stipule que la faute inexcusable de l’employeur est engagée lorsque celui-ci a conscience du danger auquel est exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. L’employeur a une obligation légale de sécurité et de protection de la santé des travailleurs, ce qui inclut la prévention des risques professionnels. Conclusion de la courLa cour a confirmé le jugement du tribunal judiciaire, considérant que M. [L] n’avait pas prouvé que la SA [5] avait conscience du danger et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour le protéger. L’appel a été reçu, mais le jugement a été confirmé dans toutes ses dispositions, et M. [L] a été condamné aux dépens éventuels. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2024
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/04625 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXQU
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Avril 2021 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 20/01548
APPELANT
Monsieur [V] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Elodie CHEVREUX HANAFI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 3]
Direction contentieuxet lutte contre la fraude
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
S.A. [5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Fabrice PRADON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0429
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de Procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Raoul CARBONARO, président de chambre
Mme Fabienne ROUGE, présidente de chambre
Mme Sophie COUPET, conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de Procédure civile.
-signé par Mme Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par M. [V] [L] d’un jugement rendu le 19 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige l’opposant à la société SA [5] et à la CPAM de Paris
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que, M. [L] Steward de la SA [5] depuis le 1er mai 1989 a déclaré un accident du travail survenu pendant le vol reliant [Localité 9] et [Localité 10] entre le 29 janvier 2017 et le 30 janvier 2017. Il a ressenti de violentes douleurs au niveau des cervicales alors qu’il se trouvait dans les couchettes réservées au personnel. Considérant que l’accident est dû à la faute inexcusable de son employeur, il a saisi le tribunal judiciaire en vue de voir reconnaître celle-ci.
Par jugement en date du 19 avril 2021 le tribunal judiciaire a :
– déclaré le jugement opposable à la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 3],
– débouté M. [L] de l’intégralité de ses demandes
-dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile
– dit que M. [L] devra supporter les éventuels dépens
M. [L] en a régulièrement interjeté appel le 25 mai 2021, la décision ayant été notifiée le 4 mai 2021
Par conclusions visées au greffe le 11 septembre 2024, reprises oralement à l’audience du 11 septembre 2024 le conseil de M. [L] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant de nouveau de :
– juger que la SA [5] a manqué à son obligation de sécurité qui a conduit à la faute inexcusable de la part de la société [5]
M. [L] demande donc à bénéficier :
– de la majoration de la rente d’incapacité de travail
– de l’indemnisation des préjudices personnels qu’il a subis et notamment qui sont estimés avant expertise à :
souffrances physiques et morales avant consolidation 50 000€
préjudice d’agrément avant consolidation 20 000€
préjudice esthétique avant et après consolidation 10 000€
perte ou diminution de perspective de carrière 10 000€
préjudice complémentaire pour la rechute 5000€
préjudices complémentaires non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale
déficit fonctionnel temporaire 30 000€
frais d’expertise , une expertise médicale étant sollicitée dans le corps des conclusions
Le conseil de la société [5] reprend oralement à l’audience ses conclusions déposées par RPVA qui demandent à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire le 19 avril 2021
déclarer l’arrêt opposable à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 3]
débouter M. [L] de l’intégralité des demandes
dire que M. [L] devra supporter les éventuels dépens.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 3] indique oralement qu’elle s’en rapporte à l’appréciation de la Cour sur la faute inexcusable, souligne que les demandes d’indemnisation sont élevées et sollicite qu’elles soient ramenées à de plus justes proportions.
M. [L] rappelle qu’il a été victime d’un premier accident du travail le 23 septembre 1998 en raison de turbulences survenus lors d’un vol vers [Localité 6] et a été victime de nombreuses rechutes notamment les 23 septembre 1998, 30 septembre 1998, 29 septembre 1999, 22 octobre 1998, 18 novembre 1998, 13 juillet 1999, 15 novembre 1999, 20 juillet 1999, 30 août 2010, 07 septembre 2010, 17 septembre 2010, 23 septembre 2010, 07 octobre 2010, puis de nouveau en 2014, et enfin en 2017.
Il estime que la SA [5] avait parfaitement connaissance de la pathologie dont il souffrait suite à ce premier accident du travail, et qu’il aurait dû faire l’objet de recommandations médicales particulières ou d’un suivi médical renforcé ce qui n’a pas été effectué par le service de médecine du travail. Il reproche à la société [5] de ne pas avoir pris les mesures appropriées pour ne plus être exposé aux risques existant à bord des avions en cas de turbulences et en ne lui proposant pas de poste au sol. Il souligne l’aggravation de son état général au fur et à mesure des années et l’absence de mesures particulières permettant d’adapter ses conditions de travail à sa pathologie .
Enfin il précise qu’au moment de l’accident, il était allongé dans sa couchette dans les conditions imposées par les recommandations du manuel de sécurité de sauvetage, quand il a subi un choc latéral sur une des parois de la couchette parce qu’aucune protection latérale n’y était installée. Il reproche à son employeur l’absence de protection latérale, ce qui l’aurait protégé du choc survenu lors des turbulences .
La SA [5] rappelle que M. [L] était déclaré apte à voler tant par le service médical et que par la [8] qui avait renouvelé sa licence tous les deux ans. En absence de tout avis médical lui interdisant de faire voler M. [L] le jour de l’accident, elle ne pouvait avoir la moindre conscience du danger auquel elle exposait le salarié.
La société souligne que la mention du choc, qu’il aurait subi contre les parois de la cabine alors qu’il était attaché comme il le devait, ne figure pas dans la déclaration d’accident du travail. Elle précise que lors des turbulences, les mouvements sont plutôt verticaux que latéraux. Enfin elle rappelle qu’il n’existe pas de moyen d’anticiper la sévérité des turbulences en vol et que la seule mesure préventive est de demander aux membres d’équipage de s’attacher lorsqu’ils rejoignent une couchette, ce qu’a fait le salarié.
L’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
Par ailleurs, l’article L. 4121-1 du code du travail dispose :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
l’article L. 4121-2 du même code précisant
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il se déduit de la combinaison de ces textes que l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé.
Dans le cadre de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’employeur est tenu envers son salarié d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l’obligation de veiller à l’adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de l’accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes y compris la faute d’imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l’employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l’employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l’apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu’il pouvait avoir.
La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, ne vise pas une connaissance effective du danger que devait en avoir son auteur. Elle s’apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.
La déclaration d’accident du travail mentionne : ‘M. [L] bien qu’allongé et attaché sur sa couchette a été surpris par les fortes turbulences. Il s’est ensuite plaint de vives douleurs au niveau des cervicales et d’une nuque endolorie et raidie’
Il sera souligné qu’aucun choc n’ y est mentionné, contrairement à ce prétendra plus tard M. [L].
Le fait que la société [5] connaisse l’existence de turbulences lors des vols ne permet pas de caractériser la connaissance du danger, telle qu’elle est exigée pour l’application des textes susvisés , puisque pour pallier à ce risque intrinsèque à tout vol et connu de toute compagnie aérienne, il a été mis en place l’obligation pour les personnels navigants de s’attacher .
M. [L] reconnaît dans ses écritures qu’il était apte à voler puisqu’il expose qu’il présentait ‘toutes les aptitudes médicales nécessaires au moment de l’accident’.
En effet il ne produit aucun avis d’inaptitude, aucune demande d’aménagement de poste faite par la médecine du travail qui aurait alerté son employeur sur le danger à ce qu’il exerce ses fonctions de steward. Il ne démontre pas avoir par un courrier, mail, envoi de compte rendu médicaux … informé son employeur de ses problèmes de dos ni avoir sollicité le moindre aménagement de poste voire de reclassement au sol .
Il ne conteste pas que sa licence a été renouvelée.
Dès lors la société [5] ne pouvait avoir conscience de sa fragilité et du fait qu’il devait être particulièrement surveillé.
L’ensemble des pièces médicales versées aux débats est postérieur à l’accident, n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un danger préalable au vol litigieux et encore moins la conscience du danger qu’aurait pu en avoir la société.
Ainsi aucune conscience du danger par [5] qu’aurait eu ou qu’aurait dû avoir n’est établie.
Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si la deuxième condition à savoir le non respect des mesure de sécurité est démontrée, puisque ces deux conditions sont cumulatives.
Le jugement qui a débouté M. [L] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable sera confirmé.
Le présent arrêt sera déclaré commun à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 3].
LA COUR,
REÇOIT l’appel formé par M. [L] ;
DIT le présent arrêt commun à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 3] ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y AJOUTANT ;
CONDAMNE M. [L] aux éventuels dépens.
La greffière Le président