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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 8 SEPTEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 17/03189 – N° Portalis DBVK-V-B7B-NGF6
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 02 MAI 2017
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
N° RG 15/03654
APPELANTE :
SARL CHAK au capital de 10 000 E
RCS NARBONNE N°490460748
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric PINET de la SELARL PINET ET ASSOCIES, avocat au barreau de NARBONNE – non plaidant
INTIME :
Maître [I] [K]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Christel DAUDE de la SCP D’AVOCATS COSTE, DAUDE, VALLET, LAMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Simon LAMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 01 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 MARS 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée, chargée du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président
M. Fabrice DURAND, Conseiller
Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du Premier Président en date du 1er décembre 2021.
Greffier, lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
– contradictoire,
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour fixée au 19 mai 2022 prorogée au 8 septembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller, faisant fonction de Président et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.
*
**
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé, établi par Me [I] [K] du 23 août 2012, avocat à Béziers, la société Chak a cédé à la société Cap Ô Sud, un fonds de commerce de discothèque situé à [Adresse 3], moyennant le prix de 600 000 euros payable par crédit vendeur.
La société Cap Ô Sud n’a pas remboursé le crédit vendeur et a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Narbonne du 8 octobre 2013.
Par ordonnance du 13 février 2013, le juge commissaire a homologué l’accord amiable de résolution de la cession du fonds de commerce et ordonné sa résolution et le paiement par la société Chak d’une somme de 30 000 euros en règlement de la licence de boisson quatrième catégorie et du matériel d’exploitation et constaté que l’accord met un terme à l’action en résolution judiciaire engagée par la société Chak.
La société Chak a assigné par exploit du 15 septembre 2015 Me [I] [K] devant le tribunal de grande instance de Perpignan en responsabilité professionnelle et afin d’obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Par jugement contradictoire du 2 mai 2017, le tribunal de grande instance de Perpignan a :
– Dit que la société Chak ne rapporte pas la preuve d’un préjudice en lien avec le défaut d’inscription du privilège de vendeur au greffe du tribunal de commerce dans le délai de quinze jours à compter de l’acte sous seing privé du 23 août 2012 ;
-Débouté la société Chak de l’intégralité de ses prétentions à l’encontre de Me Gérald Ensenat, avocat ;
-Débouté Me [I] [K] de ses demandes reconventionnelles;
-Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– Condamné la société Chak, prise en la personne de son représentant légal à payer à Me [I] [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
-Condamné la société Chak, prise en la personne de son représentant légal aux entiers dépens ;
-Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 8 juin 2017, la société Chak a interjeté appel du jugement du 2 mai 2017 du tribunal de grande instance de Perpignan à l’encontre de Me [I] [K].
Vu les conclusions de la société Chak remises au greffe le 2 septembre 2021 ;
Vu les conclusions de Me [I] [K] remises au greffe le 24 février 2022.
MOTIF DE L’ARRÊT
Sur la responsabilité professionnelle de Me [I] [K]
La société Chak conclut à l’infirmation du jugement. Elle demande la condamnation de Me [I] [K] à lui régler la somme de 630 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi et à tout le moins la somme de 97 723 euros représentant 30 000 euros qu’elle a déboursé pour récupérer son fonds de commerce et 67 723 euros d’impôt sur les plus-values, la somme de 20 000 euros à titre de réparation du préjudice moral et 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir que Me [I] [K] a manqué à son obligation d’assurer l’efficacité de son acte en ne prévoyant pas de clause résolutoire en cas de non-paiement, n’a pas veillé à assurer l’équilibre des parties en qualité de rédacteur et a manqué à son obligation de diligence en ne procédant pas à l’inscription du privilège du vendeur dans les quinze jours à compter de l’acte de vente et en ne faisant pas délivrer commandement à la société Cap Ô.
Me [I] [K] fait valoir, à titre principal, qu’il n’a commis aucune faute en lien avec un préjudice lors de la rédaction de l’acte de cession du fonds de commerce, l’absence de clause résolutoire ayant été négociée entre le vendeur et l’acquéreur, ni commis aucun manquement à ses obligations.
En application de l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 applicable au litige le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Selon l’article 9 du décret n° 2005-7 90 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, « l’avocat rédacteur d’un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties ».
Il est constant que le professionnel du droit, qui prête son concours, à l’établissement d’un acte, doit veiller à l’utilité et à l’efficacité dudit acte et qu’il est également tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil.
L’obligation de loyauté et de sincérité s’impose en matière contractuelle et que nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé à une partie ce principe de bonne foi élémentaire ou les conséquences de sa transgression (05-16789).
La mise en oeuvre de la responsabilité de l’avocat rédacteur d’acte suppose la réunion de trois conditions, un manquement contractuel ou une faute, un préjudice et un lien de causalité entre le manquement allégué et le préjudice.
Il ressort des pièces produites que par acte sous-seing privé du 23 août 2012, la société Chak cède à la société Cap Ô Sud, un fonds de commerce de discothèque situé à [Localité 1] sous l’enseigne ‘Le Chakana’, situé [Adresse 3], créé en mai 2006, à la suite de l’achat d’un fonds de commerce de bar restaurant pour le prix de 261 000 euros.
La cession, est consentie moyennant le prix de 600 000 euros s’appliquant aux éléments incorporels pour 500 000 euros et au matériel pour 100 000 euros, payable :
– à concurrence de 70 000 euros au plus tard le 1 décembre 2012 par chèque libellé à l’ordre de la CARPA ;
– le solde en 84 échéances mensuelles sur sept ans avec un taux d’intérêt à 3%, la première intervenant le 20 septembre 2012 et les suivantes le 20 de chaque mois.
L’acte mentionne une clause de déchéance du terme, notamment en cas de non-paiement par simple sommation de payer, une clause pénale portant à 15% le taux d’intérêts des sommes dues, le privilège du vendeur, le nantissement du fonds au profit du cédant, le transport d’indemnité d’assurance et une dispense de séquestre.
Les chiffres déclarés pour les trois dernières années sont de 1 115 246 euros HTde chiffre d’affaires et 87 340 euros de bénéfices pour 2008, 873 760 euros HT de chiffre d’affaires et une perte de 2 901 euros pour 2009 et 751 984 euros HT de chiffre d’affaires et une perte de 8 296 euros pour 2010, les chiffres pour l’année en cours 2011/2012 n’étant pas fournis.
Par courriels des 17 janvier 2013, le dirigeant du vendeur, informe Me [I] [K] de l’absence de paiement de trois mensualités et de deux loyers et demande ‘que le notaire fasse un papier pour bloquer l’argent'[R] [H] demande à Me [I] [K] de délivrer un commandement de payer en recouvrement du loyer de décembre et de la quote part de taxe foncière impayés.
Par jugement du 8 octobre 2013, la société Cap Ô Sud est déclarée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Narbonne.
Par courrier du 8 octobre 2013, l’avocat de la société Chak déclare sa créance au passif de la société Cap Ô Sud à titre privilégié pour un montant de 205 180 euros comprenant notamment 143 000 euros d’échéances crédit vendeur impayées, la clause pénale et des dommages et intérêts.
Par exploit du 18 octobre 2013, la société Chak assigne la société Cap Ô Sud et Me [N], pris en qualité de représentant des créanciers devant le tribunal de commerce de Narbonne aux fins de résolution de la vente du fonds de commerce, pour non-paiement du crédit vendeur et en paiement de la somme de 68 328,40 euros.
Par ordonnance du du 13 février 2014, le juge commissaire du tribunal de commerce de Narbonne, constatant qu’un accord était intervenu entre le bailleur, la société Ronifa et la société Cap Ô Sud pour la résiliation du bail homologue l’accord intervenu avec la société Chak et ordonne la résolution amiable du contrat de cession de fonds de commerce et dit qu’en contrepartie une somme de 30 000 euros sera versée entre les mains du mandataire judiciaire.
– Sur l’absence de clause résolutoire et le défaut de conseil
Il résulte de ce qui précède, que l’acte de cession stipule le paiement du prix au moyen d’un crédit vendeur garanti par un nantissement au profit du cédant, un privilège de vendeur et une exigibilité anticipée sans que soit stipulée une clause résolutoire.
Comme le relève le jugement, il ressort de l’attestation établie par M. [X] [Z] ancien gérant de la société Cap Ô Sud, qui n’est pas partie à la procédure, dans les formes prescrites par l’article 202 du code de procédure civile, que ‘Me [K] a bien prévenu les gérants de la société Chak des risques encourus concernant un crédit vendeur. Ayant refusé de donner ma caution et malgré les alertes de Me [K], les gérants de la société Chak ont malgré tout accepté les conditions, désireux de vendre rapidement’.
Il s’ensuit, que contrairement à ce que soutient la société Chak, les conditions du crédit vendeur ont été négociées entre les parties et que cette dernière a souhaité réaliser l’opération malgré les risques encourus pour lesquels elle a été mise en garde par Me [I] [K] et notamment l’absence de caution, qui figurait dans le projet d’acte.
Cette situation est par ailleurs confirmée par la situation de comptes déclarée dans l’acte et le bilan 2012 de la société Chak, qui fait état d’une perte de la moitié de son chiffre d’affaires sur deux ans, de situations déficitaires importantes, pour un prix de fonds de commerce de discothèque qui employait 18 salariés, fixé à 100% de son chiffre d’affaires, même si le dirigeant de la société Chak déclare dans son attestation, que la société Chak n’était pas ‘vendeur’ et qu’elle y aurait été incitée par Me [I] [K], ce dont il ne rapporte pas la preuve, sa seule attestation en qualité de représentant d’une partie, étant insuffisante.
Il n’est pas justifié d’un lien de causalité entre cette absence de mention d’une clause résolutoire et le préjudice de perte du fonds évoqué et de règlement de la plus-value, l’acte mentionnant une déchéance du terme du prêt, dès le premier impayé permettant d’engager l’action en résolution sur le fondement de l’article 1184 ancien du code civil et l’action en résolution engagée ayant aboutie malgré le placement en redressement judiciaire, à la restitution du fonds à la société Chak et de l’immeuble à la SCI Ronifa qui ont les mêmes dirigeant et associés.
Comme le retient à juste titre le jugement, la société Chak ne peut se prévaloir du caractère tardif de son action résolutoire, en invoquant d’une part l’absence de clause résolutoire, alors que cette tardiveté lui est imputable et résulte de son choix et d’autre part l’absence de diligence à la suite de la demande de délivrer un commandement par mail du 7 janvier 2013 alors que ce commandement concernait les loyers dus à la SCI Rofina.
Il résulte des pièces, que ce retard lui a permis, au cours du premier semestre 2012, après son mail du 17 janvier 2013, d’obtenir de la société Cap Ô Sud le paiement d’une partie de sa plus-value pour 34 000 euros effectué directement entre les mains du trésor public, tel que la société Chak, le mentionne dans son assignation et qu’elle a déclaré des échéances de crédit vendeur impayées pour 143 000 euros.
C’est à juste titre que le jugement a dit que la société Chak n’était pas fondée à invoquer le manquement au devoir de conseil et d’obligation d’assurer l’efficacité de son acte par Me [I] [K] concernant l’absence de mention d’une clause résolutoire à l’acte et le recours au crédit vendeur, en l’absence de financement bancaire de l’opération.
– Sur l’absence d’inscription du privilège du vendeur
Selon l’article L141-6 du code de commerce l’inscription doit être prise, à peine de nullité, dans les trente jours suivant la date de l’acte de vente. Elle prime toute inscription prise dans le même délai du chef de l’acquéreur ; elle est opposable aux créanciers de l’acquéreur en redressement ou en liquidation judiciaire, ainsi qu’à sa succession bénéficiaire.
Il n’est pas contesté par Me [I] [K], l’absence d’inscription du privilège du vendeur dans le délai légal et comme le retient le jugement, que cette absence d’inscription du privilège du vendeur, pour laquelle la société Chak indique avoir relancé l’avocat dans son courriel du 17 janvier 2013, constitue, une faute de Me [I] [K].
Tel que le retient à juste titre le jugement, la société Chak ne rapporte pas la preuve dont elle a la charge du lien de causalité entre un préjudice de perte de chance de recouvrer le prix de vente du fonds de commerce, un préjudice financier de plus-value et de règlement de la somme de 30 000 euros et de préjudice moral et l’absence d’inscription du privilège par Me [I] [K].
Il résulte de l’examen des pièces produites, que la société Cap Ô Sud a été déclarée en redressement judiciaire pour défaut de paiement d’une créance de l’URSSAF d’un montant de 129 775,41 euros comprenant 47 070,20 euros de part salariale et dans l’assignation en résolution la société Chak signifie son acte à L’URSSAF et au trésor, second créancier inscrit.
La résolution de la vente du fonds ayant été acceptée par le juge commissaire au profit de la société Chack et le contrat de bail ayant été résilié au profit de la société SCI Rofina, la société Chak, ne justifie pas d’un préjudice en lien avec la faute commise alors que:
– le seul actif restant de 30 000 euros représentant le prix du matériel et de la licence, à défaut de démontrer, l’existence d’un autre actif, ne permettait pas, même si le privilège avait été régulièrement inscrit, à la société Chak, de récupérer sa créance, son privilège étant primé ;
-Elle ne peut réclamer une perte de chance correspondant au prix du fonds de commerce qu’elle a récupéré à la suite de la résolution de la vente, ses associés ayant par ailleurs obtenu la restitution par l’intermédiaire de la SCI Rofina, l’immeuble libre de tout bail commercial;
– Si elle a réglé une somme de 30 000 euros de matériel à laquelle elle a volontairement consenti au terme du protocole d’accord conclu entre les parties, il n’est pas justifié la restitution des sommes réglées au titre du crédit vendeur et de la prise en charge partielle de la plus-value ni de la possibilité d’obtenir un règlement privilégié dans la procédure collective;
– Elle ne justifie pas du préjudice moral résultant de cette faute ;
Il n’est produit en cause d’appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’appréciation faite par le jugement qui a constaté l’absence de lien de causalité entre la faute commise par Me [I] [K] et les préjudices évoqués par la société Chak.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Chak de l’ensemble de ses prétentions.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
A titre reconventionnel, Me [I] [K] demande l’infirmation du jugement qui l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Il demande la condamnation de la société Chak à lui régler une somme de 10 000 euros.
L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits ne constitue pas en soi une faute caractérisant un abus du droit d’agir en justice ni une quelconque résistance abusive, en l’absence de justification d’un préjudice spécifique
Me [I] [K] ne démontre pas, en appel, que la présente action ait nui à son image ou lui ait occasionné un préjudice spécifique.
En conséquence, le jugement qui l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Déboute la société Chak de ses demandes ;
Déboute Me [I] [K] de ses autres demandes ;
Condamne la société Chak aux dépens d’appel et à payer à Me [I] [K] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,