Responsabilité de l’Avocat : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/00592

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Responsabilité de l’Avocat : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/00592
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CR/LW

COPIE OFFICIEUSE et

COPIE EXÉCUTOIRE à :

– Me LARTICHAUX

– M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL

CCC à :

– CONSEIL RÉGIONAL DES NOTAIRES

DE LA COUR D’APPEL DE BOURGES

LE : 08 DÉCEMBRE 2022

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 08 DÉCEMBRE 2022

N° – Pages

N° RG 22/00592 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DOVL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire de CHÂTEAUROUX en date du 1er décembre 2020

PARTIES EN CAUSE :

I – Mme [P] [T]-[U]

née le [Date naissance 1] 1971

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Bénédicte LARTICHAUX, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par la SARL Paul YON, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE suivant déclaration du 09/06/2022

II – M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d’appel de BOURGES, domicilié en cette qualité en son bureau

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté à l’audience par M. Franck GRAVIOU, Avocat général

INTIMÉ

En présence du :

– CONSEIL RÉGIONAL DES NOTAIRES DE LA COUR D’APPEL DE BOURGES, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Mme PREVOST, Présidente de la chambre de discipline

INTIMÉ

08 DÉCEMBRE 2022

N° /2

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. WAGUETTE, Président de Chambre chargé du rapport.

L’affaire a été débattue le 20 octobre 2022 hors la présence du public, la Cour étant composée de :

M. WAGUETTE Président de Chambre

M. PERINETTI Conseiller

Mme CIABRINI Conseiller

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

***************

EXPOSÉ DU LITIGE :

Madame [T]-[U] exerce l’activité de notaire à [Localité 6] (36) sous forme de société unipersonnelle, dénommée Selarl [P] [T]-[U] Notaire Associée, constituée par acte authentique reçu le 21 novembre 2006 avec un capital social de 5000 € répartis par mille parts de cinq euros chacune, intégralement attribuées à Madame [T]-[U].

Par acte authentique reçu le 28 novembre 2017 par Me [G], notaire à [Localité 7] (36), Madame [T]-[U] a fait donation à son époux, négociateur immobilier, de 100 parts de cette société, d’une valeur de 70’000 €.

L’étude de la Selarl [P] [T]-[U] a fait l’objet d’une inspection occasionnelle au niveau national selon ordre de mission de monsieur le président du Conseil supérieur du notariat en date du 23 mai 2018. L’inspection s’est déroulée du 30 mai au 1er juin 2018 et a donné lieu à l’établissement d’un rapport en date des 26 juillet, 1er et 2 août 2018.

Au vu des conclusions de ce rapport d’inspection, le procureur de la république de la juridiction de Châteauroux a sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance, par ordonnance du 25 avril 2019, l’autorisation d’assigner à jour fixe madame [T]-[U] devant le tribunal aux fins de sanction disciplinaire.

C’est ainsi que par acte du huissier de justice délivré le 30 avril 2019, le procureur de la république près le tribunal de grande instance de Châteauroux a fait assigner madame [T]-[U] devant ledit tribunal où les parties ont été entendues à l’audience du 7 juillet 2020 en présence de madame la présidente de la chambre de discipline du Conseil régional des notaires la cour d’appel de Bourges.

Par jugement prononcé par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020, le tribunal judiciaire de Châteauroux a statué ainsi :

Condamne Maître [P] [U] épouse [T]-[U] à la sanction disciplinaire de trois mois d’interdiction temporaire pour les faits de :

‘ non-respect des règles liées à l’habilitation des clercs,

‘ défaut de mise à jour du registre des assemblées générales,

‘ non-respect des règles déontologiques en matière de publicité de l’office notarial,

‘ absence de vérification de la situation hypothécaire d’un bien,

‘ violation de l’interdiction de pratiquer des opérations de banque,

‘ non-respect des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux,

‘ absence de publication dans les délais de la modification statutaire du capital social,

‘ non-respect du principe d’indépendance des exercices comptables,

‘ comptabilisation irrégulière en compte courant d’associés,

‘ retraits irréguliers des sommes portées en compte courant d’associé,

‘ comptabilisation en charge de l’office d’une provision équivalant à l’ensemble des comptes débiteurs de la société,

‘ manquement à l’obligation de transférer en compte de dépôts obligatoires les soldes créditeurs non mouvementés depuis trois mois,

‘ absence de mandat de vente permettant la perception d’honoraires de négociation,

‘ paiement du prix de vente d’animaux sans justification par un acte régularisé en l’office,

‘ donation d’une partie du capital de la SELARL à un tiers n’exerçant pas la profession de notaire,

‘ manquement à la probité par comptabilisation irrégulière des frais de déplacement,

‘ situation fiscale contraire à la valorisation de l’image de la profession,

Commet en qualité d’administrateur Monsieur le président de la chambre interdépartementale des notaires de l’Indre et du Cher, ou la personne qu’il déléguera, aux fins de remplacer Maître [P] [U] épouse [T]-[U], en application de l’article 20 de l’ordonnance numéro 45 – 1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels ;

Relaxe Maître [P] [U] épouse [T]-[U] du surplus des faits qui lui sont reprochés.

La décision a été signifiée le 7 décembre à Maître [C] [I], notaire, désignée administrateur provisoire de l’étude de Mme [T]-[U] durant la peine d’interdiction d’exercer qui a été exécutée.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel de Bourges le 9 juin 2022, madame [T]-[U] a interjeté appel de la décision du tribunal judiciaire de Châteauroux.

Les parties ont été convoquées, ainsi que madame la présidente de la chambre de discipline des notaires, à l’audience du 20 octobre 2022 à 10 heures.

Par conclusions du 7 octobre 2022, le ministère public a demandé à la cour de constater l’irrecevabilité de l’appel interjeté soutenant que madame [T]-[U] avait acquiescé au jugement ainsi qu’il en résultait d’un courrier adressé par son conseil le 8 décembre 2020 au président de la chambre interdépartementale des notaires du Cher et de l’Indre. Il faisait en outre valoir que l’acquiescement pouvait se déduire de l’exécution sans réserve du jugement.

Madame [T]-[U], par conclusions remises au greffe le 18 octobre 2022, demandait à la cour :

‘ de juger que l’appel interjeté le 9 juin par Maître [P] [T]-[U] à l’encontre du jugement rendu le 1er décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Châteauroux est recevable ;

‘ de renvoyer le dossier à une audience ultérieure afin que soit examiné sur le fond après échanges des écritures des pièces entre Maître [P] [T]-[U] et le Parquet général.

Elle dénie tout effet au courrier dont se prévaut le ministère public faisant observer que celui-ci émane de l’avocat plaidant lequel n’était pas investi d’un mandat de représentation qui seul confère le pouvoir d’acquiescer au jugement. Elle fait valoir qu’il ne peut être tiré argument, pour caractériser l’acquiescement, de l’exécution de la condamnation prononcée par le jugement entrepris qui était exécutoire par provision et à laquelle elle ne pouvait en conséquence s’opposer.

******************

A l’audience du 20 octobre 2022, après accord des parties pour limiter les débats à la seule question de la recevabilité de l’appel, le ministère public, Mme [T]-[U] et son conseil ont développé oralement leurs conclusions préalablement communiquées.

Madame la présidente de la chambre régionale de discipline des notaires a fait valoir ses observations et Mme [T]-[U] et son conseil ont eu la parole en dernier.

SUR CE :

Aux termes des dispositions de l’article 36 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, applicable à l’espèce, le délai d’appel à l’encontre des décisions rendues en matière disciplinaire est d’un mois réduit à quinze jours en ce qui concerne les décisions rendues en matière de suspension provisoire.

Ce délai court, à l’égard de l’officier public ou ministériel, du jour de la décision quand celle-ci est rendue en présence de l’intéressé ou de son défenseur, dans le cas contraire il court du jour de la notification qui en est faite.

Le jugement entrepris ayant été prononcé par mise à disposition au greffe, comme il le précise, le délai d’appel ne pouvait donc courir à l’égard de Mme [T]-[U] qu’à compter du jour de la signification du jugement à celle-ci.

Il n’est ni soutenu ni contesté que la décision du 1er décembre 2020 n’a pas été signifiée à Mme [T]-[U] ce dont il s’évince que le délai d’appel n’avait pas commencé à courir lorsqu’elle a formé sa déclaration d’appel le 9 juin 2022.

L’appel n’est donc pas tardif.

Le ministère public soutient cependant que l’appel ne serait pas recevable dès lors que, préalablement, Mme [T]-[U] a acquiescé au jugement.

Aux termes des dispositions des articles 409 et 410 du code de procédure civile, l’acquiescement au jugement est toujours admis, sauf disposition contraire, et emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours.

Il peut être exprès ou implicite et l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement hors les cas où celui-ci n’est pas permis.

Il est constant que la sanction disciplinaire infligée à l’appelante par le jugement entrepris, à savoir une interdiction temporaire d’exercer de trois mois, a été exécutée immédiatement après que la décision a été rendue.

Toutefois, le jugement querellé ayant été rendu contradictoirement, il était exécutoire par provision sur minute par application des dispositions de l’article 18 du décret du 28 décembre 1973 et, en conséquence, son exécution par Mme [T]-[U] ne saurait valoir acquiescement conformément aux dispositions de l’article 410 précité.

Néanmoins, le ministère public se prévaut d’un courrier daté du 8 décembre 2020, adressé par Maître [J] [Y], avocat de Mme [T]-[U], au président de la chambre interdépartementale des notaires du Cher et de l’Indre, dont il déduit que l’appelante a définitivement et régulièrement acquiescé au jugement.

Il est certain que les termes employés dans ce courrier ne souffrent d’aucune ambiguïté en ce qu’il y est mentionné : ‘Je reviens vers vous dans le cadre de cette affaire comme suite à mes correspondances du 2 décembre 2020, Maître [P] [T]-[U] ayant accepter de déférer à la décision du 1er décembre 2020 vous désignant comme administrateur provisoire de son étude.

J’ai bien noté que pour remplacer ma cliente temporairement interdite vous avez commis le 2 décembre 2020 par délégation à l’exécution de votre mission Maître [C] [I] et que celle-ci a pris ses fonction le 3 décembre 2020 afin d’assurer la permanence du service notarial ;

Maître [P] [T]-[U] vous remercie de ce choix.

Je vous confirme son acquiescement exprès et sans équivoque au jugement exécutoire par provision rendu par le tribunal judiciaire de Châteauroux le 1er décembre 2020, elle n’interjettera pas appel de cette décision.’

Cependant ces termes émanent du conseil de Mme [T]-[U] à qui elle dénie le pouvoir d’acquiescer au jugement soutenant même, à l’audience, n’avoir jamais eu connaissance de la décision et n’avoir pas été informée des démarches de son avocat.

Si l’avocat qui a reçu un mandat de représentation en justice tient des articles 416 et 417 du code de procédure civile une dispense générale d’avoir à justifier, à l’égard du juge et de la partie adverse, d’un pouvoir spécial d’acquiescer au jugement qui est présumé, ces dispositions ne concernent toutefois que l’avocat bénéficiaire d’un mandat de représentation (ad litem).

L’article 15 du décret du 28 décembre 1973 qui prévoit les modalités de la comparution de l’officier ministériel devant le tribunal judiciaire statuant disciplinairement exclut toute représentation du notaire lequel doit comparaître en personne et peut uniquement se faire assister d’un avocat, ce qui est l’hypothèse en l’espèce puisque Mme [T]-[U] était présente et assistée de son conseil devant le tribunal judiciaire de Châteauroux.

Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant le tribunal statuant disciplinairement et ainsi il n’y a pas lieu de distinguer entre avocat plaidant et avocat postulant, aucune postulation n’étant obligatoire dans ces conditions, même si elle est fréquente pour des raisons pratiques notamment lorsque le conseil choisi est géographiquement éloigné du siège de la juridiction saisie.

Pour autant, bien que dépourvu d’un mandat de représentation faisant présumer le pouvoir d’acquiescer au jugement, Me [Y] pouvait cependant y procéder au nom de sa cliente qui était en droit de lui confier un pouvoir spécial à cette fin.

L’examen du courrier adressé par Me [Y] au président de la chambre interdépartementale des notaires du Cher et de l’Indre le 8 décembre 2020, soit 7 jours seulement après la décision de condamnation, démontre de manière certaine que Mme [T]-[U], contrairement à ce qu’elle affirme et quand bien même la décision ne lui avait pas été notifiée, avait parfaitement connaissance du jugement rendu puisque son conseil formulait en son nom diverses demandes relatives au déroulement de l’administration de son étude durant la période d’interdiction d’exercice mise en oeuvre immédiatement.

Me [Y] sollicite ainsi la copie de l’arrêté des comptes de l’étude à la date d’entrée en fonction du notaire désigné administrateur provisoire et précise : ‘elle ( Mme [T]-[U]) m’indique que vous aviez confié cette tache à FIDUCIAL en relation avec le cabinet AUDIT COMPTABLE TOURS [….] Avec votre autorisation, ma cliente souhaiterait recevoir tous les mois une copie du tableau de bord à la date du dernier jour ouvré […] Enfin, je vous précise, si vous n’y voyez pas d’inconvénient que Monsieur [R] [T], négociateur salarié de l’étude d'[Localité 6] poursuivra son travail au sein de l’office ; il doit remettre à Maître [C] [I] trois (3) nouveaux dossiers de vente négociés par lui pour lesquels il faut établir des promesses de vente.

Afin d’assurer sa tâche, il me paraît normal qu’il conserve son véhicule de fonction ainsi que son téléphone professionnel [….] Maître [P] [T]-[U] m’informe qu’un prélèvement de 2.000 € par débit du compte CDC de la SELARL a dû être réalisé automatiquement en date du 4 décembre 2020 […] Je vous remercie de bien vouloir me fixer sur l’ensemble de ces points relatifs à la gestion de l’office de ma cliente.’

Ces éléments démontrent nécessairement que Mme [T]-[U] et son conseil ont échangé immédiatement après le prononcé de la décision et que celle-ci l’avait chargé de transmettre au président de la chambre des notaires des revendications provenant de sa seule initiative et certainement pas de celle de son conseil qui n’aurait pu les formuler spontanément.

De même lorsque M. [Y] écrit en débutant son courrier au président de la chambre des notaires que Me [T]-[U] a accepté de déférer à la décision du 1er décembre 2020 le désignant comme administrateur de son étude et qu’elle le remercie du choix de Maître [C] [I], qui a été commise le 2 décembre par délégation pour débuter ses fonctions le 3 décembre 2020 afin d’assurer la permanence du service notarial, il est patent que l’avocat, sauf à voir engager sa responsabilité professionnelle, est missionné par sa cliente et l’est tout autant lorsqu’il poursuit en indiquant confirmer son acquiescement exprès et sans équivoque au jugement rendu, renonçant à en interjeter appel. En tout état de cause, l’acte effectué en dehors d’un pouvoir spécial est valable à l’égard des parties, mais engage, le cas échéant, la responsabilité de l’avocat à l’égard de son client. Le dépassement par l’avocat de ses pouvoirs est de nature à engager sa responsabilité non seulement sur le plan civil, mais aussi sur le plan disciplinaire.

Enfin et, surabondamment, comment expliquer que si Mme [T]-[U] n’avait pas entendu acquiescer au jugement comme elle le prétend, elle ait attendu plus de18mois avant d’en interjeter appel…

Il s’évince de ce qui précède que l’acquiescement exprès au jugement entrepris, manifesté de manière parfaitement claire, précise et sans aucune réserve par le courrier du 8 décembre 2020, adressé par le conseil de Mme [T]-[U], mandaté pour ce faire, rend irrecevable l’appel interjeté auquel elle avait définitivement renoncé, ce que la cour dira, constatant subséquemment l’extinction de l’instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Dit que Mme [P] [T]-[U] a expressément acquiescé au jugement rendu par le tribunal judiciaire de Châteauroux le 1er décembre 2020 et renoncé ainsi aux voies de recours,

Déclare, en conséquence, irrecevable l’appel interjeté, selon déclaration du 9 juin 2022, par Mme [P] [T]-[U] à l’encontre du dit jugement auquel elle a acquiescé,

Constate l’extinction subséquente de la présente instance d’appel,

Dit n’y avoir lieu à perception de frais.

L’arrêt a été signé par M.WAGUETTE, Président et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

S. MAGIS L. WAGUETTE

 


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