Votre panier est actuellement vide !
1ère Chambre
ARRÊT N°39/2023
N° RG 21/04182 – N° Portalis DBVL-V-B7F-R2AN
M. [K] [Y]
C/
Mme [O] [I] [E] [X] [B] épouse [R]
S.E.L.A.S. ERNST & YOUNG SOCIETE D’AVOCATS
Société PWC SOCIETE D’AVOCATS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 FÉVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 27 septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [K] [Y]
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 9] (50)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représenté par Me Hélène LAUDIC-BARON de la SELARL LBP AVOCAT, postulant, avocat du barreau de RENNES
Représenté par Me Fabrice BERNARD de la SCP BERNARD-TULEFF et par Me France LEVASSEUR, plaidants, avocats au barreau de CAEN
INTIMÉES :
Madame [O] [B] épouse [R]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 12] (50)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
prise en sa qualité d’unique héritière de M. [K] [R], Avocat, décédé le [Date décès 4] 2016 à [Localité 16]
Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES
La société ERNST & YOUNG SOCIETE D’AVOCATS, SELAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n°448683789, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Daphné BES de BERC de L’AARPI BGB Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
La société PWC SOCIETE D’AVOCATS, SELAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le n°712019801 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
Représentée par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant actes sous seing privé des 9 et 12 février 2007 puis des 19 et 20 mars 2007 rédigés par Me Christian Pitron, avocat alors associé au sein de la société d’avocats Landwell & Associés devenue Selas PWC société d’Avocats, M.'[K] [Y] a consenti à la société Danan, société holding contrôlée et dirigée par sa s’ur et son beau-frère, M. et Mme'[H] et [D] [N], deux prêts (anticipant un emprunt obligataire à établir) respectivement de 2’000’000 et de 3’000’000 d’euros, remboursables au plus tard le’3l décembre 2012, des intérêts étant servis annuellement au 31 décembre de chaque année sur la base d’un taux d’intérêt de 5’% l’an, ces prêts ayant pour finalité de permettre à l’emprunteur de souscrire à une augmentation de capital, du même montant, de sa filiale, la société Groupe Electropoli (ce pour que celle-ci souscrive à son tour au capital d’une nouvelle société, Electropoli Europe).
Face aux importantes difficultés financières qu’ont connu les sociétés Electropoli et Danan, un avenant (n° 1), également préparé par Me [R] et signé les 23 et 24 mai 2009, a modifié le taux d’intérêt stipulé qui était réduit au taux Euribor majoré de 1,25 % et reporté le payement des intérêts à l’échéance du prêt. Enfin, suivant deux nouveaux actes (avenant n° 3 et acte de cession de créances), signés le 8’décembre 2011, toujours préparés par Me [R], lequel était alors avocat associé, depuis le 3 octobre 2011, au sein de la Selas Ernst & Young, M. [Y] a cédé sa créance sur la société Danan à M. [H] [N], moyennant la somme de 4’950’000 d’euros (après que la société Danan eût remboursé le 2 novembre 2010 ‘ avenant n° 2 ‘ une somme de 50’000 euros) payable au moyen d’un crédit vendeur sans intérêt et a renoncé aux intérêts dus par la société Danan et impayés pour une somme de plus d’un million d’euros, sauf retour à meilleure fortune.
Le 31 mai 2012, les époux [N] ont remboursé, ainsi qu’il avait été convenu, à M. [Y] une somme de 300’000 euros.
La société Danan a cédé le 3 décembre 2013 à la société Groupe Electropoli pour la somme de 1’euro symbolique puis a été placée en liquidation judiciaire.
En avril 2014, M. et Mme [P] [Y], parents de [K] [Y] et de [D] [Y] épouse [N], ont confié à la société Ernst & Young société d’Avocats, une mission de médiation portant sur les modalités de remboursement à leur fils du solde de la dette des époux [N]. Cette mission a été conduite sous l’égide de Me [R] (parti en retraite le 1er juillet 2014 mais qui a continué d’intervenir postérieurement en tant qu’external contractor) et de Me Geneviève Beucherie, avocate directrice associée. Un compte rendu des négociations a été transmis par l’avocat le 1er juin 2015, les parties étant invitées à remettre «’ce document à leur notaire et à leur avocat pour que les transactions et accords définitifs puissent être formalisés par actes notariés’».
Au vu de ce compte rendu, les parties ont signé ([K] [Y] / époux [N] / époux [P] [Y]) les 29 juillet et 14 novembre 2015 un acte sous seing privé rédigé par [K] [Y] mais qui n’a pas été exécuté.
Ce dernier a bien saisi, en 2016, le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse pour en obtenir l’exécution, mais sa demande a été rejetée par jugement du 11 avril 2019 (confirmé par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 2 février 2021), après le décès de [D] [N], événement qui en a rendu l’exécution impossible puisque ce protocole était notamment fondé sur un projet de donation, au demeurant nul, des parents [Y] à son profit.
Entre temps, M. [Y] a fait assigner, par acte des 6 et 7 décembre 2016, Me [K] [R], lequel est décédé le [Date décès 4] 2016 et aux droits duquel se trouve Mme [O] [B] sa veuve, et les deux sociétés PWC Société d’Avocats et Ernst & Young Société d’Avocats au sein desquelles celui-ci avait exercé sa profession, devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Rennes qui, par jugement en date du 10’mai 2021, a notamment :
– rejeté les moyens tirés du défaut d’intérêt à agir ou de la prescription,
– déclaré que Me [R] ès qualités d’avocat et associé de la société PWC avait manqué à ses obligations de conseil à l’égard de M. [Y],
– condamné Mme [R] ayant droit de Me [R] in solidum avec la société PWC à verser à M. [Y] la somme de 150’000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 8’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que la société Ernst & Young n’était pas responsable du dommage subi par M. [Y],
– condamné Mme [R] ayant droit de Me [R] in solidum avec la société PWC aux entiers dépens et accordé à Me Laudic Baron le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 6 juillet 2021, M. [K] [Y] a interjeté appel de cette décision. Ce recours est expressément limité aux chefs de jugement suivants :
– déclaré que la société Ernst & Young (et implicitement Me [R], du temps de son exercice professionnel au sein de cette structure) n’est pas responsable du dommage subi par M.'[Y],
– débouté en conséquence M. [Y] de ses demandes dirigées à l’encontre de la société Ernst & Young et de Mme [R] en sa qualité d’ayant droit de feu Me [R],
limité la responsabilité de Me [R] et de la société PWC,
– réduit le préjudice subi par M. [Y] à la perte de droits à intérêts, en la nécessité d’avancer des frais d’inscriptions d’hypothèques et dans le fait d’avoir supporté le report d’un paiement prévu en 2012 et qui ne pourra se réaliser qu’à partir de 2023,
– liquidé subséquemment le montant de l’indemnisation allouée de ce chef à M. [Y] à la somme de 150’000 euros,
– débouté implicitement M. [Y] de ses autres demandes tant principales que subsidiaires.
Aux termes de ses dernières écritures (14 septembre 2022), M. [K] [Y] demande à la cour de :
– réformer le jugement dont appel,
– constater les manquements commis par Me [R] ès nom et ès qualités d’associé de la société Ernst & Young et de la société PWC dans l’exercice de la profession d’avocat en sa qualité de conseil et rédacteur unique des actes successifs qu’il a signés entre 2007 et 2011, et plus précisément sur l’acte du 8 décembre 2011, outre les manquements commis dans sa mission de médiation et de rédaction du protocole d’accord,
– consacrer la responsabilité de Me [R], de la société Ernst & Young et de la société PWC,
– condamner Mme [R], ayant droit de feu Me [R], la société Ernst & Young et la société PWC, in solidum, à lui payer les sommes de :
‘ 43’709,14 euros (39’680,42 + 146,72 + 3’882) au titre des frais d’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire, de dénonciation, et de renouvellement des frais d’inscriptions d’hypothèque judiciaire provisoire et de dénonciation,
‘ 28’704 euros au titre de la facturation des solutions patrimoniales réglées en pure perte,
‘ 1’015’503 euros au 31 décembre 2011 au titre des intérêts directement perdus par l’effet de l’inefficacité des conventions de prêts initiales,
‘ 4’650’000 euros correspondant à la perte du solde de sa créance en principal,
‘ 1’550’689 euros à titre provisionnel au titre de la perte de chance de se procurer des intérêts sur les sommes prêtées, autrement mobilisées, majorées des intérêts légaux à courir à compter de l’assignation jusqu’à parfait paiement,
à titre subsidiaire :
– surseoir à statuer sur le préjudice de perte du capital prêté dans l’attente d’une décision définitive et le cas échéant, exécutée à l’encontre de M. [N] afin de déterminer, le cas échéant la persistance de sommes non recouvrées et impossibles à recouvrer qui correspondrait ici au préjudice effectivement subi imputable à l’avocat,
en tout état de cause :
– rejeter les moyens, fins et conclusions de Mme [R], ayant droit de feu Me [R], la société Ernst & Young et la société PWC et les dire mal fondés,
– rejeter en conséquence leur appel incident et l’intégralité de leurs demandes,
– condamner Mme [R], ayant droit de feu Me [R], la société Ernst & Young et la société PWC, in solidum, au paiement de la somme de 20’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [R], ayant droit de feu Me [R], société Ernst & Young et la société PWC, in solidum aux dépens et faire application au profit de la société LBP, avocat, représentée par Me Hélène Laudic-Baron, Avocat qui a fait la demande, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement rendu en ses dispositions non contraires au présent dispositif.
M. [K] [Y] rappelle que [K] [R] était l’avocat historique de la famille, intervenu notamment lors de la cession de l’entreprise familiale en 2006 et que c’est dans ce contexte qu’il l’a saisi d’une mission de conseil pour placer au mieux les fonds lui revenant. Il ajoute que Me [R] était également l’avocat de sa s’ur et de son beau- frère, les époux [N], qui étaient alors à la recherche de fonds pour restructurer l’une des entreprises de leur groupe et que c’est par son intermédiaire que ces derniers lui ont demandé de prêter à la société Danan dont ils étaient les associés et dirigeants une somme de 5’000’000 euros.
Il souligne la position ambiguë dans laquelle se trouvait l’avocat et la parfaite connaissance qu’il avait de la situation et des objectifs de chacun. Il ajoute que c’est sur son incitation qu’il a consenti à cette société les deux prêts litigieux qui lui étaient présentés comme non risqués et rémunérateurs, ce sans qu’aucune sûreté ou garantie n’ait été stipulée. Il relève que l’avocat n’a pas réagi au défaut de règlement à échéance des intérêts puis lui a conseillé, en mai 2009, de consentir à de nouvelles concessions sans davantage de sûreté ni garantie puis, en décembre 2011, à un abandon total des intérêts échus (1’115’503 euros) contre une substitution de débiteurs sans intérêt et sans autre terme que 2023 ne soit stipulée.
Il rappelle qu’en 2014, son père a saisi Me [R] pour mettre en place un protocole transactionnel aux fins de solder la dette des époux [N], mission que la société Ernst & Young a refusé de conduire à son terme, le contraignant à rédiger lui même le protocole liant les parties, protocole qu’il a transmis à l’avocat sans réaction de sa part. Il relate enfin l’issue (nullité du protocole) de la procédure judiciaire qu’il a entreprise devant le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse pour en obtenir l’exécution.
Préliminairement, il fait valoir, contrairement à ce qui est prétendu, qu’il n’était nullement administrateur de la société Electropoli au moment où les prêts ont été consentis, ayant quitté cette société deux ans auparavant et conteste formellement l’intention libérale que lui prêtent ses adversaires. Il ajoute que le rédacteur d’un acte, qu’il soit avocat ou notaire, a une obligation particulière d’information et de conseil (dont la preuve lui incombe), que ce dernier doit être d’autant plus vigilant lorsqu’il intervient pour les deux parties, a fortiori, comme en l’espèce, dans un contexte familial. Il met, à cet égard, en évidence le rôle joué par Me [R] qui n’a pas hésité à démarcher sa propre clientèle ([A], Sifibrie, Jefac, Samsic) pour venir en aide aux époux [N]. Il conteste donc toute idée de sauvetage familial et plus précisément le rôle qu’aurait joué, dans la conclusion des prêts, M. [P] [Y], lequel n’a été informé de leur existence qu’en 2014.
Il soutient que Me [R] avait un intérêt personnel à la conclusion des dits prêts et n’a donc pas agi comme un simple rédacteur d’acte mais avant tout en tant que conseil de sa s’ur et de son beau-frère.
Il prétend que ce faisant, ce dernier a commis des fautes dans l’exercice de ses fonctions d’assistance et de conseil caractérisées par’:
– un manquement aux règles déontologiques relatives à la prévention des conflits d’intérêt, prodiguant, en violation des dispositions des articles 7 du décret du 12 juillet 2005 et 4.2 du RIN, des conseils aux deux parties alors qu’elles étaient ses clientes et que leurs intérêts étaient, par nature, antagonistes. Il estime que Me [R] aurait dû se déporter ou a minima solliciter leur accord exprès, l’existence de liens familiaux n’étant pas de nature à le décharger de son obligation. Il ajoute que Me [R] ne l’a pas utilement conseillé, omettant de prévoir la moindre garantie et avantageant ainsi les époux [N]. Il relève que l’avocat a persisté dans son attitude aussi bien lors de la conclusions des avenants, notamment celui de 2011, qui n’est assorti d’aucun délai ni d’aucune contrainte, que lors de la mission de médiation que lui a confiée M. [P] [Y] et qu’il a acceptée,
– des manquements à son obligation d’information et à son devoir de conseil en ne l’informant pas du risque que faisait peser sur lui la signature d’une convention de prêt non assortie d’une quelconque sûreté ou garantie, l’avocat n’ayant pas envisagé une défaillance de l’emprunteur, et cela même après que la société Danan ait rencontré des difficultés de remboursement et détourné les fonds de leur objet initial ce dont Me [R] était informé pour y avoir concouru, ayant alors fait signer aux parties des conventions très avantageuses pour les consorts [N] et que la formule «’sauf retour à meilleure fortune’» stipulée à l’occasion de l’abandon des intérêts ne compense nullement, s’agissant d’une clause de pure forme. Il rappelle, à cet égard, que l’avocat ‘ sur lequel pèse la charge de la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations ‘ est tenu d’expliquer à son client la portée de son engagement et doit lui déconseiller de participer à toute opération contraire à ses intérêts. Il estime que la faute de l’avocat est, en l’espèce, caractérisée et que ce dernier a, de ce fait, engagé sa responsabilité et celle de ses structures d’exercice successives à son égard,
– des manquements à son obligation de résultat d’assurer l’efficacité des actes qu’il a rédigés ou conçus, obligation prévue à l’article 9 du décret du 12 juillet 2005. Il relève, à cet égard, que l’acte de cession de créance de 2011 comporte des conditions purement potestatives n’assortissant d’aucune obligation l’engagement des époux [N] de mettre en vente leurs biens immobiliers, la date butoir évoquée, pour le chalet de [Localité 13] Montana (Suisse) «’au plus tard à partir de 2023’» étant confuse. Il observe, s’agissant de la médiation, que Me'[R] et la société Ernst & Young ont pré-rédigé un projet dépourvu de toute efficacité comme l’a relevé la cour d’appel de Lyon qui a considéré que la promesse de donation qu’il comporte était nulle et que cette nullité emportait celle de la totalité de l’acte, les clauses y figurant étant indivisibles. Il rappelle, à cet égard, que l’acte rédigé à partir du compte rendu établi par l’avocat et dont il a été destinataire n’a fait l’objet d’aucune réserve de sa part alors qu’il aurait dû être plus précis, être établi en la forme authentique et devait comporter a minima une reconnaissance de dette. Il ajoute qu’en tout état de cause, Me [R] et la société Ernst & Young ont manqué à leur devoir de conseil en s’abstenant de prodiguer les conseils nécessaires au parachèvement du protocole, strictement conforme au compte rendu, qui lui était transmis.
S’agissant du lien de causalité et des préjudices qu’il subit, M. [Y] conteste l’analyse du tribunal rappelant que ce lien ne doit s’apprécier qu’au moment de la commission de la faute à l’origine du préjudice. Il indique que les circonstances postérieures à la faute et au dommage (en l’occurrence les inscriptions d’hypothèques judiciaires, au demeurant privées d’effet, et le projet de donation consentie par M. [Y] père à sa fille en avancement d’hoirie pour permettre aux époux [N] d’honorer leur dette) ne peuvent être pris en considération. Il ajoute que ses choix procéduraux sont indifférents, la responsabilité des professionnels du droit ne présentant pas un caractère subsidiaire. Au vu de ces éléments, il demande à ce que ses préjudices soient intégralement réparés.
Quant aux préjudices eux-mêmes, il fait valoir que les manquements répétés à l’obligation de conseil et d’information de Me [R] sont à l’origine d’un dommage financier considérable. Il rappelle ainsi avoir subi la perte des intérêts stipulés (1’115’503 euros), avoir été contraint d’exposer des frais (inscriptions d’hypothèque judiciaire provisoire (43’709,14 euros), études de solutions patrimoniales (28 704 euros réglés à Me [R]) et finalement d’avoir perdu le solde de sa créance en principal, soit une somme de 4’650’000 euros.
Il soutient également avoir subi une perte de chance car du fait des manquements de Me'[R], il n’a pu récupérer les sommes prêtées, les placer et en retirer les fruits. Il estime, à cet égard, qu’il aurait pu percevoir annuellement jusqu’en 2018 une somme globale de 2’851’324 euros sauf à déduire les intérêts sollicités par ailleurs et estime sa perte de chance à 90%.
Aux termes de ses dernières conclusions (29 août 2022), la société PWC société d’Avocats forme un appel incident et demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
– déclarer irrecevable comme prescrite la demande de M. [Y] tendant à obtenir le règlement des intérêts à hauteur de 1’015’503 euros,
– juger que M. [Y] ne peut se prévaloir d’aucune faute précise et caractérisée qu’elle aurait commise dans le cadre du mandat donné, reçu et accepté,
– juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice né, certain et actuel caractérisant une perte de chance indemnisable,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un lien de causalité direct et exclusif entre la faute invoquée et le préjudice allégué,
en conséquence :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 10 mai 2021,
– débouter M. [Y] de toutes ses demandes formées à son encontre,
très subsidiairement :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes rendu le 10 mai 2021 en ce qu’il a fixé à la somme de 150’000 euros le montant des dommages et intérêts alloués à M. [Y],
reconventionnellement :
– condamner M. [Y] au paiement d’une somme de 15’000 euros au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire,
– condamner M. [Y] aux entiers dépens de l’instance sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner M. [Y] au paiement d’une somme de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société PWC société d’Avocats rappelle, en premier lieu, que les seuls manquements qui lui sont reprochés concernent les actes des 9 et 12 février 2007 et 19 et 20 mars 2007, l’avenant n°1 des 23 et 24 mai 2009 et l’avenant n°2 du 2 novembre 2010 et soutient que la demande en ce qu’elle porte sur les intérêts est prescrite, l’action ayant été introduite les 6 et 7 décembre 2016 alors que M. [Y] avait eu connaissance au plus tard en mai 2009 de ce que les intérêts n’étaient pas payés et non à compter du 8’décembre 2011 comme prétendu.
Elle conteste toute faute et rappelle, en second lieu, les liens familiaux unissant les parties et l’absence de tout élément justifiant d’un conflit d’intérêt. Elle ajoute, à cet égard, que l’interdiction faite à un avocat de représenter deux parties en situation de conflit d’intérêt relève de la déontologie et n’est pas un manquement contractuel.
S’agissant du manquement prétendu de Me [R] à son obligation d’information et de conseil, elle soutient que ce dernier n’est intervenu que comme rédacteur d’un acte chargé de mettre en forme les conditions dans lesquelles M. [Y] a librement choisi de prêter de l’argent à sa s’ur et à son beau-frère. Elle affirme que Me [R] a respecté les instructions qui lui ont été données et que c’est en toute connaissance de cause que M. [Y] a régularisé les actes de prêts, puis les avenants et qu’il a renoncé à la perception des intérêts. Elle ajoute que l’abandon des intérêts s’est fait en contrepartie de la cession de créance qui s’est opérée parallèlement. Elle explique également l’absence de garanties et le renoncement aux intérêts par le contexte familial entourant ces prêts ce que tous les actes rappellent expressément. Elle prétend que M. [Y] était parfaitement au courant des risques de l’opération, les deux contrats de prêts prévoyant expressément que les fonds n’étaient pas exclusivement destinés à la constitution de la société Electropoli Europe, mais avaient vocation à être mis à disposition des sociétés du groupe. Elle rappelle, de surcroît, qu’il était administrateur du groupe de sorte qu’il connaissait sa situation financière difficile, situation que les contrats rappelaient. Enfin, s’agissant du protocole régularisé le 14 novembre 2015, elle précise qu’il l’a été par les parties elles-mêmes, hors la présence et la volonté de Me [R] lequel avait expressément indiqué la nécessité de le formaliser par acte authentique, renvoyant les parties devant leurs avocats et leurs notaires.
Sur le lien de causalité, la société PWC soutient que l’affaire résulte du refus des époux [N] d’exécuter leurs obligations contractuelles malgré leur solvabilité ce qui ne peut être imputé aux anciens conseils de M. [Y]. Elle ajoute que la décision de demander (ou non) des garanties à sa s’ur et à son beau-frère revenait au seul prêteur qui n’en a pas souhaité et qui subit donc aujourd’hui les conséquences dommageables de sa négligence. Elle indique qu’il en va de même du défaut de perception des intérêts durant cinq années. Elle affirme donc que M. [Y] a participé seul à la constitution du dommage.
Enfin et quant aux préjudices, elle prétend tout d’abord, sur la perte de chance d’obtenir le solde de sa créance en principal, que M. [Y] n’aurait pas eu plus de succès avec un autre conseil car il n’est pas établi qu’il aurait accepté de prendre des garanties et que celles-ci auraient été efficientes. Elle ajoute qu’une fois la créance cédée aux époux [N], M. [Y] a pu prendre les seules garanties pertinentes à savoir des hypothèques sur leurs biens. Elle relève que d’ailleurs, M.'[Y] a fait assigner en décembre 2021 M.'[N] devant le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse pour la mise en vente de plusieurs biens immobiliers et l’affectation de leurs prix de vente au payement de sa créance, ce qui démontre qu’il peut obtenir le solde de celle-ci.
Sur la perte des intérêts, elle fait valoir que M. [Y] y a volontairement et en connaissance de cause consenti. En toute hypothèse, elle conteste le décompte produit et s’associe à l’argumentation de la société Ernst & Young.
Elle soutient enfin que les frais liés aux hypothèques judiciaires et que la facturation réglée au titre d’études de solutions patrimoniales ne constituent pas un préjudice car les premiers ont été exposés pour constituer des garanties et que la demande relative aux seconds est irrecevable puisque nouvelle en cause d’appel.
Elle estime que M. [Y] ne pouvait pas ignorer le caractère injustifié de sa demande et souligne le caractère blâmable de cette procédure qu’elle qualifie d’abusive. Elle sollicite, en conséquence, réparation de cet abus.
Aux termes de ces dernières écritures (4 janvier 2022), la société Ernst & Young société d’Avocats forme un appel incident et demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident et ses demandes,
en conséquence :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [K] [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté le moyen tiré de la prescription,
statuant à nouveau à cet égard :
– déclarer M. [Y] irrecevable en sa demande de paiement des intérêts sur les sommes prêtées et d’indemnisation de la perte de chance de faire fructifier son capital,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre du caractère abusif de la présente action,
statuant à nouveau à cet égard :
– condamner M. [Y] à lui verser la somme de 25’000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau à cet égard :
– condamner M. [K] [Y] à lui verser la somme de 15’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile relativement à la première instance,
en tout état de cause :
– déclarer M. [Y] irrecevable en sa demande nouvelle de remboursement de la somme de 28’704 euros,
– débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre,
à titre subsidiaire, si, par impossible, sa responsabilité était retenue :
– surseoir à statuer sur le préjudice de perte du capital prêté dans l’attente d’une décision définitive à l’encontre de M. [N] afin de déterminer, le cas échéant, la persistance de sommes irrecouvrables,
– condamner M. [Y] à lui verser la somme de 25’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile relativement à l’appel,
– condamner M. [Y] aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de la société Lexavoué [Localité 16] Angers dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Ernst & Young rappelle que c’est M. [Y] et non Me [R] qui a proposé de prêter une somme de 5’000’000 euros à la société Danan pour restructurer la société Groupe Electropoli dont il était parfaitement informé des difficultés financières pour en avoir été l’un des administrateurs.
Elle fait tout d’abord valoir que l’action de M. [Y] est partiellement prescrite. Elle considère en effet que les demandes tendant au paiement des intérêts initialement convenus et à l’indemnisation de la perte de chance subséquente de voir fructifier son capital sont prescrites puisque le point de départ doit être fixé au jour de la conclusion des actes dont il est soutenu qu’ils sont dépourvus d’efficacité et non au jour de l’acte où il a renoncé à en poursuivre le recouvrement, comme l’a retenu à tort le tribunal.
En tout état de cause, elle soutient que l’action n’est pas fondée, aucune faute n’étant démontrée.
Elle relève, en premier lieu, que les règles déontologiques relatives à la prévention des conflits d’intérêts n’interdisent nullement à l’avocat d’être le rédacteur unique d’un acte (hypothèse expressément prévue par l’article 7 du RIN), M. [Y] étant informé de ce que Me [R] travaillait également pour les époux [N].
En second lieu, elle rappelle ne pas être concernée par les fautes reprochées à l’occasion de la rédaction des actes de prêt de février et mars 2007 et des avenants de mai 2009 et novembre 2010, Me [R] étant alors associé de la Selas PWC. Elle relève que M. [Y] était au courant de la défaillance de sa débitrice, la société Danan. Elle observe quant à ces actes que les négociations sont intervenues directement entre les parties sans que Me [R] ne soit sollicité ce qui exclut que le moindre reproche sur un hypothétique manquement à son obligation d’information et de conseil puisse lui être fait.
S’agissant, en troisième lieu, des demandes afférentes à l’avenant n°3 et à l’acte de cession de créance du 8 décembre 2011, elle soutient que sa responsabilité ne peut être engagée car aucun manquement de Me [R] à son obligation d’information et de conseil en sa qualité de rédacteur de ces actes n’est démontré, eu égard au contexte familial du dossier et en raison des délais qui ont été stipulés.
Sur la mission de médiation, elle affirme avoir parfaitement respecté les termes de celle-ci, précisant les diligences qu’elle a accomplies et conteste toute responsabilité à cet égard. Elle rappelle enfin, s’agissant de la rédaction du protocole des 29 juillet et 14 novembre 2015 que Me'[R] n’en est pas l’auteur et n’a pas non plus recueilli les signatures des parties, mais avait attiré l’attention de celles-ci sur la nécessité d’établir devant notaire un acte authentique.
Elle fait valoir qu’aucun préjudice certain découlant des manquements qui lui sont imputés n’est démontré. Elle relève, s’agissant de la perte des intérêts, que M. [Y] y a volontairement renoncé et est donc mal fondé à se prévaloir d’un quelconque préjudice à ce titre. Elle observe que le tableau de simulation des intérêts qu’il a dressé ne suffit, en tout état de cause, à l’établir. Elle observe quant à l’irrécouvrabilité prétendue du principal, que l’appelant pouvait agir en justice contre les époux [N] ce qui rend le préjudice allégué incertain et rappelle que la créance est garantie par des hypothèques judiciaires inscrites sur les immeubles du débiteur. Aussi, elle estime que seule la perte de chance de recouvrer sa créance du fait du manquement de l’avocat à ses obligations pourrait être indemnisée. Enfin, elle conteste devoir indemniser M. [Y] du coût des garanties qu’il a prises à ses risques et péril et précise que s’il a été débouté de ses demandes contre les débiteurs par la cour d’appel de Lyon, c’est parce qu’il s’était fondé sur le seul protocole.
Elle soulève l’irrecevabilité de la demande au titre des études de solutions patrimoniales présentée pour la première fois en cause d’appel.
Elle conteste enfin l’existence d’un quelconque lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice dont il est fait état, les actes en cause ayant été négociés directement entre les parties et voulus par eux, l’absence de garantie résultant des liens familiaux unissant les parties.
Elle estime l’action de M. [Y] abusive car prescrite pour partie et liée à un litige familial dans lequel il n’appartenait pas à l’avocat de s’immiscer. Elle sollicite, de ce chef, réparation de son préjudice qu’elle estime à la somme de 25’000 euros.
Aux termes de ses dernières conclusions (8 juillet 2022), Mme [O] [R], prise en sa qualité d’unique héritière de feu M. [R], forme un appel incident et demande à la cour de :
– débouter M. [Y] de son appel et de ses demandes, fins et conclusions,
– débouter M. [Y] de ses demandes tendant à voir constater les manquements commis par Me [R] es-nom et es-qualité d’associé de la société Ernst & Young et de la société PWC, société d’avocats, et de voir consacrer sa responsabilité,
– faire droit à son appel incident et juger qu’il n’y a pas eu de manquement commis par Me'[R], es-nom et es-qualité d’associé de la société Ernst & Young et de la société PWC, société d’avocats,
– faire droit à son appel incident et juger M. [Y] prescrit en ses demandes relatives et fondées sur les intérêts,
– confirmer le jugement en ce qu’il a constaté l’absence de manquement commis par Me'[R] es-nom et es-qualité d’associé de la société Ernst & Young,
– débouter en conséquence M. [Y] de ses demandes, fins et conclusions,
– faire droit à son appel incident et juger n’y avoir lien de causalité entre le manquement éventuel et le préjudice,
– faire droit à son appel incident et juger qu’il y a défaut de préjudice indemnisable,
– condamner M. [Y] à lui verser, en sa qualité d’unique héritière de feu M. [R], avocat décédé le [Date décès 4] 2016 à [Localité 16], la somme de 5’000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Y] aux entiers dépens d’instance et d’appel.
Mme [O] [R] souligne d’emblée que la condamnation de l’avocat et de ses structures d’exercice est sollicitée à titre subsidiaire, la demande principale étant de surseoir à statuer.
Elle fait tout d’abord valoir que les demandes relatives aux intérêts sont prescrites, le point de départ de la prescription devant être fixé au plus tard au 24 mai 2009, date à laquelle M. [Y] a su que les intérêts ne seraient pas réglés et qui est antérieure de plus de cinq ans à l’acte introductif d’instance (6 décembre 2016).
Elle relève que M. [Y] a limité son appel à la responsabilité de M. [R] du temps d’exercice avec la société Ernst & Young. Elle conteste, en tout état de cause, la responsabilité de son mari qui n’a commis aucune faute. Elle soutient que les prêts ont été consentis par M. [Y] dans un but de sauvetage d’une entreprise familiale et que ce dernier connaissait parfaitement les risques d’une telle opération. Elle indique que ce contexte familial explique la volonté des parties de ne pas prendre de garanties et rappelle la bonne entente qui existait entre le prêteur et sa s’ur. Elle estime que l’obligation de conseil doit être analysée au regard de la mission confiée, c’est à dire le sauvetage familial de la société Groupe Electropoli. Elle rappelle également que l’avocat, contrairement à ce qui a été énoncé par M. [Y], n’a pas en ce qui concerne la rédaction d’acte de prêt, d’obligation de résultat quant au remboursement. Enfin, elle fait valoir que les seules garanties utiles étaient celles prises sur le patrimoine des époux [N] (un nantissement des parts de la société Danan n’aurait été d’aucune utilité) ce que n’ignore pas M. [Y]. Sur la médiation, elle affirme que Me [R] qui a exercé sa mission jusqu’au 1er juillet 2014, date de sa démission, a respecté la mission qui lui était confiée et rappelle que l’avocat n’est tenu à cet égard que d’une obligation de moyen. Enfin, elle précise que ce sont les parties qui ont arrêté ce protocole et non pas l’avocat qui n’a pas non plus rédigé le projet.
Sur le lien de causalité, elle approuve la décision du tribunal judiciaire qui a relevé qu’on distinguait mal quelle garantie la société Danan aurait pu apporter au prêteur. Elle estime alors qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le préjudice invoqué par M. [Y] et le défaut de garantie car les seules garanties pertinentes ont finalement été prises.
Enfin, elle critique la décision en ce qu’elle a alloué à M. [Y] une somme de 150’000 euros pour la perte de chance de toucher les intérêts, le report du remboursement des sommes dues et d’avoir dû avancer des frais d’inscription hypothécaire.
L’ordonnance de clôture a été prise le 6 septembre 2022.
SUR CE, LA COUR’:
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande portant sur la perte de chance de recouvrer les intérêts et de faire fructifier son capital’:
Pour rejeter cette fin de non recevoir, le tribunal a retenu que le point de départ de la prescription de cinq ans devait être fixé au 8 décembre 2011, date de l’avenant par lequel M. [Y] a renoncé à percevoir les intérêts et relevé que l’action avait été introduite les 6 et 7 décembre 2016, soit avant le terme de ce délai.
Si les intimés soutiennent que la faute reprochée à Me [R] trouve, quant aux intérêts, son origine dans les actes qu’il a rédigés en 2007 (contrats de prêt) et 2009 (avenant n° 1), le point de départ de la prescription de l’action née du chef des intérêts ne peut être fixé que du jour où ceux-ci sont devenus exigibles ou du moins du jour où le créancier a su que toute chance de les recouvrer était définitivement perdue.
Il convient, en l’espèce, de rappeler que si les deux contrats de prêt, rédigés quant aux intérêts en des termes identiques, prévoient un intérêt de 5 % l’an payable le 31 décembre de chaque année et pour la première fois le 31 décembre 2017 et ajoutent que pour le cas où le prêt ne serait pas intégralement remboursé à son échéance du 31 décembre 2012, les sommes restant dus porteront intérêts de plein droit au taux de 6 % l’an à compter du défaut de payement jusqu’au jour de son règlement effectif, il a été convenu par avenant (n° 1) des 23 et 24’mai 2009 (dans le délai de prescription des articles 2278 ancien et 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17’juin 2008) que les intérêts seront payables au terme du prêt fixé au 31 décembre 2012, et au taux annuel Euribor 12’mois +’1,25’%. Ce report du payement des intérêts a eu pour effet de reporter le point de départ de la prescription de ceux-ci à la date ainsi convenue qui est celle à partir de laquelle ils sont devenus exigibles.
Cependant, entre temps, un nouvel avenant (n° 3) a été conclu le 8 décembre 2011 aux termes duquel M. [Y] a, compte tenu des difficultés économiques et financières du groupe Electropoli dont la société Danan, emprunteur, était la société mère, consenti à l’abandon pur et simple de tout intérêt sur les sommes prêtées, s’interdisant «’tout recours à l’encontre de la société Danan au titre du payement des intérêts objet de sa déclaration d’abandon, sauf application… de la clause de retour à meilleure fortune proposée par Danan et acceptée par [K] [Y]’».
Cet abandon a eu pour conséquence d’avancer le point de départ de la prescription de toute action concernant les intérêts puisque c’est à cette date que le préteur a définitivement perdu toute chance de les recouvrer et pouvait se retourner contre le rédacteur de l’acte auquel il reproche d’avoir manqué à ses obligations.
Aussi est-ce à juste titre que le premier juge a considéré que le point de départ de la prescription devait être fixé au 8 décembre 2011 de sorte que l’action introduite les 6 et 7 décembre 2016, dans le délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil (« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer »), est, en ce qu’elle porte sur ce chef de préjudice né de la perte des intérêts, recevable.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur la recevabilité de la demande en payement de la somme de 28’704 euros au titre de la facturation des solutions patrimoniales’:
M. [Y] verse aux débats deux factures d’un montant global de 28’704 euros TTC émise par la Selas Landwell & Associés (devenue Price Waterhouse Coopers ‘ PWC) en date des 9 novembre 2006 et 25 juin 2007 établies à son nom et relatives à la restructuration de son patrimoine. Exposant que le montant de ces factures a été dépensé en pure perte, il sollicite, à titre de dommages et intérêts, un montant équivalent qu’il inclut dans le périmètre de la réparation de son préjudice.
Il résulte de l’examen du jugement que cette demande n’a effectivement pas été soumise au premier juge. Invoquant les dispositions de l’article 564 («’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’»), les Selas Ernst & Young et PWC soulèvent l’irrecevabilité de cette prétention ce à quoi M. [Y] s’oppose invoquant les articles 565 («’Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent’») et 566 («’Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire’») du code de procédure civile.
Cette demande tend à l’évidence aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir la réparation de la faute commise par l’avocat. Entrant dans la sphère du second des textes précités, elle sera donc déclarée recevable ce qui ne préjuge évidemment en rien de son bien fondé qui sera, le cas échéant, examiné avec la réparation du préjudice.
Sur les fautes commises par Me [R] alors qu’il était associé au sein de la société PWC société d’Avocats (anciennement Landwell’&’Associés)’:
Le tribunal a retenu que Me [R], qui intervenait comme avocat des deux parties, avait manqué à ses obligations de conseil et de vigilance en ne mettant pas M. [Y], l’un de ses clients, en garde sur le caractère risqué de l’opération ce d’autant que les prêts consentis à la société Danan n’étaient assortis d’aucune garantie, manquement qui n’avait pas été corrigé lors de la signature des avenants n°’1 et 2 (en 2009 et 2010).
L’appelant reproche à l’avocat, à ce stade de son intervention, une inobservation des règles de prévention des conflits d’intérêt, un manquement à son obligation d’information et à son devoir de conseil. Ces règles sont clairement établies tant par les textes (articles 7 du décret du 12 juillet 2005 et 4 du règlement intérieur national de la profession d’avocat ‘ ci-après RIN) que par la jurisprudence (devoir de conseil), la responsabilité de l’avocat étant, pour le surplus, régie par le droit commun de la responsabilité qui suppose la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.
En l’espèce, il convient de rappeler que Me [R] était le conseil de la famille [Y] et notamment de M. [P] [Y], de ses enfants [K] et [D] [Y] comme du mari de cette dernière, M. [H] [N], qu’il était également le conseil de la société Danan, dont ces derniers étaient associés et gérants.
En 2006, Me [R] était intervenu, pour le compte de la famille [Y], lors de la cession de la société familiale SIREC à la société SITA (groupe Suez) (pièces n° 37, factures des 25 juin et 3 août 2006) puis, avait été aussitôt chargé par M. [K] [Y] d’une mission de conseil portant sur la gestion de son patrimoine et le choix de placements appropriés des fonds provenant de cette cession (pour «’développer un patrimoine diversifié tout en limitant le poids de la fiscalité ISF’»).
À ce titre, Me [R] connaissait donc parfaitement le patrimoine de son client et l’importance de la part des fonds devant être placés par rapport à celui-ci (cf.’document d’étude du 15 février 2007 et courrier du 3 août 2007, pièces n° 51 et 53 de l’appelant). Il suffit, à cet égard, de rappeler que les fonds en provenance de la cession Sirec s’élevait à la somme de 7’819’832 euros, soit après payement des droits et taxes, une somme nette de 5’709’832 euros et que M. [Y] n’était, par ailleurs, propriétaire que de sa résidence principale, située dans la Manche, à [Adresse 15].
Le montant de 5’000’000 d’euros prêté en 2007 à la société Danan représentait donc une fraction très importante du patrimoine de M. [K] [Y] (80 % selon le jugement critiqué).
Les circonstances dans lesquelles la proposition de prêter cette somme à la société Danan est intervenue, ne sont pas clairement établies, M. [Y] prétendant que c’est l’avocat mandaté par les époux [N] qui a proposé ce placement et en veut pour preuve’:
– d’une part, l’étude de restructuration de son patrimoine qui, parmi les hypothèses, fait mention d’un prêt rémunéré (5 % l’an) à la société Danan, ce taux étant voisin de ceux offerts par ailleurs,
– d’autre part, le témoignage de M. [G] [F] (beau-frère de M. [P] [Y]), expert comptable des sociétés Sirec et Electropoli et qui est celui par lequel Me [R] est entré en contact avec les familles [Y] et [N], qui fait part de sa conviction en ces termes’: «’Il n’y a aucun doute sur le fait que [K] ([R]) ait été sollicité par [H] [N] pour trouver des aides financières lors des difficultés financières d’Electropoli en 2007 et qu’il ait, à ce titre, pris contact avec [K] [Y], beau-frère d'[H]…’» (sa pièce n° 49),
– enfin, le fait que Me [R] ait, en 2009, pris contact avec d’autres de ses clients ([M] [A] ‘ sa pièce n° 65) pour apporter des fonds à la société Electropoli par le truchement d’une prise de participation financière, alors que les intimées prétendent, au contraire, qu’il s’agissait d’une opération familiale de sauvetage de la société Groupe Electropoli, filiale de la société Danan, qui lui avait été soumise par les parties, rappelant, à cet égard, que M. [Y] connaissait parfaitement la société Groupe Electropoli dont il avait été l’un des administrateurs et que les actes de prêts (février et mars 2007) sont antérieurs à la remise, le 3 août 2007, de la version définitive des propositions de Me [R] dans le cadre de la mission de restructuration du patrimoine de son client (pièce n° 53 de l’appelant).
Quoiqu’il en soit, il n’est pas contesté que les actes de prêt litigieux (2007) comme les avenants signés en 2009 et 2010 ont bien été rédigés par Me [R], alors conseil des deux parties.
Il sera préliminairement observé que cette situation n’est pas prohibée (puisqu’elle est expressément prévue par l’article 9 du décret du 12 juillet 2005′: «’L’avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit…’» et qu’en l’espèce, les deux parties ont accepté, en parfaite connaissance de cause, l’intervention de Me [R] comme rédacteur des actes) mais suppose que l’avocat qui y concourt se montre particulièrement vigilant afin de respecter l’équilibre entre les parties et soit attentif au respect des droits de chacun de ses clients, qu’il doit se retirer s’il est en présence d’un risque sérieux de conflit d’intérêt tel que défini par l’article 4.2 du RIN («’Il existe un risque sérieux de conflits d’intérêts, lorsqu’une modification ou une évolution prévisible de la situation qui lui a été initialement soumise fait craindre à l’avocat une des difficultés visées ci-dessus’»). Ces obligations sont d’autant plus prégnantes que les parties sont proches et unies par des liens de famille susceptibles d’altérer, en raison de l’existence de relations de confiance, l’appréhension et l’étendue des risques encourus, en tous cas par le prêteur.
Il est, en l’espèce, incontestable que l’existence de liens de famille entre [K] [Y], d’une part, et les époux [N], de l’autre, associés et cogérants de la société Danan, emprunteuse, est entrée en ligne de compte ainsi qu’il ressort clairement des actes de prêt dont les exposés contiennent les précisions suivantes’:
– «’La société Danan, l’emprunteur, détient 70 % environ du capital de la société Groupe Electropoli… Compte tenu de la conjoncture économique particulièrement tendue en 2005 et 2006 dans le secteur automobile, le Groupe Electropoli a été amené à opérer une réflexion sur l’orientation de sa stratégie de développement et à conduire de très lourdes opérations de restructurations…. Le groupe Electropoli a du supporter de lourdes charges financières pour faire face à son plan de restructuration, mené dans l’intérêt social. Le groupe doit encore poursuivre sa restructuration en 2007 par la constitution via Danan d’une société Electropoli Europe… Le besoin en capital social serait de 7’000’000 d’euros pour mener à bien cette opération, dont 5’000’000 d’euros constitueraient la participation au capital social de Danan. Pour permettre la réalisation de cette opération, M. [K] [Y], compte tenu de ses relations familiales avec la famille [N] a fait part de la possibilité qui était la sienne d’opérer un apport au profit de Danan de 5’000’000 d’euros, à durée déterminée, pour qu’elle puisse souscrire au capital social de Electropoli Europe. Ce prêt serait opéré au moyen d’un emprunt obligataire émis par Danan au profit de M. [Y] pour une durée de 5 années. Toutefois sans attendre la mise en place de cet emprunt obligataire, M. [Y], informé des besoins de la société Electropoli Galvia en Tchéquie a consenti à mettre à disposition de Danan, par anticipation sur l’emprunt obligataire de 5’000’000 d’euros, une somme de 2’000’000 d’euros au moyen d’un simple contrat de prêt destiné à être interrompu au jour de l’émission de l’emprunt obligataire pour reconstituer l’enveloppe de 5’000’000 d’euros’» (acte des 9 et 12 février 2007),
– «’Le Groupe Electropoli a fait part à la société Danan, actionnaire majoritaire, de ses besoins financiers et a sollicité l’octroi à son profit d’une aide financière de 3’000’000 d’euros. Pour permettre la réalisation de cette opération, M. [K] [Y], compte tenu de ses relations familiales avec la famille [N] a fait part de la possibilité qui était la sienne d’opérer, de manière complémentaire à son prêt de 2’000’000 d’euros opérée au titre d’un prêt en date du 9 février 2007 et du 12 février 2007, un apport complémentaire à Danan de 3’000’000 d’euros, sous la même forme de contrat de prêt à durée déterminée pour que la société Danan puisse venir en aide de la société Groupe Electropoli. Comme le prêt de 2’000’000 d’euros visé ci-avant, ce prêt de 3’000’000 d’euros constitue une avance par anticipation à l’emprunt obligataire prévu au sein de Danan d’un montant total de 5’000’000 d’euros, les deux prêts ayant vocation à être interrompus dans leur totalité le jour de l’émission de l’emprunt obligataire’» (acte des 19 et 20 mars 2007).
Pour autant et contrairement à ce que prétendent les intimées, il ne peut être sérieusement prétendu que ces prêts ont été consentis avec une intention libérale afin de sauver une entreprise familiale, la volonté de M. [Y] étant certes d’aider sa famille mais tout en conservant à cette opération une vocation lucrative. Il convient, à cet égard, de rappeler que les deux prêts consentis à la société Danan (de 5’000’000 d’euros en tout) étaient assortis d’un intérêt au taux de 5 % l’an et faisaient partie des placements proposés par Me [R] et la société PWC dans le cadre de la restructuration du patrimoine de leur client, déjà évoquée, et que ce taux d’intérêt était proche de ceux des autres solutions.
En l’état de ces différents éléments (importance du montant du prêt au regard du patrimoine du prêteur, liens de famille, exclusion de toute intention libérale, situation financière délicate de l’emprunteur compte tenu de la crise affectant le secteur de l’automobile dont le premier juge a opportunément rappelé en pages 12 et 13 de sa décision le contexte, les enjeux et les coûts pour la société Electropoli engagée en raison de la baisse constante de sa rentabilité dans un plan de délocalisation de son activité vers l’Europe de l’est ayant entraîné de lourdes charges financières), l’avocat aurait dû, dans le cadre de son devoir de conseil, attirer efficacement l’attention de M. [Y], son client, non seulement sur le risque que ces prêts présentaient mais, surtout, le mettre en garde sur l’absence de toute garantie. Les intimées ne peuvent, à cet égard, prétendre, sans apporter le moindre élément que M. [Y] n’en souhaitait aucune et si tel était le cas, l’avocat devait, en tout état de cause le mettre en garde, ce qu’il n’a pas fait.
Il sera, à cet égard, rappelé qu’il est, sinon d’usage, du moins fréquent que lorsqu’un prêt est consenti à une personne morale, a fortiori lorsqu’elle se trouve dans une situation financière tendue (ce qui était le cas puisque les prêts ont été consentis avec une certaine urgence ‘ besoins de la société Electropoli Galvia et permettre à la société Danan de venir en aide à la société Groupe Electropoli ‘ et ce avant même que l’emprunt obligataire envisagé n’ait été mis en place) que des garanties soit prévues au profit du prêteur, a fortiori lorsqu’il apporte la quasi totalité de ses biens, et que notamment le ou les dirigeants de la société emprunteuse se portent cautions, le cas échéant hypothécaires.
Or, en l’espèce Mme [R] et la société PWC société d’Avocats ‘ sur lesquels pèse la charge de la preuve de l’accomplissement par l’avocat de son devoir de conseil ‘ ne justifient aucunement avoir prodigué ces conseils et effectué les mises en garde nécessaires. En tout état de cause et en présence d’un risque sérieux de conflit d’intérêt au sens de l’article 4-2 du RIN rappelé ci-dessus, l’avocat ne pouvait conserver ce dossier sans avoir scrupuleusement veillé à l’intérêt de chacun de ses clients et sans avoir adressé, par écrit et en des termes dépourvus de toute ambiguïté, les avertissements qui s’imposaient ce qu’il n’a manifestement pas fait.
Les intimés font certes valoir que M. [Y] était un homme d’affaires avisé qui connaissait parfaitement la situation financière de la société Groupe Electropoli pour en avoir été l’un des administrateurs. Cette argumentation n’est toutefois pas pertinente. En effet, la circonstance tirée du fait que le client disposait de certaines informations (en l’occurrence anciennes puisque si M. [K] [Y] avait effectivement été administrateur de la dite société, il avait démissionné de ses fonctions en 2004 ou 2005 ainsi qu’il ressort du rapport de gestion présenté lors de l’assemblée générale du 13 juin 2005, pièce n° 52 de l’appelant), ne dispensait nullement l’avocat de son devoir de conseil et de l’impérieuse nécessité d’en justifier.
La faute au stade de la rédaction des actes de prêt est donc caractérisée.
À la suite de la signature des prêts, Me [R] a rédigé, en 2009 et en 2010, deux avenants. Le premier de ces avenants modifie la clause d’intérêts des deux prêts stipulant que les intérêts ne seront payables qu’in fine, le 31 décembre 2012, et à un taux moindre, au taux fixe de 5 % l’an étant substitué le taux annuel Euribor 12 mois + 1,25 % qui est un taux variable. Le second avenant prend acte du remboursement (sans intérêt) d’une fraction du capital (50’000 euros).
Le tribunal a relevé, à juste titre, qu’après la signature des actes de prêt et notamment à l’occasion de la rédaction des avenants, l’avocat s’était désintéressé du sort de son client :
– n’ayant en particulier entrepris aucune diligence quant à la mise en place (manifestement perdue de vue au fil des années) de l’emprunt obligataire dont les prêts n’avaient été expressément consentis que par anticipation,
– ne lui ayant prodigué aucun conseil en 2007 et 2008 au moment où les intérêts stipulés étaient impayés (ce alors que le compte courant de la société Danan, bénéficiaire des dits prêts et dont il était le conseil, ouvert dans la société Groupe Electropoli était rémunéré avec un taux de 5,5’% et avait donné lieu en 2008 à des intérêts servis à hauteur de la somme de 148’726 euros, pièce n°’41 de l’appelant),
– ou encore en 2009 alors que M.'[K] [Y] acceptait sans contrepartie le report du payement des intérêts et une révision (à la baisse, en tous cas au moment de la signature de l’avenant) du taux d’intérêts.
En effet, si Me [R] avait alors remplit à ce stade son devoir de conseil, il aurait dû attirer l’attention de son client sur le caractère déséquilibré de ces concessions et l’inciter à obtenir de la société Danan et des gérants des garanties ce qu’il n’a pas fait.
La faute de Me [R] et de sa structure d’exercice d’alors, la Selas PWC société d’Avocats, est ainsi caractérisée tant au stade de la conclusion des contrats de prêts qu’ultérieurement et notamment lors de la conclusion de l’avenant de 2009.
Sur les fautes commises par Me [R] alors qu’il était associé au sein de la Selas Ernst & Young Société d’Avocats’:
Me [R] est devenu avocat associé de la structure Ernst & Young le 3 octobre 2011 (pièce n° 8 de la Selas Ernst & Young) et c’est en cette qualité qu’il a rédigé l’avenant n° 3 et l’acte de cession de créances signés le 8 décembre 2011 (pièces n° 5 et 7 de l’appelant), avant d’être mandaté en 2014 pour une mission de médiation, poursuivie après sa retraite ainsi qu’en attestent les courriels échangés alors qu’il était « external contractor ».
Aucune des parties n’a jugé utile de fournir quelqu’élément que ce soit sur les circonstances de fait et les négociations qui ont conduit à la signature des actes du 8 décembre 2011 (cependant dans un courriel ultérieur, M. [H] [N] affirme avoir proposé à son beau-frère la cession de créance). Il ressort seulement des bilans de la société Groupe Electropoli que la situation financière de cette société n’a cessé de se dégrader dans les années qui ont précédé (déficit de 1’323’365 euros au 31 décembre 2008, déficit de 5’113’689 euros au 31’décembre 2009 et de 3’077’908 au 31 décembre 2010, pièces n° 4 et 5 de la société Ernst & Young).
L’avenant n° 3 est ainsi rédigé’: «’Les parties se sont réunies pour discuter des modalités de remboursement du prêt et de son échéance.
Compte tenu des difficultés économiques et financières du groupe Electropoli dont Danan est la société mère, M. [K] [Y] a fait savoir à la société Danan qu’il consentait à l’abandon pur et simple de tout intérêt sur les sommes prêtées sous réserve sous condition toutefois de ne plus être créancier vis à vis de Danan mais de le devenir à l’encontre d'[H] [N] dans le cadre de sa cession de créance au profit de ce dernier.
La société Danan a pris acte de cet effort de M. [Y] et de la cession de créance envisagée et a décidé de faire renaître les intérêts de manière forfaitaire aux termes d’une clause de retour à meilleure fortune définie d’un commun accord des parties…’».
Simultanément, M. [K] [Y], M. [H] [N] et Mme [D] [Y] épouse [N], ces derniers étant mariés sous le régime de la communauté universelle, ont signé un acte de cessions de créances, contresigné par la société Danan, aux termes duquel’: «’Le cédant (M. [Y]) cède au cessionnaire (M. [N]) qui l’accepte la créance qu’il détient sur la société Danan d’un montant de 4’950’000 euros…, à la date de la signature’».
Sous la rubrique «’prix de cession’», il a été stipulé’: «’La cession est effectuée moyennant le paiement d’un prix de cession par le cessionnaire égal au montant en principal de la créance objet de la présente cession d’un montant de 4’950’000 euros.
Le cédant et le cessionnaire conviennent que le prix de cession de la créance fera l’objet d’un crédit vendeur sans intérêt consenti par le cédant au cessionnaire, le tout de la manière suivante’:
– paiement d’un montant de 300’000 euros au plus tard le 31 mai 2012,
– paiement d’un montant de 1’000’000 d’euros dans les 30 jours au plus tard qui suivront l’encaissement par M. [N] du prix de vente de l’habitation principale de M. et Mme [H] [N], située [Adresse 7], M. et Mme [H] [N] déclare avoir procédé à la mise en vente de cette habitation principale,
– paiement de la somme de 650’000 euros dans les 30 jours au plus tard qui suivront l’encaissement par M. [N] du prix de vente de l’appartement des [Localité 14] (74260) constituant la résidence secondaire de M. et Mme [N], ces derniers déclarant avoir mis le dit bien en vente,
– le solde, soit 3’000’000 d’euros sera payé comme suit’:
1. en cas de cession par Danan des titres Electropoli permettant l’encaissement d’un prix suffisant pour rembourser à due concurrence la créance d'[H] [N], ce dernier s’engage dans les 30 jours de ce remboursement à s’acquitter du solde de sa dette vis à vis de M. [Y],
2. en cas de cession par Danan des titres Electropoli permettant l’encaissement d’un prix insuffisant pour rembourser 3’000’000 d’euros à M. [N], ce dernier s’engage dans les 30 jours du remboursement qu’il aura perçu à le reverser intégralement à M. [Y] en apurement partiel de sa dette,
Dans le cas ci-avant d’apurement partiel de la dette, les parties conviennent que le solde sera remboursé au plus tard à partir de 2023 et dans les trente jours qui suivront l’encaissement par M. et Mme [N] du prix de vente de l’immeuble de [Localité 13] en Suisse ([Adresse 11]). M. et Mme [N] déclarent en effet s’engager à compter de 2023, à mettre en vente ce bien immobilier pour permettre d’honorer leur dette vis à vis de M. [Y]’».
Le tribunal a considéré, malgré un certain caractère potestatif résultant de l’absence de stipulation d’intérêts, de garanties de payement, de termes précis et de contraintes, que Me [R] n’avait commis aucune faute à l’occasion de la rédaction de cet avenant et de cet acte de cession de créance, rattrapant, au contraire, partiellement l’erreur initiale qui avait été commise, puisqu’un débiteur solvable avait été substitué à un débiteur qui ne l’était plus (ou qui ne l’avait jamais été), et ce, en raison notamment des liens de famille unissant les parties et de la parfaite connaissance que le cédant avait du patrimoine du cessionnaire qui n’était autre que son beau-frère.
L’appelant conteste cette analyse et met en évidence le rôle trouble de Me [R] qui l’a poussé à abandonner une créance d’intérêts de plus de 1’000’000 d’euros et qui n’a assorti l’acte de cession de créance d’aucun terme (si ce n’est la référence à l’année 2023 pour la mise en vente de la maison de [Localité 13] Montana… laissant ainsi aux époux [N] la liberté de choisir le moment où ils paieraient leur dette), d’aucun intérêt, ni d’aucune contrainte. Il soutient que l’acte de 2011 est dépourvu de toute efficacité alors qu’aux termes de l’article 9 du décret du 12 juillet 2005, l’avocat est tenu d’assurer la validité et la pleine efficacité selon les prévisions des parties des actes juridiques qu’il rédige.
Il convient préliminairement de rappeler qu’en décembre 2011, au moment où ces actes ont été signés, l’emprunteur ‘ c’est à dire la société Danan ‘ était dans une situation financière pour le moins délicate en raison des difficultés financières auxquelles était confrontée sa filiale, la société Groupe Electropoli. Cette dernière sera d’ailleurs cédée moins de deux ans plus tard moyennant le prix d’un euro et la société Danan, dont c’était le seul actif, conduite à la liquidation judiciaire.
Sans la cession de créance du 8 décembre 2011, M. [Y] aurait définitivement perdu toute possibilité de recouvrer le montant de sa créance de prêts puisque celle-ci n’était assortie d’aucune garantie et que l’emprunteur, incapable dès l’origine de régler le montant des intérêts était alors manifestement insolvable. Il sera relevé que M. [Y] ne disposait d’aucun moyen de pression pour contraindre la société Danan à le rembourser (alors que les prêts arrivaient à échéance dans les trois mois suivants), sauf à précipiter son dépôt de bilan et sa liquidation judiciaire ce qui ne lui aurait certainement pas permis de récupérer ses fonds.
Dépourvu de titre à l’encontre de ses dirigeants, il ne pouvait évidemment les contraindre à régler la dette de leur société.
Dès lors, la cession de sa créance pour son montant en principal (4’950’000 euros) à M.'[N] a constitué une opportunité unique qu’il ne pouvait qu’accepter aux conditions qui lui étaient proposées (imposées’), sauf à tout perdre. À ce stade et compte tenu des conditions désastreuses dans lesquelles les prêts avaient été initialement consentis (sans la moindre garantie), Me [R] ne pouvait qu’inciter son client à accepter la proposition des époux [N] qui était la moins mauvaise et la seule lui offrant la possibilité de récupérer les fonds qu’il avait prétés.
Dans ces conditions, il ne peut être sérieusement prétendu que l’avocat, dont la responsabilité était déjà pleinement engagée en raison des conditions dans lesquels les prêts avaient été initialement consentis, a commis une faute en incitant son client à accepter, en contrepartie de l’abandon des intérêts (la clause de retour à meilleure fortune étant évidemment totalement illusoire), la substitution de débiteur par le truchement de la cession de créance quand bien même celle-ci ne comportait ni terme précis, ni stipulation d’intérêt.
Il sera, de plus, observé que cet acte sous seing privé n’est pas, contrairement à ce que M. [K] [Y] prétend, privé d’efficacité même s’il n’est assorti d’aucune sûreté, d’aucun terme précis ni d’intérêt, ce conformément aux prévisions des parties, puisque c’est sur le fondement de cet acte qu’il a saisi, par assignation délivrée le 25 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse pour obtenir, sur son fondement, la vente des biens de son débiteur et l’affectation à son profit des prix de cession (sa pièce n° 66).
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Si les époux [N] ont payé (grâce à une donation consentie par M. [P] [Y] à sa fille [D] ‘ cf. pièce n° 19 de l’appelant) à bonne date la somme de 300’000 euros prévue dans l’acte de cession, ils n’ont, en revanche, manifesté aucun empressement à céder leurs biens de [Localité 17] (Ain) et des [Localité 14] (Haute Savoie) dont pourtant, ils avaient précisé dans cet acte qu’ils étaient mis en vente, attitude dont Me [R] ne peut être tenu pour responsable.
Informé début 2014 (cf. son attestation du 23 novembre 2016, pièce n° 8 de l’appelant) du conflit opposant, d’une part, son fils et, d’autre part, sa fille et son gendre lesquels refusaient d’honorer leurs engagements, M. [P] [Y] a décidé de mandater Me [R], conseil historique de la famille. Aucune des parties n’a jugé utile (ce que la cour déplore) de produire aux débats la lettre de mission confiée le 7 avril 2014 par M. et Mme [P] [Y] à la Selas Ernst & Young, mais cette dernière en a littéralement rappelé les termes dans un courrier du 15 juillet 2015 (que M. [Y] verse aux débats, sa pièce n° 22)’:
«’Vous avez sollicité notre assistance dans l’analyse et la mise en oeuvre des différentes opérations potentiellement envisageables pour le remboursement de la dette dont le montant s’élève actuellement à 4’650’000 euros.
Notre mission consistera à vous assister entant qu’interlocuteur privilégié/médiateur entre les parties dans le cadre de la négociation des modalités de remboursement de cette dette.
Dans ce cadre et en fonction des orientations de la négociation et des solutions qui en découleront, nous vous indiquerons les éventuelles incidences fiscales en matière d’impôts directs (fiscalité des plus-values) et d’impôts indirects (droits d’enregistrement).
Notre analyse vous sera restituée sous forme d’une consultation synthétique qui vous sera présentée oralement lors d’une réunion, ainsi qu’au travers de notre assistance lors de réunions physiques ou entretiens téléphoniques.
Nous avons compris que la formalisation de tout accord entre les parties prendrait la forme d’un acte authentique. Les parties ont ainsi convenu de se rapprocher de Me [W]’».
Cette mission devait prendre fin le 31 décembre 2014, mais les parties ont souhaité qu’elle se poursuive jusqu’à la fin du premier semestre 2015 (cf. compte rendu du 29 mai 2015).
L’examen des pièces produites aux débats (pièces 9 à 20 de l’appelant, la société Ernst & Young n’en ayant communiqué aucune quant à l’exécution de cette mission…) révèle que l’avocat a, après avoir reçu MM. [K] et [P] [Y], formulé le 15 septembre 2014, une première proposition comportant la cession à M. [K] [Y] de l’immeuble de [Localité 17] pour le prix de 1 800 000 euros, la donation par M. [P] [Y] à sa fille [D] de la nue-propriété de deux appartements situés à [Localité 10] et leur cession à M. [K] [Y] pour la somme de 1’500’000 euros, le versement d’une somme de 350’000 euros provenant de la vente de l’appartement des [Localité 14] et une créance hypothécaire pour le solde sur le bien de [Localité 13] Montana (pièce n° 11), proposition que les époux [N] ont refusée le 2 octobre 2014 sans en préciser les raisons (pièce n° 12). À la suite de ce refus, la société Ernst & Young a adressé le 12 novembre 2014 une nouvelle proposition comportant de la part de M. [K] [Y] une remise de dette de 500’000 euros (pièce n° 13), proposition que les époux [N] ont également refusée (courriel Ernst & Young du 17 décembre 2014).
Après relances de l’avocat, les époux [N] ont formulé le 14 mars 2015 une contre-proposition (pièce n° 19), à l’issue de laquelle et après de nouvelles négociations, Me [R] et Beucherie ont établi, le 29 mai 2015, un compte rendu des négociations mettant un terme à leur mission et où sont relevés les points d’accord’:
– cession à M. [K] [R] de la maison de [Localité 17] (Haute Savoie) pour le prix de 1’800’000 euros net vendeur payé par compensation, les frais étant à la charge de l’acquéreur,
– donation par M. [P] [Y], à ses frais, à sa fille Mme [D] [N] de la nue-propriété de deux appartements situés à [Localité 10] et cession de cette nue-propriété à M. [K] [Y], moyennant le prix de 1’500’000 euros, les frais de cession étant à sa charge,
– reconnaissance de dette de 850’000 euros sans intérêts établie par acte authentique,
et de désaccord’:
– conditions de règlement du solde de 850’000 euros,
précisant in fine que «’Ce document est destiné à être remis par les parties à leurs avocats et Notaires respectifs en vue de la formalisation définitive des accords et de leur matérialisation par actes authentiques’».
À la suite de la transmission le 1er juin 2015 de ce compte rendu avec la mention «’ce compte rendu doit être remis à votre notaire et à votre avocat au besoin de sorte que les transactions et accords définitifs puissent être formalisés par actes notariés’», M. [P] [Y] a demandé à Me [R] (2 juillet 2015) de rédiger un protocole d’accord comme son fils le lui avait expressément demandé le 9 avril précédent. Après divers échanges épistolaires et rappel par l’avocat que l’ensemble des opérations envisagées devaient «’revêtir la forme d’un acte authentique’» et que sa mission ne comportait pas la rédaction d’un protocole (courrier de Me [J] du 15 juillet 2015), la société Ernst & Young a finalement accepté de rédiger en septembre un tel acte sous réserve que les parties s’accordent sur le dernier point en litige (lettre du 31 juillet 2015, pièce n° 25).
Cependant, entre temps, M. [K] [Y] avait rédigé, sur la base du compte rendu du 29 mai 2015, un protocole d’accord transactionnel qu’il avait transmis, après l’avoir soumis à la signature de son père, à sa s’ur le 30 juillet 2015, ce dont il a informé Me [J] et Me [R] par courriel du 3 août (sa pièce n° 26). Ce protocole a finalement, et après de nouveaux échanges, été signé par les époux [N] le 14 novembre 2015 (sa pièce n° 32).
À la suite de la signature de cet acte, M. [Y] a bien saisi, comme l’avocat le lui avait indiqué, son notaire, Me [S] [O], mais celui-ci n’a pu obtenir, pour la formalisation par les actes authentiques nécessaires, l’accord de son confrère chargé des intérêts des époux [N] (pièces n° 33 à 36), de sorte que l’appelant a poursuivi, en décembre 2016, devant le tribunal de grande instance de Bourg en Bresse l’exécution du protocole qu’il avait rédigé, action dont il a été débouté par jugement du 11 avril 2019 (sa pièce n° 48) confirmé par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 2 février 2021 (sa pièce n° 60), la cour retenant que la promesse de donation était nulle (faute d’avoir été consentie par acte notarié) et que l’acte formant un tout, cette nullité affectait le protocole en son entier.
L’appelant reproche à l’avocat, dans le cadre de cette mission, d’avoir été défaillant, d’une part, dans l’exécution de son obligation de résultat en sa qualité de concepteur et/ou de rédacteur du protocole du 29 juillet et 14 novembre 2015 dont la nullité a été judiciairement constatée et, d’autre part, dans l’exécution de son obligation de moyen de conseiller, d’éclairer et d’assister ses clients ayant expressément accepté d’être, a minima « rédacteur de la mise en forme des accords des parties sous forme de transaction ».
Sur le premier point, si Me [R] et la société Ernst & Young ont rédigé, le 29 mai 2015, au terme de la mission de médiation qui leur avait été confiée, un compte rendu des points d’accord et de désaccord et si M. [Y] s’est fondé sur ce compte rendu pour rédiger un protocole qu’il a soumis à la signature de son père et des époux [N], il ne peut en imputer la responsabilité à l’avocat dès lors que ce dernier, tant dans sa lettre de mission que dans chacune de ses correspondances qui ont suivi, lui a bien rappelé que les accords devaient être matérialisés par actes authentiques. Ce faisant, il a parfaitement rempli la mission qui lui était confiée et qui ne consistait pas à dresser les actes authentiques (il n’en avait pas le pouvoir) nécessaires à la formalisation des points d’accord négociés.
Il est toutefois exact que Me'[J], sur l’insistance des consorts [Y], père et fils, a finalement accepté, par lettre déjà citée du 31 juillet 2015 (et contrairement à sa précédente réponse du 15’juillet), de rédiger en septembre un protocole sous réserve que les parties s’accordent sur le point restant en litige. Toutefois, M. [Y] lui a aussitôt répondu par courriel (3 août 2015, sa pièce n° 26) qu’il s’était chargé de la rédaction de l’acte (dont il n’est pas justifié qu’il l’ait transmis par pièce jointe à son message), lui exprimant toute sa déception sur la façon dont Me [R] l’avait traité. Il est évident que si ce protocole avait été rédigé par l’avocat, il n’aurait pas eu plus d’efficacité que celui qu’a mis en forme M. [K] [Y] puisque les dispositions qu’il contenaient devaient impérativement être reçues par acte authentique comme cela avait d’ailleurs été convenu dès l’origine de la mission (ne serait-ce que pour permettre à celui-ci de bénéficier d’un titre exécutoire).
En formalisant, dans un compte rendu à transmettre aux notaires des parties, les points d’accord et de désaccord (ce dernier étant marginal) aux fins de régularisation par acte(s) authentique(s), Me [R] (qui n’est, au demeurant, pas l’auteur du courrier du 31 juillet) n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
S’agissant du second point, M. [Y] reproche plus précisément à Me [R] de n’avoir prodigué aucun conseil quant au parachèvement du protocole et sans en vérifier l’efficacité ce qui a aggravé la situation qu’il a initialement créée.
Il doit cependant être rappelé que le seul conseil utile qui pouvait être donné compte tenu des points d’accord trouvés (grâce à l’intervention de M. et Mme [P] [Y]), était de formaliser les points d’accord devant notaire par actes authentiques, ce qui a été rappelé à plusieurs reprises, conseil que M. [K] [Y] a d’ailleurs suivi mais qui n’a pu aboutir en raison de l’attitude empreinte d’une mauvaise foi certaine des époux [N] qui ont cherché à renégocier divers points (cf. courrier de Me [O], en date du 14 octobre 2016).
Aucune faute n’est donc établie à l’encontre de Me [R] en ce qui concerne la mission de médiation.
C’est, en conséquence, à juste titre que le tribunal a dit que la Selas Ernst & Young, société d’Avocats n’avait commis aucune faute et n’était pas responsable. Le jugement sera donc confirmé à cet égard.
Sur le lien de causalité et le préjudice’:
Si Me [R] avait, en 2007, au moment de la conclusion des actes de prêts (puis ultérieurement en 2009 et 2010 lors de la rédaction des deux premiers avenants), utilement conseillé M.'[Y], ce dernier aurait sans doute subordonné son engagement à l’obtention de garanties, lesquelles auraient vraisemblablement consisté en un acte de cautionnement des gérants de la société Danan, à savoir les époux [N]. Un tel engagement aurait tout aussi vraisemblablement été accepté par ces derniers qui étaient alors à la recherche d’un financement présentant une certaine urgence pour répondre aux besoins financiers d’une des sociétés qu’ils dirigeaient (société Groupe Electropoli).
Compte tenu des relations familiales unissant les parties lesquelles n’étaient alors pas encore conflictuelles, il est, en revanche, peu probable, sans toutefois être totalement exclu, que M.'[K] [Y] aurait exigé une garantie hypothécaire sur les biens immobiliers de sa s’ur et de son beau- frère.
De même, l’engagement de cautionnement aurait certainement été formalisé par acte sous seing privé en raison des relations de confiance qui existaient alors entre eux, et non par un acte authentique.
L’acte de cession de créances du 8 décembre 2011 dont il convient de rappeler qu’il a été signé peu avant l’échéance, en février et mars 2012, des deux prêts de 2007 et qui emporte concrètement substitution de débiteur puisque le prix de la cession a fait l’objet d’un crédit vendeur (M. [H] [N] devenant le débiteur de M.'[K] [Y] aux lieux et place de la société Danan) corrige à l’évidence l’absence initiale de cautionnement et permet au créancier d’agir, quant au capital, dans des conditions similaires à celles dont il aurait bénéficié si un acte de caution sous seing privé avait été, sur les conseils de son avocat, établi et signé.
Il s’ensuit que le manquement initial au devoir de conseil de l’avocat ‘ qui ne garantit ni la solvabilité ni la bonne foi du contractant ‘ a été réparé sur ce point. En effet, M. [Y], bénéficiaire d’un cautionnement, aurait été exposé exactement aux mêmes difficultés et aux mêmes résistances que celles qu’il a connues de la part de son beau-frère et de sa s’ur, après la signature de l’acte de cession de créances pour recouvrer son dû.
Il sera observé que ces difficultés, imputables pour l’essentiel au comportement des époux [N], sont également liées, comme le tribunal l’a rappelé à bon escient, aux choix procéduraux que M. [Y] a effectués en décembre 2016, d’agir exclusivement sur le fondement du protocole des 29’juillet et 14 novembre 2015 et non sur l’acte de cession de créances du 8 décembre 2011.
En conséquence, le préjudice lié à la perte supposée (mais au demeurant incertaine et non définitive puisqu’une action, fondée sur la cession de créances est pendante depuis 2021 devant le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse) du capital ne résulte pas des manquements reprochés à l’avocat, lesquels doivent être examinés dans leur globalité et non acte par acte.
En revanche, la signature de l’avenant n° 3 et de la cession de créances qui lui est liée, n’a pu être obtenue qu’au prix de concessions et plus précisément de la perte définitive des intérêts (soit la somme de 1’015’503 euros) que M. [K] [Y] a abandonnés, étant précisé que si cet avenant comporte une clause de retour à meilleure fortune, cette clause est illusoire et ne produira jamais aucun effet, puisque le débiteur initial, la société Danan, qui s’y était engagée, est insolvable et a disparu, ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire.
Si un acte de cautionnement avait été, sur les conseils de l’avocat, initialement conclu, il aurait sans doute porté non seulement sur le capital mais également sur les intérêts stipulés au taux de 5 % l’an.
Pour les recouvrer, M. [K] [Y] se serait certainement heurté aux mêmes difficultés que celles auxquels il est exposé pour le recouvrement du capital et il n’est pas totalement acquis que le patrimoine des époux [N] aurait suffi à un désintéressement total, compte tenu du principal restant dû (4’650’000 euros après les deux remboursements partiels) et des délais écoulés, ce patrimoine étant, convient-il de rappeler, constitué d’une maison située à [Localité 17] (Ain) évaluée environ 1’850’000 euros, d’un appartement sis aux [Localité 14] (Haute Savoie) estimé 750’000 euros et d’un bien immobilier situé en Suisse, à [Localité 13] Montana, dont l’évaluation est inconnue (M.'[N] fait toutefois état dans sa contre-proposition du 14 mars 2015 ‘ pièce n° 19 de l’appelant ‘ de la nécessité d’obtenir un prix de vente de 4’600’000 euros mais que rien ne garantit et qui n’est étayé par aucune pièce).
En tout état de cause, le manquement de l’avocat à son devoir de conseil a fait perdre à M.'[K] [Y] une chance certaine d’obtenir le payement au moins partiel des intérêts de sa créance (ce préjudice consiste bien, comme le tribunal l’a retenu en une perte de chance et non comme le prétend l’appelant en une réparation intégrale, ce en raison des différents aléas rappelés ci-dessus).
Cette perte de chance doit être qualifiée de réelle et sérieuse et, eu égard à son importance, doit être estimée, compte tenu des éléments ci-dessus rappelés, aux deux tiers du montant des intérêts, soit une somme de 677 002 euros outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt que Mme [R] venant aux droits de son mari prédécédé et la société PWC société d’Avocats qui était sa structure d’exercice alors concernée seront in solidum condamnés à verser à M. [K] [Y]. Cette somme ne saurait être mise à la charge de la Selas Ernst & Young qui n’était pas intervenue à ce stade de la faute prise en considération.
Ce dernier réclame également une somme à titre provisionnel de 1’550’689 euros au titre de la perte de chance de se procurer des intérêts sur les sommes prêtées autrement mobilisées.
Cette somme correspond, selon l’appelant, à 90 % du montant des intérêts qu’il aurait perçus en 2018, déduction faite des intérêts liés aux prêts de 2007, s’il avait placé différemment la somme de 5’000’000 euros qu’il a prêtée.
Cette demande ne peut qu’être rejetée, n’étant pas la conséquence de la faute retenue. En effet, elle supposerait pour aboutir la démonstration que le choix de prêter la somme de 5’000’000 d’euros à la société Danan résulte d’un conseil de Me [R]. Or, rien ne le démontre. S’il est, en effet, exact que cette option figure dans les propositions de l’avocat quant à la restructuration du patrimoine de son client et si elle n’est pas la plus intéressante financièrement, la décision de consentir aux deux prêts a été prise avant même la remise définitive de ces propositions. Par ailleurs, les époux [N] indiquent clairement dans la contre-proposition du 14 mars 2015 (cf. supra) qui relate les faits que c’est [K] [Y], qui informé des besoins de la société Electropoli (dont il avait été administrateur) a proposé, début 2007, de lui apporter son aide en lui prêtant les fonds dont il disposait provenant de la cession récente de la société Sirec.
L’appelant sollicite en outre une somme de 43’709,14 euros correspondant aux frais d’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire qu’il a dépensés. Il ajoute qu’il a dû exposer ces frais en l’absence de garantie contractuelle. Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, si Me [R] avait satisfait à son obligation de conseil à l’égard de M. [Y], il lui aurait sans doute suggéré de demander que le prêt soit assorti d’un cautionnement consenti par les gérants. Mais, en raison des liens familiaux et de confiance qui existaient alors entre les parties, il est invraisemblable que le prêteur eût exigé un cautionnement hypothécaire sur les biens de sa s’ur.
Par ailleurs si M. [Y] a demandé et obtenu l’autorisation d’inscrire des hypothèques judiciaires provisoires sur les biens de [Localité 17] et des [Localité 14] en 2016, c’est uniquement en raison du comportement des époux [N] et de l’opposition qu’ils ont manifesté à compter de 2013 / 2014 (lorsque le conflit existant entre les parties a été porté à la connaissance de la famille, comme en témoigne M. [P] [Y] dans son attestation du 23 novembre 2016′: «’Début 2014, j’apprends par ma fille [D] [N] le conflit rencontré entre elle et son mari, d’une part, et de mon fils sur le remboursement d’un prêt de 5’000’000 d’euros que mon fils leur a consenti en février et mars 2007 afin de leur permettre de restructurer leur entreprise Electropoli à cette époque tout en en gardant le contrôle…’», pièce n° 8 de l’appelant).
En présence donc de la garantie la plus vraisemblable (cautionnement par acte sous seing privé), M. [Y] se serait trouvé dans la même situation et aurait donc exposé les mêmes frais. Cette demande doit, en conséquence, être rejetée, faute de lien de causalité.
M. [Y] réclame enfin une somme de 28’704 euros correspondant à la facturation de l’étude sur les solutions de placement qu’il dit avoir exposée en pure perte.
Cette étude a été demandée après la cession de la société Sirec et il est établi que M. [Y] en a effectivement supporté le coût.
S’il est exact que cette dépense a été pour l’essentiel exposée inutilement, c’est en raison du choix effectué par l’appelant avant même que l’étude ne soit définitivement remise. Il n’existe donc aucun lien de causalité entre ce préjudice et la faute retenue.
Cette demande doit donc être également rejetée.
Sur la demande en dommages et intérêts présentée par la Selas Ernst & Young société d’Avocats’:
Cette société expose que la demande formulée à son encontre est abusive et réclame 25’000 euros de dommages et intérêts en réparation du temps et de l’énergie qu’elle a dépensés pour rassembler ses pièces et préparer sa défense et de l’atteinte portée à sa réputation.
Si aucune faute n’a été retenue quant aux interventions de Me [R] alors qu’il était avocat associé de cette structure d’exercice, l’action entreprise ne revêt pour autant aucun caractère abusif, dès lors que ces interventions se situent, dans le cadre d’un même dossier, à la suite d’autres concernant le même avocat alors qu’il était associé d’une autre structure, l’ensemble pour être compris devant être apprécié globalement.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur les demandes indemnitaires de Mme [R] et de la Selas PWC société d’Avocats’:
La responsabilité de Me [R] et de la Selas PWC société d’Avocats étant retenue et le préjudice majoré en appel, leurs demandes indemnitaires respectives sont totalement infondées et ne peuvent qu’être rejetées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles’:
Mme [R] et la Selas PWC société d’Avocats qui échouent en leurs prétentions supporteront les dépens d’appel, le jugement critiqué étant confirmé quant aux dépens de première instance et à la somme allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [R] et la Selas PWC société d’Avocats seront, en outre, condamnés à verser à M. [Y], pour la procédure d’appel, une somme de 12’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande de laisser à la société Ernst & Young ses frais irrépétibles. Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS’:
Statuant par arrêt rendu contradictoirement’:
Rejette la fin de non recevoir relatif à la demande en payement relative à la facturation des solutions patrimoniales.
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celle condamnant Mme [O] [R] ès qualité d’ayant droit de Me [R] in solidum avec la Selas PWC à verser à M. [K] [Y] une somme de 150’000 euros à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau de ce chef’:
Condamne Mme [O] [R] ès qualité d’ayant droit de Me [K] [R] in solidum avec la Selas PWC société d’Avocats à verser à M. [K] [Y] une somme de 677’002 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Déboute M. [K] [R] du surplus de ses demandes.
Rejette la demande en dommages et intérêts de la Selas Ernst & Young société d’Avocats,
Rejette la demande en dommages et intérêts de Mme [O] [R],
Rejette la demande en dommages et intérêts de la Selas PWC société d’Avocats.
Condamne Mme [O] [R] et la Selas PWC société d’Avocats aux dépens d’appel.
Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont ils ont pu faire l’avance sans avoir reçu provision.
Condamne Mme [O] [R] et la Selas PWC société d’Avocats à payer à M. [K] [Y] une somme de 12’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute Mme [O] [R] et la Selas Ernst & Young société d’Avocats de leurs demandes de ce chef.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
28